À pied du cercle polaire à l’Himalaya
- Publié le Mardi 8 février 2011
- par Serval
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Sibérie, hiver 1941. Sept prisonniers du Goulag réussissent à s’évader du camp 303, à 600 km du cercle polaire. Slavomir Rawicz, jeune officier polonais, est de ceux-là. Pour échapper aux poursuites, les évadés choisissent le chemin vers la liberté le plus long et le plus difficile : celui du sud. Ils veulent atteindre l’Inde, à plus de 6.000 km de là.
À pied, sans boussole, sans habits adaptés, sans autres outils qu’une lame de hache et un couteau, ils traversent successivement la Sibérie, la Mongolie et le désert de Gobi, l’ouest de la Chine, le Tibet et l’Himalaya. En route, ils recueillent une jeune fille polonaise, Kristina, qui va devenir leur porte-bonheur… mais quatre d’entre eux seulement arriveront au bout du voyage.
« Nous cheminâmes encore pendant deux épuisantes journées avant d’atteindre un sol plus ferme, étendue caillouteuse légèrement mêlée de sable [...] Devant nous s’élevait doucement une pente rocheuse aride et dénudée. Je n’avais plus qu’une pensée en tête : peut-être y aurait-il de l’eau sur l’autre versant. Nous nous reposâmes deux heures avant d’entamer la longue ascension. Nous ôtâmes nos mocassins pour les vider du sable qu’ils contenaient. Nous essuyâmes la fine poussière qui s’était logée entre nos orteils. Puis, laissant le désert de Gobi derrière nous, nous commençâmes à grimper » Slavomir Rawicz — À marche forcée (Phébus, 2002) |
À marche forcée (The Long Walk) n’est pas un roman, et Slavomir Rawicz, mort en 2004 à l’âge de 88 ans, n’était pas un écrivain. Ce fut l’homme de ce seul livre, écrit avec l’aide d’un journaliste britannique, Ronald Downing, pour raconter ce qu’il a affirmé être le récit de sa propre évasion du Goulag (c’est de ce livre qu’est tiré le film « Les chemins de la liberté » mais le film est loin de valoir le livre). Sa nouvelle édition en français, traduite de l’anglais par Éric Chédaille, date de 2002. Elle avait été voulue par Nicolas Bouvier qui a dit du livre de Rawicz : « Ce n’est pas de la littérature, c’est peut-être mieux que ça [...] Certains livres sont assez forts pour se passer du secours du style ».
Et pour être fort, ce livre l’est. Bien sûr, il y a des invraisemblances. Rawicz et ses amis auraient passé 10 jours sans boire dans le désert de Gobi ; celui-ci est décrit comme un désert de sable avec des palmiers dans les oasis ; les évadés auraient traversé l’Himalaya en hiver sans aucun équipement ; ils y auraient vu deux créatures ressemblant fort à des yétis. Mais qu’importe. Même si l’aventure a vraisemblablement été enjolivée, soit par Rawicz lui-même, soit par son « nègre » Downing, connu pour sa volonté de prouver l’existence de « l’abominable homme des neiges », le livre qui en est tiré relate une aventure extraordinaire. C’est un fantastique témoignage sur la volonté et la résistance humaines.
Et si tout a été inventé… eh bien tant pis, le livre est magnifique quand même.
Sur des chemins familiers
- Publié le Dimanche 6 février 2011
- par Serval
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Traversée Nord-Sud, étape n°18 : La Roche-Guyon -> Mantes-la-Jolie (Ve 15/10/2010)
Vous pouvez aussi voir ici la liste de toutes les étapes de la Traversée Nord-Sud.
En un simulacre d’étape de montagne, le chemin depuis La Roche-Guyon longe d’abord la Seine à flanc de falaise. En haut du coteau, un étroit sentier traverse longuement la pelouse calcaire puis descend sur Vétheuil. Qui dit Vétheuil dit Monet, en une période de sa vie douloureuse et misérable mais riche en toiles lumineuses. Reflets des maisons et des paysages dans l’eau de la Seine, soleil couchant, et partout l’église Notre-Dame et son toit si particulier aux motifs polychromes.
Pour la première fois au cours de ma traversée de la France, je marche à domicile car le Vexin français c’est chez moi : il y a bien des années que j’arpente les chemins de ce plateau calcaire à une heure de Paris. Boucles autour de Villarceaux ou de Théméricourt, promenades dans la vallée de l’Aubette de Magny ou sur les hauteurs d’Onville, c’est par dizaines qu’il faudrait compter mes balades ici en toutes saisons. Me voici donc consacré « régional de l’étape ». Pour un temps, le plaisir de découvrir de nouveaux paysages cède la place à la joie de retrouver des endroits familiers, comme je replace mes pas dans les traces de mes propres souliers.
