De Langogne à Chaudeyrac

Sur le chemin de Stevenson [1]

Entre Langogne et Chaudeyrac
Et c’est parti ! Une première étape courte et avec peu de dénivelé, pour se mettre en jambes. Le ciel gris dès le matin promet visiblement d’arroser l’événement sous peu. Qu’importe, je suis équipé, et de toute façon, je préfère encore une pluie fine à un soleil écrasant.

Malgré ma volonté de limiter le plus possible le poids de mon sac à dos, j’ai emporté l’indispensable topoguide du GR 70, mais aussi les six cartes au 1/25.000 qui couvrent le parcours. Ajoutons à cela le GPS de mon iPhone 3G, équipé de l’excellent logiciel Iphigénie qui donne accès aux cartes du Géoportail de l’IGN.

Eh bien, rien de tout cela n’est vraiment nécessaire aujourd’hui, tant le balisage de ce début de parcours est luxueux. Outre les balises blanches et rouges du GR que connaissent tous les randonneurs, il y a à chaque croisée de chemins de véritables poteaux indicateurs qui empêcheraient le plus distrait des randonneurs solitaires de se tromper de direction : ”GR 70 – Chemin de Stevenson”. Merci les gars !

Bienvenue à Saint-Flour-de-Mercoire
À Saint-Flour-de-Mercoire, une cérémonie devant le monument aux morts me rappelle que nous sommes le 8 mai. Vieux messieurs endimanchés avec veste et bérêt arborant leurs décorations, gerbes de fleurs, deux ou trois tambours et trompettes. Plongée en France profonde. Ambiance bon enfant, les anciens soldats sourient à ce type qui fait une marche d’approche alors que personne ne l’y oblige, et je les salue en retour.

La progression est facile, ponctuée par la traversée de quelques hameaux et de rares villages. Le crachin persistant ne mouille pas vraiment. Il ne fait pas disparaître les plaques de neige qui persistent dans les champs et les bois, et deviennent plus abondantes au fur et à mesure que l’on monte de 900 m à 1200 m d’altitude. C’est une montée en douceur, presque sans s’en rendre compte. Seule l’arrivée à Chaudeyrac oblige à passer de l’autre côté d’un vallon, par une descente abrupte suivie d’une remontée… courte mais bonne.

Le passage par Fouzillic et Fouzillac — ou est-ce l’inverse — n’a pas donné lieu aux mauvaises rencontres que fit Stevenson : aucun mauvais plaisant ne m’a fait prendre un mauvais chemin et obligé à passer la nuit dehors. Me voici arrivé à l’hôtel où je vais pouvoir me doucher et changer de vêtements : douche et lessive sont les deux mamelles du randonneur.

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Étape du jour : Langogne (Alt. 920 m) – Chaudeyrac (Alt. 1140 m) – 16 km

Sur le Chemin de Stevenson – Langogne

Carte du Chemin Stevenson

Ce qui à partir de demain représentera une journée entière de marche est franchi en quelques minutes aujourd’hui par ce TGV qui file vers le sud.

De l’autre côté de la vitre, sous un ciel bleu que je n’attendais pas et dont je crains qu’il disparaisse bientôt, la végétation a commencé à changer. Les pins sont apparus, les fleurs sur les talus sont plus nombreuses.

C’est là ou presque que j’arriverai à pied à la fin de la semaine prochaine après huit jours de randonnée sur le Chemin de Stevenson. La lecture du « Voyage dans les Cévennes avec un âne », ce merveilleux petit livre de Robert Louis Stevenson dont j’ai déjà parlé dans ce blog, m’a donné l’envie de marcher sur les traces de son auteur.

Par manque de temps, je ne pourrai pas partir comme lui du Monastier-sur-Gazeille ; ma randonnée sera raccourcie de trois journées et commencera à Langogne. Je prévois de rejoindre Saint-Jean-du-Gard en huit étapes qui me feront traverser le département de la Lozère du nord au sud, à travers le Velay, le Gévaudan et les Cévennes. Je marcherai seul, sans la compagnie d’aucun âne… en dehors de moi-même.

