Réveil humide

Traversée Nord-Sud, étape n°33 : Écueillé -> Buzançais (mercredi 20 juillet 2011)
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Réveil humide
Brrr…

Hier soir, pendant quelques heures, la pluie s’est interrompue. J’ai pu monter ma tente dans un petit bois et y installer tranquillement mes affaires sans que tout soit trempé, puis faire ma popote et dîner en plein air. D’après la carte, le bois où j’ai passé la nuit s’appelle « Champ d’oiseau ». « Champ » et pas « chant » et « oiseau » au singulier, mais les oiseaux du coin ne doivent pas savoir lire : j’en ai vu des dizaines sur le sol et dans les arbres, bien peu farouches, sortis après la pluie pour chasser et chanter. Jusqu’au coucher du soleil, les rossignols, mésanges et autres passereaux m’ont fait la sérénade.

Passereau
Une fois la nuit tombée, la pluie a repris et depuis lors elle n’a plus cessé. Confortablement installé dans ma tente, bercé par le bruit régulier des gouttes sur la toile, j’ai bien dormi. À six heures, il pleuvait toujours quand je me suis réveillé. La lumière commençait tout juste à filtrer à travers les gouttes et les branches. Réveil en douceur, mais dieu qu’il fait humide…

Dans cet espace clos, la chaleur de mon corps et ma respiration ont gorgé l’air de vapeur d’eau ; le toit est constellé de gouttes de condensation, les parois ruissellent. Se tortiller pour s’extraire du duvet et s’habiller sans toucher les murs trempés, puis s’asseoir précautionneusement pour réunir ses affaires, voilà qui prend un bon bout de temps quand on n’est guère tenté de se remettre en train.

Allez, je vais allumer le réchaud sous la tente en laissant la porte entrouverte pour aérer et me faire un thé bien chaud, polaire sur le dos et bonnet de laine. Il me reste aussi un peu de fromage et quelques gâteaux secs, de quoi faire un vrai petit déjeuner de gala.

Entrevu par l’ouverture, le sol autour de la tente est devenu un bourbier. Il fait sombre, plus un oiseau ne chante. Les gouttes frappent les feuilles et le sol en cadence, les rafales agitent les branches et font vibrer ma toile. C’est parti pour plusieurs jours, on dirait… eh bien, on fera avec. Il est temps de plier bagage. En route !

Pluie

Traversée Nord-Sud, étape n°32 : St-Aignan-sur-Cher -> Écueillé (mardi 19/07/2011)
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Pluie

 

Le ciel, jaune sombre et gris, déverse sur le monde un rideau presque opaque de gouttes serrées. Marionnettes immobiles suspendues à leurs fils, les arbres aux contours flous font une haie d’honneur au randonneur mouillé. Chaque pas est une gerbe. Il pleut.

Poncho, capuche, surpantalon de pluie, sont autant de membranes où l’eau joue du tambour. Le cliquetis des gouttes masque les autres sons, crée un pseudo-silence, un bruit blanc. La musique habituelle des pas est assourdie. On n’entend plus qu’à peine le crissement des pieds sur l’herbe ou le gravier, et même la succion gourmande de la boue semble silencieuse. Sur les pierres qui glissent, ça couine un peu. Sur le bitume, aussi.

Je marche dans les flaques, de petites mares éclatent à mon passage, un chapelet de marques constelle mon pantalon et sans doute mon dos. Me voici décoré chevalier de l’Ordre du Mérite du Marcheur sous la Pluie.

La nature fait un caprice, et qui pourrait la contrarier ? Je me soumets, j’accepte ses assauts, je ressens sa puissance. Elle est chez elle, je ne suis qu’invité. L’eau gifle la terre, et moi. Mais j’avance. Le sol est gorgé, je glisse, je souffle, je dégouline, mais j’avance. L’air est empli de vapeurs odorantes, humus, forêt, herbe mouillée, boue suave.

Je marche sous la pluie. Je suis seul. Le monde est neuf. J’avance.

Ah, la sale bête !

