Ah, la sale bête !

Traversée Nord-Sud, étape n°31 : Fougères-sur-Bièvre -> Saint-Aignan-sur-Cher (lundi 18 juillet 2011)
Vous pouvez aussi voir ici la liste de toutes les étapes de la Traversée Nord-Sud
.

Au réveil, on a parfois des surprises...
Au réveil, on a parfois des surprises…

Quel poète inspiré trouvera enfin les mots pour chanter le bonheur d’uriner dans la nature ? Que les randonneuses veuillent bien pardonner une affirmation qu’elles sont en droit de ne pas soutenir, mais n’importe quel promeneur mâle vous le dira : il n’y a guère de plaisir plus doux que celui d’arroser un tronc d’arbre accueillant, et peu de sons sont plus agréables à l’oreille que le bruissement des feuilles mortes sous un jet libérateur.

Ce matin comme tous les autres, c’est donc en me préparant à cette joie simple que j’ai débuté ma journée. À peine tiré du sommeil par le gazouillis des oiseaux, je suis sorti de ma tente et ai fait quelques pas dans le bosquet baigné de lumière pour faire une visite de courtoisie à l’un des arbres du voisinage. Encore ensommeillé, la tête mollement appuyée contre le tronc moussu, me voici en position quand tout à coup… Ô dieux hospitaliers, que vois-je ici paraître ?

D’accord, il faut bien vivre, et les ixodes ne sont pas responsables de leur mode de subsistance, mais l’amour des bêtes et les convictions écologiques ont l’un et l’autre des limites : « Ah la sale bête ! » n’ai-je pu m’empêcher de m’exclamer en découvrant qu’une tique avait élu domicile en l’un des endroits les mieux abrités et les plus chauds de mon anatomie. Apparemment d’ailleurs, à en juger par son allure luisante et rebondie, elle était cachée là depuis quelque temps, deux ou trois jours sans doute.

Tique
Ixodes ricinus (Photo Wikipedia)
Ce n’est pas manquer exagérément de générosité, me semble-t-il, que trouver très mal élevée cette façon de s’inviter à ma table — si j’ose dire — sans y avoir été conviée. Ce n’est certes pas un millilitre de sang en plus ou en moins qui va me causer du tort, mais tout de même, il y a des limites au sans-gêne, et cette tique-là a vraiment choisi un endroit particulièrement intime pour y planter sa tente… euh, son rostre. Sans parler que certains de ces peu sympathiques acariens sont infestés des bactéries responsables de la redoutable maladie de Lyme.

Or donc, pas de pitié ! L’arrache-tique a fait son office. Requiescat in Pace, Ixodes.

Sadako

Les champignons atomiques sur Hiroshima et Nagasaki
Les champignons atomiques sur Hiroshima et Nagasaki (Photo Wikipedia)

Le 6 août 1945, Harry S. Truman, Président des États-Unis d’Amérique, donnait l’ordre de larguer la bombe atomique « Little Boy » sur la ville japonaise d’Hiroshima. Trois jours plus tard, « Fat Man » explosait à son tour au-dessus de Nagasaki. Il s’agit à ce jour des deux seuls bombardements nucléaires de l’histoire.

Nous avons dépensé deux milliards de dollars sur le plus grand pari scientifique de l’histoire, et nous l’avons gagné. — Président Harry S. Truman

Sadako Sasaki vivait à Hiroshima. Elle n’avait que deux ans lorsque « Little Boy » explosa au-dessus de sa ville. Elle ne fit pas partie des premières victimes mais, neuf ans plus tard, elle fut atteinte d’une leucémie due aux radiations.

Grue en origami
(Photo Wikipedia)
Selon une légende japonaise, quiconque confectionne mille grues (*) en origami voit un vœu exhaucé. Espérant obtenir ainsi sa guérison, Sadako décida de faire mille grues en origami. Elle réussit à en fabriquer plusieurs centaines mais mourut avant d’avoir accompli son défi. Les grues manquantes furent confectionnées par ses camarades de classe, et c’est en compagnie de mille grues en origami que Sadako fut enterrée en octobre 1955.

