Le Soleil des Scorta (Laurent Gaudé)

Un ‘trabocco’ sur la côte apulienne

Le soleil du mois d’août écrase le massif du Gargano. Ayant atteint le sommet de « ce qui semblait être la dernière colline du monde », l’homme hébété de chaleur perché sur le dos de son âne se dirige vers Montepuccio, le village des Pouilles dont il a été chassé quinze ans plus tôt, pour revoir enfin la femme à laquelle il n’a cessé de penser en prison.

Par le viol qu’il va commettre – mais qui, en fait, n’en sera pas un – et par l’erreur qu’il fait alors en prenant Immacolata Biscotti pour sa sœur décédée, Luciano Mascalzone va être à l’origine de la lignée des Scorta : son fils Rocco le bandit, les trois enfants de celui-ci (Domenico Mimi va fan’culo, Giuseppe Pepe pancia piena et Carmela Miuccia) auxquels s’adjoignent le « frère adoptif » Raffaele Faelucc’ et bientôt la génération suivante avec Elia et Donato, puis la suivante encore avec Anna.

À sa mort, Rocco a fait don de tous ses biens à l’Eglise pour que les siens, désormais, « ne soient plus fous, mais pauvres », les libérant ainsi de la malédiction familiale et leur permettant de devenir de bons chrétiens et de prospérer. Comme Faelucc’ le dira à son neveu Elia bien des années plus tard : « il faut profiter de la sueur » – ce qui veut dire que les années de labeur sont les plus heureuses de la vie.

Désormais réduits à la misère, Domenico, Giuseppe et Carmela s’embarquent pour tenter leur chance à New-York mais ils sont refoulés à Ellis Island et doivent revenir en Italie. C’est sur le bateau du retour qu’il vont gagner, grâce à leur travail et à l’entregent de Carmela, ce qu’ils appelleront « l’argent de New-York », mise de départ pour créer leur entreprise familiale, un bureau de tabac à partir duquel la famille va se faire une place au soleil. Ils vont travailler, travailler, travailler, tout gagner et choisir de tout perdre, dans la sueur et dans le silence car, si l’amour est partout, les mots sont rares chez les Scorta.

Voilà un très beau roman écrit par un amoureux de l’Italie qui connaît particulièrement bien la région du Mezzogiorno où l’histoire se déroule, cet ergot de la botte italienne où la terre, couverte de poussière et d’oliviers, est écrasée de soleil et de religion et où la mer, éblouissante et bleue, porte des barques de pêcheurs, des trabocchi et des contrebandiers. Les phrases sont courtes et sèches comme la terre des Pouilles ; on les lit comme on lirait un conte, la saga légendaire d’une famille construite au fil des générations, d’abord méprisée, puis crainte, puis admirée, mais toujours liée par l’amour et le respect de sa terre, de son sang et de son nom.

Le Soleil des Scorta (Laurent Gaudé)
« Les olives sont éternelles. Une olive ne dure pas. Elle mûrit et se gâte. Mais les olives se succèdent les unes aux autres, de façon infinie et répétitive. Elles sont toutes différentes, mais leur longue chaîne n’a pas de fin. Elles ont la même forme, la même couleur, elles ont été mûries par le même soleil et elles ont le même goût. Alors oui, les olives sont éternelles. Comme les hommes. Même succession infinie de vie et de mort. La longue chaîne des hommes ne se brise pas. Ce sera bientôt mon tour de disparaître. La vie s’achève. Mais tout continue pour d’autres que nous.»
Laurent Gaudé — Le Soleil des Scorta (Actes Sud)

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