Auvers-sur-Oise, Vétheuil, Giverny. Pas besoin d’en dire plus : c’est beau, le Vexin. C’est tout sauf monotone, avec les amples ondulations boisées d’Arthies et de Marines, les vallées de la Viosne, du Sausseron, de l’Epte, et celle de la Seine qui le limite au sud. Sur le plateau du Vexin français, les champs de céréales du « grenier à blé de Paris » s’étalent à perte de vue. Les moulins, les lavoirs et les fontaines, les pigeonniers, les églises et les croix, sont pour le promeneur autant de repères, autant de rappels de ses visites précédentes.Dans ce pays agricole, les toits des maisons, les clochers des églises sont visibles de loin. Ils sortent de terre, y compris au sens propre : la pierre, l’argile et le plâtre qui les constituent proviennent du terroir, matériaux qui font se fondre les couleurs des villages dans celles du paysage. Auvers-sur-Oise, Vétheuil, Giverny : pas besoin d’en dire plus.
Par vent arrière
- Publié le Jeudi 3 février 2011
- par Serval
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Traversée Nord-Sud, étape n°17 : Gisors -> La Roche-Guyon (jeudi 14 octobre 2010)
Vous pouvez aussi voir ici la liste de toutes les étapes de la Traversée Nord-Sud.
La route est longue et je suis parti tard. Je marche en ligne droite sur de petites routes et des chemins d’exploitation qui s’étirent entre les champs. Tout droit vers le sud, avec dans le dos le vent du nord qui me pousse et m’aide à progresser. Un vent fort avec des rafales : sous le ciel pourtant bleu, la bise est venue.
Malgré sa froidure, je ne me plains pas. Avoir le vent avec soi est une chance qu’il faut savoir apprécier à sa juste valeur. Le vent contraire est le pire ennemi, un ennemi invisible et constant qui ne se contente pas de ralentir le marcheur qui doit lutter contre lui : il sape son élan, il le saoûle et le vide de son énergie.
Mais aujourd’hui, la bise est mon alliée. Sa main complice me pousse dans le dos, elle joue avec moi, me désarçonne et me fait presque décoller de terre lorsque ses rafales s’engouffrent sous mon sac. « Ch’vint il est heut » dit-on en langue picarde pour désigner la bise du nord qui m’accompagne obligeamment un peu au-delà des limites de sa zone habituelle d’influence, aux confins de la Picardie et du Vexin Normand. « Le vent, il est haut ».
« Mais « le vent » n’existe pas. Tout comme « l’eau » des rivières et des fleuves, c’est un mot derrière lequel se cache une multitude de souffles différents. Leurs filets sont des caresses, leurs crues des ouragans. Ils prennent leur source, font leur lit, coulent et se faufilent à travers les vallées, selon des débits et des rythmes propres, avant de se jeter dans l’inconnu où ils s’évaporent sans laisser de trace. Magie d’une existence éphémère sans cesse renouvelée. » Honorin Victoire — Petite encyclopédie des vents de France (JC Lattès, 2001) |
J’avance donc vite, par vent arrière, parmi les champs qui longent la vallée de l’Epte, jusqu’à ce que tout à coup, sans prévenir, le vent mollisse et m’abandonne quand je franchis l’Aubette, non loin de Bray-et-Lu. En quelques minutes c’est fini, plus un souffle. Je marche à nouveau seul en cette fin d’après-midi.
Deux kilomètres encore, un bois, des chemins creux. Et puis, la récompense d’une lumière dorée qui traverse les branches quand j’atteins les hauteurs de La Roche-Guyon. Un chemin de montagne en ce pays de plaine serpente sur les flancs des coteaux calcaires qui protègent le fleuve. Je descends. Aux rayons d’un soleil proche de l’horizon, les falaises de craie de la vallée de Seine étalent leur blancheur sous un ciel bleu foncé.
Éloge de la fuite
- Publié le Lundi 31 janvier 2011
- par Serval
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Traversée Nord-Sud, étape n°17: Gisors -> La Roche-Guyon (jeudi 14 octobre 2010).
Vous pouvez aussi voir ici la liste de toutes les étapes de la Traversée Nord-Sud.
Le centre de Gisors, autour du château qui le domine, paraît de prime abord un calme centre-ville, celui d’une ancienne cité que les années ont fait évoluer en une petite ville provinciale bourgeoise. Sauf que l’impression que j’ai eue hier, en traversant la « banlieue est » de la ville, d’arriver dans une zone défavorisée du « neuf-trois », va se confirmer ce matin.