Le bateau (Nam Le)
« La matinée est chaude et lumineuse. Il y a une alerte, suivie du vrombissement d’un seul B-29. Le bruit traverse lentement le ciel bleu […] Un seul avion. Les Américains se servent de leurs avions pour prendre des photos, dit Grande Sœur. Il fait vraiment très chaud dehors. J’entends le chant de la cigale tsukuboshi : chokko chokko uisu. Chokko chokko uisu. Autour de moi, les huits millions de kami. Je regarde au creux de ma main. À ma gauche, ma mère. À ma droite, mon père. Derrière moi, Grande Sœur. Le papier est presque entièrement gris. Puis tout devient blanc et ma joue gauche me brûle. »
Nam Le — Hiroshima in Le bateau (Albin Michel, 2010)

Après sa mort, les camarades de classe de Sadako Sasaki lancèrent un mouvement visant à collecter les fonds nécessaires à la construction d’un mémorial à sa mémoire et à celle de tous les enfants victimes de la bombe atomique.

J’écrirai le mot paix sur vos ailes et vous volerez tout autour du monde. — Sadako Sasaki

La Statue des enfants de la bombe atomique
(Photo Wikipedia)
La Statue des enfants de la bombe atomique a été inaugurée dans le Parc Mémorial de la Paix d’Hiroshima en 1958. Elle représente une bombe A stylisée au sommet de laquelle Sadako Sasaki se tient debout et brandit à bout de bras une grue en origami. À la base du monument, cette inscription en japonais : « Ceci est notre cri. Ceci est notre prière. Pour la paix dans le monde ».

« Little Boy » et « Fat Man » ont tué environ 230.000 personnes (plus de 140.000 à Hiroshima et de 80.000 à Nagasaki), presque toutes civiles, dont la moitié dans les premiers jours. À titre de comparaison, le nombre total de soldats américains tués au cours de la guerre du Pacifique, de 1941 à 1945, a été très précisément chiffré à 108.504.

Imaginez que l’Allemagne ait lancé deux bombes atomiques, disons, l’une sur Rochester et l’autre sur Buffalo […] Quelqu’un peut-il douter que nous aurions qualifié alors de crimes de guerre le lancement de bombes atomiques sur des villes, et qu’au procès de Nuremberg les Allemands responsables de ces crimes auraient été condamnés à mort et pendus ? — Leó Szilárd

Grus japonesis
(Photo Wikipedia)
-:-:-:-
(*) La grue du japon (Grus japonesis) est un très grand échassier blanc et noir à la tête calottée de rouge. Jadis considérée au Japon comme la divinité des marais, elle était censée vivre mille ans.
Elle y est toujours aujourd’hui un symbole de bonheur et de longévité.

Jalons

Traversée Nord-Sud, étape n°30 : Blois -> Fougères-sur-Bièvre (dim. 17 juillet 2011)
Vous pouvez aussi voir ici la liste de toutes les étapes de la Traversée Nord-Sud
.

Le Beuvron à Seur
Le Beuvron à Seur

Les rivières sont d’agréables compagnes de voyage qui ne font pas de façon pour accueillir le promeneur. Elles lui offrent leurs rives herbeuses, leurs saules et leurs roseaux, leurs sentiers ombragés, leurs chemins de halage, leurs ponts et leurs moulins.

Les oiseaux qui vivent sur le bord des eaux calmes semblent plus détendus, moins aux aguets que partout ailleurs. Le marcheur qui approche, bien que surveillé du coin de l’œil, ne provoque pas d’envol soudain comme sur les chemins champêtres ou forestiers. On le voit de loin, il fait partie de la douceur des berges, il ne surprend pas, il ne menace pas. Les canards qui se baignent sauraient-ils que la chasse est interdite en ces lieux ? Il n’y a plus qu’en profondeur que l’homme reste un danger, lorsqu’un pêcheur à la ligne trempe son bouchon coloré dans les eaux monochromes.

Pause déjeuner
Pause déjeuner
Chacun à son tour, la Canche, la Somme, l’Epte, la Seine, l’Eure, le Loir, m’ont accompagné depuis que j’ai quitté les rivages de la Mer du Nord. J’ai rejoint aujourd’hui le Cosson, le Beuvron puis la Bièvre. Bientôt viendront le Cher, l’Indre, la Creuse, et bien d’autres encore. Rivières attendues, finalement atteintes, suivies pendant quelques heures ou parfois quelques jours puis traversées et laissées en arrière, dépassées sans être oubliées.

Je marche désormais au sud de la Loire… Une fois franchi, l’objectif qui donnait un nom au futur est rangé dans le passé et laisse la place au suivant. Merveilleux compagnons de voyage, les cours d’eau sont aussi des seuils, des frontières qu’on enjambe, des passages vers plus loin. Les rivières sont des jalons.