Langogne – La Chapelle des Pénitents

Mais d’abord, il faut rejoindre Langogne. Depuis Nîmes, ce Train Express (sic) Régional met plus de temps qu’il n’en avait fallu pour rallier Nîmes depuis Paris. Pendant ces quelques heures, le temps et la végétation se modifient à nouveau, mais dans l’autre sens. Des nuages apparaissent puis se multiplient, le ciel devient gris et se rapproche du sol. Le train remonte vers le nord, il monte aussi en altitude. On quitte progressivement le Midi pour entrer dans le Massif Central, une région montagneuse et rude, où la neige brille encore sur les sommets.

Langogne est une ville tout en longueur, construite le long d’une rivière, le Langouyrou, affluent de l’Allier. Elle est surtout située le long d’une rue principale dans laquelle les voitures passent à toute allure. Un vieux Langogne subsiste pourtant, dont on peut découvrir ça et là des morceaux épars. Une église romane du XIIIe siècle, une ancienne halle, une Chapelle des Pénitents (photo ci-contre) sont faciles à trouver si l’on s’écarte de la rue principale pour flâner. Pas besoin d’aller très loin étant donné la taille de la ville, mais il faut chercher un peu.

Il pleuviotte et il ne fait pas chaud. Un « collègue » randonneur, qui a déjà marché trois jours depuis Le Puy-en-Velay, m’apprend au dîner que pendant son étape d’hier entre Le Monastier et Le Bouchet Saint-Nicolas, il a dû marcher dans 30 centimètres de neige pendant plusieurs kilomètres. Voilà qui promet pour la suite. Allez, au lit, demain l’aventure commence.

Pâques

La pleine lune
La pleine lune
Chaque année, j’essaie désespérément de me rappeler comment la date de Pâques est déterminée, et chaque année, je me rends compte que j’ai encore oublié.

C’est pourquoi j’ai décidé de l’écrire une bonne fois pour toutes, pour aider les neurones qui me restent à mémoriser la recette ci-dessous :

Pâques est célébrée le dimanche
qui suit la première pleine lune
survenant après l’équinoxe vernal
ou le jour de cet équinoxe

L’équinoxe est ce moment de l’année ou le centre du soleil est situé exactement au-dessus de l’équateur terrestre. L’équinoxe vernal définit le premier jour du printemps dans l’hémisphère nord, et de l’automne dans l’hémisphère sud. Il peut tomber le 19, le 20 ou le 21 mars.

L'équinoxe
L’équinoxe
La pleine lune est une phase de la lune qui survient quand la lune est située du côté de la Terre opposé au soleil. À ce moment-là, sa face visible est directement éclairée par les rayons du soleil et apparaît parfaitement ronde. Comme la durée du mois lunaire est de  29,531 jours, l’intervalle entre deux pleines lunes est de 29 ou 30 jours. La date des pleines lunes varie selon les mois de notre calendrier solaire.

Donc…
« Pâques est célébrée le dimanche qui suit la première pleine lune survenant après l’équinoxe vernal ou le jour de cet équinoxe. » … OK.

Le printemps dans l’hémisphère nord — et l’automne dans l’hémisphère sud — a débuté le samedi 20 mars cette année. …OK.

La première pleine lune après ce jour est survenue mardi dernier 30 mars. Donc, Pâques tombe aujourd’hui, dimanche 4 avril. Hé, ça marche !

Réunion de la commission des réformes du calendrier julien
Réunion de la commission des réformes du calendrier julien.
Peinture sur bois, 1582 — Sienne, Italie.
En fait, l’affaire est (encore) un peu plus compliquée car ce qui est décrit ci-dessus n’est valable que dans les pays de culture catholique ou protestante, qui utilisent le calendrier grégorien. Le plus employé dans le monde aujourd’hui, ce calendrier a été créé en 1582 par un décret du Pape Grégoire XIII (d’où son nom de grégorien), en lieu et place du calendrier julien mis en place par Jules César en 46 avant J.-C.

Le pape avait suivi les conseils d’une commission spécifique selon lesquels 10 jours devaient être sautés afin de synchroniser à nouveau le calendrier avec les saisons. C’est ainsi que le jeudi 4 Octobre 1582 — dernier jour du calendrier julien — a été suivi par le vendredi 15 Octobre 1582 — le premier jour du calendrier grégorien.

Pour les églises chrétiennes qui utilisent encore le calendrier julien, les églises orthodoxe et maronite essentiellement — en Russie, en Roumanie, en Grèce, au Liban, etc.. — Pâques est donc le plus souvent célébré un autre jour que chez nous.

