À pied, de Paris au Salento : Toscane


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J 74 – Jeudi 27 août 2020
La Spezia -> Marina di Carrara (km 1.735)


Baccano.

Sortir à pied d’une grande ville est toujours une épreuve de patience et mon départ de La Spezia n’a pas failli à la règle. Bien que j’aie marché plusieurs kilomètres sur le trottoir des longues avenues rectilignes qui longent le port, je n’ai pu voir de celui-ci que la partie supérieure des grues de débarquement, tout ce qui était plus bas étant protégé de la curiosité des passants par des clôtures en tôle recouvertes de graffitis.

On était loin de l’Italie romantique et de la beauté des œuvres du quatroccento, mais j’ai vite retrouvé l’Italie qu’on a plaisir à regarder dans les villages que j’ai ensuite traversés ou admirés de plus loin : Baccano, Gatessa et surtout Arcola. Ce dernier village est tout en ruelles pentues et en escaliers bordés de ces joyeuses maisons colorées typiques du pays.

J’étais bien sûr arrivé dans ce village en ayant en tête le Pont d’Arcole, cette victoire sur les Autrichiens du jeune général Bonaparte immortalisé avec son drapeau par un célèbre tableau d’Antoine Gros. Je suis donc allé voir ce Ponte di Arcola, très bien indiqué sur la carte et sur les panneaux indicateurs… pour constater qu’il n’enjambe aucune rivière mais seulement une autre route, et finir par comprendre que cet Arcole-là n’était pas le bon ! Arcole (avec un e final, en italien aussi), celui de Bonaparte, se trouve en Vénétie et le pont enjambe un affluent de l’Adige. Bon, au moins j’aurai appris quelque chose.

Musée de Luni
Au musée de Luni
À Sarzana, j’ai retrouvé la Via Francigena que j’avais quittée il y a trois semaines à Ivrea. Je l’ai à nouveau suivie jusqu’à Luni, où se trouve un musée archéologique consacré à la colonie romaine de Luna, fondée deux siècles avant Jésus-Christ pour exploiter les carrières de Carrare toutes proches. La ville était alors un port d’où le marbre partait pour diverses destinations. Plusieurs pièces massives en marbre exposées dans ce musée étaient tout à fait remarquables.

Même si le port de Luna s’est ensablé au fil des siècles, son site reste proche de la mer. Du coup je me suis trouvé un petit hôtel près d’une plage, sur la terrasse duquel j’écris ces lignes pendant que la nuit descend. Il fait beau, je suis en Toscane et je bois mon café en regardant la Méditerranée. On peut trouver plus malheureux.

J 75 – Vendredi 28 août 2020
Marina di Carrara -> Camaiore (km 1.767)


Eh non, ce n’est pas la Bretagne…

Depuis qu’en quittant La Spezia hier matin j’ai vu sur la route un panneau indicateur sur lequel était inscrit « PISA 75 km », je suis passé en mode compte à rebours, d’abord inconsciemment puis de manière tout à fait consciente. Ma dernière étape de cette année reliera Lucca (Lucques) à Pise. J’ai toujours prévu de prendre une journée de repos à Lucca afin de visiter cette ville qu’on dit très belle et que je connais pas. L’étape précédente finira donc à Lucca, en partant de… Camaiore, où je suis arrivé ce soir. J’ai beau retourner cela dans tous les sens, il n’y a pas d’erreur possible : lundi soir, dans ***trois*** jours !!! c’en sera fini de ma longue marche pour 2020, et il est probable que je serai de retour à Paris mardi soir…

M’étant éloigné de la Via Francigena à la fin de mon étape d’hier pour passer la soirée au bord de la grande bleue, je me suis dit que tant qu’à être arrivé au bord de la mer, autant en profiter un peu aujourd’hui. Je suis donc parti sur le Lungomare, le chemin côtier, en marchant tantôt juste au bord de la mer et sur les plages, tantôt sur le trottoir des routes situées un peu en retrait. En tout début de journée, dans la fraîcheur et le vent léger, avec le bruit des vagues, les cris des mouettes et les pêcheurs sur la plage, je me serais presque cru sur une plage de la Manche ou de la mer du Nord.

