Dunes

Traversée Nord-Sud, étape n°1 : Bray-Dunes ->Malo-les-Bains (vendredi 16/07/2010).
Vous pouvez aussi voir ici la liste de toutes les étapes de la Traversée Nord-Sud
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Peu après Bray-Dunes, le GR 120 pénètre dans les dunes. La marche y est plus difficile et fatigante que sur la plage car le sable est sec et très fin, on s’y enfonce à chaque pas. Pourtant, je suis plutôt content de ce changement de décor après plusieurs kilomètres de marche en ligne droite sur le bord de mer.

Dune Marchand, puis Dune Dewulf, c’est un autre monde à quelques dizaines de mètres de la plage. Les dunes, c’est du sable, mais ce n’est pas que du sable. La végétation y est abondante et variée : oyats, chardons, sureaux, églantiers, et même par endroits de vrais et grands arbres, frênes et peupliers. Ces végétaux fixent le sable, ils empêchent que le vent l’emporte et que les dunes reculent encore et toujours.

De nombreux sentiers les traversent en ondulant, qui se croisent et se recroisent. Rien de plus facile que de s’y perdre. Ayant quitté sans le vouloir le chemin principal, je tombe inopinément sur un couple d’amoureux qui se câlinent dans un creux douillet entre deux dunes censées les cacher. Ils sont trop occupés pour me voir, je fais comme si je ne les avais pas vus.

Des mouettes s’envolent à mon passage, et d’autres oiseaux que je suis bien incapable de reconnaître. Des lapins, des grenouilles bondissent et s’enfuient. Et puis, sur un sentier de la Dune Marchand serpentant sous les arbres, surgit soudain devant moi, à un mètre à peine, un hérisson qui s’immobilise en même temps que moi, et tout aussi surpris. Il fait mine de se mettre en boule, j’essaie doucement d’attraper mon appareil photo.

Un hérisson se carapate

Patatras ! La pomme que j’étais en train de manger tombe dans le sable sous le nez de mon ami hérisson qui se carapate. Je n’arrive à prendre ma photo que lorsqu’il est déjà à demi enfoui dans les herbes. Quel dommage, je n’ai même pas pensé à essayer de l’apprivoiser en lui offrant un morceau de ma pomme !

Allez. Je ramasse le fruit, nettoie comme je peux le sable qui s’est collé dessus, lui en laisse quelques morceaux au cas où, et reprends tout joyeux mon chemin à travers les dunes.

Plages

Traversée Nord-Sud, étape n°1 : Bray-Dunes ->Malo-les-Bains (vendredi 16/07/2010).
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À gauche, les dunes. À droite, la mer du Nord. Devant et derrière, à perte de vue, une longue plage de sable fin parsemée de coquillages. Je marche sur cette plage depuis plusieurs kilomètres mais la silhouette du port de Dunkerque qui me sert de repère s’est à peine rapprochée.

De temps à autre, une trouée dans les dunes laisse passer un sentier. C’est sans doute par là que sont arrivées les quelques personnes qui ponctuent par intervalles cette plage vide partout ailleurs. Sur quelques dizaines de mètres, la plage redevient alors animée : des ados jouent au volley, des papas font des châteaux de sable avec leurs enfants, des mères discutent entre elles, des grands-mères tricotent.

Personne, ou presque, ne se baigne car il fait plutôt frisquet. Le ciel est bleu mais il vente fort et l’eau ne doit pas être chaude. Tous sont en maillot de bain pourtant, avec ou sans tee-shirt. Leur uniforme de baigneur contraste avec mon uniforme à moi, grosses chaussures et sac à dos. Ils me regardent passer, je les regarde en passant, nous échangeons parfois un sourire ou un petit salut. Deux mondes parallèles et presque étrangers se frôlent. Cela évoque ces regards qui se croisent parfois de part et d’autre des grilles du zoo. Ou plutôt, c’est comme si ces estivants et moi nous entre-regardions passer dans un film. Un film quasi-muet. Un film de Jacques Tati.

