De Florac au Cauvel

Sur le Chemin de Stevenson [6]

La Mimente
En longeant la Mimente
Le second souffle est arrivé aujourd’hui comme je l’espérais. Une bonne nuit a suffi à me remettre d’aplomb et cette étape m’a paru facile, d’autant qu’aujourd’hui aucun sommet n’était à franchir.

Après la sortie de Florac, le chemin longe pendant de nombreux kilomètres La Mimente dont les gorges sont magnifiques (et probablement encore plus lorsque le temps est ensoleillé). D’un  côté du cours d’eau, puis de l’autre, il suit l’ancien tracé de la voie ferrée. On passe sur des ponts, on traverse des tunnels obscurs, on domine un paysage de gorges splendides.

On est maintenant en plein pays camisard. Cassagnas fut dit-on un dépôt d’armes pour les huguenots révoltés. Son ancienne gare sert maintenant de gîte à bien des randonneurs. Je ne m’y arrête pas car il me reste encore de la route à faire jusqu’au gîte de ce soir, et les nuages s’amoncellent à nouveau.

Une fois la gare de Cassagnas dépassée, le chemin s’infléchit nettement vers le sud. Quittant les bords de la Mimente, il se place dans le prolongement du tracé suivi jusqu’au Pont-de-Montvert et quitté pendant deux jours pour ce petit écart vers l’ouest jusqu’à Florac.

Dans un tunnel
La sortie du tunnel est proche !
Les châtaigners sont partout, ils me protègent un peu de la pluie qui a commencé à tomber. Après la chaleur relative de cette journée, la pluie vespérale fait se dégager des senteurs de bogues et de mousse tandis que je me presse vers le Cauvel.

Les propriétaires du gîte de ce soir sont deux frères aux prénoms bibliques, de ces jeunes paysans actifs et convaincus qui maîtrisent aussi bien l’électricité que la comptabilité, l’internet que les travaux des champs, et dont le prosélytisme semble avoir trouvé un nouveau point d’ancrage dans l’écologie.

L’un d’entre eux plaide avec véhémence en faveur du bio et des petites exploitations pendant que les 18 randonneurs dont il est l’hôte dînent de poulets de supermarché et de riz… Nous apprenons aussi avec intérêt que pour clôturer son terrain, il a fallu 150 km de fil d’aluminium et 6 000 poteaux en bois de châtaigner. Cinq rangées de fil superposées, un poteau tous les 5 mètres, le compte y est : la petite exploitation fait… 30 kilomètres de circonférence. Comme aurait dit le sage, tout est relatif.
___
Étape du jour : Florac (Alt. 546 m) – Le Cauvel (Alt. 770 m) – 22 km

Du Pont-de-Montvert à Florac

Sur le Chemin de Stevenson [5]

Escargot
Salut, collègue !
« Il paraît que c’est une étape longue, mais pas difficile : il n’y a pas beaucoup de dénivelé » disait ce matin à l’hôtel une randonneuse à d’autres personnes de son groupe.

En voilà une qui n’a pas dû être déçue… Dur, dur aujourd’hui, j’ai eu l’impression de me traîner toute la journée à la vitesse du collègue de la photo ci-contre, le seul porteur de sac à dos que j’aie dépassé aujourd’hui.

Les montées et les descentes se sont succédées, que mes jambes ont eu du mal à encaisser, surtout les descentes d’ailleurs. L’ascension hier du Sommet du Finiels a laissé des traces, et en outre j’ai été pris par surprise. Je ne m’attendais pas à ce que l’étape d’aujourd’hui soit difficile.

J’aurais pourtant dû deviner que, dès le départ, il faudrait payer le plaisir de la descente enchantée d’hier vers Le Pont de Montvert par une remontée ce matin, de l’autre côté de la vallée du Tarn. Ensuite, ça a été la montée progressive jusqu’au Col de la Planette, puis au Signal du Bougès. Puis redescendre, puis remonter, puis redescendre et remonter encore, pour finir par la descente sur Florac par le raccourci du GR68 qui évite Bédouès mais est raide, très raide !

