D’arbres en arbres

Traversée Nord-Sud, étape n°40 : Lépaud -> Sannat (lundi 12 avril 2012)
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Un arbre sur l'Overland Track, en Tasmanie
Sur l’Overland Track, en Tasmanie

Entre l’étape évoquée dans le précédent billet et celle-ci, plus de huit mois se sont écoulés, des mois qui pour moi ont presque compté pour des années tant ils ont été remplis. En particulier, je suis allé trois fois faire de la grande randonnée en Australie. La troisième fois, j’ai profité de l’été austral pour « faire » l’Overland Track, en Tasmanie. Ce fut une extraordinaire semaine de randonnée en autonomie complète, l’aventure avec un grand A dans une région sauvage et inhabitée, un pays de montagnes et de lacs. Les arbres, là-bas, c’étaient, partout, les eucalyptus. Un jour sans doute j’en parlerai ici.

Mais pour l’heure, je suis revenu en France, je suis dans la Creuse et l’aventure s’écrit de nouveau avec un a minuscule. En ce matin d’avril, je suis reparti à pied de la maison familiale sur la Route des chaumes, comme des centaines de fois depuis mon enfance. Aujourd’hui cependant j’ai marché plus loin que jamais auparavant ; je n’ai pas fait demi-tour au bout de quelques heures, j’ai marché jusqu’au soir en direction du sud. J’ai traversé Chambon-sur-Voueize, la Tardes, les bois d’Évaux-les-Bains, pour arriver ce soir à Sannat.

L'Arbre du Loup
L’Arbre du Loup
J’ai marché toute la journée parmi les arbres de la région – chênes, hêtres, frênes, tilleuls, noisetiers et autres – sur des chemins que j’ai arpentés en toutes saisons depuis des décennies. Aucun endroit ne m’était inconnu, mais j’ai vu chacun d’eux avec l’œil différent de celui qui ne fait que passer, pour aller loin. Dans les Bois d’Évaux, j’ai rendu une visite de courtoisie à la célébrité du coin, l’Arbre du Loup.

Ce chêne creux est ainsi nommé parce que, selon la légende, une louve y aurait élevé ses petits. C’est un ancêtre plusieurs fois centenaire qui est là depuis Louis XIV et n’a plus rien d’impressionnant. Il n’arrive plus à soutenir son tronc et ses rares branches que grâce à deux poutrelles métalliques qui lui servent d’attelles et à un cerclage de fer fabriqué avec une roue de chariot. Grandeur et décadence pour un ancêtre qui fut jadis un colosse et dont la sénescence incite plus à la méditation qu’à l’admiration, en un rappel de la finitude de toutes choses.

À la maison

Traversée Nord-Sud, étape n°39 : Lavaufranche -> Lépaud (mardi 26 juillet 2011)
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À la maison

Il y a un an, un trait de crayon sommairement tracé sur la carte de France a indiqué la direction que j’avais décidé de suivre. Tout droit. Du nord au sud, de la mer du Nord à la mer Méditerranée, de la Belgique à l’Espagne, de Bray-Dunes au cap Cerbère. À pied.

En fait, avec ou sans préméditation, mon trajet a souvent dévié de cette route théorique. Il s’en est écarté d’emblée quand j’ai décidé de suivre pendant plusieurs jours la Côte d’Opale pour rester plus longtemps près de la mer. Ensuite, au fil des étapes, des endroits par lesquels j’avais envie de passer, des lieux où dormir, des gares parfois, la ligne droite simpliste du début s’est joliment transformée en une série d’ondulations douces.

Il y a une semaine, en repartant de Buzançais, ma trajectoire a franchement quitté la direction nord-sud. J’ai dévié vers le sud-est avec en ligne de mire l’endroit où je viens d’arriver. Car ça y est, j’y suis arrivé. Au bout de 936 kilomètres, parcourus en 39 étapes et en un peu plus d’un an, me voici arrivé dans ce village au nom inconnu de tous.