Anniversaire

Traversée Nord-Sud, étape n°29 : Selommes -> Blois (samedi 16 juillet 2011)
Vous pouvez aussi voir ici la liste de toutes les étapes de la Traversée Nord-Sud
.

La Loire à Blois (pont Jacques Gabriel)
16 juillet 2011 — La Loire à Blois
.
Le 16 juillet 2010, je faisais à Bray-Dunes le premier pas de ma traversée de la France du nord au sud, à pied et en solitaire. Je n’avais aucune idée du temps que cela prendrait mais je savais que je ferais autant d’étapes qu’il serait nécessaire, en divisant le parcours en autant de segments que l’imposeraient mes contraintes personnelles et professionnelles.

16 juillet 2010 – Bray-Dunes
16 juillet 2010 — Bray-Dunes
Un an plus tard jour pour jour, je suis encore loin d’avoir fini. La vingt-neuvième étape de ma randonnée au long cours vient de m’amener à Blois, au bord de la Loire que je traverserai demain. Vingt-neuf étapes et plus de sept cents kilomètres de tours et de détours sur le chemin des écoliers. Presque un mois de marche au cours d’un an de vie. J’ai traversé des centaines de villages, contemplé d’innombrables paysages et fait beaucoup de rencontres.

Vingt-neuf étapes et sept cents kilomètres, ce sont aussi des tas de photos, plusieurs carnets remplis de notes et une cinquantaine de billets publiés sur ce blog. C’est beaucoup, et pourtant mes premiers pas sur les bords de la mer du Nord me semblent dater d’hier.

Here is the Music Player. You need to installl flash player to show this cool thing!


Les Frères Jacques
En sortant de l’école
(Jacques Prévert / Joseph Kosma)

Sur la carte de France, le tracé du voyage s’allonge. Le serpent bleu progresse toujours plus vers le sud et la liste des étapes commence à être d’autant plus longue que même celles qui n’ont pas encore fait l’objet d’un billet y figurent, révélant un futur qui pour moi est déjà le passé.

« Zéro, Bray-Dunes ; un, Malo-les-Bains ; deux, Gravelines ; trois, Calais… » Au rythme de mes pas, j’énumère souvent en marchant les étapes passées. C’est presque hypnotique. En tout cas, c’est aussi efficace pour détacher mon cerveau de tout ce qui n’est pas le plaisir de la marche que, pour d’autres, compter des moutons l’est pour s’endormir. À chaque étape, des images, des sensations, des souvenirs sont attachés. L’endroit où j’ai dormi, une petite aventure, une rencontre, un paysage. Les gabions de la Côte d’Opale, l’âne de Beaurainville, les manifestants de Gisors, la splendeur des falaises du bord de Seine, la boulangère de Maintenon, le vif chevreuil de la forêt de Crécy et le chevreuil mourant de la forêt de Rambouillet… et partout les statues, les églises, les croix, les cimetières… et puis les chiens, les vilains chasseurs, et les jolies factrices… Bon anniversaire !

Un bon raccourci

Traversée Nord-Sud, étape n°28 : Morée -> Selommes (vendredi 15 juillet 2011)
Vous pouvez aussi voir ici la liste de toutes les étapes de la Traversée Nord-Sud
.

Grumes

Dans une clairière du bois où je viens de pénétrer, un ouvrier de l’ONF est adossé à la roue d’un gros engin forestier à l’arrêt. Il est très occupé à sculpter un bâton avec son Opinel. Je m’arrête, on discute. Il n’est pas pressé, moi non plus. On parle du temps qu’il fait, du temps qu’il fera, des arbres du coin, du plaisir de randonner dans la nature au lieu de travailler et du plaisir de se sentir toujours en vacances quand c’est dans la nature qu’on travaille. Et quand vient pour moi le moment de repartir :
— « Eh, tu pars par là ? C’est bien trop long ! Attends, pour sortir du bois, je connais un bon raccourci : tu continues tout droit sur ce petit sentier pendant cinq ou dix minutes. Là, tu vas tomber sur un chemin pierreux. À cent mètres à droite, y’a un dépôt de grumes. Tu lui tournes le dos, tu pars à gauche jusqu’à un vieux relais de chasse, tu prends à droite à l’embranchement et ensuite c’est tout droit. Avec ça, tu vas gagner au moins une demi-heure ! »
— « Super, merci pour le tuyau ! Au revoir ! »

Un quart d’heure plus tard, mon sentier croise le chemin pierreux annoncé. Effectivement, il y a des grumes à cent mètres… sur la gauche. À droite, nada. Est-ce la langue du forestier qui a fourché ou est-ce moi qui me rappelle mal ? Bon, je veux aller vers le sud et d’après le soleil le sud est à gauche… je vais prendre à gauche.

