Envolées belles
- Publié le Mardi 11 janvier 2011
- par Serval
4 commentaires
Traversée Nord-Sud, étape n°13 : Molliens-Dreuil -> Poix-de-Picardie (Di 10/10/2010)
Vous pouvez aussi voir ici la liste de toutes les étapes de la Traversée Nord-Sud.
Il fait beau, vraiment beau. Le ciel a été bleu dès mon départ, sans cette brume qui noyait le lointain les jours précédents et masquait le soleil jusqu’en début d’après-midi. C’est le vent qui l’a chassée, le vent qui explique aussi qu’il ne fasse pas très chaud malgré le soleil, le vent qui mouille mes yeux mais fait sécher le linge qui flotte derrière moi, accroché à mon sac à dos.
Que d’oiseaux aujourd’hui. Le long des champs labourés, un chemin rectiligne s’étire à perte de vue, bordé par une haie d’arbustes. Tous les cinquante ou cent mètres, c’est la panique sur mon passage. Grives, cailles, colombes, passereaux, s’enfuient dans de grands bruissements d’ailes qui se mêlent au froissement des feuilles bousculées et à leurs cris aigus, dans une joyeuse cacophonie qui m’accompagne tout au long du sentier. J’espère que là où ils vont, ils seront également à bonne distance des chasseurs dont les coups de fusil espacés forment aujourd’hui encore un rappel sonore bien trop proche à mon goût.

Quelques instant plus plus tard, je rattrape deux chasseurs qui regagnent leur voiture, l’air dépité.
— « Alors, la chasse a été bonne ? »
— « Bah, non, rien. Le gibier se fait rare ! »
— « Oui, c’est vrai, il n’y pas l’air d’y avoir beaucoup d’animaux dans le coin » dis-je avec un grand sourire hypocrite en passant rapidement mon chemin.
Chiens de traîneau
- Publié le Samedi 8 janvier 2011
- par Serval
10 commentaires
Les chiens courent sans bruit. Depuis quatre jours ils courent, tirant derrière eux le lourd traîneau de bois pour une longue boucle à travers l’immensité blanche. L’air froid de Mauricie frappe mon visage à la vitesse de notre déplacement mais il n’y a pas de vent. Le crissement continu des patins sur la neige dure de la piste remplit seul le silence, que ponctuent aussi de temps à autre les ordres des mushers.
Mes deux chiens de tête ont l’habitude de travailler ensemble. Leur apparence mal assortie cache une parfaite complémentarité dans l’effort. La femelle groënland, Louvain, court en tendant sa ligne au maximum, sans répit pendant des heures et des heures, avec une endurance inimaginable pour un être humain. C’est elle la tête, et pas seulement par sa position dans l’attelage. Elle est attentive aux ordres et met toute sa fierté à y obéir et à les faire exécuter par les autres chiens.Flick, le grand mâle husky qui court à sa droite, tire avec force quand il le veut bien, mais sa ligne de trait est souvent moins tendue. C’est un malin. Ce bon chien placide et affectueux sait se ménager quand il le peut mais donne toute sa force dans les montées, et quelques passages de neige molle ne lui font pas peur.
Louvain tourne parfois la tête vers son voisin et montre les crocs quand celui-ci, plus lourd et plus massif, la bouscule dans sa course, mais sans jamais mordre et sans cesser de tirer. Au repos ce sont les meilleurs amis du monde.
« Parfois un chien gémissait ou hurlait en montrant les dents, mais la meute restait calme ; on entendait seulement le bruit des patins d’acier et le craquement du traineau sur la surface durcie [...] Aucune brise. Au coeur des sapins qui bordaient les deux rives du fleuve, la sève s’était arrêtée. Les arbres, aux branches alourdies par la neige, semblaient pétrifiés. Le plus léger souffle aurait fait tomber la neige, et cependant la neige restait immobile. Le traîneau était le seul point vivant et mouvant de cette immensité solennelle, et les battements réguliers des patins aggravaient encore le silence. Hommes et chiens couraient. » Jack London — Radieuse aurore. |
Derrière les deux leaders, Quest et Achille font honnêtement leur métier de chien de traîneau. La truffe au ras de la queue des collègues de devant, les deux alaskan ne voient rien d’autre, ils ne disent rien, ils courent. Ils peut leur arriver de tourner la tête vers l’extérieur et de ralentir un court instant quand une odeur particulièrement attractive frappe leur odorat, mais même une belle tache d’urine au bord de la trace ou des empreintes de lièvre ne les feront pas s’arrêter. Le devoir avant tout.