Les choses sont d’ailleurs rendues encore plus compliquées par le fait que non seulement il y a une différence de 13 jours entre les calendriers julien et grégorien, mais que la date de la pleine lune prise en compte par les églises orientales n’est pas sa date réelle de survenue, mais sa date théorique, qui diffère maintenant de 5 jours de la date réelle.

Bref. Cette année, il se trouve que la date de Pâques est la même pour tout le monde. C’était bien la peine de se donner tout ce mal. D’autant que je me demande ce que je me rappellerai de tout cela l’année prochaine…

Beat Generation

Manuscrit de Sur la route
J’ai regardé récemment sur le web une vieille émission télé de Radio-Canada au cours de laquelle Jack Kerouac était interrogé en français, sa langue maternelle, sur son enfance, ses voyages et sur la « Beat Generation », une expression qu’il a inventée. L’enregistrement date de 1967. A cette époque, l’écrivain avait 45 ans et son alcoolisme avait déjà fait beaucoup de dégâts (il est mort en 1969 d’une hémorragie digestive compliquant une cirrhose alcoolique). L’émission vaut toutefois largement la peine d’être regardée (cliquer ici).

Jean-Louis Lebris de Kerouac est né à Lowell, Massachussetts, dans une famille de Canadiens français, quelques années après que ses parents ont quitté le Québec pour chercher un emploi en Nouvelle-Angleterre, comme beaucoup d’autres Québécois de leur génération. La famille Le Bihan de Kervoach était originaire de Huelgoat, dans le Finistère. « Ti-Jean » Kerouac ne commença à apprendre l’anglais qu’à partir de six ans, et ne parla jamais chez ses parents autrement qu’en français (ou, plus précisément, en joual).

L’expression « Beat Génération » fait principalement référence à un petit groupe de poètes et écrivains américains des années cinquante : Jack Kerouac lui-même, William S. Burroughs, Allen Ginsberg et Gregory Corso. Dans son interview à la télévision québécoise, Jack Kerouac explique qu’il a forgé ce terme comme une triple référence : d’une part aux pauvres de son pays, particulièrement les noirs, harassés de travail (« dead-beat » en argot américain veut dire « crevé », « éreinté »), ensuite au Jazz (« the beat » signifie « le rythme »), et enfin à la béatitude religieuse… et que l’idée lui en est venue alors qu’il se trouvait dans une église catholique.

Autant Kerouc se réclamait de la « Beat Generation » autant il détestait le mot « Beatnik », inventé en 1958 par un journaliste du San Francisco Chronicle’s avec une intention clairement péjorative : c’était en effet une référence transparente au satellite russe Spoutnik, qui cherchait à faire passer l’idée que les Beatniks, d’une part se plaçaient en dehors du cours normal de la société, ce qui était sans conteste vrai, et d’autre part qu’ils étaient pro-communistes, ce qui était faux ; il y a peu de ressemblances entre la philosophie des Beatniks et celle des communistes, en dehors d’une antipathie commune pour le consumérisme et le capitalisme.

En dépit de ce sous-entendu péjoratif, le mot « Beatnik » est rapidement devenu un label revendiqué par ce nouveau stéréotype d’hommes portant le bouc et le bérêt, et de femmes aux longs cheveux habillées de fuseaux noirs. Les Beatniks étaient partisans de la déségrégation ; ils aimaient le jazz et étaient très ouverts à la musique et à la culture des noirs américains. Ils étaient ainsi considérablement en avance sur leur époque, et ils ouvrirent la voie à la génération suivante, les « Hippies » des années soixante.

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Photo : Une illustration de la méthode « d’écriture spontanée » utilisée par Kerouac : le manuscrit de Sur la route, dactylographié sur un rouleau de papier de près de 40 mètres de long.

La photo, ce n’est pas une question d’appareils

Le Turul, oiseau sacré des Magyars
Le Turul, oiseau sacré des Magyars

J’ai passé la majeure partie du dernier week-end à classer et à sauvegarder sur DVD les photos prises pendant mes voyages des trois dernières années. Près de vingt mille photos, dont plus d’un millier prises lors des deux semaines que je viens de passer au Viêt Nam.