Presque, car cette impression cessait dès que je m’éloignais de la grève. Marina di Carrara, Marina di Massa, Marina di Pietrasanta… toute cette partie de la côte toscane est une succession de villes modernes alignées au bord de la mer sans solution de continuité, construites pour beaucoup en regard de la ville originelle dont elles portent le nom, avec à l’évidence comme unique objectif celui d’y accueillir des touristes. C’est un urbanisme à la Sim-City qui m’a rappelé certains bords de mer de Floride ou de Californie. On a construit là des villes dépourvues de centre, le long de grandes avenues rectilignes où se succèdent hôtels et résidences de vacances, pizzerias, marchands de glaces, stations services, petites épiceries et magasins d’articles de plage ou de pêche. Ça et là, un petit port de plaisance, un camping, un parc, un terrain de sport, viennent rompre la monotonie. Le tout m’a donné l’impression de traverser des villes artificielles, mais cependant joyeuses car consacrées aux vacances et noyées de soleil.

Arrivé à Marina di Pietrasanta, j’ai obliqué vers l’intérieur des terres et la « ville mère », Pietrasanta donc, où je suis arrivé au moment où le clocher de l’église sonnait midi avec un remarquable sens de l’à-propos. J’en suis reparti une heure et demie plus tard, reposé et rassasié, en direction de Camaiore et de nouveau sur la Via Francigena, par des petites routes et des sentiers qu’il m’aurait sans aucun doute été impossible de trouver s’ils n’avaient pas été le support de cette voie très bien balisée. Après mes déboires de ces derniers jours avec les grandes routes italiennes, cela va être une leçon à méditer pour préparer mon parcours de 2021. Mais chaque chose en son temps, n’est-ce pas. Demain, c’est encore en suivant la Via Francigena que je rejoindrai Lucques.

J 76 – Samedi 29 août 2020
Camaiore -> Lucques (km 1.794)


Il ne fait pas beau, mais c’est beau quand même.

Je ne sais pas s’il s’agissait de fatigue physique après la succession des rudes étapes – en distance et/ou en dénivelés – que j’ai faites depuis une dizaine de jours ou si c’était un relâchement psychologique lié au fait que je me suis rendu compte que la fin de mon périple approchait, mais j’ai eu un mal fou à sortir du lit ce matin. Je me suis évidemment réveillé spontanément à cinq heures, comme d’habitude, mais il m’a fallu une sacré dose de volonté pour me lever et me préparer. Mais bon, le boulot c’est le boulot n’est-ce pas ? Quand faut y aller, faut y aller…

Heureusement, comme toujours, il a suffi ensuite de quelques minutes de marche dans la ville de Camaiore endormie pour que je retrouve le plaisir de mettre un pied devant l’autre, le nez au vent et les yeux grands ouverts.

La météo avait annoncé une journée de pluie avec un fort risque d’orage, et effectivement le pavé des rues était encore humide après la pluie de la nuit, mais bien que le ciel soit resté gris toute la journée, veste de pluie et parapluie ont continué à chômer.

Pas de surprise pour le trajet, j’ai suivi toute la journée la Via Francigena, ce qui m’a permis, après Marie il y a presque un mois, de rencontrer une seconde randonneuse, Silvia, avec qui j’ai parcouru la majeure partie de cette étape. Italienne vivant à Parme, Silvia a débuté ce matin à Camaiore une randonnée sur la Via Francigena qu’elle espère finir à Rome dans une quinzaine de jours.

Pour la première fois en trois mois, je n’ai donc pas marché seul sur cette étape. Ce fut une compagnie très agréable qui a permis au temps de passer plus vite malgré deux détours involontaires… car quand on discute, on est souvent moins attentif au chemin ! Silvia a d’ailleurs eu beaucoup de mérite à supporter mon italien poussif et, si elle me lit, je la remercie encore pour sa patience, ses corrections amicales et les explications qu’elles m’a données, en particulier celles concernant les règles de l’accent tonique !

Dans le village de Valpromaro, nous sommes passés devant la « Casa del Pellegrino » où nous nous sommes arrêtés pour qu’elle achète une credenziale en remplacement de celle qu’elle avait oubliée chez elle. Ne me sentant pas le moins du monde pèlerin, je n’étais jusqu’alors jamais entré dans une de ces maisons et je me suis rendu compte que j’avais peut-être manqué quelque chose ; j’ai en effet été frappé par l’attention désintéressée et la bienveillance du bénévole qui nous a accueillis et qui nous a offert une boisson chaude.