Pour la première fois aujourd’hui, et bien qu’il n’ait pas fait trop mauvais temps, je me suis demandé au milieu de l’après-midi ce que je fichais là… Et maintenant que je suis arrivé, aïe mes jambes ! Bon, c’était mon cinquième jour de marche, il n’y a rien là que de très normal. Stretching, douche, lessive, un bon dîner, 1 gramme d’aspirine et au dodo ! Demain ça ira mieux.
___
Étape du jour : Le Pont-de-Montvert (Alt. 875 m) – Florac (Alt. 546 m) – 25 km
Sommets franchis : Signal du Bougès (Alt. 1421 m)

Du Bleymard au Pont-de-Montvert

Sur le Chemin de Stevenson [4]

Une montjoie sur les flancs du Mont Lozère
Une Montjoie sur les flancs du Mont Lozère
La nuit a été rythmée par les grondements du tonnerre qui n’ont cessé qu’à l’approche du matin et par le bruit de la pluie tombant à verse sur le sol et les toits environnants.

Vers six heures toutefois, le ciel s’est calmé. Il n’est plus que gris lorsque je me mets en route pour atteindre ce soir Les Cévennes. C’est l’automne au mois de mai, un automne pluvieux, qui me suit jusqu’à la montée vers le Mont Lozère et le Pic de Finiels.

Les marques du GR70 sont très espacées, mais les montjoies me guident vers le sommet, comme elles ont guidé les bergers pendant des siècles le long de ces drailles dénudées qui grimpent sur les flancs du Mont Lozère. Une montée longue et progressive dans un décor de carte postale, une lente ascension vers l’hiver réfugié au sommet du Finiels.

Les Cévennes vues du Finiels
En fait de pic, le Finiels est un plateau de quelques centaines de mètres de diamètre, qui semble habité par les milliers de blocs de pierre qui s’y trouvent. L’effort de l’ascension est récompensé par un spectacle magnifique, quelque soit le coin de l’horizon vers lequel on se tourne : Plomb du Cantal au nord, Aubrac à l’ouest, Mont Gerbier-de-Jonc à l’est, Aigoual et Cévennes au sud.

S’il avait fait beau, j’aurais vu les Alpes, les Alpilles, la mer, qui sait ? Mais il ne fait pas beau. Il vente et il fait froid, il est grand temps de basculer enfin vers le sud et les Cévennes. Les premières centaines de mètres de la descente se font dans 30 centimètres de neige, qui disparaît heureusement au fur et à mesure que la pente s’accentue. Après la descente abrupte et glissante dans les mille ruisseaux que la fonte des neiges a fait naître, c’est le village de Finiels, c’est l’orée des Cévennes.

Vers le Pont-de-Montvert

Quand je peux enfin relever la tête sans risquer de tomber, je m’aperçois que le ciel est bleu, à peine parsemé de quelques nuages blancs. Au cours de la même journée, trois saisons se sont succédées : après l’automne ce matin et l’hiver tout à l’heure, c’est maintenant le printemps.

Adieu – ou plus probablement au revoir – surpantalon et veste imperméables ! Me voici en chemise pour parcourir les derniers kilomètres dans des paysages magnifiques.

Les terres caillouteuses de la face sud du Mont Lozère deviennent joyeuses sous le soleil. A plus basse altitude, des champs vert vif apparaissent, parsemés de milliers de taches jaunes qui signent l’arrivée du printemps. Boutons d’or, ajoncs, genêts, pissenlits, jonquilles… comment se fait-il qu’en certains lieux et à certains moments, la nature décide ainsi d’une couleur dominante pour habiller ses paysages ?