À quatre heures de l’après-midi, j’ai pénétré dans le jardin, j’ai marché sur la pelouse, je me suis assis sur le banc de pierre, à l’ombre des arbres que mon père a plantés. J’ai senti derrière moi la fraîcheur moussue du mur de pierre. Mur de pierres plutôt, fait de pierres simplement posées les unes sur les autres et qui, par la magie du savoir-faire d’un siècle passé, tient toujours solidement debout.

J’ai fait environ la moitié du trajet et pour un temps mon périple s’arrête. La pause sera longue. Je ne reprendrai sans doute pas la route avant l’année prochaine. Je suis arrivé dans mon village, dans la maison où j’ai passé tant de mois de mon enfance.

Je suis arrivé chez moi, en attendant de repartir.

Sur le chemin des vaches

Traversée Nord-Sud, étape n°38 : Sazeray -> Lavaufranche (lundi 25 juillet 2011)
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Pelouse, balançoire et ballon

Marche tranquille dans les bocages creusois, sur un chemin large entre deux haies, un peu boueux après les récents jours de pluie. Au sortir d’un tournant, une maison isolée et devant elle un peu de gravier, un appentis, une pelouse, une balançoire, un ballon et deux petits garçons qui cessent de jouer en me voyant et s’approchent.

- « Bonjour Monsieur » dit le plus grand. Comment tu t’appelles ?

- « Bonjour les garçons. Mon nom à moi c’est Philippe. Et vous, comment vous vous appelez ? »

- « Moi, c’est Mathieu ! J’ai presque cinq ans, et lui, c’est Julien. Julien c’est un petit, il a deux ans et demi »

- « Ah oui, c’est vrai, tu es un grand garçon, et un jour Julien aussi sera grand. C’est votre maison cette belle maison ? »

- « Oui, c’est la maison à Papa, et à Maman, et à moi… (un temps) et à Julien aussi ».

- « C’est vraiment une belle maison, et le jardin est beau aussi ».

- « Pourquoi t’es ici ? »

- « Eh bien, tu vois, je me promène ».

- « Et tu vas où ? »

- « Je vais voir la mer ».

- « C’est loin ? »

- « Oh oui, la mer c’est très loin ».

- « Pourquoi tu passes ici alors ? »

- « Parce que c’est joli ici, et parce que c’est sur mon chemin ».

- « Mais non ! Pourquoi t’es ici ? Ici, c’est les vaches qui se promènent ! »

Jacounette

Traversée Nord-Sud, étape n°37 : La Châtre -> Sazeray (dimanche 24 juillet 2011)
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Jacounette

J’ai eu froid cette nuit. Au cours de la semaine écoulée, alors que sans relâche il pleuvait sur ma tente, j’ai dormi bien au chaud dans ma maison de toile. Bizarrement, c’est aujourd’hui, après une journée sèche et dans une chambre d’hôtel, que j’ai été réveillé plusieurs fois par des frissons, jusqu’à ce que je trouve l’énergie de me lever pour enfiler ma polaire… ensuite, j’ai dormi comme un loir.

En me réveillant, j’ai compris pourquoi il avait fait si froid : c’est à cause de tout le linge mis à sécher hier soir. La tente, la couverture de survie, le poncho, les 2 tee-shirts et autres sous-vêtements accrochés à des ficelles tendues à travers la chambre et la salle de bain ont dû faire monter le taux d’humidité de la pièce à cent dix pour cent, au moins !

Mais finalement, polaire et fatigue aidant, j’ai dormi plus de dix heures. Je suis donc reparti un peu plus tard que prévu, mais qu’importe : être reposé en reprenant la route apporte une sensation extraordinaire de bien-être. J’ai marché d’un bon pas toute la matinée et à midi j’avais rattrapé le temps perdu.

