Blockhaus
- Publié le Samedi 25 septembre 2010
- par Serval
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Traversée Nord-Sud, étape n°3 : Gravelines -> Calais (dimanche 18/07/2010).
Vous pouvez aussi voir ici la liste de toutes les étapes de la Traversée Nord-Sud.
Depuis mon départ de Gravelines ce matin, la température n’a cessé de grimper. Le soleil tape dur sur le sable de la plage et des dunes, et semble d’autant plus fort qu’il ne souffle aujourd’hui sur le rivage qu’une inhabituelle petite brise de terre. La mer s’est retirée à l’horizon. S’il n’y avait toutes ces herbes folles sur les dunes et ces bouquets d’euphorbes, je pourrais me croire dans un désert.
Il est presque deux heures, midi au soleil. Il fait chaud, il fait soif et il commence à faire faim. Au détour d’une dune, une étendue d’eau isolée apparaît juste à propos, un bel étang d’une centaine de mètres de diamètre. L’eau est fraîche, lisse et bleue, comment résister ? Par terre le sac à dos, sur le sable mes habits, et hop, à l’eau !
Après quelques minutes de nage rafraîchissante, je m’installe sur le sable au pied d’une drôle de petite cabane pour déjeuner tout en séchant au soleil. Quel bel endroit… la vie n’est-elle pas merveilleuse ? Sauf que. Je réalise progressivement que la cabane près de laquelle je suis assis est une hutte de chasse, un « gabion » ; que cette belle étendue d’eau est une « flaque », un de ces étangs artificiels créés par l’homme pour la chasse au canard.
C’est uniquement parce que nous sommes encore en juillet que j’ai pu profiter du sable, du soleil et de l’eau bleue. Parce que la période de chasse n’est pas encore ouverte. Pour quelques semaines encore, les oiseaux sauvages ne risquent rien et même un randonneur solitaire peut se promener librement et sans danger en ce lieu.
Le petit coin de paradis que j’occupe depuis une heure avec bonheur, cet oasis de calme et de fraîcheur, n’est qu’un leurre. Dès le mois d’août, c’est la mort qui règnera ici. Des groupes d’hommes armés viendront passer la nuit dans le petit blockhaus qui me surplombe et qui a été construit — comme les autres blockhaus dont le béton et la ferraille souillent les plages et les dunes de cette belle région — dans le seul but d’être à l’abri pour tuer.À Grande-Synthe
- Publié le Mercredi 22 septembre 2010
- par Serval
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Traversée Nord-Sud, étape n°2 : Malo-les-Bains -> Gravelines (samedi 17/07/2010).
Vous pouvez aussi voir ici la liste de toutes les étapes de la Traversée Nord-Sud.
L’étape d’aujourd’hui traverse des lieux qui sont à coup sûr parmi les moins touristiques de France. Passé le centre-ville de Dunkerque, le paysage enchaîne les quais, les darses, les dépôts de carburant, les raffineries de pétrole, puis les cités de banlieue — Saint-Pol-sur-Mer, Fort-Mardick, Grande-Synthe — le tout relié par des kilomètres de routes défoncées, de digues sales et de terrains vagues.
Jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale, Grande-Synthe était un village maraîcher dont il ne reste plus rien : les Allemands l’ont entièrement détruit à la dynamite en 1944. La ville actuelle a été édifiée à partir de zéro et sans vrai plan d’urbanisme dans les années 1950-1960. Ville sans patrimoine, sans monument, elle est le siège de plusieurs « fleurons de l’industrie française », comme on dit, tels que les usines sidérurgiques d’Arcelor-Mital (ex-Usinor), des raffineries de pétrole (Total, au cœur d’un interminable conflit social) et une grosse centrale électrique EDF. En dehors de ces horreurs industrielles, son architecture comprend essentiellement des cités HLM.
Toutefois, des panneaux indicateurs signalent fièrement que Grande-Synthe est classée « quatre fleurs » au concours des villes fleuries. Et c’est vrai qu’il y a beaucoup de fleurs à Grande-Synthe, sur ses multiples ronds-points, entre les immeubles et au bord des fenêtres, que la verdure est partout et que le mobilier urbain est particulièrement gai et coloré.