Le Pont-de-Montvert
Dans de telles conditions, la longue descente vers Le Pont-de-Montvert est un moment de pur bonheur. Le bourg lui-même est un joli village au bord du Tarn, avec un pont qui m’évoque, à une échelle réduite, celui de Mostar, en Bosnie, le Stari Most de triste mémoire et où j’étais il y a un an.

Le Pont-de-Montvert, dont le passé est lui aussi marqué par la guerre et les massacres, est maintenant un bel endroit qui fleure bon le midi. L’air ce soir y est léger, et les oiseaux chantent.
___
Étape du jour : Le Bleymard (Alt. 1 069 m) – Le Pont-de-Montvert (Alt. 875 m) – 18 km
Sommet franchi : Pic de Finiels (1 699 m)

De La Bastide-Puylaurent au Bleymard

Sur le Chemin de Stevenson [3]

Matin brumeux sur la Mourade
Ce qui est le plus difficile dans une étape de randonnée, ce n’est pas tant la distance que le dénivelé. L’étape d’aujourd’hui est certes longue, c’est même la plus longue du parcours (29 km), mais c’est aussi une étape variée et avec quelques côtes qui valent le détour — pour les gravir ou pour les éviter, selon le désir de chacun !

Départ de La Bastide-Puylaurent dès huit heures du matin, en prévision de cette longue étape. La bonne nouvelle, c’est qu’il ne pleut plus, mais apparemment il en est de La Bastide-Puylaurent comme de la « Bretagne » d’Astérix : quand il ne pleut pas, c’est qu’il y a du brouillard.

La première ascension de la journée m’emmène au Sommet de la Mourade, qui se poursuit par le Plateau de la Gardille encore recouvert de plaques de neige. Vers 10 heures, la brume se délite enfin, juste à temps pour laisser voir le Rocher de la Réchaubo, bizarre bloc déchiqueté posé à la sortie de la forêt domaniale. Celle-ci est jalonnée par des bornes de pierre, gravées des deux initiales « AF » dont la signification n’est pas évidente.

Mirandol et son viaduc
Le viaduc de Mirandol

La descente vers Chabalier, puis Chasseradès, puis Mirandol, est d’autant plus agréable qu’il fait presque beau maintenant. Pour la première fois en trois jours de marche, je vois un coin de ciel bleu, et ça change tout !

Mirandol est un ravissant village, et le viaduc qui le surplombe et le traverse est impressionnant. Il est drôle de penser que Stevenson, en 1878, a partagé ici une chambre avec des ouvriers chargés de faire des relevés pour la construction de ce même viaduc.

La voie ferrée qu’on longe pendant quelques temps conduit insensiblement à une montée vers le village de l’Estampe, avec en particulier un raccourci abrupt, qui ne fait guère plus d’un kilomètre sans doute, mais qui m’aura coûté bien des efforts et une bonne suée sur un chemin étroit, boueux et couvert de feuilles mortes. En comparaison, l’ascension du Goulet paraît facile.

Le village fantôme de Serreméjean
Serreméjean

Une fois le col passé, le chemin descend doucement dans la forêt. Sur la droite, dissimulées jusque-là par un angle du sentier et aux trois-quarts masquées par la végétation, les ruines du village de Serreméjean sont le témoin de mon passage. Est-ce la dureté de la vie en ce coin isolé qui a conduit ses habitants à abandonner leur village ? Y a-t-il eu une épidémie, une famine, ou la folie des hommes lors des guerres de religion est-elle responsable de cet abandon ?

Le mur en ruine d'une maison de Serreméjean
Apparemment, nul ne le sait plus dans le pays. Petit à petit, la nature y a repris ses droits. Les herbes folles et les orties ont envahi les lieux, le lierre et la ronce se sont emparés des murs de guingois et des fenêtres sans volets.

Je reprend mon chemin. Le village abandonné est maintenant derrière moi. La vie végétale y continue à son rythme, indifférente aux pas du marcheur solitaire qui va rejoindre Le Bleymard, au pied du Mont Lozère.