En sortant de la boulangerie où je viens d’acheter un sandwich, j’entends sur ma droite une clameur qui s’amplifie rapidement. À quelques dizaines de mètres, une centaine de jeunes gens avancent dans la rue en criant « Sarko, m’entends-tu ? » et en chantant « On va, on va, on va tout casser » sur l’air des lampions. Et, en effet, ils cassent. Les vitrines de la rue sont brisées les unes après les autres tandis que les commerçants essaient de baisser à temps leur rideau métallique.
Je file sur la gauche et rejoins la place de l’Hôtel de Ville où la maréchaussée en uniforme (cinq ou six jeunes gens à l’air affolé) est en position, derrière deux voitures bleues placées en travers de la chaussée. Cherchant à comprendre comment faire marcher son pulvérisateur, un policier se projette à la figure une giclée de gaz lacrymogène et doit opérer un repli stratégique, guidé par un collègue, pour se laver les yeux. La tension se relâche un peu devant cet épisode du « Gendarme de Gisors ».
Pendant ce temps, les premiers manifestants sont arrivés à proximité de la place. Ils ont entre 15 et 30 ans avec un bon tiers de filles. Certains ont le bas de la figure caché par un foulard. Je ne me risque pas à sortir mon appareil photo. Aucune banderole, aucun slogan politique – injurier Sarkozy en 2010, ce n’est plus de la politique – seulement des cris de colère et ce « on va tout casser » qui n’est pas une vaine menace.
C’est à la fois triste et inquiétant. Je ne veux pas savoir la suite, je fuis. Je tourne les talons et mets le cap vers le sud-ouest. Lorgnant sur ma dégaine et mon sac à dos, un passant me demande où je vais : « Vers la vallée de l’Epte jusqu’à la Roche-Guyon ». « Vous avez bien raison, c’est joli là-bas. Ici, ce n’est plus la Normandie, c’est la banlieue parisienne ; mais c’est pas Neuilly, hein ! »
« Rester normal, c’est d’abord rester normal par rapport à soi-même. […] Se soumettre c’est accepter, avec la soumission, la pathologie psychosomatique qui découle forcément de l’impossibilité d’agir suivant ses pulsions. Se révolter, c’est courir à sa perte, car la révolte si elle se réalise en groupe, retrouve aussitôt une échelle hiérarchique de soumission à l’intérieur du groupe, et la révolte, seule, aboutit rapidement à la suppression du révolté par la généralité anormale qui se croit détentrice de la normalité. Il ne reste plus que la fuite. […] Ce comportement de fuite sera le seul à permettre de demeurer normal par rapport à soi-même, aussi longtemps que la majorité des hommes qui se considèrent normaux tenteront sans succès de le devenir en cherchant à établir leur dominance, individuelle, de groupe, de classe, de nation, de blocs de nations, etc. » Henri Laborit — Éloge de la fuite (Folio essais, 1976) |
Depuis une semaine, je vivais en dehors de l’actualité mais, une fois n’est pas coutume, j’irai dans la soirée chercher des informations sur Internet. Rien sur Gisors en particulier. Partout en France aujourd’hui, « les lycéens ont manifesté contre la réforme des retraites, parfois violemment ». M’est avis que la réforme des retraites a bon dos. Les jeunes gens de ce matin, souvent trop âgés pour être des lycéens, n’ont pas lancé un seul slogan à ce propos. Je crois plutôt qu’ils exprimaient comme ils le pouvaient leur ras-le-bol, leur désespoir et leur colère envers une société qui les a oubliés et ne leur fait espérer aucun avenir.
Arrivée à Gisors
- Publié le Vendredi 28 janvier 2011
- par Serval
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Traversée Nord-Sud, étape n°16 : Ons-en-Bray -> Gisors (mercredi 13/10/2010)
Vous pouvez aussi voir ici la liste de toutes les étapes de la Traversée Nord-Sud.
Une fois sorti de la forêt de Thelle, changement d’ambiance : après la douceur automnale des bois, revoici la rudesse du bitume et le bruit des voitures, pas trop nombreuses heureusement, sur cette route qu’il me faut emprunter sur plusieurs kilomètres pour rejoindre Gisors.
Juste après la zone commerciale, à l’entrée de la ville, une dame arrive face à moi, sur le trottoir d’une petite rue pavillonnaire. Elle promène son labrador. Elle change de trottoir en me voyant et est à l’évidence très surprise par le « bonjour » de randonneur que je lui adresse lorsque j’arrive à sa hauteur. Son expression d’étonnement ne fait toutefois pas totalement disparaître celle, initiale, de frayeur.
