Les chasseurs et les randonneurs

Traversée Nord-Sud, étape n°3 : Gravelines -> Calais (dimanche 18/07/2010).
Vous pouvez aussi voir ici la liste de toutes les étapes de la Traversée Nord-Sud
.


Repartant de l’étang où je venais de me baigner et de déjeuner au soleil, je me suis demandé pourquoi j’avais été tellement choqué de découvrir que cet endroit idyllique verrait bientôt des massacres d’oiseaux migrateurs. La marche favorisant la réflexion, je passai une bonne partie de l’après-midi à tourner et retourner cette question dans ma tête.

De manière générale, le manque de sympathie est réciproque entre chasseurs et randonneurs. Les premiers considèrent habituellement les promeneurs, les randonneurs, les chercheurs de champignons, etc. comme des gêneurs. Ils se trouvent souvent au mauvais endroit au mauvais moment ; ils font fuir le gibier ; ils prennent des risques stupides en allant pendant la période de chasse dans des endroits où ils risquent de recevoir un coup de fusil.

Les marcheurs, quant à eux, ont du mal à accepter qu’en temps de paix leur liberté de mouvement soit entravée par des gens en armes ; ils sont logiquement inquiets lorsque, depuis le sentier où ils promènent, ils entendent des coups de feu tirés à proximité par on ne sait qui et dirigés vers on ne sait où.

L’état d’esprit du randonneur solitaire et du chasseur solitaire est pourtant le même. Pour l’un comme pour l’autre, il s’agit de passer un long moment immergé dans la nature, seul avec soi-même et loin des soucis de la vie de tous les jours. Pour un randonneur, il n’est pas illogique de considérer ce type de chasseur comme un « collègue » arpenteur des chemins, même si celui-ci a aussi l’espoir de tirer un lièvre ou une perdrix qu’il cuisinera ensuite chez lui. Après tout, bien d’autres animaux sont tués tous les jours dans de plus détestables conditions pour fournir de la viande à l’animal carnivore que nous sommes.

D’autres modes de chasse ne relèvent pas de la même philosophie. La chasse avec battue, la chasse à courre, la chasse à l’affût, sont pratiquées par des humains agissant en bande, avec un comportement qui est souvent… celui des humains en bande. Dans le cas de la chasse à la hutte, la répulsion est accrue par l’importance des moyens mis en œuvre pour construire les flaques et les gabions et par l’utilisation des appelants, ces canards « traîtres » dont la présence et les cris appâtent les migrateurs vers le lieu de leur perte. Comme disent les enfants : « c’est de la triche ! »

Tout à coup, dans l’espace,
Si haut qu’il semble aller lentement, un grand vol
En forme de triangle arrive, plane et passe.
Où vont-ils ? Qui sont-ils ? Comme ils sont loin du sol ! »
— Jean Richepin

Le voyageur à pied, même s’il n’est nomade que par intermittence, se sent forcément solidaire de l’oiseau migrateur qui parcourt libre le ciel. Il ne peut pas éprouver de l’estime ou de la sympathie pour ces humains qui se réunissent, joyeux, pour tuer.

5 commentaires


  • De retour au bercail (et à Internet). Vos prédictions étaient justes, il a fait beau pendant cette semaine qui m’a amené d’Abbeville à Mantes-la-Jolie.
    Vous donnez deux belles illustrations du fait que… les chasseurs sont des être humains, en somme. Personne ne contestera que, pris isolément, chaque être humain peut être attachant voire émouvant, à partir du moment où il se raconte et se dévoile. On en revient, pour partie, à ce que nous disions l’un et l’autre : « Le pluriel ne vaut rien à l’homme ».
    (Par parenthèse, il me semble que vous écrivez trop bien pour que votre prose ne soit lisible que dans les commentaires d’un blog lu par quelques dizaines de personnes, même si c’est un plaisir de vous y accueillir).

    Dimanche 17 octobre 2010
  • Ah, les femmes “libérées”. Je ne sais plus qui a dit que les femmes seraient les égales des hommes en politique quand il y aurait des femmes politiques incompétentes (bonne nouvelle, c’est le cas !). On pourrait de la même manière remarquer que les femmes auront fait un grand pas vers l’égalité avec les hommes lorsqu’elles chercheront plutôt à être libres.
    A propos de liberté, j’écris ceci avec mes pouces sur mon mobile car je le suis redevenu pour quelques jours (mobile, et presque libre aussi). Aujoud’hui 13eme étape, je viens d’arriver à Poix-de-Picardie et les chasseurs m’ont loupé jusqu’à présent et pourtant ils sont partout. Retour au bercail samedi prochain avec plein de notes et de photos.

    Dimanche 10 octobre 2010
  • H.

    H.

    à propos de la chasse (2)
    oui, bien sûr m’a t’on dit, la chasse existe au Japon. Il semblerait même que nous ayons, lors de nôtre voyage, entendu des coups de fusil que mon inconscient a refusé d’enregistrer. Un “expat”, comme ils disent, à qui je posai la question de la chasse au Japon, m’a raconté l’anecdote suivante : il a rencontré, tout à fait par hasard, un couple de jeunes tokyoites branchés à l’occasion d’un WE sur l’île d’Hokkaido. Heureux de se retrouver, ils décident de passer la soirée ensemble. La jeune femme sort donc à cette occasion une terrine de pâté de cerf, préparée avec l’animal qu’elle avait abattu. Double fierté, celle de la chasseuse et celle de la cuisinière, ultra-citadine, ce qui contribuait probablement à compléter son image de femme battante, branchée et libérée : c’est pas si facile…

    Samedi 9 octobre 2010
  • Ah tiens, c’est vrai que lorsque j’étais en Lozère en mai, il n’y avait pas de chasseurs. Cela dit, vu le temps qu’il a fait sur le Stevenson à cette époque, je doute qu’il y ait eu beaucoup de coups de fusil si la chasse avait été ouverte.
    J’imagine que le sentiment de liberté qu’on éprouve en marchant est aussi ressenti par les chasseurs — et même par les rabatteurs qui marchent sans fusil, même quand ce ne sont pas des prisonniers de guerre. Je n’ai rien lu de Mario Rigoni Stern, et je vois qu’il faudrait que j’ajoute au moins “Sergents dans la neige” à ma liste. Merci.

    Dimanche 3 octobre 2010
  • H.

    à propos de la chasse
    cœur ou raison, la chasse me révulse. Les attroupements de 4×4, l’appropriation de l’espace à l’automne, les coups de fusil… Pourtant au cours des quatre ou cinq dernières années quelques « évènements » et toujours le désir d’ entrouvrir le cocon intellectuel et social qui m’entoure ont légèrement modifie mon point de vue. Après avoir lu, comme beaucoup, les Bienveillantes,puis Vie et destin dans une série de lectures sur la guerre j’ai decouvert des textes de Mario Rigoni Stern qui raconte la retraite italienne de Russie (j’ai oublie le titre)puis un petit recueil de nouvelles apres son retour dans une Italie rurale. Il y a là de très beaux textes sur le chasseur et son chien. Quand je disposerai de conditions plus confortables, je vous raconterai peut être la suite à propos de chasseurs du Mont Lozère.
    Niigata, samedi 2 (retour en France mercredi)

    Samedi 2 octobre 2010

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