Traversée Nord-Sud, étape n°31 : Fougères-sur-Bièvre -> Saint-Aignan-sur-Cher (lundi 18 juillet 2011)
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Au réveil, on a parfois des surprises...
Au réveil, on a parfois des surprises…

Quel poète inspiré trouvera enfin les mots pour chanter le bonheur d’uriner dans la nature ? Que les randonneuses veuillent bien pardonner une affirmation qu’elles sont en droit de ne pas soutenir, mais n’importe quel promeneur mâle vous le dira : il n’y a guère de plaisir plus doux que celui d’arroser un tronc d’arbre accueillant, et peu de sons sont plus agréables à l’oreille que le bruissement des feuilles mortes sous un jet libérateur.

Ce matin comme tous les autres, c’est donc en me préparant à cette joie simple que j’ai débuté ma journée. À peine tiré du sommeil par le gazouillis des oiseaux, je suis sorti de ma tente et ai fait quelques pas dans le bosquet baigné de lumière pour faire une visite de courtoisie à l’un des arbres du voisinage. Encore ensommeillé, la tête mollement appuyée contre le tronc moussu, me voici en position quand tout à coup… Ô dieux hospitaliers, que vois-je ici paraître ?

D’accord, il faut bien vivre, et les ixodes ne sont pas responsables de leur mode de subsistance, mais l’amour des bêtes et les convictions écologiques ont l’un et l’autre des limites : « Ah la sale bête ! » n’ai-je pu m’empêcher de m’exclamer en découvrant qu’une tique avait élu domicile en l’un des endroits les mieux abrités et les plus chauds de mon anatomie. Apparemment d’ailleurs, à en juger par son allure luisante et rebondie, elle était cachée là depuis quelque temps, deux ou trois jours sans doute.

Tique
Ixodes ricinus (Photo Wikipedia)
Ce n’est pas manquer exagérément de générosité, me semble-t-il, que trouver très mal élevée cette façon de s’inviter à ma table — si j’ose dire — sans y avoir été conviée. Ce n’est certes pas un millilitre de sang en plus ou en moins qui va me causer du tort, mais tout de même, il y a des limites au sans-gêne, et cette tique-là a vraiment choisi un endroit particulièrement intime pour y planter sa tente… euh, son rostre. Sans parler que certains de ces peu sympathiques acariens sont infestés des bactéries responsables de la redoutable maladie de Lyme.

Or donc, pas de pitié ! L’arrache-tique a fait son office. Requiescat in Pace, Ixodes.

Sadako

Les champignons atomiques sur Hiroshima et Nagasaki
Les champignons atomiques sur Hiroshima et Nagasaki (Photo Wikipedia)

Le 6 août 1945, Harry S. Truman, Président des États-Unis d’Amérique, donnait l’ordre de larguer la bombe atomique « Little Boy » sur la ville japonaise d’Hiroshima. Trois jours plus tard, « Fat Man » explosait à son tour au-dessus de Nagasaki. Il s’agit à ce jour des deux seuls bombardements nucléaires de l’histoire.

Nous avons dépensé deux milliards de dollars sur le plus grand pari scientifique de l’histoire, et nous l’avons gagné. — Président Harry S. Truman

Sadako Sasaki vivait à Hiroshima. Elle n’avait que deux ans lorsque « Little Boy » explosa au-dessus de sa ville. Elle ne fit pas partie des premières victimes mais, neuf ans plus tard, elle fut atteinte d’une leucémie due aux radiations.

Grue en origami
(Photo Wikipedia)
Selon une légende japonaise, quiconque confectionne mille grues (*) en origami voit un vœu exhaucé. Espérant obtenir ainsi sa guérison, Sadako décida de faire mille grues en origami. Elle réussit à en fabriquer plusieurs centaines mais mourut avant d’avoir accompli son défi. Les grues manquantes furent confectionnées par ses camarades de classe, et c’est en compagnie de mille grues en origami que Sadako fut enterrée en octobre 1955.

