Marcher seul

seul

Certaines personnes vous diront que les randonneurs solitaires sont forcément des misanthropes, ou bien qu’ils sont seuls parce qu’ils n’ont trouvé personne pour les accompagner. Je pense que la réalité est tout autre. Aussi étonnant que cela puisse paraître, marcher seul favorise au contraire les échanges avec les personnes que l’on croise car on est alors bien plus disponible pour discuter avec elles et pour les écouter.

Marcher en groupe est une excellente façon de partager des moments agréables avec sa famille ou ses amis, de discuter, de rire, et parfois aussi de se mesurer à eux dans un esprit de compétition, mais le groupe une fois créé risque fort de rester centré sur lui-même et d’imposer sa présence à ceux qu’il croise plutôt que de s’ouvrir à eux.

Le marcheur solitaire, qui ne gère que lui-même, est forcément plus disponible, et il peut même avoir des efforts à faire pour être accepté par autrui.

Je crois que l’on choisit de marcher seul pour mener son itinérance comme on l’entend, à son rythme et en la maîtrisant de bout en bout, pour marcher en toute liberté en ayant toujours la possibilité de changer d’avis, de ralentir ou de forcer le pas, de modifier sa route ou de s’arrêter là et quand on le décide. Quelques couples (amis ou conjoints) y arrivent aussi mais c’est pratiquement impossible quand on est plus de deux.

« Oui, mais… tout seul, on s’ennuie ! » dira-t-on. C’est vrai, la marche est parfois monotone, à cause de la régularité du paysage, du mauvais temps, de la fatigue ou de notre état d’esprit du jour, et parce qu’au fond, marcher, c’est faire toujours la même chose, c’est sans cesse « mettre un pied devant l’autre et recommencer ».

Mais cette monotonie n’est pas de l’ennui. S’ennuyer c’est ne rien faire, et quand on marche, on fait quelque chose… puisque, justement, on marche ! En regardant on l’on pose les pieds, en observant le paysage, en cherchant son chemin… on fait toujours quelque chose. Lorsque le corps est bien rodé et qu’il ne souffre plus de l’effort au long cours qu’il fournit, l’esprit se libère. Au fil des heures, la pensée devient flottante et le temps passe comme coule une eau tranquille, sans obstacle, affranchi des inquiétudes du quotidien et des aiguilles de l’horloge.

Vers Compostelle (Antoine Bertrandy)
« Si la vie même, le passage du temps alloué à chacun d’entre nous a l’allure d’un voyage, le plus souvent c’est à un voyage à pied que nous la comparons : tous nous sommes des pèlerins qui cheminons dans le paysage de nos histoires personnelles. L’image du marcheur solitaire, actif, qui traverse l’existence sans vraiment s’y installer correspond à une vision très forte de la condition humaine [...] La métaphore de la marche retrouve une dimension littérale chaque fois que nous nous déplaçons à pied. Si la vie est un voyage, lorsque nous voyageons vraiment nos vies deviennent plus tangibles : nous allons vers un but, pouvons mesurer notre progression, comprendre nos exploits. »

Rebecca Solnit — L’art de marcher (Actes Sud – Babel, 2014)

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