De Saint-Colombier à Arzon

Tour de Bretagne [Étape n°72]

Séchage au soleil
Séchage au soleil…

Au cours des derniers mois, j’ai acquis dans un but d’allègement plusieurs éléments de matériel que je n’ai pas encore eu l’occasion de tester. Je les ai emportés cette fois-ci plutôt que mon matériel habituel car il est temps que je choisisse les éléments du « big three » qui seront dans mon sac à dos à partir de mai prochain, au cours de la longue marche dont je compte parler ici bientôt…

Pendant près de dix ans, j’ai utilisé comme abri une tente double-toit Power Lizard 1-2P avec laquelle j’ai découvert le bivouac et qui m’a donné longtemps satisfaction. Ma conversion à la marche ultra-légère m’a amené à la remplacer par un poncho-tarp Gatewood Cape avec lequel j’ai bivouaqué l’an dernier entre Concarneau et Auray, puis par une tente monoparoi Plexamid de Zpacks, utilisée en particulier entre Auray et Vannes. Les deux abris sont de qualité. Le poncho-tarp est plus léger, plus spartiate aussi. La tente Plexamid, spacieuse et pourvue d’une moustiquaire, est un vrai palace.

À mi-chemin entre les deux, j’ai voulu tester l’abri Hexamid Solo que j’emmène avec moi cette semaine. C’est également un excellent abri. Il m’a parfaitement protégé la nuit passée d’une pluie prolongée accompagnée de quelques bourrasques. Il est un peu plus léger que la Plexamid mais il est moins grand et un peu moins pratique à utiliser. Je ferai un point final après quelques nuits supplémentaires mais je pense que mon choix définitif se fera probablement en faveur de la tente Plexamid.

En ce qui concerne le couchage : j’ai acquis l’an dernier sur le forum randonner léger un pied d’éléphant PHD en duvet (c’est à dire un sac de couchage court — 130 cm pour le mien — qui ne couvre que la partie inférieure du corps, la protection du haut contre le froid nocturne étant assurée par la doudoune). Conçu pour les participants au Marathon des Sables, c’est un remarquable objet, très léger et bien chaud.

Je l’ai utilisé l’hiver dernier comme doublure à l’intérieur d’un autre sac de couchage 0°C confort et ai dormi ainsi sans souci par -4°C. La nuit dernière, je l’ai couplé avec un sursac SOL Escape (pour tester aussi le confort de ce dernier) et je n’ai pas du tout eu froid pour une température minimale de +5°C. En revanche, il y a eu un peu de condensation dans le sursac, et le pied du sac de couchage était humide ce matin.

Je ferai d’autres test cet automne avec des températures plus proches de zéro, mais je ne pense pas pouvoir me contenter de cette association pour un long voyage au cours duquel on peut s’attendre à des variations thermiques importantes ; en outre, la condensation à l’intérieur de ce sursac est de mon point de vue rédhibitoire.

Lorsque j’ai levé le camp ce matin, il pleuvait encore. J’ai donc laissé l’abri à l’extérieur du sac à dos. Lorsqu’en fin de matinée le soleil s’est enfin montré, ses rayons bienvenus ont rapidement séché sac de couchage, sursac et toile de tente. J’avais à peine remis tout mon barda dans le sac qu’il s’est remis à pleuvoir. Promesse bretonne tenue : il a fait beau une fois aujourd’hui !

De Vannes à Saint-Colombier

Tour de Bretagne [Étape n°71]

Les remparts de Vannes, alors que la nuit tombe
Les remparts de Vannes, alors que la nuit tombe.

J’ai toujours un sentiment bizarre de téléscopage lorsque je relate ici le récit d’une nouvelle étape qui n’est séparée de la précédente que par quelques centimètres d’écran alors que plusieurs mois de ma vie se sont écoulés entre les deux… Il y a déjà sept mois que je suis arrivé à Vannes. C’était alors l’hiver, c’est maintenant bientôt l’automne. Le temps file.

Hier soir, une fois descendu du train de Paris, je me suis promené dans la ville en cherchant un restaurant. En Bretagne, évidemment, j’ai choisi une crêp… heu, non , un restaurant indien, pourquoi pas après tout ?

Couché tôt hier, levé tôt ce matin, et premières heures de marche pas folichonnes pour sortir de la ville, sur le bitume de zones pavillonnaires. Ce n’est qu’à partir du début de l’après-midi que j’ai enfin pu marcher sur des chemins en bord de mer. Il faisait beau, presque chaud.