Je me faisais de cette ville au passé médiéval l’idée d’une petite cité provinciale, calme et douillette. Telle que je l’aborde, elle ressemble plutôt à une ville de banlieue défavorisée, avec des jeunes gens qui zonent à trois ou quatre et me regardent par en-dessous, d’autres qui font pétarader leur scooter, et une nouvelle variante de sociologie canine : les caniches et cockers d’hier sont aujourd’hui remplacés par des bergers allemands et par ces animaux terrifiants que sont les pitbulls, boerbulls et autres rottweillers.

« L’hôtel-restaurant de la Gare » où je vais passer la nuit ne fait pas restaurant (ça ne s’invente pas) et tous les restaurants de Gisors sont fermés les mercredis et jeudis soirs. Bon. Aujourd’hui encore, pour le dîner, ce sera donc kebab.
On marche dans l’automne
- Publié le Mercredi 26 janvier 2011
- par Serval
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Traversée Nord-Sud, étape n°16 : Ons-en-Bray -> Gisors (mercredi 13 octobre 2010)
Vous pouvez aussi voir ici la liste de toutes les étapes de la Traversée Nord-Sud.
Les mûres disparaissent à toute vitesse, elles se dessèchent presque à vue d’oeil. Sans doute à cause du froid un peu vif des deux dernières nuits, elles se sont ratatinées. Les cenelles et les cynorrhodons eux aussi sont flétris, leur peau hier luisante est maintenant terne et fanée. Les prunelles résistent à peine mieux ; seule leur pruine sauve les apparences. Deux journées ont suffi. Ça y est, c’est l’automne.
Il fait très beau pourtant. Dans la forêt de Thelle, le chemin semble tracé juste pour le plaisir de s’enfoncer entre deux rangées de fougères dorées que la lumière du matin fait briller.
« Tout l’automne à la fin n’est plus qu’une tisane froide », écrivait Francis Ponge. Mais il y a juste avant quelques jours à cueillir. Bien sûr, on n’ose plus parler d’été indien. Bien sûr, on se résigne à revenir aux pluies qui glissent vers l’hiver, si doucement. Dans les jardins déjà presque nus, quelques dalhias, quelques cosmos posent encore des taches mauves ou roses, à peine délavées. Mais la forêt a gardé toute sa lumière. Elle vient du sol ; on marche dans l’automne. » Philippe Delerm — Les chemins nous inventent (Stock, 1997) |
Cette lumière qui filtre à travers le feuillage joue sur l’écorce des arbres et dessine des ombres dans le sous-bois ; elle fait miroiter pour quelques dernières secondes les feuilles jaunes que chaque nouveau souffle de vent fait tomber lentement, en virevoltant, jusqu’à atteindre le lit des milliers d’autres feuilles qui tapissent le sol.
Les ronces piquent du nez, mais le houx surgit de toutes parts. Lui que je n’avais pas encore remarqué étale avec orgueil ses belles feuilles vertes et pointues et ses baies rouges. Premier signe d’un Noël encore loin pourtant. Reconnaissance surtout — on ne peut plus la nier — de la mort de l’été.
Tous les matins du monde
- Publié le Lundi 24 janvier 2011
- par Serval
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Chaque matin depuis le 7 octobre 2010, Myriam a pris une photo à 7h59 précises et l’a publiée sur son blog Tous les matins du monde.
Au fil de 110 photos, qu’il fasse beau ou qu’il pleuve, qu’il neige ou qu’il vente, elle a décliné l’idée de matin, en introduction à son idée de « réunir au moins 24 personnes autour d’un projet très simple : prendre une photo libre et personnelle traduisant son matin du 24 janvier 2011 à 7h59 ». Au moins 24 personnes, c’est à dire au moins une personne dans chacun des 24 fuseaux horaires de la planète.
Voici mon cliché. Le saule sous les branches duquel je l’ai pris est un vieil ami.
Toutes les photos : http://www.morningsworld.fr/
Entre la Somme et l’Oise
- Publié le Samedi 22 janvier 2011
- par Serval
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Traversée Nord-Sud, étape 15 : St-Omer-en-Chaussée -> Ons-en-Bray (12/10/2010)
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J’ai quitté hier le département de la Somme pour celui de l’Oise mais c’est toujours la Picardie de l’intérieur que je traverse, avec ses champs, ses rivières et ses bois. La seule différence immédiatement visible a été le remplacement des 80 par des 60 sur les plaques minéralogiques, mais des modifications plus subtiles se font jour peu à peu.