Peu après la pause-déjeuner, se faufilant à travers la haie d’un jardin, une chienne rousse et blanche a déboulé soudain, presque entre mes jambes. En silence et faisant mine de ne pas me regarder, elle s’est élancée devant moi sur la petite route. Tous les randonneurs ont l’habitude que des chiens aboient à pleine glotte sur leur passage à travers les grilles de leur maison. Il arrive aussi, heureusement moins souvent, que des chiens en liberté soient menaçants voire agressifs. Mais c’était la première fois qu’un chien — enfin, une chienne — à laquelle je n’avais pas été présenté décidait de me faire ainsi un bout de conduite.

Adieu Jacounette
Car c’est bien ce dont il s’agissait : Jacounette — ce nom lui allait bien — avait décidé que ma dégaine lui seyait et qu’elle allait me faire l’honneur de sa compagnie. Tantôt derrière, tantôt devant et revenant alors souvent vers moi comme pour m’encourager, attendant de voir quel embranchement je prenais pour s’y engager ou revenant à mon appel quand elle avait pris l’autre, ma nouvelle copine ne m’a plus quitté de l’après-midi.

Moi qui depuis toujours marche seul, elle m’a fait découvrir le plaisir de se promener avec un chien. Je me suis même surpris à rêver qu’elle m’adopte définitivement et qu’elle m’accompagne jusqu’à la Méditerranée…

Mais les bonnes choses ont une fin et le rêve a tourné court. Arrivée sans doute aux limites de son territoire, Jacounette a soudain fait demi-tour. Sans un regard vers son compagnon à deux pattes, elle a repris en trottinant le chemin en sens inverse, me laissant seul et un peu triste.

Adieu, Jacounette, gentille chienne. Un jour, je parlerai de toi dans mon blog.

Chez George

Traversée Nord-Sud, étape n°36 : Buxières d’Aillac -> La Châtre (samedi 23/07/2011)
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Au Pays de George Sand

Dur dur aujourd’hui, et pourtant, après des jours et des jours de marche sous la pluie, il a fait beau enfin. Conséquence sans doute des longues étapes précédentes et des courtes nuits sous la toile de tente mouillée, je me suis traîné toute la journée, avec des douleurs partout, le dos, les épaules, les hanches… comme un avant-goût de vieillesse. Une étape qui m’a rappelé celle du Chemin de Stevenson, l’année dernière, entre Le-Pont-de-Montvert et Florac, la seule où pendant une heure ou deux j’avais sérieusement envisagé de déclarer forfait.

Aujourd’hui aussi, l’étape a été longue mais j’ai eu la chance de trouver à deux reprises des havres parfaits, l’un pour déjeuner au bord d’un ruisseau, l’autre vers 16 h pour piquer un roupillon dans l’herbe, en plein soleil avec mon chapeau sur le nez. Requinqué par ce petit somme, je suis vaillamment reparti vers La Châtre, où j’arrive maintenant. La Châtre, parfaite sous-préfecture… Je suis dans l’Indre, département 36, où se termine la 36e étape de cette TNS.

Pour la première fois depuis Blois, où j’ai traversé la Loire il y a semaine, je vais dormir entre quatre murs et sous un toit en dur car, lassé des nuits humides, j’ai réservé hier un hôtel pour ce soir. Taquine, c’est le jour que la météo a choisi pour se mettre au beau mais ne faisons pas la fine bouche : la salle de bains sera la bienvenue, aussi bien pour moi que pour laver mon linge.

Circuit George Sand
Peu après le Lycée George Sand, la rue Frédéric Chopin croise l’avenue George Sand (mais pas de Boulevard Alfred de Musset à l’horizon, bizarre). Tiens, voici l’impasse George Sand et, quelques pas plus loin, une affiche conseillant de visiter la Maison George Sand, puis un panneau vantant les mérites du Musée George Sand… Ce sera pour autre fois. Il est trop tard ce soir, et de toute façon je ne pense plus qu’à atteindre l’hôtel.

Ça y est, je vois son enseigne ! M’y voici enfin. Quelle surprise ! Dans le hall d’entrée, pour accueillir les visiteurs, trône un grand portrait de… devinez qui ?

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