De retour…

Traversée Nord-Sud, étape n°23 : Chartres -> Barjouville (lundi 16 mai 2011)
Vous pouvez aussi voir ici la liste de toutes les étapes de la Traversée Nord-Sud
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Maison Picassiette

Il y a des blogs dans lesquels les articles semblent couler de source de la plume de leur auteur et se succèdent sans faillir. Et d’autres blogs, comme celui-ci, dont l’auteur semble (mais ce n’est qu’une impression) avoir peu de respect pour les personnes qui lui font l’honneur de s’intéresser à sa prose. Pour justifier l’irrégularité et la rareté de mes articles au cours des derniers mois, je dirai simplement que j’ai d’excellentes raisons, et qu’elles sont suffisamment personnelles pour que je demande à être cru sur parole.

La Maison Picassiette
La Maison Picassiette

Depuis un an environ, je n’ai publié ici qu’un petit nombre de textes, consacrés à des sujets divers et souvent inspirés ou traduits de mon défunt blog en anglais. En revanche, je n’ai pas cessé de marcher. En France, j’ai parcouru sensiblement la moitié de mon périple entre Bray-Dunes et le cap Cerbère et suis arrivé dans la Creuse. Je suis aussi parti plusieurs fois faire de la grande randonnée dans le bush australien. J’en parlerai sans doute ici un jour mais pour l’instant, reprenons le cours de ma randonnée trans-hexagonale là où je l’avais laissée, à Chartres.

Depuis Chartres, rejoint en une heure de train depuis Paris, une toute petite étape m’a mené à Barjouville, dans une zone commerciale de banlieue où j’ai passé la nuit dans un hôtel pour VRP. Au passage, un détour pour visiter la maison Picassiette a été comme un adieu transitoire au monde sage de la vie « normale », alors que je rejoignais à nouveau avec bonheur le monde parallèle des chemins de randonnée. Un monde parallèle qui, lorsque l’on y séjourne, semble souvent plus réel et plus fiable que celui de tous les jours.

Les belles endormies

Les belles endormies (Yasunari Kuwabata)

Elles ne sont sans doute pas très nombreuses, en France, les personnes qui connaissent Yasunari Kawabata. Il s’agit pourtant de l’un des plus grands écrivains japonais du XXe siècle, qui a reçu le Prix Nobel de littérature en 1968. Les belles endormies est un livre écrit à la fin de sa vie, quelques années avant qu’il décide de la quitter, sans bruit et sans explications.

Les « belles endormies », ce sont des jeunes femmes qui vendent leurs nuits dans une maison close réservée à des clients de tout repos, des vieillards qui n’ont plus la capacité de consommer leurs fantasmes. Âgé de soixante-sept ans, Eguchi vient sur les conseils d’un ami dans cette auberge calfeutrée où, après avoir pris le thé avec une mère maquerelle imperturbable, il va s’allonger pour la nuit auprès d’une jeune fille, vierge et nue, que rien ni personne ne pourra faire sortir du sommeil profond où un narcotique l’a plongée avec son accord. Lorsqu’elle s’éveillera, elle n’aura aucun souvenir de l’homme avec qui elle aura dormi, ni de ce qui se sera passé pendant qu’elle dormait.

Egushi pourra la regarder, la toucher, la caresser, l’écouter, la humer, goûter sa peau, usant de tous ses cinq sens pour tenter d’approcher sa jeunesse. Lui qui se pense différent des autres vieux clients parce qu’il n’a pas encore complètement perdu ce qui fait de lui un homme pourra faire à la jeune endormie tout ce que ses désirs lui dicteront, sauf violer sa virginité, ce que la stricte loi de la maison interdit.

Eguchi va revenir plusieurs fois dormir dans cette auberge, et à chaque fois le corps d’une femme différente lui tiendra compagnie. Ces jeunes femmes exposent la fraîcheur de leur corps, la douceur de leur peau, la robustesse de leur membres, aux appétits du corps décrépit du vieillard qu’Eguchi est devenu mais leur âme lui reste inaccessible.

