Tout ne ferme pas dans les villages
- Publié le Vendredi 4 mai 2012
- par Serval
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Traversée Nord-Sud, étape n°25 : Bouville -> Moléans (mercredi 18 mai 2011)
Vous pouvez aussi voir ici la liste de toutes les étapes de la Traversée Nord-Sud.
Bientôt cinq heures du soir. Depuis quelque temps déjà, jambes et dos signalent avec insistance qu’il serait temps de trouver un endroit où poser le sac et monter la tente. Il a fait beau aujourd’hui, et quand il fait beau, bivouaquer c’est facile : il suffit de trouver un coin propice, calme et à l’écart, pour y passer la nuit incognito à l’abri des regards. En plaine, rien ne vaut ces bosquets qui parsèment les champs, lieux isolés au sein desquels très peu de gens pénètrent. Une fois la nuit tombée on y est bien tranquille, ignoré de tous, seulement entouré d’oiseaux et de petits animaux qui vaquent à leurs affaires, inconscients de la présence d’un humain à quelques mètres.
Une fois l’endroit choisi, une fois retirées les éventuelles ronces et orties, une fois le terrain aplati et débarrassé des cailloux et des menus branchages, on peut monter la tente, y installer matelas, duvet et toutes ses affaires. La fin de la journée passe vite : exploration des lieux, écriture, dîner, toilette, un peu de lecture et hop, au dodo.

Heureusement, il reste encore dans la plupart des villages un endroit calme et fleuri où l’eau potable est librement disponible, le seul établissement public sans doute qui ne disparaisse pas de nos campagnes. Lorsque le soir approche, en prévision du bivouac, le chemineau avisé recherche sur sa carte ces petites zones emplies de croix qui indiquent les cimetières. Il y fera le plein avant de partir à la recherche du bosquet accueillant où il s’arrêtera pour la nuit.
Vert, vert, vert
- Publié le Mercredi 18 avril 2012
- par Serval
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Traversée Nord-Sud, étape n°24 : Barjouville -> Bouville (mardi 17 mai 2011)
Vous pouvez aussi voir ici la liste de toutes les étapes de la Traversée Nord-Sud.
Vert tendre, vert vif, vert sombre, toutes les nuances de vert s’étalent à perte de vue. Du blé, de l’orge, du colza. Toute la journée j’ai marché au milieu des champs de la Beauce au printemps. C’est beau mais c’est un peu toujours pareil. Mais c’est beau. Mais c’est un peu toujours pareil. Mais c’est beau.
Il n’y a plus de chasseurs et du coup les oiseaux sont partout. Pigeons ramiers, hérons, buses, passereaux… et les lièvres ! Plein de lièvres, énormes et comme montés sur ressorts lorsqu’ils s’enfuient à tire d’oreille en entendant le bruit de mes pas. Oui, c’est beau, c’est même très beau.
Jeune, barbu, musclé, brun aux yeux bleus, l’air d’un marin breton mais bien d’ici pourtant, un agriculteur me le confirme tout en continuant à arranger les piquets de son champ : « La Beauce, c’est le plus beau pays du monde ! » En quelques minutes de conversion, il m’en apprend des choses……comment les hommes orientent sans le vouloir la sélection naturelle : « Les oiseaux sont nombreux, ça oui, mais y’a presque plus de perdreaux dans le pays. Les buses les repèrent facilement depuis qu’on a remplacé le maïs par le blé. »
…comment on se passait jadis de bornes kilométriques : « Sur l’Eure, des moulins, il y en avait un tous les 900 mètres, juste ce qu’il fallait pour que la rivière retrouve un débit suffisant pour alimenter le moulin suivant. »
…comment les hommes ont aussi modelé le paysage : « Les beaux étangs près de Fontenay-sur-Eure, ils ne sont pas naturels, ils ont été creusés pour y prendre du ballast, du sable et du gravier, et tout ça est devenu du ciment, du béton, c’est de ça que plein d’immeubles de Chartres et des alentours sont faits. » Pour une fois que de la beauté en résulte, on serait malvenu de se plaindre.
De retour…
- Publié le Lundi 26 mars 2012
- par Serval
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Traversée Nord-Sud, étape n°23 : Chartres -> Barjouville (lundi 16 mai 2011)
Vous pouvez aussi voir ici la liste de toutes les étapes de la Traversée Nord-Sud.