Dans le café où je m’arrête pour me reposer et manger un morceau, la patronne a envie de discuter. Tant mieux. Tandis que je croque dans mon sandwich, elle m’explique longuement que « sa » ville — elle y est née et ne voudrait aller vivre ailleurs pour rien au monde — est assez riche, grâce à la taxe professionnelle payée par les grosses entreprises, mais que ses habitants sont pauvres. La commune de Grande-Synthe peut consacrer un gros budget aux fleurs, aux équipements sportifs et à la culture (quand je quitterai cette cité HLM tout à l’heure, je me retrouverai en train de faire le tour d’un lac entouré de pelouses et sur lequel on peut régater… au pied d’une usine classée Seveso 2) ; la municipalité a également les moyens d’avoir une politique très active d’aides sociales envers une population qui comporte 30% de chômeurs.
« La vie n’est pas facile tous les jours » me dit la patronne du café « mais ici, je suis chez moi ». Les mineurs du bassin houiller aussi étaient fiers de leur dur métier et de l’endroit où ils vivaient. J’espère pour elle que le destin de Grande-Synthe ne sera pas comparable à celui des corons.
Dunes
- Publié le Lundi 20 septembre 2010
- par Serval
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Traversée Nord-Sud, étape n°1 : Bray-Dunes ->Malo-les-Bains (vendredi 16/07/2010).
Vous pouvez aussi voir ici la liste de toutes les étapes de la Traversée Nord-Sud.
Peu après Bray-Dunes, le GR 120 pénètre dans les dunes. La marche y est plus difficile et fatigante que sur la plage car le sable est sec et très fin, on s’y enfonce à chaque pas. Pourtant, je suis plutôt content de ce changement de décor après plusieurs kilomètres de marche en ligne droite sur le bord de mer.
Dune Marchand, puis Dune Dewulf, c’est un autre monde à quelques dizaines de mètres de la plage. Les dunes, c’est du sable, mais ce n’est pas que du sable. La végétation y est abondante et variée : oyats, chardons, sureaux, églantiers, et même par endroits de vrais et grands arbres, frênes et peupliers. Ces végétaux fixent le sable, ils empêchent que le vent l’emporte et que les dunes reculent encore et toujours.
De nombreux sentiers les traversent en ondulant, qui se croisent et se recroisent. Rien de plus facile que de s’y perdre. Ayant quitté sans le vouloir le chemin principal, je tombe inopinément sur un couple d’amoureux qui se câlinent dans un creux douillet entre deux dunes censées les cacher. Ils sont trop occupés pour me voir, je fais comme si je ne les avais pas vus.
Des mouettes s’envolent à mon passage, et d’autres oiseaux que je suis bien incapable de reconnaître. Des lapins, des grenouilles bondissent et s’enfuient. Et puis, sur un sentier de la Dune Marchand serpentant sous les arbres, surgit soudain devant moi, à un mètre à peine, un hérisson qui s’immobilise en même temps que moi, et tout aussi surpris. Il fait mine de se mettre en boule, j’essaie doucement d’attraper mon appareil photo.
Patatras ! La pomme que j’étais en train de manger tombe dans le sable sous le nez de mon ami hérisson qui se carapate. Je n’arrive à prendre ma photo que lorsqu’il est déjà à demi enfoui dans les herbes. Quel dommage, je n’ai même pas pensé à essayer de l’apprivoiser en lui offrant un morceau de ma pomme !
Allez. Je ramasse le fruit, nettoie comme je peux le sable qui s’est collé dessus, lui en laisse quelques morceaux au cas où, et reprends tout joyeux mon chemin à travers les dunes.
Plages
- Publié le Samedi 18 septembre 2010
- par Serval
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Traversée Nord-Sud, étape n°1 : Bray-Dunes ->Malo-les-Bains (vendredi 16/07/2010).
Vous pouvez aussi voir ici la liste de toutes les étapes de la Traversée Nord-Sud.
À gauche, les dunes. À droite, la mer du Nord. Devant et derrière, à perte de vue, une longue plage de sable fin parsemée de coquillages. Je marche sur cette plage depuis plusieurs kilomètres mais la silhouette du port de Dunkerque qui me sert de repère s’est à peine rapprochée.