Quelques heures plus tard et bien plus près du port de Dunkerque, me voici à Malo-les-Bains. C’est la fin de l’après-midi, le soleil s’est rapproché de l’horizon. Les chars à voile regagnent leurs hangars. Des groupes de quelques dizaines d’enfants encadrés de leurs moniteurs s’apprêtent à quitter la plage.

L’ambiance est joyeuse et facétieuse. Tee-shirts blancs, casquettes jaunes et petits sacs à dos s’agitent en tous sens et bavardent sans s’occuper des adultes qui essayent de les rassembler. Un peu plus loin, une petite fille ne veut vraiment pas partir maintenant. Après de vains efforts pour la rhabiller, sa maman remet à plus tard ses tentatives et va d’abord se changer en deux minutes dans une de ces cabines aux couleurs vives alignées sur le sable. La coquine bien sûr se sauve aussitôt mais elle n’ira pas loin.

Colonies de vacances d’une part, familles d’autre part, la plage de Malo respire les vacances à l’ancienne, un peu nostalgiques et surannées, presque les congés payés de 1936. Je m’aperçois que je fredonne un air d’Alain Souchon où l’on parle de se balader « entre Deauville et Dinard ». Nous sommes dans le Nord, pas en Normandie, mais la différence est minime. Proust n’est pas loin, ni Maurice Leblanc. Ni Jacques Tati, ici encore.

En avant, route !

Traversée Nord-Sud, étape n°1 : Bray-Dunes ->Malo-les-Bains (vendredi 16/07/2010).
Vous pouvez aussi voir ici la liste de toutes les étapes de la Traversée Nord-Sud
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Traversée nord-sud — Kilomètre zéro
Traversée Nord-Sud, kilomètre zéro.
Le taxi m’a déposé au bout de la route. Nous sommes à deux pas de la frontière belge, sur un rond-point faisant cul-de-sac. Le ruban de bitume fait demi-tour à l’approche de la mer, il est impossible d’aller plus loin en voiture. Je paie le chauffeur, j’ajuste mon sac à dos, je suis parti.

Quelques centaines de mètres sur un chemin au milieu des dunes m’amènent à mon véritable point de départ : la jonction entre le bord de mer et la frontière franco-belge. La mer du Nord est devant moi. À quelques kilomètres à droite se découpent les hauts immeubles de la ville belge de La Panne, que je n’irai pas voir de plus près. Sur la gauche, les avancées du port de Dunkerque sont visibles loin à l’est. C’est là que je vais.

Je suis au bord de la mer, à Bray-Dunes, la commune la plus septentrionale de France, au kilomètre zéro de ma Traversée Nord-Sud de la France à pied. Si tout va bien, ce long périple m’amènera un jour à une autre mer et à une autre frontière, au Cap Cerbère.

Allons !
Chapeau, capote,
Les deux poings dans les poches, et sortons.
En avant, route !
Allons ! »
— Arthur Rimbaud

Les quelques mille kilomètres, à vol d’oiseau, qui séparent Bray-Dunes de Cerbère deviendront sans doute environ deux mille kilomètres, à pied de randonneur sur les chemins de traverse. Mais pour l’instant, il s’agit de faire le premier pas, qui sera suivi par des centaines de milliers d’autres.

C’est parti. « En avant, route ! »

Avertissement : Traversée Nord-Sud

Voir aussi : La liste des étapes de la TNS et des articles qui les relatent.

Au cours des mois à venir, il est probable que beaucoup d’articles de ce blog seront consacrés à la Traversée à pied de la France du nord au sud, que j’ai débutée à Bray-Dunes le 16 juillet dernier et qui finira un jour au Cap Cerbère.