___
Étape : La Bastide-Puylaurent (Alt. 1 024 m) – Le Bleymard (Alt. 1 069 m) – 29 km
Sommets franchis : Sommet de la Mourade (Alt. 1 308 m), Col du Goulet (Alt. 1 413 m)

De Chaudeyrac à La Bastide-Puylaurent

Sur le Chemin de Stevenson [2]

Cheylard-l'Évêque
L’arrivée sous Cheylard-l’Évêque
Réveil spontané à 6 heures après une nuit agitée, marquée par des rêves d’inondation d’un appartement imaginaire, l’eau ruisselant de toutes parts et refluant par toutes les ouvertures.

Pas difficile de comprendre ce qui a inspiré ce rêve aquatique : il pleut à verse sur le toit en zinc situé en contrebas de la fenêtre de ma chambre. Le temps de prendre un bon petit déjeuner et de préparer mon sac, la pluie a cessé mais le ciel reste d’un noir d’encre. Tant pis, je ne suis pas venu jusqu’ici pour faire du stop, en route !

Les cinq kilomètres qui relient Chaudeyrac au GR70, juste après Cheylard-l’Évêque, sont un joli tronçon de chemin, d’autant plus agréable qu’il ne pleut pas. Le sentier fait découvrir Cheylard par en-dessous. À la sortie d’un virage, on découvre soudain, en haut et sur la gauche, l’église du village perchée sur un rocher, surmontée d’une monumentale statue de la Vierge.

Vite dépassé toutefois et vite oublié. Il y encore bien du chemin à faire et le temps se gâte. Quelques gouttes d’abord, une simple bruine, puis un crachin froid et tenace, qui s’accentue progressivement et devient une vraie pluie qui mouille. Il faut enfiler veste et surpantalon imperméables, bâcher le sac et mettre la cape de pluie.

Enfiler un surpantalon alors qu’on a aux pieds des chaussures de marche à tige haute est un exercice d’équilibriste assez intéressant. Le talon d’une chaussure bloqué dans la jambe du surpantalon, c’est miracle que je ne me casse pas la figure dans la gadoue, moins gêné d’ailleurs par la pluie que par le fou-rire qui me gagne, comme spectateur unique de ce pauvre gars qui cherche à conserver son équilibre dans la pluie et le vent, tout seul et sans aucun abri en vue. Voilà ce qui s’appelle se construire des souvenirs me dis-je en m’essuyant des yeux mouillés de larmes et de pluie.

Les ruines du château de Luc
Tout le reste de la journée va être à l’avenant. Quelques kilomètres sont particulièrement pénibles, entre Luc et Rogleton, sur une route goudronnée battue par le vent et sous des trombes d’eau. Pas question dans ces conditions de faire le détour envisagé jusqu’à la Trappe de Notre-Dame des Neiges , où Stevenson avait fait halte pendant quelques jours, ces kilomètres supplémentaires seraient pur masochisme.

Bien plus tard, à l’hôtel, alors qu’à dix heures du soir il pleut toujours, je regarde la météo : « temps gris et pluvieux jusqu’à la fin de la semaine prochaine »… c’est-à-dire jusqu’à la fin de la randonnée. Bon, je ne suis pas exigeant, ce n’est plus du beau temps que j’espère, c’est de ne pas marcher sous un déluge perpétuel. S’il ne pleut pas à verse, je serai content ; les nuages, le ciel bas et lourd, je prends !

Demain la plus longue étape de la rando, 29 kilomètres pour arriver au Bleymard, au pied du Mont Lozère. S’il fait le même temps qu’aujourd’hui, ça promet.

___
Étape du jour : Chaudeyrac (Alt 1140 m) – La Bastide Puylaurent (Alt 1024 m) – 23 km

Licence Creative Commons    Lignes de Fuite - 2010