À pied, de Paris au Salento

J’en suis là…

Lorsqu’à Salerne je me suis rendu compte qu’à moins de ne marcher que sur les routes il me serait impossible de traverser la Calabre pour rejoindre la Sicile et Syracuse, la seule solution qui m’est venue à l’esprit il y a deux semaines a été de m’arrêter à l’endroit où j’étais arrivé.

Au cours des mois précédents, je n’avais pourtant pas hésité à modifier le parcours de mon périple à chaque fois que cela m’avait semblé souhaitable, mais le nom « À pied de Paris à Syracuse » était si bien implanté dans mon cerveau que je n’ai pas pensé que rien ne m’empêchait de changer d’objectif…

Il m’a fallu un peu de temps pour me rappeler que « c’est le chemin qui compte, pas la destination » et trouver ainsi le moyen de remédier à la frustration causée par cet arrêt prématuré : je vais reprendre mon chemin là où je l’ai interrompu, avec désormais en point de mire le talon de la botte.

Je vais donc repartir dans quelques jours. Depuis Salerne, je compte rejoindre les Vie Francigene del Sud en quelques journées de marche vers le nord-est. Elles ne sont certainement pas aussi bien balisées que les chemins de pèlerinage du Nord de l’Italie mais elles devraient quand même être à peu près praticables et me permettre d’avancer. Je compte découvrir ainsi Matera, Brindisi, et finalement si tout va bien Santa Maria di Leuca, en traversant la Basilicate et les Pouilles, jusqu’à la mer ionienne. Ma « longue promenade » continue.

Pise, le retour


Retour à Pise sous un ciel radieux

Bye-bye la grisaille parisienne de ces derniers jours ! Sitôt passé les Alpes, le ciel a changé de couleur. « Nel blu, dipinto di blu », c’est un vrai bleu du sud, juste souligné par quelques bancs de nuages effilochés, qui a accompagné mon retour ferroviaire vers la Toscane, huit mois après en être parti.

Et lorsque je suis arrivé à Pise, comment dire… eh bien, c’était l’Italie ! D’accord, il n’y avait pas beaucoup de monde dans les rues et sur les places – les touristes ne sont pas encore revenus – mais l’air était lumineux, il faisait bon, et j’ai pu déguster, entre la gare et la tour penchée, ma première « birra alla spina » en terrasse depuis bien longtemps.

Patience… Plus que quelques jours et, en France aussi, on pourra de nouveau prendre un verre en terrasse.

(En attendant, pour me suivre, cela sera ici sur la page Facebook dédiée à ce périple, en attendant que je reproduise ici après mon retour tous mes articles).

Le Soleil des Scorta (Laurent Gaudé)

Un ‘trabocco’ sur la côte apulienne

Le soleil du mois d’août écrase le massif du Gargano. Ayant atteint le sommet de « ce qui semblait être la dernière colline du monde », l’homme hébété de chaleur perché sur le dos de son âne se dirige vers Montepuccio, le village des Pouilles dont il a été chassé quinze ans plus tôt, pour revoir enfin la femme à laquelle il n’a cessé de penser en prison.

Par le viol qu’il va commettre – mais qui, en fait, n’en sera pas un – et par l’erreur qu’il fait alors en prenant Immacolata Biscotti pour sa sœur décédée, Luciano Mascalzone va être à l’origine de la lignée des Scorta : son fils Rocco le bandit, les trois enfants de celui-ci (Domenico Mimi va fan’culo, Giuseppe Pepe pancia piena et Carmela Miuccia) auxquels s’adjoignent le « frère adoptif » Raffaele Faelucc’ et bientôt la génération suivante avec Elia et Donato, puis la suivante encore avec Anna.

À sa mort, Rocco a fait don de tous ses biens à l’Eglise pour que les siens, désormais, « ne soient plus fous, mais pauvres », les libérant ainsi de la malédiction familiale et leur permettant de devenir de bons chrétiens et de prospérer. Comme Faelucc’ le dira à son neveu Elia bien des années plus tard : « il faut profiter de la sueur » – ce qui veut dire que les années de labeur sont les plus heureuses de la vie.

