Une rencontre au bord de l’Eure
- Publié le Dimanche 6 mars 2011
- par Serval
- 12 commentaires
Traversée Nord-Sud, étape n°22 : Maintenon -> Chartres (samedi 29 janvier 2011)
Vous pouvez aussi voir ici la liste de toutes les étapes de la Traversée Nord-Sud.
La promenade d’aujourd’hui est très agréable dans les sous-bois et les champs qui longent l’Eure. La jolie petite rivière semble ne couler que pour moi : pas de famille en balade, pas de promeneur du week-end, pas de pélerin de Compostelle bien que Chartres soit tout près. Il fait pourtant beau et c’est samedi, mais on est en janvier et il fait vraiment froid, personne d’autre ne profite de la beauté des lieux.
Tiens, j’ai parlé trop vite, voici quelqu’un. Ce marcheur-là est un vieux monsieur. Il marche seul, comme moi. Quand deux marcheurs se croisent, ils échangent au minimum un « bonjour », et souvent quelques mots. « Vous allez où, vous venez d’où ? » etc. Parfois la discussion s’engage. Deux personnes qui ne se connaissent pas et ne se reverront probablement jamais se rencontrent en zone franche, en dehors des repères sociaux quotidiens ; pour celui qui en ressent le besoin, cela peut être l’occasion de s’épancher, si l’oreille qui est en face sait écouter. Les vieilles personnes ont souvent plus de temps pour discuter, et plus de recul aussi.
Ce promeneur-là est bien emmitouflé dans plusieurs pull-overs mis l’un sur l’autre et porte une grosse écharpe autour du cou, mais il n’a rien sur la tête malgré le froid vif : son épouse est décédée il y deux ans. Il marche en tenant à la main un bâton qui est plus un ornement qu’une aide, une canne qu’il s’est bricolée en enfilant une mince branche de bouleau dans un de ces tuyaux cannelés qui servent à faire passer fils électriques ou canalisations dans les murs. Il y a ajouté une poignée de radiateur en guise de pommeau.
— Je ne veux pas marcher en groupe, il y en a qui traînent, d’autres qui vont trop vite, et les femmes causent tout le temps ! Mais marcher tout seul, ça m’emmerde ! Avant, je me baladais avec mon chien. Il avait 17 ans, il était sourd et aveugle, mais il aimait bien se promener, et moi j’aimais bien me promener avec lui. Il est mort, lui aussi.
— Et vous n’avez pas envie d’avoir un autre chien ?
— Je suis allé à la SPA l’autre jour pour en adopter un autre. Vous savez ce qu’ils m’ont dit ? « Désolé Monsieur, vous avez 83 ans, on ne peut pas vous donner un chien à votre âge. »
Vous vous rendez compte ? Qu’est-ce qu’ils croient ces andouilles ? Que je vais calancher demain ? C’est pas au programme. De toute façon, je m’en fiche. Mon fils va aller en chercher un pour lui, soi-disant, et il me l’amènera la semaine prochaine. Bon, et vous ? Comment ça se fait que vous vous baladez par ici ? Et d’abord, comment vous avez su que dans le temps j’étais plombier ?
Lignesbleues
le coca ne s’excuse que glacé, bien fatigué(e) sur l’autoroute avec encore 400 kms à faire… mais bon, vous êtes pardonné : ça rassure de voir que vous appréciez un verre de vin le soir et c’est vrai qu’en chemin, le midi, un peu chaud, mieux vaut un peu d’eau
résonances
« personne d’autre ne profite de la beauté des lieux »: en effet Serval. Et alors est ce que la beauté existe si personne ne la voit ? peut-on penser qu’il existe une beauté « secrète », muette ? Exister (pour la seule beauté?) serait être en partage.
Serval
Hum. « La nature n’a pas d’habitant humain pour l’apprécier à sa juste mesure », a écrit Thoreau dans Walden mais l’idée de beauté, platoniciennement parlant, ne me satisfait pas. Disons que puisque j’étais là, la question ne se pose pas.
Lignesbleues
Monsieur Serval, Monsieur Résonances
il me semble que Platon a écrit quelque chose à ce propos, non ?
Lignesbleues
le saucisson passe encore, mais le coca tiède ! eau fraîche + 1 verre de rouge, exclusivement. A part cette petite faute de goût, votre billet est bien sympathique et le vieux plombier m’a fait « furieusement » penser à quelqu’un que j’ai bien connu !
Serval
Lignes, vous êtes donc comme Miriam, vous ne connaissez pas le plaisir suprême du Coca tiède (et ayant perdu ses bulles de préférence) qu’on déguste adossé à un arbre ou à une botte de paille ? Comme c’est triste.
(le vin rouge voyage mal, mais le soir à l’étape, absolument !)
Quotiriens
Et puis nous marchons aussi à vos côtés.
Serval
Ça c’est gentil ! Mais c’est vrai que l’écriture de ce blog, et vous qui le lisez, influencez souvent mes pensées et mes notes prises sur le chemin.
Quotiriens
Et vous, lignes de fuite, baladez-vous seul sans vous « emmerder »? Pas besoin de traînards ou de jacasses ni de compagnon de route à poils?
Quel est votre carburant?
Serval
Je ne m’ennuie pratiquement jamais quand je marche seul, alors que ce vieux plombier parlait aussi un peu pour moi pour ce qui est de la marche en groupe. La marche est souvent monotone, mais la monotonie n’est pas l’ennui. Ce qui est parfois ennuyeux, c’est de se retrouver seul le soir. D’où mon plaisir à dormir en refuge ou en gîte+table d’hôtes, qui sont des occasions supplémentaires de rencontres et d’échanges.
Mon carburant, ce sont les rencontres que je fais, et ce que mes 5 sens relaient au grand intégrateur qui est au-dessus (…et le saucisson arrosé de coca tiède).
stéphane
Bravo sherlock Holmes. Je ne savais pas qu’il y avait un age limite à la SPA. Toute les structures génèrent leurs règles plus absurdes les unes que les autres.
Serval
Oui, moi non plus. D’ailleurs, je ne sais pas s’il s’agit d’un règlement global à la SPA ou de celui érigé par un petit chef local (ça m’a fait penser aux CPAM, mais c’est une autre histoire).