Le bateau (Nam Le)
« La matinée est chaude et lumineuse. Il y a une alerte, suivie du vrombissement d’un seul B-29. Le bruit traverse lentement le ciel bleu […] Un seul avion. Les Américains se servent de leurs avions pour prendre des photos, dit Grande Sœur. Il fait vraiment très chaud dehors. J’entends le chant de la cigale tsukuboshi : chokko chokko uisu. Chokko chokko uisu. Autour de moi, les huits millions de kami. Je regarde au creux de ma main. À ma gauche, ma mère. À ma droite, mon père. Derrière moi, Grande Sœur. Le papier est presque entièrement gris. Puis tout devient blanc et ma joue gauche me brûle. »
Nam Le — Hiroshima in Le bateau (Albin Michel, 2010)

Après sa mort, les camarades de classe de Sadako Sasaki lancèrent un mouvement visant à collecter les fonds nécessaires à la construction d’un mémorial à sa mémoire et à celle de tous les enfants victimes de la bombe atomique.

J’écrirai le mot paix sur vos ailes et vous volerez tout autour du monde. — Sadako Sasaki

La Statue des enfants de la bombe atomique
(Photo Wikipedia)
La Statue des enfants de la bombe atomique a été inaugurée dans le Parc Mémorial de la Paix d’Hiroshima en 1958. Elle représente une bombe A stylisée au sommet de laquelle Sadako Sasaki se tient debout et brandit à bout de bras une grue en origami. À la base du monument, cette inscription en japonais : « Ceci est notre cri. Ceci est notre prière. Pour la paix dans le monde ».

« Little Boy » et « Fat Man » ont tué environ 230.000 personnes (plus de 140.000 à Hiroshima et de 80.000 à Nagasaki), presque toutes civiles, dont la moitié dans les premiers jours. À titre de comparaison, le nombre total de soldats américains tués au cours de la guerre du Pacifique, de 1941 à 1945, a été très précisément chiffré à 108.504.

Imaginez que l’Allemagne ait lancé deux bombes atomiques, disons, l’une sur Rochester et l’autre sur Buffalo […] Quelqu’un peut-il douter que nous aurions qualifié alors de crimes de guerre le lancement de bombes atomiques sur des villes, et qu’au procès de Nuremberg les Allemands responsables de ces crimes auraient été condamnés à mort et pendus ? — Leó Szilárd

Grus japonesis
(Photo Wikipedia)
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(*) La grue du japon (Grus japonesis) est un très grand échassier blanc et noir à la tête calottée de rouge. Jadis considérée au Japon comme la divinité des marais, elle était censée vivre mille ans.
Elle y est toujours aujourd’hui un symbole de bonheur et de longévité.

Jalons

Traversée Nord-Sud, étape n°30 : Blois -> Fougères-sur-Bièvre (dim. 17 juillet 2011)
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Le Beuvron à Seur
Le Beuvron à Seur

Les rivières sont d’agréables compagnes de voyage qui ne font pas de façon pour accueillir le promeneur. Elles lui offrent leurs rives herbeuses, leurs saules et leurs roseaux, leurs sentiers ombragés, leurs chemins de halage, leurs ponts et leurs moulins.

Les oiseaux qui vivent sur le bord des eaux calmes semblent plus détendus, moins aux aguets que partout ailleurs. Le marcheur qui approche, bien que surveillé du coin de l’œil, ne provoque pas d’envol soudain comme sur les chemins champêtres ou forestiers. On le voit de loin, il fait partie de la douceur des berges, il ne surprend pas, il ne menace pas. Les canards qui se baignent sauraient-ils que la chasse est interdite en ces lieux ? Il n’y a plus qu’en profondeur que l’homme reste un danger, lorsqu’un pêcheur à la ligne trempe son bouchon coloré dans les eaux monochromes.

Pause déjeuner
Pause déjeuner
Chacun à son tour, la Canche, la Somme, l’Epte, la Seine, l’Eure, le Loir, m’ont accompagné depuis que j’ai quitté les rivages de la Mer du Nord. J’ai rejoint aujourd’hui le Cosson, le Beuvron puis la Bièvre. Bientôt viendront le Cher, l’Indre, la Creuse, et bien d’autres encore. Rivières attendues, finalement atteintes, suivies pendant quelques heures ou parfois quelques jours puis traversées et laissées en arrière, dépassées sans être oubliées.

Je marche désormais au sud de la Loire… Une fois franchi, l’objectif qui donnait un nom au futur est rangé dans le passé et laisse la place au suivant. Merveilleux compagnons de voyage, les cours d’eau sont aussi des seuils, des frontières qu’on enjambe, des passages vers plus loin. Les rivières sont des jalons.

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