Je reconnais volontiers qu’il n’y pas là de quoi être fier : avec les appareils numériques, il n’y a rien de plus facile que de mitrailler à tout va, en espérant que dans le lot de toutes ces photos prises sans réfléchir, il y en aura bien quelques-unes de bonnes.

D’ailleurs, beaucoup des photos que j’ai prises au cours de ces trois ans dans une vingtaine de pays différents n’ont guère de « valeur artistique ». Il y a beaucoup de souvenirs personnels et de clichés touristiques banals. Au plan purement photographique, je suis satisfait d’une cinquantaine de clichés tout au plus — et je me sens plutôt indulgent aujourd’hui. La photo ci-dessus est l’une de celles-là. Et puis, je l’aime aussi parce qu’elle a une histoire.

La photo, ce n’est pas une question d’appareils, de bidules et de gadgets. C’est une question de photographe. Un appareil photo n’a jamais fait une grande photo, pas plus qu’une machine à écrire n’a jamais écrit un grand roman »
— Peter Adams

J’ai passé neuf jours en Hongrie en juillet 2007, à marcher et à faire des photos. Il y avait alors une vague de chaleur en Europe centrale, avec des températures de l’ordre de 40°C, ce qui ne m’avait pas dissuadé d’arriver là-bas avec tout mon attirail dans le sac à dos, plus un trépied, bref un matériel plutôt lourd et encombrant, vous pouvez me croire.

Après sept jours passés à marcher sous la canicule dans la campagne et les villages hongrois, me voici à Budapest. Je peux enfin laisser ce satané sac à dos, le trépied et tout le toutim dans une chambre d’hôtel et partir explorer la ville en n’emportant que mon appareil photo dans un petit sac.

La Magyar Gemzety Galleria, la Galerie Nationale de Hongrie, est située dans le Palais de Buda qui domine le Danube. Appareil photos interdits même pour les collections permanentes, obligation de laisser sacs et appareils photos dans un casier. Bon, tant pis, « Dura lex sed lex ». Sauf que, dans un couloir du dernier étage, entre deux salles d’expositions, voilà qu’apparaît à travers une fenêtre une scène qui n’est visible de nulle part ailleurs dans la ville : le Turul, l’oiseau sacré légendaire des Magyars, étend ses ailes au-dessus de Pest qu’il domine et surveille par-dessus le Danube.

Je m’arrête, je rajuste un lacet qui n’en a nul besoin pendant que le gardien passe à côté de moi, et une fois qu’il a le dos tourné, je fais en cachette un cliché avec mon téléphone portable. Un seul cliché. Avec un vieux téléphone portable, 1 megapixels. Sans réglage. A travers une vitre.

D’accord, la définition est médiocre. On devine le reflet de ma chemise sur la vitre. Mais c’est une photo qui a été voulue, construite en pensée avant que j’appuie sur le déclencheur. Une bonne photo, et à coup sûr ma préférée parmi celles prises pendant ce voyage en Hongrie.

Bienvenue

Michel de Montaigne« C’ est ici un livre de bonne foi, lecteur. Il t’avertit dès l’entrée que je ne m’y suis proposé aucune autre fin que domestique et privée. [...] Je veux qu’on m’y voie dans ma façon d’être simple, naturelle et ordinaire, sans recherche ni artifice : car c’est moi que je peins. Mes défauts s’y liront sur le vif, ainsi que ma manière d’être naturelle [...]
Ainsi, lecteur, je suis moi-même la matière de mon livre : il n’est pas raisonnable que tu emploies ton loisir en un sujet si frivole et si vain. Adieu donc ; de Montaigne, ce premier mars mil cinq cent quatre-vingt. »

Tenir un blog est une drôle de manie. On passe un temps fou à écrire des billets, et encore plus de temps à y penser. Parfois, on à la tête bourdonnante d’idées, et à d’autres moments rien ne vient. Pour certains, c’est une sorte de journal qui n’a plus rien d’intime, un journal exhibitionniste. En ce qui me concerne, coucher mes pensées par écrit est avant tout le moyen de les mettre en ordre.

Le blogueur est par définition immodeste, qui a choisi de faire profiter l’ensemble de l’univers de ses idées, de ses sentiments, de ses souvenirs. Ses écrits, ses photos en valent-ils réellement la peine ? Réponse raisonnée : « Je sais bien que non » ; pensée non exprimée : « Un petit peu, parfois, j’espère ».