Les chasseurs ne sont plus omniprésents. On n’entend plus guère qu’un coup de fusil lointain par-ci par-là. Les chemins forestiers ne sont plus barrés de manière imprévue par ces portes métalliques qui interdisaient temporairement l’accès à des endroits faisant pourtant partie du domaine public. On chasse aussi dans l’Oise bien sûr, mais les chasseurs ne font visiblement pas autant la loi ici qu’un peu plus au nord.
Dans les villages, les girouettes arborent parfois un canard ou une oie en vol à la place du coq traditionnel. Des affiches font la promotion du Parc du Marquenterre, refuge et observatoire des oiseaux, et des tracts « Non à la chasse aux oiseaux migrateurs ! » sont punaisés sur les poteaux électriques. Ça change !

Le voyageur à pied sait bien qu’en vociférant ainsi à travers les barreaux de leur cage, ces descendants affadis de l’animal libre et nomade qui hantait jadis les forêts de la région expriment surtout leur frustration et leur envie. C’est le regret enfoui de leur liberté perdue qui s’exprime par leurs aboiements jaloux, lorsque passe le chemineau.
Impression soleil levant
- Publié le Lundi 17 janvier 2011
- par Serval
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Traversée Nord-Sud, étape n°14 : Poix-de-Picardie -> St-Omer-en-Chaussée
(lundi 11/10/2010)
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Il ne fait pas chaud ce matin, deux ou trois degrés peut-être. La journée promet d’être belle, mais à huit heures du matin il fait encore nuit et vraiment frais, d’autant que souffle un petit vent du nord. Je suis parti avant l’aube de Poix-de-Picardie car l’étape d’aujourd’hui sera longue, plus de trente kilomètres jusqu’à Saint-Omer-en-Chaussée.
Peu après la sortie de la ville, de l’autre côté de la route devant moi et à droite, quatre personnes sont adossées à la clôture métallique qui entoure ce qui ressemble à un grand entrepôt. Une femme et trois hommes. Ils ne bougent pas, ils ne parlent pas, ils ne fument pas. Ils regardent tous les quatre dans la même direction, droit devant eux vers l’horizon par-dessus la chaussée, les arbres et les champs.
Me voici assez près pour qu’on se salue, d’un côté à l’autre de la petite route.
« – Bonjour ! »
« – Bonjour » répondent-ils sans chaleur excessive et sans détacher leur regard de l’horizon. Tous les quatre portent le blouson chaud que requiert la température matinale, mais la femme et l’un des hommes sont en short. Ils savent visiblement qu’ils auront chaud bientôt.

À l’horizon oriental sur lequel leurs yeux étaient fixés, le haut du disque solaire vient d’apparaître. Juste un peu trop tard. Libéré pour un temps des horaires et des routines, le marcheur de passage profite seul du spectacle.
Harmonie
- Publié le Vendredi 14 janvier 2011
- par Serval
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Traversée Nord-Sud, étape n°13 : Molliens-Dreuil -> Poix-de-Picardie (Di 10/10/2010)
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Mes jambes avalent les kilomètres aujourd’hui. Elles font leur travail toutes seules, en rythme et sans peine. Elles gravissent la petite côte sans que j’y prête vraiment attention, me font traverser le village de Saint-Aubin-Montenoy et redescendre de l’autre côté de la colline après un bref regard en arrière. Devant moi, la route descend un peu puis remonte en pente douce. Une rangée d’éoliennes se découpe sur le ciel bleu, au faîte d’une ondulation de terrain. Il fait beau, il fait clair, l’air est vif et transparent. Je réalise soudain que je me sens parfaitement bien.
C’est comme une révélation qui n’a rien de mystique : en cet instant précis, en cet endroit précis, seul sur cette petite route de campagne, je me sens pleinement heureux. Fugace sensation. Au bout d’une poignée de secondes, pas même une minute, dès que je m’en rends compte en fait, ce sentiment de pur bonheur, de pleine joie de vivre, s’estompe. Il se délite, il s’éloigne, laissant la place à une « simple » sensation de bien-être.
Le moment de plénitude est passé. Il est parti, mais il a été là, et des moments comme celui-là valent toutes les fatigues, tous les déluges, toutes les courbatures, toutes les ampoules du monde. Je ne sais pas pourquoi c’est arrivé à ce moment-là et en cet endroit. La petite voix rationnelle qui me quitte rarement est déjà revenue, elle chuchote « endorphines » et elle a peut-être raison, mais je n’ai pas envie de l’écouter et, de toute façon, peu importent le pourquoi et le comment. Ce qui compte c’est que cette sensation merveilleuse et fugitive de communion parfaite avec le monde m’ait rendu visite, que je sois capable de me la rappeler, et que je sache qu’elle reviendra, un de ces jours.