Désormais réduits à la misère, Domenico, Giuseppe et Carmela s’embarquent pour tenter leur chance à New-York mais ils sont refoulés à Ellis Island et doivent revenir en Italie. C’est sur le bateau du retour qu’il vont gagner, grâce à leur travail et à l’entregent de Carmela, ce qu’ils appelleront « l’argent de New-York », mise de départ pour créer leur entreprise familiale, un bureau de tabac à partir duquel la famille va se faire une place au soleil. Ils vont travailler, travailler, travailler, tout gagner et choisir de tout perdre, dans la sueur et dans le silence car, si l’amour est partout, les mots sont rares chez les Scorta.

Voilà un très beau roman écrit par un amoureux de l’Italie qui connaît particulièrement bien la région du Mezzogiorno où l’histoire se déroule, cet ergot de la botte italienne où la terre, couverte de poussière et d’oliviers, est écrasée de soleil et de religion et où la mer, éblouissante et bleue, porte des barques de pêcheurs, des trabocchi et des contrebandiers. Les phrases sont courtes et sèches comme la terre des Pouilles ; on les lit comme on lirait un conte, la saga légendaire d’une famille construite au fil des générations, d’abord méprisée, puis crainte, puis admirée, mais toujours liée par l’amour et le respect de sa terre, de son sang et de son nom.

Le Soleil des Scorta (Laurent Gaudé)
« Les olives sont éternelles. Une olive ne dure pas. Elle mûrit et se gâte. Mais les olives se succèdent les unes aux autres, de façon infinie et répétitive. Elles sont toutes différentes, mais leur longue chaîne n’a pas de fin. Elles ont la même forme, la même couleur, elles ont été mûries par le même soleil et elles ont le même goût. Alors oui, les olives sont éternelles. Comme les hommes. Même succession infinie de vie et de mort. La longue chaîne des hommes ne se brise pas. Ce sera bientôt mon tour de disparaître. La vie s’achève. Mais tout continue pour d’autres que nous.»
Laurent Gaudé — Le Soleil des Scorta (Actes Sud)

Un homme dans une voiture

La Vallette

La Vallette (Malte) – Grand Harbour by night

« Voici vos clefs, Monsieur. La voiture est garée dans le parking de l’aéroport, à deux pas d’ici. Pour y aller, c’est très simple, vous traversez la route qui passe devant le terminal, vous prenez à droite sur le trottoir d’en face et vous marchez sur une centaine de mètres jusqu’à la ligne jaune qui conduit à nos voitures. Cela ne vous prendra pas plus de trois minutes. Et d’ailleurs, votre voiture aussi est jaune, ah-ah ! C’est une Hyundai Atos jaune. »

Je n’avais aucune idée de ce à quoi une Hyundai Atos pouvait bien ressembler. J’avais juste réservé une petite voiture de location et une chambre d’hôtel en achetant mon billet d’avion pour La Vallette. Il était six heures du soir et à cette heure-là, en février, il fait nuit. Impossible de distinguer la moindre ligne jaune sur le sol, mais des voitures jaunes, ça oui, il semblait y avoir des centaines dans cet immense parking mal éclairé. Après vingt ou vingt-cinq minutes passées à déchiffrer des plaques d’immatriculation à la lumière de mon téléphone, j’ai fini par tomber sur le bon numéro. Ouf. J’ai mis ma valise dans le coffre, ai ouvert la porte du conducteur, et… Quoi ? Le volant est placé du côté passager ? Oh me*de ! On conduit à gauche à Malte ?