Il y a des blogs dans lesquels les articles semblent couler de source de la plume de leur auteur et se succèdent sans faillir. Et d’autres blogs, comme celui-ci, dont l’auteur semble (mais ce n’est qu’une impression) avoir peu de respect pour les personnes qui lui font l’honneur de s’intéresser à sa prose. Pour justifier l’irrégularité et la rareté de mes articles au cours des derniers mois, je dirai simplement que j’ai d’excellentes raisons, et qu’elles sont suffisamment personnelles pour que je demande à être cru sur parole.
Depuis Chartres, rejoint en une heure de train depuis Paris, une toute petite étape m’a mené à Barjouville, dans une zone commerciale de banlieue où j’ai passé la nuit dans un hôtel pour VRP. Au passage, un détour pour visiter la maison Picassiette a été comme un adieu transitoire au monde sage de la vie « normale », alors que je rejoignais à nouveau avec bonheur le monde parallèle des chemins de randonnée. Un monde parallèle qui, lorsque l’on y séjourne, semble souvent plus réel et plus fiable que celui de tous les jours.
Les belles endormies
- Publié le Dimanche 1 janvier 2012
- par Serval
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Elles ne sont sans doute pas très nombreuses, en France, les personnes qui connaissent Yasunari Kawabata. Il s’agit pourtant de l’un des plus grands écrivains japonais du XXe siècle, qui a reçu le Prix Nobel de littérature en 1968. Les belles endormies est un livre écrit à la fin de sa vie, quelques années avant qu’il décide de la quitter, sans bruit et sans explications.
Les « belles endormies », ce sont des jeunes femmes qui vendent leurs nuits dans une maison close réservée à des clients de tout repos, des vieillards qui n’ont plus la capacité de consommer leurs fantasmes. Âgé de soixante-sept ans, Eguchi vient sur les conseils d’un ami dans cette auberge calfeutrée où, après avoir pris le thé avec une mère maquerelle imperturbable, il va s’allonger pour la nuit auprès d’une jeune fille, vierge et nue, que rien ni personne ne pourra faire sortir du sommeil profond où un narcotique l’a plongée avec son accord. Lorsqu’elle s’éveillera, elle n’aura aucun souvenir de l’homme avec qui elle aura dormi, ni de ce qui se sera passé pendant qu’elle dormait.
Egushi pourra la regarder, la toucher, la caresser, l’écouter, la humer, goûter sa peau, usant de tous ses cinq sens pour tenter d’approcher sa jeunesse. Lui qui se pense différent des autres vieux clients parce qu’il n’a pas encore complètement perdu ce qui fait de lui un homme pourra faire à la jeune endormie tout ce que ses désirs lui dicteront, sauf violer sa virginité, ce que la stricte loi de la maison interdit.Eguchi va revenir plusieurs fois dormir dans cette auberge, et à chaque fois le corps d’une femme différente lui tiendra compagnie. Ces jeunes femmes exposent la fraîcheur de leur corps, la douceur de leur peau, la robustesse de leur membres, aux appétits du corps décrépit du vieillard qu’Eguchi est devenu mais leur âme lui reste inaccessible.
Pas de pornographie dans ce livre, et beaucoup plus de respect pour les femmes qu’on pourrait le penser. Kawabata fait de son court récit à l’érotisme omniprésent une réflexion sur le temps qui passe, une rêverie sur le désir et les regrets, une méditation sur le sens de la vie et sur la peur de la mort. Les mots les plus simples lui servent à décrire la solitude d’un vieil homme qui s’achemine lucidement vers sa fin avec le détachement d’un esthète, en se remémorant les moments intenses de son passé, les lieux qu’il a visités, les fleurs qu’il a respirées, les femmes qu’il a aimées : ses maîtresses, ses filles, sa mère (et bien peu sa femme).