J’ai rattrapé un autre randonneur, un grand blond de la trentaine avec des sandales aux pieds et sur le dos un sac de 70 litres qui pesait visiblement une tonne. Pas étonnant qu’il aille moins vite que moi ! Nous avons cheminé côte à côte un bon moment en discutant de nos parcours et du contenu de nos sacs à dos. Parti de Vannes lui aussi, il m’a expliqué marcher sans but bien défini, comptant longer la côte jusqu’à ce qu’il en ait assez et d’ici là, passer ses nuits sous la tente.

Distraits par notre discussion, nous n’avons pas vu que nous nous trompions de chemin et avons eu la surprise de voir soudain notre route barrée par une haute grille fermée par un gros cadenas. Tiens, et si on regardait la carte ? Ah ben zut, nous nous sommes engagés il y a plus d’un kilomètre sur une voie privée étroite, coincée entre la mer et un étang.

Mon compagnon a décidé de continuer en franchissant la barrière par l’extérieur en posant la pointe des pieds sur un muret de 10 cm de large, 8 mètres au-dessus de la grève et des rochers. Très peu pour moi, même avec un sac à dos bien moins encombrant que le sien… J’ai courageusement choisi de faire demi-tour en direction du GR. Je ne le regrette pas car cela m’a fait passer un peu plus tard à côté d’un bois à l’orée duquel j’ai trouvé un très agréable bivouac.

À la ligne (Joseph Ponthus)

Rungis
À Rungis

Joseph Ponthus, qui travaillait comme éducateur spécialisé en région parisienne, a démissionné pour rejoindre la femme qu’il aime à Lorient. Mais voilà , une fois en Bretagne, pas moyen de trouver un poste dans son domaine. Il a alors recours aux agences d’intérim qui lui proposent des contrats « d’opérateur de production » dans l’industrie alimentaire.

En clair, il travaille désormais à la chaîne — pardon, à la ligne — là où on a besoin de sa force de travail pendant quelques jours ou quelques semaines. Tri de crevettes, usine de poissons panés, égouttage de tofu, nettoyage d’abattoirs, déplacement de centaines de carcasses de bovins, composent désormais son quotidien.

Ponthus n’est pas un ouvrier classique. Il a une formation littéraire et un besoin d’écrire qui l’amène à raconter ce quotidien par touches successives au fil des mois qui s’écoulent. Usine et écriture. La ligne dont il est question, c’est à la fois la ligne de production et chacune des lignes d’écriture qui se succèdent en retours rapides dans ce récit fait d’une prose qui ressemble à des vers.

Au fil du temps et des courts chapitres, l’auteur dévoile peu à peu des pans de son monde. Ses études littéraires, l’amour pour sa femme — pudiquement effleuré et toujours présent — ses collègues, les chefs, les monceaux d’animaux morts, son chien Pok-Pok, sa maman.

Ni pathos ni misérabilisme dans ces « feuillets d’usine » ; pas de plainte malgré les douleurs et l’épuisement physique ; une résilience de tous les instants, de tous ces jours sans fin qui se suivent. Pour tenir, il a la littérature, romans et poèmes, les chansons de Trenet, ses souvenirs et la routine.

Voilà un grand livre. Un « récit prolétarien » comme on n’en avait pas lu depuis plusieurs dizaines d’années, et qui se passe ici et maintenant. En France, au XXIe siècle.

À la ligne (Joseph Ponthus)
« C’est ignorer jusqu’à l’usine qu’on pouvait
Réellement
Pleurer
De fatigue
Ça m’est arrivé quelques fois
Hélas non quelquefois
Rentrer du turbin
Se poser cinq minutes dans le canapé
Et
Comme un bon gros point noir que tu n’avais pas vu et qui explose à peine tu le touches
Je repense à ma journée
Sens mes muscles se détendre
Et
Explose en larmes contenues
Tâchant d’être fier et digne
Et ça passera
Comme tout passe
La fatigue les douleurs et les pleurs
Aujourd’hui je n’ai pas pleuré »

Joseph Ponthus — À la ligne (La Table Ronde, 2019)

De l’Île-aux-Moines à Vannes

Tour de Bretagne [Étape n°70]

Souvenir d'Arradon
Souvenir d’Arradon

Le vent a soufflé fort cette nuit, sifflant dans les branches et faisant vibrer la toile de ma tente. J’ai eu besoin de mettre des bouchons d’oreille pour m’endormir mais en définitive j’ai bien dormi. Ce matin, le temps est couvert et il y a encore beaucoup de vent.