Ce site est essentiellement le support, en textes et en images, du récit de mes voyages, à l’autre bout du monde ou au coin de la rue. On n’y lira rien de précis sur ma vie personnelle (ça va plutôt pas mal, merci) ou professionnelle (je suis néphrologue à Paris).

Toutefois, celui qui écrit se dévoile forcément, par les sujets qu’il choisit et la façon dont il les traite. En quelque sorte donc, que je parle d’art ou de politique, de livres ou de films, des rues de Saigon ou des chemins de Picardie, « c’est moi que je peins ».

« Adieu donc »… ou bienvenue.

La journée internationale des droits des femmes

Le Panthéon de Paris — Journée internationale des femmes, 8 mars 2008.
Le Panthéon de Paris
Journée internationale des femmes 2008
Je dois dire que je suis assez partagé sur cette « Journée internationale des droits des femmes » dont on célèbre aujourd’hui la centième édition.

Il ne fait pas de doute que les femmes ne sont toujours pas considérées comme les égales des hommes dans de nombreux pays, pour des raisons culturelles ou religieuses. Même dans les pays occidentaux, il n’y a pas d’égalité réelle entre les sexes dans de nombreux domaines, les salaires en particulier.

Pour autant, je ne crois pas qu’une célébration annuelle puisse faire changer la façon dont les hommes considèrent les femmes, ou fasse évoluer quelque religion que ce soit. Il me semble que ce genre d’événement permet surtout aux hommes de se donner bonne conscience à peu de frais : une journée de la femme célébrée une fois par an certes, mais aussi, chaque année, 364 journées de l’homme bien réelles même si elles ne sont pas célébrées.

Les rues de Saigon

Dans une rue de Saigon
La ville où je viens d’arriver ne s’appelle plus réellement Saigon mais Ho Chi Minh-Ville depuis 1976. Tous ses habitants continuent pourtant à l’appeler ainsi — sauf les officiels, et ce blog est tout sauf officiel, alors…

Le nom de Saigon dérive paraît-il d’un terme khmer signifiant « forêt de kapokiers ». Le village originel était en effet, il y a quelques siècles, un comptoir commercial khmer situé à l’extrémité sud-est du Cambodge, dans une région marécageuse et couverte de forêts. Ce sont les Vietnamiens qui lui donnèrent ce nom, auquel ils tiennent visiblement, lorsqu’ils conquirent la région au 18e siècle.

Ce qui est vrai pour la ville l’est aussi pour les noms de rue, qui ont souvent changé deux ou trois fois depuis la seconde guerre mondiale. Tous les noms de rue français ont disparu en 1954 après Dien Bien Phu, sauf quatre : Louis Pasteur, Albert Calmette, Alexandre de Rhodes et Alexandre Yersin. Pourtant, on aurait tort de croire que cela ait beaucoup fait changer les habitudes des Saigonais.

Par exemple, la fameuse rue Catinat a été rebaptisée Ðuong Tu Do (Rue de la Liberté) en 1954, puis Ðuong Dong Khoi (Rue du Soulèvement populaire) après la réunification en 1975, mais beaucoup de gens l’appellent toujours de son ancien nom. Pour les artères moins connues, il peut arriver qu’un chauffeur de taxi doive demander à un collègue quel est l’ancien nom de telle ou telle rue pour savoir où emmener ses clients.

A toute heure du jour à Saigon, les rues sont envahies par des milliers de deux-roues, motocyclettes surtout et vélos. Moins nombreuses, les voitures et les cyclopousses complètent le tableau. Il n’est pas rare de voir trois ou quatre personnes sur un seul scooter, ou des charges impressionnantes posées sur le porte-bagage dans un équilibre à l’évidence moins instable qu’il y paraît puisqu’on ne voit jamais rien tomber.

Toutes ces mobylettes se croisent dans une complète anarchie, mais avec une précision et une efficacité impressionnantes, très similaires aux chemins sinueux que suivent les piétons dans une gare un jour d’affluence : ils calculent leur trajectoire, obliquent un peu à gauche ou à droite pour éviter les autres obstacles mobiles, ralentissent ou accélèrent, et se croisent aux carrefours d’une manière presque aussi impeccable que les motards de la Garde Républicaine. « Et les feux rouges alors ? » me direz-vous. Ah ah, vous, vous ne connaissez pas ce dicton vietnamien : « Les feux rouges, en Allemagne, c’est impératif. En Italie, c’est facultatif. Au Vietnam, c’est décoratif ».