Je devais rejoindre un hôtel situé dans une ville appelée Floriana « c’est juste avant d’entrer dans La Vallette », m’avait dit le loueur de voitures, « vous ne pourrez pas le louper » (mais je n’étais pas non plus censé louper la ligne jaune sur le trottoir, n’est-ce pas ?), en conduisant une voiture où tout était à l’envers. Avez-vous déjà essayé de passer les vitesses d’une boîte mécanique avec la main gauche ? [Cette question s'adresse uniquement aux lecteurs droitiers non-britanniques]. Croyez-moi sur parole, c’est un must, spécialement la nuit, dans un pays étranger, alors que vous ne savez pas exactement où vous devez aller.

Par chance, les routes étaient pour la plupart à sens unique mais il y avait des ronds-points ! Oh me*de, à nouveau… est-ce que je dois prendre ce giratoire dans le même sens que chez nous ou dans l’autre sens ? Aucun panneau ne l’indiquait et, à l’évidence, les conducteurs autochtones avaient tous sournoisement décidé de ne plus emprunter cette route tant que j’y serais pour ne pas risquer de me servir d’exemple. Mais à rusé, rusé et demi ! Je me suis rangé sur le bas-côté jusqu’à ce qu’une voiture veuille bien arriver et qu’elle prenne le rond-point… à l’envers bien sûr, dans le sens des aiguilles d’une montre !

Une demi-heure et quelques erreurs de trajet plus tard, j’ai fini par arriver à la ville. Ah chouette, voici l’enseigne de l’hôtel ! Tout heureux, j’ai tourné à gauche dans sa direction en cherchant des yeux une place pour me garer. Vous savez, les policiers sont très polis par ici.

« Bonjour Monsieur, avez-vous remarqué que vous conduisiez sur le côté droit de la chaussée, juste avant de prendre cette route à sens unique dans le mauvais sens ? » demanda le policeman en me saluant. Je tâtonnai fébrilement sur ma portière pendant quelques secondes en cherchant le moyen d’ouvrir la fenêtre, ne réussis pas à trouver le bouton (c’était aussi une poignée mécanique), et finalement ouvris la porte et descendis sur la chaussée en m’excusant.

« Je suis désolé Monsieur l’Agent, je n’ai pas l’habitude de conduire à gauche et j’étais si content d’avoir enfin trouvé mon hôtel ! » Il me regarda avec un tel air de commisération que j’eus l’impression de l’entendre penser : ce pauvre garçon est français, et visiblement un peu limité. « – C’est bon, allez-y », me dit-il en me montrant une place de parking. « Dépêchez-vous, s’il vous plaît. »

Les amis, j’ai un jeu amusant à vous proposer : le jour où vous aurez l’occasion de conduire une voiture avec le volant à droite, essayez donc de vous garer en marche arrière sur une place de stationnement coincée entre deux arbres, alors qu’il fait nuit noire et qu’un policier vous surveille. Vous verrez, vous allez adorer. Mais bon, j’y suis arrivé. Ma valise à la main, je suis entré dans l’hôtel et me suis dirigé vers l’accueil, riant intérieurement en imaginant le récit que Jerome K. Jerome aurait pu tirer de mes tribulations.

(La Vallette, 7 février 2007)

Pise-aller

Pise
… À suivre !

Et voilà… la première partie de ma longue promenade s’est achevée à Pise il y a une semaine et me voici de retour chez moi.

Depuis mon départ il y a trois mois, bien des choses se sont passées. J’ai parcouru à pied un peu plus de 1.800 kilomètres et grimpé – et redescendu – environ 33.000 mètres de dénivelé. Et surtout, j’ai vécu intensément chaque journée, j’ai vu des endroits splendides et j’ai fait de belles rencontres.

Avec un smartphone, il aurait été beaucoup trop long de publier chaque jour sur ce blog les billets que j’ai écrits sur Facebook pendant mon périple mais ils sont désormais tous accessibles ici.

Les événements de ces derniers mois ont montré que rien n’était acquis et qu’il était hasardeux de faire des prédictions, « surtout quand elles concernent l’avenir », mais si tout va bien je repartirai de Pise l’an prochain, sans doute au début du mois de mai, pour effectuer la seconde partie de ce voyage à pied jusqu’à Syracuse.

Donc… à suivre !

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