Engin forestier au travail
Encore une demi-heure plus tard. Il y a des grumes un peu partout. Le chemin est devenu un étroit sentier qui serpente entre les arbres, qui tourne et retourne et change sans cesse de direction. Le soleil s’est voilé et ma boussole est dans mon sac. Je ne suis pas du tout certain de marcher encore vers le sud. D’ailleurs, je n’ai pas vu le moindre relais de chasse. En résumé, je me suis perdu mais ce n’est pas bien grave, j’entends le bruit d’un autre engin forestier pas très loin devant, je vais pouvoir redemander ma route.

Ce n’est pas un autre engin forestier, c’est le même, et c’est la même clairière. L’ouvrier que j’ai quitté il y a une heure est à son bord, en train de déplacer un gros tronc. Par chance il me tourne le dos et le bruit du moteur l’a empêché de m’entendre approcher. Vite, vite, je file sous les arbres et m’éloigne. Il ne manquerait plus qu’il me voie et comprenne que j’ai tourné en rond pendant une heure ! Tout de même, on a sa fierté.

Mettre un pas devant l’autre

Traversée Nord-Sud, étape n°27 : Cloyes-sur-le-Loir -> Morée (jeudi 14 juillet 2011)
Vous pouvez aussi voir ici la liste de toutes les étapes de la Traversée Nord-Sud
.

Ce n'est pas seulement ça, la France
Légende de l’affiche à gauche : « C’est aussi ça la France ».

Deux longs mois se sont écoulés depuis qu’à Cloyes-sur-le-Loir j’ai repris le train pour Paris. Il m’a fallu attendre jusqu’à cette journée du quatorze juillet pour pouvoir enfin refaire le voyage dans l’autre sens. Deux longs mois qui, grâce à « la magie de l’absence de direct », se réduisent ici aux quelques jours qui séparent ce billet du précédent.

Quatorze juillet donc. Une fête nationale choisie par la IIIe République, théoriquement pour commémorer la Fête de la Fédération du 14 juillet 1790, illustration de la paix et de la réconciliation nationale, mais qui est le plus souvent associée à la journée de violences que fut le 14 juillet 1789. Comme chaque année, la capitale que j’ai quittée ce matin avait été livrée aux tanks et à d’autres véhicules motorisés, tous plus gros et plus armés les uns que les autres. Les soldats qui y étaient juchés s’apprêtaient à défiler sur les Champs-Élysées, dans un grondement ininterrompu de moteurs et de bruits de chenilles.

Au bivouac
Cet après-midi, c’est moi qui marche mais je suis seul, il n’y a pas de bruit et je suis dans les champs. C’est beaucoup mieux. C’est ni plus ni moins ce que font les militaires qui défilent au pas — « mettre un pas devant l’autre et recommencer » — et pourtant c’est à peu près le contraire. Pour les uns, la démonstration de discipline et de puissance d’une (bande) armée, pour l’autre l’usage solitaire de la liberté de se déplacer dans une campagne paisible.

J’ai marché une petite dizaine de kilomètres, juste ce qu’il faut pour se remettre en jambes après plusieurs semaines d’interruption. J’ai monté ma tente dans un joli petit bois près de Morée. Il fait beau, il y a un étang pas loin. Des oiseaux chantent tout autour, une mouche prisonnière bourdonne contre le double toit de ma tente. Ça va.

Écrire pour garder trace du vide

Traversée Nord-Sud, étape n°26 : Moléans -> Cloyes-sur-le-Loir (jeudi 19 mai 2011)
Vous pouvez aussi voir ici la liste de toutes les étapes de la Traversée Nord-Sud
.

Vers Cloyes
Vers Cloyes

Le ciel était gris ce matin. J’ai cru qu’il allait pleuvoir mais cela n’a été qu’une fausse alerte. Quand vers huit heures je suis mis en route, du bleu apparaissait déjà, et très vite les nuages ont disparu.

Si je suis parti dès huit heures, c’est que je voulais arriver suffisamment tôt, non pas à Châteaudun comme initialement prévu mais à Cloyes-sur-le-Loir, afin d’y attraper un train qui me ramène vers Paris. Quand après plusieurs jours dans la nature on n’arrive toujours pas à se défaire des pensées négatives que la « vie normale » a causées, quand l’esprit reste saturé par les soucis personnels, inutile de s’obstiner… mieux vaut regagner la civilisation pour se colleter avec eux.