Quand on voyage à pied, chaque gramme de plus dans le sac est un gramme de plus sur le dos, et les petits grammes font les lourds kilos. C’est dire que je n’emporte que le minimum indispensable. J’ai toujours en poche un carnet de notes et un stylo et mon appareil  photo à portée de main, mais il est hors de question d’emporter un ordinateur portable. Même en imaginant que je trouve chaque jour un point d’accès à l’Internet — ce qui est une idée plaisante en beaucoup des lieux où les chemins me mènent — il n’est donc pas envisageable de mettre en ligne en temps réel les articles consacrés à cette aventure.

J’écris ces articles a posteriori, en fonction de mon humeur et du temps disponible, et pas toujours dans l’ordre. J’avais d’abord choisi de les dater du jour de l’étape dont ils parlent, et non du jour de leur mise en ligne, parce qu’il me semblait peu naturel de dater par exemple de novembre le récit d’une marche le long de champs qu’on moissonne, ou de janvier la description du départ des hirondelles.

Cependant, la logique d’un blog veut que sa page d’accueil affiche par défaut l’article dont la date de publication est la plus récente. Je me plierai donc à cette logique intrinsèque, en indiquant dans chaque article la date de l’étape à laquelle il se réfère.

Bonne lecture !

1973 au Chili : l’autre 11 septembre

Estadio Nacional
Estadio Nacional (Auteur inconnu)

Depuis 2001, l’expression « Le 11 septembre » est communément employée pour désigner les attaques terroristes qui ont eu lieu au États-unis le 11 septembre 2001. C’est aujourd’hui le neuvième anniversaire de ce drame, et un jour de souvenir aux États-unis.

En Amérique latine, cette date évoque également le souvenir d’une autre terrible journée : depuis le 11 septembre 1973, « El once de septiembre » est l’expression utilisée pour désigner le coup d’état sanglant qui survint ce jour-là au Chili et conduisit à la dictature du général Augusto Pinochet.

Salvador Allende, le président socialiste démocratiquement élu en 1970, mourut au cours du golpe, comme plusieurs milliers de Chiliens tués par les complices de Pinochet.

Victor Jara
Víctor Jara était un chanteur célèbre au Chili, un folk-singer politiquement très engagé à gauche et un soutien actif de Salvador Allende. Au moment du coup d’état, il donnait un cours à l’université de Santiago. Il resta sur place avec les étudiants et chanta pendant plusieurs heures pour appeler à la résistance.

Le matin du 12 septembre, Jara fut emmené par les soldats au grand stade de Santiago, le Stade Chili (Estadio Chile), transformé en camp de concentration pour des milliers de personnes. Il fut rapidement reconnu par les autres prisonniers, mais aussi par les soldats qui le mirent en isolement.

D’après plusieurs témoins, il fut torturé pendant trois jours ; ses doigts furent brisés à coup de crosse de fusil par les soldats qui lui dirent ensuite en riant : « Allez vas-y, joue-nous donc un petit air de guitare maintenant ! » Finalement, le poète fut assassiné à la mitraillette et son corps abandonné sur une route dans un faubourg de Santiago.

Les soldats exécutent leur plan avec précision.
Le sang leur est médaille, le massacre un acte d’héroïsme.
Oh mon Dieu, est-ce là le monde que tu as créé ?
Était-ce pour cela, ces sept jours de peur et de labeur ? »
— Extrait de Estadio Chile de Víctor Jara

Avant que les soldats ne le reconnaissent dans le stade, il avait écrit les premières lignes d’un poème sur un morceau de papier qu’il avait réussi à transmettre subrepticement à un autre prisonnier. Celui-ci le cacha dans sa chaussure et en rendit le contenu public quand il fut libéré. Ce dernier poème de Jara, écrit juste avant son assassinat et resté inachevé, est maintenant universellement connu sous le nom de Estadio Chile.

Le Stade Chili, Estadio Chile, a été rebaptisé à l’occasion du trentième anniversaire du coup d’état, en septembre 2003. Il s’appelle désormais le Stade Víctor Jara.

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