Pas de pornographie dans ce livre, et beaucoup plus de respect pour les femmes qu’on pourrait le penser. Kawabata fait de son court récit à l’érotisme omniprésent une réflexion sur le temps qui passe, une rêverie sur le désir et les regrets, une méditation sur le sens de la vie et sur la peur de la mort. Les mots les plus simples lui servent à décrire la solitude d’un vieil homme qui s’achemine lucidement vers sa fin avec le détachement d’un esthète, en se remémorant les moments intenses de son passé, les lieux qu’il a visités, les fleurs qu’il a respirées, les femmes qu’il a aimées : ses maîtresses, ses filles, sa mère (et bien peu sa femme).

Les belles endormies (Yasunari Kuwabata)
« La fille secoua l’épaule et de nouveau s’étendit sur le ventre. Il semblait que ce fût là sa position préférée. Le visage toujours dirigé vers Eguchi, de la main droite elle serrait légèrement le bord de l’appuie-tête et son bras gauche reposait sur le visage du vieillard. Cependant, elle n’avait rien dit. Il sentait le souffle chaud de sa respiration paisible. Le bras, sur son visage, remua comme pour retrouver l’équilibre ; il le prit de ses deux mains et le posa sur ses yeux. La pointe des ongles longs de la fille piquait légèrement le lobe de l’oreille d’Eguchi. L’attache du poignet s’infléchissait sur sa paupière droite, de sorte que la partie le plus étroite de l’avant-bras recouvrait celle-ci. Désirant rester ainsi, le vieillard pressa la main de la fille sur ses deux yeux. L’odeur de la peau qui se communiquait à ses globes oculaires était telle qu’Eguchi sentait remonter en lui une vision nouvelle et riche. À pareille saison tout juste, deux ou trois fleurs de pivoine d’hiver, épanouies dans le soleil de l’automne tardif au pied du haut mur d’un vieux monastère du Yamato, des camélias sazanka blancs épanouis dans le jardin en bordure du promenoir extérieur de la Chapelle des Poètes Inspirés, et puis, mais c’était au printemps, à Nara, des fleurs de pteris, des glycines, et le « Camélia effeuillé » couvert de fleurs au Tsubaki-dera…
« Ah ! j’y suis ! » À ces fleurs était lié le souvenir de ses trois filles mariées [...] Au fond de ses yeux que recouvraient la main de la fille, il voyait tantôt surgir, tantôt s’effacer des visions de fleurs, et tout en s’y abandonnant, il revivait les sentiments qu’il avait éprouvés au jour le jour quand, quelque temps après avoir marié ses filles, il s’était intéressé à des jeunes personnes étrangères à sa famille. Il en venait à considérer cette fille-ci comme l’une des jeunes personnes de ce temps-là.
Yasunari Kawabata — Les belles endormies (1961 – vf. Le livre de Poche, 1970)

La beauté de ce récit tient beaucoup à la façon dont Yasunari Kawabata réussit à le faire progresser sur la ligne ténue entre les sentiments et les sensations, entre l’amour éthéré et le sexe. Ces jeunes femmes nues et dociles qui dorment contre lui sont l’illustration douloureuse de la beauté et de la jeunesse qu’il a lui-même perdues, et leur profond sommeil devient l’illustration de sa propre mort à venir.

Un livre magnifique, court et dense, qu’il faut lire lentement, en dégustant les mots.

Les 5 sens à Paris — Le sixième sens

Quelque part à Venise
Quelque part à Venise

Venise… ville sans voitures, ville de palais et de musées, ville aquatique et piétonne, ville de canaux et de ruelles où l’on se perd sans cesse. On marche dans une rue empruntée la veille, on atteint un pont qu’on reconnaît très bien, on s’engage dans une ruelle qui doit être la bonne, on tourne au coin… et on ne sait plus où l’on est. Pour peu que l’on n’ait pas succombé aux sirènes de Google Maps et du GPS, on n’a plus qu’une seule solution : faire appel à son sixième sens pour retrouver son chemin.

À Paris aussi, se perdre est probablement le meilleur moyen de découvrir la ville. En tout cas, c’est le plus agréable. Paris intra-muros est une ville à taille humaine qu’on peut traverser en moins de deux heures de marche et que le métro quadrille. Contrairement par exemple à tant de villes nord-américaines qui semblent n’être qu’une succession de banlieues, c’est une ville centralisée composée de quartiers, anciennes bourgades que le temps a réunies.