Les deux colosses de queue, Yukon le malamute et Philbert le grand husky, ont la tâche la plus ingrate. Ils tirent encore et toujours, forçats à la chaîne mais amoureux de celle-ci. Le matin, ils sont les premiers à geindre et à s’agiter pour que je leur enfile leur harnais. Debout sur le frein du traîneau, c’est à grand peine que je les retiens de s’élancer à peine attelés, bien que j’appuie des deux pieds et de tout mon poids sur cette lame d’acier dont les crocs s’enfoncent dans la neige. Une fois le frein relevé… accrochez-vous, on décolle !Au début de la journée, Yukon et Philbert jetaient fréquemment des coups d’oeil inquiets en arrière dans les descentes pour vérifier que le traîneau ne les rattrapait pas, au risque de leur blesser les pattes. Maintenant ils ont pris confiance : apparemment l’amateur qui est derrière eux a compris comment se servir du frein à bon escient.
Ce soir au refuge, ils dormiront dehors sur un peu de paille jetée sur la neige, après leur unique repas quotidien : une soupe chaude et un bloc de viande congelée. Chez ces fils du loup, la plus petite particule absorbée se transforme en énergie pure.
Matin de Noël
- Publié le Samedi 25 décembre 2010
- par Serval
10 commentaires
On leur a dit hier qu’ils pourraient aller dans le salon à huit heures, mais pas avant : la chambre de Papa et Maman est juste à côté, et ils veulent dormir un peu ce matin.
Ils savent que leurs parents ne sont probablement allés se coucher que bien longtemps après que leurs yeux à eux se sont fermés, à onze heures au moins. Les grandes personnes ont dû passer toute la nuit à manger et à boire, à rire et à chanter, bref à s’amuser, parce qu’hier soir c’était déjà presque Noël (les grandes personnes ont l’habitude de fêter Noël… le soir et la nuit avant Noël. Les grandes personnes sont bizarres).
Si tu ne vas pas te coucher, ce ne sera jamais demain,
et demain, c’est Noël !
Bonne nuit, Petit Ours Brun. »
Mais ça y est, c’est enfin Noël maintenant, et ça fait si longtemps qu’ils sont réveillés ! Ils ont sagement mis leurs chaussons et leur robe de chambre et ils sont tous allés dans la chambre du grand frère, parce que lui, il sait lire l’heure !

— « Ooohhh…! » C’est si dur d’attendre… « Allez, s’il te plaît. On ne va pas faire de bruit, on ne va pas les réveiller. D’accord, dis ? Allons voir le sapin dans le salon, et tous les cadeaux que le Père Noël nous a apportés. »
— « Oohh ! Aahh ! » Exclamations étouffées de l’autre côté du mur. Ils ont vu le grand sapin illuminé, entouré de paquets de toutes les couleurs. Pendant une poignée de secondes, ils sont restés à l’entrée de la pièce, la bouche grande ouverte, écarquillant les yeux sur la vision magique et n’osant plus bouger. Puis ils se sont précipités dans la pièce qui est maintenant remplie de leurs chuchotements :
— « Ce cadeau là est pour moi ! »
— « Hé, regarde celui-là ! »
— Dans un éclat de rire : « Regardez ! Le Père Noël a mangé la clémentine que je lui avais laissée ! Et lui, il a laissé toutes ses épluchures dans ma chaussure, le coquin ! »
Les murmures ont vite fait de se transformer en rires et en exclamations joyeuses qui — évidemment — réveillent les parents. Allongés côte à côte, ceux-ci écoutent sans faire de bruit le son du bonheur qui traverse la cloison, en souriant silencieusement à l’autre et en eux-mêmes.