« La fille secoua l’épaule et de nouveau s’étendit sur le ventre. Il semblait que ce fût là sa position préférée. Le visage toujours dirigé vers Eguchi, de la main droite elle serrait légèrement le bord de l’appuie-tête et son bras gauche reposait sur le visage du vieillard. Cependant, elle n’avait rien dit. Il sentait le souffle chaud de sa respiration paisible. Le bras, sur son visage, remua comme pour retrouver l’équilibre ; il le prit de ses deux mains et le posa sur ses yeux. La pointe des ongles longs de la fille piquait légèrement le lobe de l’oreille d’Eguchi. L’attache du poignet s’infléchissait sur sa paupière droite, de sorte que la partie le plus étroite de l’avant-bras recouvrait celle-ci. Désirant rester ainsi, le vieillard pressa la main de la fille sur ses deux yeux. L’odeur de la peau qui se communiquait à ses globes oculaires était telle qu’Eguchi sentait remonter en lui une vision nouvelle et riche. À pareille saison tout juste, deux ou trois fleurs de pivoine d’hiver, épanouies dans le soleil de l’automne tardif au pied du haut mur d’un vieux monastère du Yamato, des camélias sazanka blancs épanouis dans le jardin en bordure du promenoir extérieur de la Chapelle des Poètes Inspirés, et puis, mais c’était au printemps, à Nara, des fleurs de pteris, des glycines, et le « Camélia effeuillé » couvert de fleurs au Tsubaki-dera… « Ah ! j’y suis ! » À ces fleurs était lié le souvenir de ses trois filles mariées [...] Au fond de ses yeux que recouvraient la main de la fille, il voyait tantôt surgir, tantôt s’effacer des visions de fleurs, et tout en s’y abandonnant, il revivait les sentiments qu’il avait éprouvés au jour le jour quand, quelque temps après avoir marié ses filles, il s’était intéressé à des jeunes personnes étrangères à sa famille. Il en venait à considérer cette fille-ci comme l’une des jeunes personnes de ce temps-là. Yasunari Kawabata — Les belles endormies (1961 – vf. Le livre de Poche, 1970) |
La beauté de ce récit tient beaucoup à la façon dont Yasunari Kawabata réussit à le faire progresser sur la ligne ténue entre les sentiments et les sensations, entre l’amour éthéré et le sexe. Ces jeunes femmes nues et dociles qui dorment contre lui sont l’illustration douloureuse de la beauté et de la jeunesse qu’il a lui-même perdues, et leur profond sommeil devient l’illustration de sa propre mort à venir.
Un livre magnifique, court et dense, qu’il faut lire lentement, en dégustant les mots.
Les 5 sens à Paris — Le sixième sens
- Publié le Lundi 26 décembre 2011
- par Serval
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Venise… ville sans voitures, ville de palais et de musées, ville aquatique et piétonne, ville de canaux et de ruelles où l’on se perd sans cesse. On marche dans une rue empruntée la veille, on atteint un pont qu’on reconnaît très bien, on s’engage dans une ruelle qui doit être la bonne, on tourne au coin… et on ne sait plus où l’on est. Pour peu que l’on n’ait pas succombé aux sirènes de Google Maps et du GPS, on n’a plus qu’une seule solution : faire appel à son sixième sens pour retrouver son chemin.
À Paris aussi, se perdre est probablement le meilleur moyen de découvrir la ville. En tout cas, c’est le plus agréable. Paris intra-muros est une ville à taille humaine qu’on peut traverser en moins de deux heures de marche et que le métro quadrille. Contrairement par exemple à tant de villes nord-américaines qui semblent n’être qu’une succession de banlieues, c’est une ville centralisée composée de quartiers, anciennes bourgades que le temps a réunies.
Toi qui passes à Paris quelques heures ou quelques jours, tu peux bien sûr t’aider d’un guide pour décider quelle partie de la ville visiter demain, mais rien de tel ensuite que de le remettre dans ton sac ou dans ta poche pour laisser ton intuition décider seule du chemin à prendre. Rejoins la foule dans les rues de Montmartre ou du Quartier latin si tu veux, mais ensuite marche donc ça et là, au hasard et sans but ; regarde les vitrines, regarde les gens ; arrête-toi dans un café pour une bière ou un expresso ; remets-toi en route, prends une autre rue, tourne à droite, tourne à gauche, trompe-toi de chemin, reviens sur tes pas… fais confiance à ta bonne étoile et à ton sixième sens pour arpenter le quartier et découvrir son âme.De toute façon, tu ne vas pas « connaître Paris » en un jour, en un séjour, n’est-ce pas ? Alors, fabrique-toi plutôt des souvenirs : un ancien temple romain caché au fond d’une cour, derrière la porte cochère d’une petite rue ; le spectacle magnifique du soleil qui se couche au dessus du Palais du Trocadéro ; le charme des Parisiennes, avec leur inimitable façon de maîtriser les modes et de les intégrer à leur propre style, choisissant d’instinct la forme et la couleur qui s’accorde parfaitement à leurs cheveux, à leurs yeux, à leur peau ; le son de l’accordéon joué par un vieux musicien à la terrasse d’un café ; le parfum de la rose rouge achetée à un vendeur des rues ; la saveur du dîner dans ce petit hôtel ; la sensation de sa main sur ta peau… Ton sixième sens donnera aux cinq autres la possibilité de te forger des souvenirs inoubliables.