C’est aussi pour atteindre au plus vite la gare de Cloyes qu’au lieu de suivre avec obéissance les circonvolutions du GR, j’ai emprunté le raccourci des petites routes départementales qui filaient droit dans la bonne direction. Marche sans grand intérêt donc aujourd’hui, et pas grand-chose à écrire.

Dans les forêts de Sibérie (Sylvain Tesson)
« Tenir un journal féconde l’existence. Le rendez-vous quotidien devant la page blanche du journal contraint à prêter meilleure attention aux événements de la journée — à mieux écouter, à penser plus fort, à regarder plus intensément. Il serait désobligeant de n’avoir rien à écrire sur sa page de calepin, le soir. Il en va de la rédaction quotidienne comme d’un dîner avec sa fiancée. Pour savoir quoi lui confier, le soir, le mieux est d’y réfléchir pendant la journée [...] Je griffonne toute la journée dans mes petits cahiers noirs. Écrire n’importe quoi pour ne pas souffrir. Les carnets : des personnages pleins de souvenirs, d’anecdotes et de pensées. »
Sylvain Tesson — Dans les forêts de Sibérie (Gallimard nrf, 2011)

Évidemment, ce ne sont pas les lieux que je traverse qui sont responsables de cette vacuité, c’est moi-même. Si les idées me fuient, c’est parce que je ne suis plus dans les mêmes dispositions d’esprit que lors de mes précédentes journées de marche. J’ai l’esprit parasité par mes problèmes personnels, je le sens paralysé, incapable de « créer de la pensée ». Aucune inspiration pour le blog, aucune inspiration pour mon carnet de notes, aucune inspiration quand je marche.

Pourtant, une fois arrivé chez moi, ou pendant le trajet dans le train, il « faudra bien » que je remplisse quelques pages de mon carnet. Et un jour, avec plusieurs mois de recul sans doute, que j’accuse acte sur mon blog d’une journée de grand vide.

La Journée de l’Europe

Ludwig van Beethoven — Ode an die Freunde

Neuf mai. C’est aujourd’hui la Journée de l’Europe, la « Fête nationale » d’une entité qui n’est pas une nation mais qui, pourtant, possède aussi un drapeau, une monnaie et un hymne, adapté de l’Ode à la Joie, le dernier mouvement de la Neuvième Symphonie de Ludwig van Beethoven. En voilà une bonne occasion d’écouter de la musique !

Here is the Music Player. You need to installl flash player to show this cool thing!


Ludwig van Beethoven — « Ode an die Freude »

Beethoven

O Freunde, nicht diese Töne!
Sondern laßt uns angenehmere
anstimmen und freudenvollere.
Freude!

Mes amis, cessons nos plaintes !
Qu’un cri joyeux élève aux cieux
nos chants de fêtes et nos accords pieux !
Joie !

Le 9 mai 1950, le ministre français des Affaires Étrangères, Robert Schuman, lisait devant la presse internationale une déclaration suggérant de « placer l’ensemble de la production franco-allemande de charbon et d’acier sous une Haute Autorité commune, dans une organisation ouverte à la participation des autres pays d’Europe », en ayant pour but d’accomplir la « première étape de la Fédération européenne » (les industries du charbon et de l’acier étaient alors à la base de toute puissance militaire).

La déclaration de Robert Schuman paraît particulièrement visionnaire lorsque l’on réalise qu’elle fut faite quelques années seulement après la fin de la deuxième guerre mondiale, qui avait aussi été la troisième guerre entre l’Allemagne et la France en 70 ans avec des millions de morts de chaque côté.

Quelques années plus tard, le Traité de Rome établissait la Communauté Economique Européenne entre six pays : Allemagne, France, Italie, Belgique, Luxembourg et Pays-Bas. Ils sont maintenant vingt-sept dans ce qui est devenu l’Union Européenne, entité dont les imperfections ne doivent pas faire oublier qu’elle a apporté paix et stabilité à des pays entre lesquels une guerre est maintenant devenue simplement inconcevable.

Tout ne ferme pas dans les villages

Traversée Nord-Sud, étape n°25 : Bouville -> Moléans (mercredi 18 mai 2011)
Vous pouvez aussi voir ici la liste de toutes les étapes de la Traversée Nord-Sud
.