Paris, rue de Grenelle
Paris, rue de Grenelle
Toi qui passes à Paris quelques heures ou quelques jours, tu peux bien sûr t’aider d’un guide pour décider quelle partie de la ville visiter demain, mais rien de tel ensuite que de le remettre dans ton sac ou dans ta poche pour laisser ton intuition décider seule du chemin à prendre. Rejoins la foule dans les rues de Montmartre ou du Quartier latin si tu veux, mais ensuite marche donc ça et là, au hasard et sans but ; regarde les vitrines, regarde les gens ; arrête-toi dans un café pour une bière ou un expresso ; remets-toi en route, prends une autre rue, tourne à droite, tourne à gauche, trompe-toi de chemin, reviens sur tes pas… fais confiance à ta bonne étoile et à ton sixième sens pour arpenter le quartier et découvrir son âme.

De toute façon, tu ne vas pas « connaître Paris » en un jour, en un séjour, n’est-ce pas ? Alors, fabrique-toi plutôt des souvenirs : un ancien temple romain caché au fond d’une cour, derrière la porte cochère d’une petite rue ; le spectacle magnifique du soleil qui se couche au dessus du Palais du Trocadéro ; le charme des Parisiennes, avec leur inimitable façon de maîtriser les modes et de les intégrer à leur propre style, choisissant d’instinct la forme et la couleur qui s’accorde parfaitement à leurs cheveux, à leurs yeux, à leur peau ; le son de l’accordéon joué par un vieux musicien à la terrasse d’un café ; le parfum de la rose rouge achetée à un vendeur des rues ; la saveur du dîner dans ce petit hôtel ; la sensation de sa main sur ta peau… Ton sixième sens donnera aux cinq autres la possibilité de te forger des souvenirs inoubliables.

Les 5 sens à Paris — Le toucher

Dans le train bondé

Mardi soir, dix-huit heures trente, dans le train qui roule vers Paris Saint-Lazare, un train bondé après l’annulation non annoncée du POPI précédent. Serrés les uns contre les autres, les voyageurs se touchent mais les regards s’évitent. Je sens contre mon dos une poitrine souple. Le contact appuyé, en d’autres circonstances, pourrait être charmant ; la peau que je devine pourrait faire naître le désir mais ce soir l’érotisme est oublié, il gît quelque part entre Nanterre et La Garenne-Colombes.

A Asnières, changez de partenaires ! Ma compagne inconnue descend en s’appliquant à ne pas me regarder, j’aperçois quelques cheveux bruns sous un bonnet de feutre, un nez droit, des joues lisses… elle est partie. Le wagon se vide un peu. Pendant quelques secondes, le luxe de pouvoir de nouveau respirer amplement, de se déplacer un peu, jusqu’à l’autre portière. D’autres passagers montent en hâte, inquiets à l’idée de rester sur le quai dix minutes de plus. Une fois à l’intérieur, les épaules se relâchent, on cherche à attraper la barre métallique dont le contact lisse rassure, froide tout à l’heure, maintenant rendue chaude et moite par les multiples mains qui s’y sont accrochées. Bien calé, on ne bouge plus, mais d’autres impudents, encore sur le quai, voudraient repousser jusqu’au fond du wagon l’occupant nouvellement légitime. « Eh, oh, poussez pas, derrière, quoi ! ». C’est le cri de l’offensé qui défend comme il peut son espace ferroviaire vital.

Logo du TransilienGare suivante, personne ne descend. Une jeune femme espère entrer avec la poussette dans lequel son bébé dort. Il est joufflu, a des joues satinées qu’on a envie de caresser, des cheveux fins. Il dort bien. Il en faudrait plus pour attendrir le bétail humain fatigué que ce wagon transporte. Bébé et sa maman attendront le train suivant, lui dans la douce chaleur de ses habits d’hiver et de la capuche protectrice, elle sans doute appuyée contre le ciment rugueux du mur pour s’abriter du vent froid venu du nord qui fait pleurer les yeux et rosir les pommettes.

Coincé maintenant entre la porte du fond et un malabar qui prend un peu ses aises, je farfouille dans ma serviette, frôle du bout des doigts le livre qui s’y trouve sans pouvoir l’attraper. Tant pis, patience, et tâchons d’oublier aussi mes pieds enfermés dans des chaussures neuves. Mes souliers Derby sont plus confortables que des Richelieu, mais ils sont neufs et c’est le soir… Ah, le bonheur aérien des chaussures de marche, larges et confortables ! Ah, repartir fouler les chemins pour sentir sous mes pieds le contact du gravier, du sable ou de la terre… Bientôt.