Araignées du soir, espoir
- Publié le Mercredi 22 décembre 2010
- par Serval
3 commentaires
Traversée Nord-Sud, étape n°12 : Hallencourt -> Molliens-Dreuil (samedi 09/10/2010)
Vous pouvez aussi voir ici la liste de toutes les étapes de la Traversée Nord-Sud.
Solitude et silence sont mes seuls compagnons dans les vastes étendues que je traverse aujourd’hui, champs fauchés et prairies vides. Solitude que ne peut compenser la silhouette isolée d’une machine agricole, à peine visible au loin sur le flanc d’un coteau. Silence que son vrombissement continu, assourdi par la distance et masqué par le son rythmé de mes pas, souligne plus qu’il ne le rompt.
Il fait chaud pour la saison, mais l’humidité qui remonte du sol forme une brume légère dont le paysage n’arrive pas à se défaire, et qui enveloppe le lointain dans une gaze. L’après-midi est déjà bien avancé lorsqu’elle se dissipe enfin pour laisser apparaître le soleil et se dévoiler le bleu du ciel. Même alors, dans les champs, la rosée persiste. Ses gouttelettes font miroiter les fils de centaines de toiles d’araignée, déposées à l’horizontale sur les herbes comme des parachutes de perles. Il doit y avoir une foule de tétragnathes par ici, mais je n’en vois pas une seule sous sa toile.
Qu’est-ce qui se passe aujourd’hui dans le monde des araignées ? Y a-t-il une raison particulière à un aussi grand rassemblement ? J’imagine la naissance de nombreux petits, car un peu plus loin, des milliers de « fils de la vierge » flottent dans la brise, et mes saines lectures m’ont appris que ce moyen de locomotion aérien est souvent utilisé par les bébés orbitèles qui viennent de sortir de leur cocon.
Un bon dessin vaut mieux qu’un long discours… merci « tantine Hulotte » (n° 73, 1996)
Sous l’effet du vent léger, ces « cheveux d’ange » de deux ou trois mètres de long flottent comme des oriflammes en travers du chemin, depuis leur point d’ancrage sur les haies et les arbustes qui bordent celui-ci. Ils s’accrochent à mes bras et à ma chemise lorsque ma progression m’amène à passer à travers eux, me recouvrant de centaines de petits fils collants que j’aurais aimé ne pas briser.
Au lieu-dit : « La Justice »
- Publié le Lundi 20 décembre 2010
- par Serval
4 commentaires
Traversée Nord-Sud, étape n°12 : Hallencourt -> Molliens-Dreuil (samedi 09/10/2011)
Vous pouvez aussi voir ici la liste de toutes les étapes de la Traversée Nord-Sud.
En arrivant en haut de la colline de Méricourt, au lieu-dit « La Justice », je me retourne donc tout naturellement. Sous mes yeux s’étend un paysage de l’Amiénois tranquille et presque désert, avec à perte de vue des champs, des prairies et des bosquets.
Ce paysage était évidemment différent au Moyen-Âge, mais la perspective générale était la même, qui fut la dernière pour les centaines de personnes qui l’ont contemplée avec une corde autour du cou. À l’endroit précis où je me trouve était établi l’ancien gibet de Méricourt, où l’on pendait les malfaiteurs et où l’on exposait les cadavres des condamnés.
Frères humains qui après nous vivez,
N’ayez les cœurs contres nous endurcis,
Car si pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura plus tôt de vous merci […]
— François Villon
La justice d’alors était expéditive : le jugement suivait immédiatement l’arrestation, et la sentence était exécutable sans délai. Les délits mineurs étaient passibles d’amendes. Pour les crimes, les châtiments corporels étaient la règle, depuis le pilori et les coups de fouet jusqu’à l’amputation et à la peine de mort : les hommes étaient pendus ou fusillés à l’arquebuse, les femmes étaient ensevelies vivantes.
L’emplacement en hauteur du gibet permettait à tous, habitants du village de Méricourt-en-Vimeu situé en contrebas ou voyageurs passant sur la grand-route de la Flandre à Paris, de se rappeler qui détenait le pouvoir et l’autorité. Les corps restaient exposés jusqu’à décomposition, coutume qui apparaît dans tout son réalisme à travers le nom du prochain village sur la route d’Airaines : Tailly l’arbre-à-mouches.