L'eau des cimetières

Bientôt cinq heures du soir. Depuis quelque temps déjà, jambes et dos signalent avec insistance qu’il serait temps de trouver un endroit où poser le sac et monter la tente. Il a fait beau aujourd’hui, et quand il fait beau, bivouaquer c’est facile : il suffit de trouver un coin propice, calme et à l’écart, pour y passer la nuit incognito à l’abri des regards. En plaine, rien ne vaut ces bosquets qui parsèment les champs, lieux isolés au sein desquels très peu de gens pénètrent. Une fois la nuit tombée on y est bien tranquille, ignoré de tous, seulement entouré d’oiseaux et de petits animaux qui vaquent à leurs affaires, inconscients de la présence d’un humain à quelques mètres.

Une fois l’endroit choisi, une fois retirées les éventuelles ronces et orties, une fois le terrain aplati et débarrassé des cailloux et des menus branchages, on peut monter la tente, y installer matelas, duvet et toutes ses affaires. La fin de la journée passe vite : exploration des lieux, écriture, dîner, toilette, un peu de lecture et hop, au dodo.

Carte
Qui dit dîner, qui dit toilette, dit « eau », et trouver de l’eau n’est pas toujours aussi aisé qu’on le croirait quand les kilomètres se parcourent à pied. Dans les villages, les fontaines disparaissent, les cafés disparaissent. Beaucoup de communes ressemblent à des villes fantômes : on peut y entendre le son d’un téléviseur, il s’y trouve toujours un ou deux chiens pour aboyer rageusement à son passage, mais on les traverse bien souvent sans apercevoir un seul être humain à qui demander la permission de remplir sa gourde.

Heureusement, il reste encore dans la plupart des villages un endroit calme et fleuri où l’eau potable est librement disponible, le seul établissement public sans doute qui ne disparaisse pas de nos campagnes. Lorsque le soir approche, en prévision du bivouac, le chemineau avisé recherche sur sa carte ces petites zones emplies de croix qui indiquent les cimetières. Il y fera le plein avant de partir à la recherche du bosquet accueillant où il s’arrêtera pour la nuit.

Vert, vert, vert

Traversée Nord-Sud, étape n°24 : Barjouville -> Bouville (mardi 17 mai 2011)
Vous pouvez aussi voir ici la liste de toutes les étapes de la Traversée Nord-Sud
.

Vert

Vert tendre, vert vif, vert sombre, toutes les nuances de vert s’étalent à perte de vue. Du blé, de l’orge, du colza. Toute la journée j’ai marché au milieu des champs de la Beauce au printemps. C’est beau mais c’est un peu toujours pareil. Mais c’est beau. Mais c’est un peu toujours pareil. Mais c’est beau.

Il n’y a plus de chasseurs et du coup les oiseaux sont partout. Pigeons ramiers, hérons, buses, passereaux… et les lièvres ! Plein de lièvres, énormes et comme montés sur ressorts lorsqu’ils s’enfuient à tire d’oreille en entendant le bruit de mes pas. Oui, c’est beau, c’est même très beau.

Le Lièvre (Albrecht Dürer)
Le Lièvre
(Albrecht Dürer)
Jeune, barbu, musclé, brun aux yeux bleus, l’air d’un marin breton mais bien d’ici pourtant, un agriculteur me le confirme tout en continuant à arranger les piquets de son champ : « La Beauce, c’est le plus beau pays du monde ! » En quelques minutes de conversion, il m’en apprend des choses…

…comment les hommes orientent sans le vouloir la sélection naturelle : « Les oiseaux sont nombreux, ça oui, mais y’a presque plus de perdreaux dans le pays. Les buses les repèrent facilement depuis qu’on a remplacé le maïs par le blé. »

…comment on se passait jadis de bornes kilométriques : « Sur l’Eure, des moulins, il y en avait un tous les 900 mètres, juste ce qu’il fallait pour que la rivière retrouve un débit suffisant pour alimenter le moulin suivant. »

…comment les hommes ont aussi modelé le paysage : « Les beaux étangs près de Fontenay-sur-Eure, ils ne sont pas naturels, ils ont été creusés pour y prendre du ballast, du sable et du gravier, et tout ça est devenu du ciment, du béton, c’est de ça que plein d’immeubles de Chartres et des alentours sont faits. » Pour une fois que de la beauté en résulte, on serait malvenu de se plaindre.

Licence Creative Commons    Lignes de Fuite - 2010