La fin du tour de l’Île-aux-Moines est vite expédiée et en moins de 2 heures je rejoins le bourg principal dans lequel j’achète de quoi déjeuner et que je visite en attendant le bateau. Vue de l’extérieur, la petite église ne paie pas de mine mais elle contient une très jolie sculpture de Vierge à l’enfant.

En quelques minutes de balade, je passe devant une herboristerie, un atelier de sculpture, un cabinet d’ostéopathe et bien sûr un magasin de souvenirs, situés à quelques mètres les uns des autres.

C’est drôle, deux populations coexistent dans l’île. Il y a d’un côté ceux que j’ai vus en en faisant le tour – des paysans, des pêcheurs, des ostréiculteurs – et de l’autre côté les citadin(e)s en loden ou en manteau de fourrure que je croise ici ce matin. D’un côté des tracteurs et des bateaux de pêche, de l’autre des scooters dernier cri traînant une élégante petite remorque pour y placer les courses. Ce village, c’est « Neuilly-sur-Golfe » ; qu’est-ce que cela doit être au mois d’août !

Une éclaircie se fait dans les nuages pendant les quelques minutes de la traversée jusqu’à Port-Blanc. Elle est de courte durée, et ce sera la seule de la journée. C’est sous un ciel bas et lourd que je finis ce tronçon supplémentaire de mon tour de Bretagne, via Arradon où de nombreux souvenirs m’attendent.

Et voilà, l’étape est finie… J’arrive à la gare de Vannes où je vais prendre une nouvelle fois le train pour Montparnasse. Une nouvelle fin de tronçon, encore une. Ce fut un tronçon particulier, plus îlien que continental. Il n’a duré que six jours, mais ce furent six très bonnes journées, avec un temps presque toujours beau et en tout cas sans une goutte de pluie, avec de beaux paysages et plusieurs bivouacs magnifiques. Que demander de plus, si ce n’est de pouvoir revenir le plus tôt possible ?

De Botconan à l’Île-aux-Moines

Tour de Bretagne [Étape n°69]

Un bivouac de rêve
Un bivouac de rêve

Il est vraiment très utile de pouvoir consulter sur son smartphone les photographies aériennes au 1/6.250ème des zones où l’on envisage de bivouaquer. C’est ainsi que j’ai repéré à l’avance l’endroit magique où j’écris ces lignes, dénommé Pointe de Kastell er Guévr.

Je suis assis sur des rochers en bord de mer. Derrière moi se trouve le bosquet de pins où j’ai trouvé ce superbe bivouac. Devant moi, un bras de mer me sépare du soleil qui se couche. La mer monte, elle sera au plus haut dans trois heures environ. La crique devant moi n’est qu’un grand parc à huîtres. J’entends tout en écrivant les cris de nombreux oiseaux, entre le roulement et le croassement. Il y a des canards, des sarcelles, des huîtriers-pies… Il fait sombre, je ne les vois pas bien mais je les entends !

Je suis parti ce matin un peu avant huit heures. Avec l’habitude, il devient plus rapide de se mettre en route car une routine s’installe pour le rangement des affaires dans le sac et l’ordre de ce que l’on fait. J’ai marché très agréablement, aujourd’hui encore avec un grand beau temps, bien que froid le matin. Je suis passé au sud de Baden puis ai fait le tour de Larmor-Baden et suis arrivé à Port-Blanc vers le milieu de l’après-midi.

Sur l’embarcadère, un bateau s’apprêtait à partir pour l’Île-aux-Moines… je suis monté dedans. Je ne l’avais pas prémédité mais sinon, au rythme où j’avance, j’arriverai à la gare de Vannes un jour trop tôt, alors autant ajouter une seconde île (dont la circonférence ne fait que 24 km) à cette portion déjà assez particulière de mon tour de Bretagne.

L’Île-aux-Moines est à l’évidence un endroit très touristique – en été, cela doit être insupportable – mais assez joli et avec du cachet dans les villages. Je ne regrette pas du tout cette décision de dernière minute.

Assis sur mon rocher en bord de mer, j’ai regardé le soleil disparaître de l’autre côté de la crique. La nuit est tombée, il fait maintenant assez sombre pour que je fasse ma toilette sans risquer d’effaroucher un(e) promeneur(se) tardif(ve).

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