De temps à autre, une trouée dans les dunes laisse passer un sentier. C’est sans doute par là que sont arrivées les quelques personnes qui ponctuent par intervalles cette plage vide partout ailleurs. Sur quelques dizaines de mètres, la plage redevient alors animée : des ados jouent au volley, des papas font des châteaux de sable avec leurs enfants, des mères discutent entre elles, des grands-mères tricotent.
Personne, ou presque, ne se baigne car il fait plutôt frisquet. Le ciel est bleu mais il vente fort et l’eau ne doit pas être chaude. Tous sont en maillot de bain pourtant, avec ou sans tee-shirt. Leur uniforme de baigneur contraste avec mon uniforme à moi, grosses chaussures et sac à dos. Ils me regardent passer, je les regarde en passant, nous échangeons parfois un sourire ou un petit salut. Deux mondes parallèles et presque étrangers se frôlent. Cela évoque ces regards qui se croisent parfois de part et d’autre des grilles du zoo. Ou plutôt, c’est comme si ces estivants et moi nous entre-regardions passer dans un film. Un film quasi-muet. Un film de Jacques Tati.
Quelques heures plus tard et bien plus près du port de Dunkerque, me voici à Malo-les-Bains. C’est la fin de l’après-midi, le soleil s’est rapproché de l’horizon. Les chars à voile regagnent leurs hangars. Des groupes de quelques dizaines d’enfants encadrés de leurs moniteurs s’apprêtent à quitter la plage.L’ambiance est joyeuse et facétieuse. Tee-shirts blancs, casquettes jaunes et petits sacs à dos s’agitent en tous sens et bavardent sans s’occuper des adultes qui essayent de les rassembler. Un peu plus loin, une petite fille ne veut vraiment pas partir maintenant. Après de vains efforts pour la rhabiller, sa maman remet à plus tard ses tentatives et va d’abord se changer en deux minutes dans une de ces cabines aux couleurs vives alignées sur le sable. La coquine bien sûr se sauve aussitôt mais elle n’ira pas loin.
Colonies de vacances d’une part, familles d’autre part, la plage de Malo respire les vacances à l’ancienne, un peu nostalgiques et surannées, presque les congés payés de 1936. Je m’aperçois que je fredonne un air d’Alain Souchon où l’on parle de se balader « entre Deauville et Dinard ». Nous sommes dans le Nord, pas en Normandie, mais la différence est minime. Proust n’est pas loin, ni Maurice Leblanc. Ni Jacques Tati, ici encore.
En avant, route !
- Publié le Jeudi 16 septembre 2010
- par Serval
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Traversée Nord-Sud, étape n°1 : Bray-Dunes ->Malo-les-Bains (vendredi 16/07/2010).
Vous pouvez aussi voir ici la liste de toutes les étapes de la Traversée Nord-Sud.
Quelques centaines de mètres sur un chemin au milieu des dunes m’amènent à mon véritable point de départ : la jonction entre le bord de mer et la frontière franco-belge. La mer du Nord est devant moi. À quelques kilomètres à droite se découpent les hauts immeubles de la ville belge de La Panne, que je n’irai pas voir de plus près. Sur la gauche, les avancées du port de Dunkerque sont visibles loin à l’est. C’est là que je vais.
Je suis au bord de la mer, à Bray-Dunes, la commune la plus septentrionale de France, au kilomètre zéro de ma Traversée Nord-Sud de la France à pied. Si tout va bien, ce long périple m’amènera un jour à une autre mer et à une autre frontière, au Cap Cerbère.
Allons !
Chapeau, capote,
Les deux poings dans les poches, et sortons.
En avant, route !
Allons ! »
— Arthur Rimbaud
Les quelques mille kilomètres, à vol d’oiseau, qui séparent Bray-Dunes de Cerbère deviendront sans doute environ deux mille kilomètres, à pied de randonneur sur les chemins de traverse. Mais pour l’instant, il s’agit de faire le premier pas, qui sera suivi par des centaines de milliers d’autres.
C’est parti. « En avant, route ! »