Les 5 sens à Paris — Le goût

Steak-frites

Debout derrière le bar comme un capitaine sur la passerelle de son bateau, le patron du café dirige la manœuvre. Torchon sur l’épaule gauche il actionne le percolateur, puis il essuie des verres en discutant avec les clients et dirige de la voix les serveurs dans la salle. Dimanche, fin de matinée, c’est l’heure du brunch. Petit déjeuner pour les uns, déjeuner pour les autres.

Je pioche un croissant dans la panière et le plonge dans mon thé. La saveur de la pâte feuilletée emplit ma bouche de son fin crissement, puis viennent la douceur du beurre et le mélange équilibré du salé et du sucré. Tout autour, les langues s’agitent, pour manger et pour parler : les dernières nouvelles, la politique, les paris hippiques, tout est sujet de conversation, sauf pour cet homme solitaire dans le coin là-bas, qui écrit dans un gros cahier noir, devant une bière.

Expresso
Il lève les yeux et me salue d’un petit hochement de tête. On se connaît, à force de se côtoyer ici. La cinquantaine, il est toujours assis à la même place, il doit passer ses journées dans ce café. Un écrivain peut-être. On lui sert maintenant un steak-frites et de la salade. Sur le zinc, des oeufs durs sur un présentoir et des cacahuètes épluchées dans des ramequins ouvrent l’appétit des habitués, debout au bar ou assis sur un haut tabouret. Les noms techniques fusent : « garçon, un perroquet ! », « un kir pour moi », « un panaché s’il vous plaît ».

À ma droite, c’est l’heure du déjeuner pour ces deux touristes dont le gabarit révèle l’outre-atlantisme. Bœuf bourguignon arrosé de Coca-Cola… une autre sorte de sucré-salé. Je demande une omelette. Jambon-fromage, avec une carafe. J’aurais aussi bien pu prendre un croque-monsieur ou un croque-madame, quelque chose de vite fait, un fast-food à la française. Un déjeuner sur le pouce pour bien me caler avant de repartir flâner dans la ville.

Les 5 sens à Paris — L’odorat

Station-service

Les journées de printemps sentaient presque l’été depuis plusieurs semaines, mais hier le ciel s’est voilé. Il a plu dans la nuit, il fait froid ce matin. Froid et humide. On le ressent d’autant plus qu’on avait pris le pli de s’habiller léger. « En avril, ne te découvre pas d’un fil, en mai fais ce qu’il te plaît… » J’ai rallumé la chaudière. Lorsque les radiateurs se sont remis en route, l’appartement a retrouvé ses odeurs d’hiver : un peu de chaleur, un peu de moiteur, un peu de poussière.

Six heures du mat’. Dans la cuisine, petit déjeuner au son de la radio. Senteurs de thé, de beurre, de confiture. Tiens, les voisins se lèvent, il est temps de partir. Sur le palier, odeurs de café et de pain grillé. Poubelles vides sur le trottoir et, devant la station-service, humidité suave de l’essence dans une flaque irisée.

Il fait frisquet, vraiment. Je me hâte vers le métro. Au coin de la rue, le café vient d’ouvrir. Interdits de comptoir par le législateur, les fumeurs du matin occupent les terrasses. Premières bouffées, volutes odorantes, fumée et café-crème. Un peu plus loin, un appétissant mélange d’arômes comestibles filtre de la boulangerie par sa porte entrouverte : pain chaud, viennoiseries, farine et chocolat.

Après la pluie
Dans le métro, c’est un poème en nez majeur. Les odeurs entêtantes changent selon les jours : ozone ou after-shave, Javel ou Monsieur Propre, chaussettes ou muguet. Aujourd’hui, pas de doute, urine et pamplemousse.

Plus tard dans la journée. Il a encore plu. Le ciel tout à l’heure est devenu gris, puis noir. Une violente averse a nettoyé les façades et les trottoirs, tout a été lavé.