Mobylettes à Saigon
Ce qui est également assez décoratif, ce sont les tenues des cyclomotoristes. Beaucoup d’entre eux se protègent de la pollution par des masques que les dames et demoiselles assortissent habituellement au reste de leur tenue.

La pollution n’est toutefois pas la seule raison de ces masques. La coquetterie s’y mêle aussi, qui explique les longs gants colorés portés par beaucoup de femmes malgré la chaleur pour protéger leur peau du soleil : comme c’était le cas chez les européennes de la « bonne société » jusqu’aux années 1930 en Europe, il est ‘chic’ au Vietnam d’avoir la peau la plus claire possible.

Voyages avec un âne

R.L. Stevenson — Voyages avec un âne dans les Cévennes


Je savoure en ce moment la lecture d’un délicieux récit de Robert-Louis Stevenson, Voyages avec un âne dans les Cévennes (1), livre de jeunesse du futur auteur de L’île au trésor et de L’étrange cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde.

Il y raconte son périple de deux semaines dans les Cévennes, de Monastier à Saint-Jean-du-Gard, avec pour seule compagne une ânesse baptisée Modestine, « pas beaucoup plus grosse qu’un chien, de la couleur d’une souris, avec un regard plein de bonté et une machoîre inférieure bien dessinée. Il y avait autour de la coquine quelque chose de simple, de racé, une élégance puritaine, qui frappa mon imagination ».

La ‘coquine’, en effet, lui en fait voir de rudes, mais le jeune Stevenson découvre au cours de son périple l’empathie des rencontres, la magie des paysages, l’ivresse de la liberté.

Cette marche au pays des camisards lui fournit le matériau d’un livre revigorant, drôle et optimiste, qui est aussi l’un des premiers textes où la marche et le bivouac soient décrits comme des sources de plaisir et non comme un moyen fastidieux de se déplacer d’un endroit à un autre.

Lorsqu’il prépare son périple, il fait par exemple fabriquer par un artisan local un sac « en bâche verte imperméable à l’extérieur et en fourrure de mouton bleue à l’intérieur, commode comme valise, sec et chaud comme lit », bref ce qu’on peut considérer comme le premier sac de couchage de randonneur.

En fait, en cet automne 1878, Robert-Louis Stevenson invente un nouveau loisir, la randonnée pédestre, sans savoir qu’un jour le GR70 alias Chemin de Stevenson qui suit le tracé de son périple serait l’un des chemins de grande randonnée français les plus populaires parmi les marcheurs de tout poil.

(1) Une « édition critique à partir du manuscrit intégral », qui inclut aussi les dessins, lettres et documents divers rapportés de son voyage par Robert-Louis Stevenson est publiée par le Club Cévenol sous le titre Journal de route en Cévennes (Éd. Privat, 2008)

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Photo : Couverture de Voyages avec un âne dans les Cévennes (Coll. 10/18, éd. 2007), détail de la toile de Mark Aldlington intitulée Wild Ass, Rann of Kutch (collection privée  / The Bridgeman Art Library).

Les ailes du désir

Les ailes du désir
J’ai retrouvé hier la cassette vidéo du film de Wim Wenders Les ailes du désir (Der Himmel über Berlin). Je n’avais pas vu ce film depuis longtemps et n’étais pas sûr qu’il éveillerait encore cette sensation de bonheur et de joie de vivre dont j’avais gardé le souvenir.

Le son de cette version VHS est médiocre et les couleurs de l’humanité sont un peu fanées, mais le noir et blanc angélique d’Henri Alekan est resté magnifique. Peu importe de toute façon : j’ai retrouvé dans ce chef-d’oeuvre la légèreté et la poésie que je me rappelais, cette espèce de joie mélancolique qui parcourt le film et résume la condition d’humain.

Ich weiss jetzt, was kein Engel weiss »
— Damiel

Les ailes du désir est à mon avis l’un des plus grands films de l’histoire du cinéma. Une oeuvre à part, féérique et onirique, humaniste et optimiste, qui fait se sentir heureux d’être vivant. Pendant quelques heures au moins, elle rend capable d’aimer et de pardonner aux humains, nos semblables, d’être ce qu’ils sont.

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