Paris après la pluie a un autre parfum. Pour quelque temps, on ne sent plus les gaz d’échappement. On retrouve l’odeur de l’herbe coupée dans les jardins publics. Sur les bords de la Seine, on peut presque humer la mer. Partout, l’air est plus propre, plus clair et plus léger. La nuit, l’humidité et la pureté de l’atmosphère rendent les sons plus clairs et intensifient le reflet des lumières sur le bitume.

Les 5 sens à Paris — L’ouïe

Sur le boulevard Saint-Germain

Avril est spécial cette année : c’est le printemps, mais un printemps qui se prend pour l’été. C’est samedi, il fait beau, il fait chaud. Appareil photo en bandoulière, tu te balades au Quartier latin en prenant tout ton temps.

Au coin d’une rue piétonne, te voilà enveloppé par le son d’un saxophone. Tu t’arrêtes et l’écoutes une minute. Avec un sourire, tu déposes une pièce dans la casquette posée aux pieds du musicien. « Jolie musique ! ». Un clin d’œil, un hochement de tête, il te remercie sans cesser de jouer tandis que tu t’éloignes.

Le son de l’instrument s’estompe comme tu te rapproches du Boulevard Saint-Germain. Les vagues d’automobiles grondent sur la chaussée. Sur le trottoir, les passants s’agglutinent aux terrasses des cafés et devant les vitrines. Des touristes, des tas de touristes qui profitent de la ville sous les rayons du soleil. Saint-Germain est polyglotte : français, anglais, italien, japonais, espagnol… Les langues se mêlent et s’entremêlent, les voix indistinctes se confondent en un brouhaha joyeux.

Tu traverses au feu rouge et pénètres dans un jardin public. Le bruit du boulevard se fait presque oublier, le chant des oiseaux est audible à nouveau. Des parents poussent des balançoires. « Plus fort, Papa, plus fort ! » Rires et cris joyeux. Dans un coin du square, là-bas, un manège de chevaux de bois. La musique acidulée qui s’en échappe accompagne la ronde des enfants sérieux et concentrés qui tournent en silence.

Une femme marche dans la petite rue qui longe le jardin. Ses talons sonnent sur le trottoir. Rien de tel que les pavés de Paris pour faire résonner des talons aiguilles. Il n’est pas difficile de comprendre d’où viennent les jolies jambes de tant de Parisiennes : sur le pavé des rues ou dans les escaliers de Montmartre, les femmes à Paris entretiennent leurs jambes mieux que nulle part ailleurs.

Les 5 sens à Paris — La vue

La Seine à Paris

« Ah, Paris ! La Tour Eiffel, le Louvre… Un jour, j’irai là-bas ! Mais dis-moi, quand j’y serai, qu’est-ce qu’il ne faudra pas que je rate ? Qu’est-ce que je devrai absolument voir ? »

Quiconque a l’habitude de voyager au loin connaît ce genre de questions posées par les personnes qui apprennent que l’on vit à Paris. On énumère alors la Tour Eiffel, les Champs-Élysées, Notre-Dame, le Louvre, le Quartier latin, etc. Pourtant, Paris est bien plus que la juxtaposition de monuments et d’endroits pittoresques. Il faudrait pouvoir expliquer que cette ville est un tout, presque une personne avec son identité, son âme construites au fil des siècles.

Les Parisiens ont la réputation de n’être pas tendres mais certains coins de leur ville ont une atmosphère romantique qu’on ne retrouve nulle part ailleurs. Peu d’endroits au monde sont plus adaptés à une balade en amoureux que les quais piétonniers du bord de Seine : on s’y promène seuls au monde, comme tous les autres couples que l’on y croise.

Paris, rue de Rennes
La nuit, après la pluie, la ville luit au fond de l’ombre qui la noie. Sous le soleil, sa couleur hésite entre beige et gris perle, un gris lumineux comme l’intérieur d’une huître. Les immeubles haussmanniens ont un tel talent pour attraper la lumière qu’ils semblent n’avoir été bâtis que pour être photographiés en noir et blanc.

Ce n’est pas un hasard si tant de photographes ont arpenté les rues de la ville pour en faire le portrait, en saisir les jeux d’ombre et de lumière, les noirs mouillés et les niveaux de gris.

Parfois, lorsque je traverse la Seine, je réalise soudain une fois de plus et comme par inadvertance à quel point le panorama que j’ai sous les yeux et auquel je me suis habitué au fil des années est magnifique. Je me rends compte à nouveau de l’extraordinaire lumière qui éclaire le fleuve et sa ville. Pour quelques instants, je retrouve un œil neuf.

Immobile au bord de l’eau sombre sur laquelle péniches et bateaux-mouches passent lentement, près du pont de pierre qui sert de trait d’union entre les deux rives, je fais une fois de plus l’expérience de la beauté calme, à deux pas de la foule et du bruit. Je redécouvre la paix qui se niche au sein des endroits les plus improbables de ce monde tourmenté.

Sept heures du matin, Vancouver

À Vancouver

J’ai déplié à grand-peine le journal sur la petite table ronde, entre un pot de beurre et une assiette avec des toasts et des croissants. Un mug de thé dans la main droite, je tourne les pages avec la gauche, tout en buvant, à petites gorgées, le breuvage chaud et un peu âcre. Il y a vraiment des tas de choses horribles dans les journaux. De la politique. Des crimes. Des guerres. Des cataclysmes.


Déjeuner en paix
(Stephan Eicher)

C’est le matin à Vancouver. Dans ma chambre d’hôtel, au vingtième étage, je parcours l’exemplaire du journal The Province que le garçon d’étage a apporté avec le petit déjeuner. Ça devient quelque chose de spécial, un journal, quand on le lit en prenant son petit déjeuner. Ça sent les oeufs au plat et le thé. Et le jus d’orange. Et le beurre, aussi. Dans un tel bain d’odeurs douillettes, comment des histoires de guerre pourraient-elles nous atteindre ?

Neuf heures du matin, New-York (Sempé)
9 h du matin, New-York
(Jean-Jacques Sempé)
Les news, bien sûr, sont en anglais, cela ajoute de la distance. Et puis, je ne suis pas à la maison. Les désastres d’aujourd’hui semblent moins réels, plus relatifs, plus lointains. « Au Japon, les survivants du tsunami peinent à envisager le futur ». Bon, je lirai ça plus tard, peut-être. « Vancouver célèbre son 125e anniversaire ». Bah. « L’OTAN détruit 25 tanks de Kadhafi près de Misrata ». Ah non, pas aujourd’hui S.V.P. « Aux Masters d’Augusta, Rory McIlroy conserve la tête après trois jours de compétition ». Ah, très bien, page 25, allons-y voir. Ensuite, j’irai faire un tour sur les pages Culture. Et je jetterai un coup d’oeil à la météo aussi.

Sept heures. Il est encore tôt et il bruine. J’irai au Vancouver Convention Centre tout à l’heure. Après tout, ce dimanche de travail peut bien m’attendre cinq minutes de plus, rien ne presse.

Le printemps à Paris

Le Printemps dans un square de Paris

Le printemps est arrivé d’un seul coup. Comme un fils prodigue attendu depuis trop longtemps, il est enfin revenu, après un hiver interminable. Neige, gelées, verglas en décembre. Grisaille et pluie ensuite, comme un mois de novembre qui n’en finissait pas.

Mais aujourd’hui, ça y est, l’hiver est oublié. Le calendrier n’a pas menti, l’équinoxe est passé, et le printemps est là. Les couleurs de nouveau envahissent la ville. Les branches se garnissent de pousses vert tendre, les buissons de forsythias déploient leur feuilles jaunes, les fleurs recommencent à habiller les jardins publics.

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Equinox (John Coltrane)

Ce jeune printemps est même un peu fou, il va trop loin. Il n’a pas seulement fait beau et ensoleillé aujourd’hui, il a fait vraiment chaud. Vingt-cinq degrés ou plus, on se serait cru en juin.

Certes, il fait encore frais le matin. Il ne se passera sans doute pas longtemps avant qu’il se remette à pleuvoir, avril commence à peine. Pourtant, cet après-midi, les lunettes de soleil étaient de retour dans les rues de Paris. Les chemises légères et les tee-shirts s’étaient échappés des placards où les manteaux les avaient remplacés. On pouvait de nouveau entrevoir la gracieuse silhouette des Parisiennes sous leurs robes légères.

Bienvenue, cher printemps. C’est si bon de te revoir enfin.

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