Silvia et moi nous sommes séparés en arrivant aux remparts de Lucques pour rejoindre nos lieux d’étape respectifs. Grazie mille ancora, Silvia, buona fortuna, e buon cammino! En ce qui me concerne, je me suis installé pour deux jours dans la vieille ville et j’ai déjà commencé à en arpenter les rues. J’en parlerai demain, après que nous aurons davantage fait connaissance.

J 77 – Dimanche 30 août 2020
Lucques (pause)


Lucca : la Piazza dell’Anfiteatro.

Les orages annoncés ont fini par arriver assez tard dans la soirée d’hier (enfin, tard pour un randonneur, autour de 22 heures… alors que j’étais déjà couché) et ils ont duré pratiquement toute la nuit. C’était impressionnant. Le tonnerre faisait un vacarme continu et les décharges électriques multiples qui zébraient le ciel éclairaient davantage les rues et les maisons de la cité que les lampadaires. Cela s’est arrêté en fin de nuit, laissant la place à des averses intermittentes. C’était définitivement un bon jour pour ne pas avoir besoin de se remettre en route et, en prenant mon petit déjeuner, j’étais désolé pour Silvia, ma compagne de marche d’hier, sans doute en train d’avancer sous la pluie.

La vieille ville de Lucca, enclose dans ses remparts du seizième siècle, n’est pas très étendue mais j’en ai parcouru les ruelles pendant plusieurs heures et si voulais être juste avec moi-même, je ne devrais pas compter cette journée comme un « zero day » mais presque comme une journée de marche pendant laquelle j’ai joué au chat et à la souris avec les averses.

Je me suis promené dans les petites rues en prenant plaisir à m’y perdre, j’ai visité je ne sais combien d’églises, j’ai regardé la facade de je ne sais combien de maisons et de palais, j’ai levé la tête vers le sommet de je ne sais combien de tours… J’ai même profité de la plus belle éclaircie de la journée pour monter en haut de la Torre Guinigi (44 m), une maison-tour en briques datant du quatorzième siècle, remarquable par la présence à son sommet d’un jardin avec sept chênes de plusieurs mètres de haut et d’où la vue sur la ville et ses environs à des kilomètres à la ronde dans toutes les directions était splendide.

Ce fut donc aujourd’hui pour moi une pure journée de vacances, touriste parmi les touristes dans cette belle ville, avant ma dernière étape, demain, pour rejoindre Pise.

J 78 – Lundi 31 août 2020
Lucques -> Pise (km 1.817)


… À suivre !

Et voilà… la première partie de ma longue promenade s’est achevée cet après-midi. En 78 jours dont quatre journées de repos, j’ai parcouru un peu plus de 1.800 kilomètres et grimpé (et redescendu) environ 33.000 mètres de dénivelé. Et surtout, j’ai vécu intensément chaque journée, j’ai vu des endroits splendides et j’ai fait de belles rencontres.

Les événements de ces derniers mois ont montré que rien n’était acquis et qu’il était hasardeux de faire des prédictions, « surtout quand elles concernent l’avenir », mais si tout va bien je repartirai de Pise l’an prochain, sans doute au début du mois de mai, pour effectuer la seconde partie de ce voyage à pied jusqu’à Syracuse.

Donc… à suivre !

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Jeudi 6 mai 2021
Pise – Le retour !


Retour à Pise sous un ciel radieux

Bye-bye la grisaille parisienne de ces derniers jours ! Sitôt passé les Alpes, le ciel a changé de couleur. « Nel blu, dipinto di blu », c’est un vrai bleu du sud, juste souligné par quelques bancs de nuages effilochés, qui a accompagné mon retour ferroviaire vers la Toscane, huit mois après en être parti.

Et lorsque je suis arrivé à Pise, comment dire… eh bien, c’était l’Italie ! D’accord, il n’y avait pas beaucoup de monde dans les rues et sur les places – les touristes ne sont pas encore revenus – mais l’air était lumineux, il faisait bon, et j’ai pu déguster, entre la gare et la tour penchée, ma première « birra alla spina » en terrasse depuis bien longtemps.

Patience… Plus que quelques jours et, en France aussi, on pourra de nouveau prendre un verre en terrasse.

J 79 – Vendredi 7 mai 2021
Pise -> Pontedera (km 1.842)


Les bords de l’Arno, à Pise.

Les sorties des grandes villes ne sont pas la partie la plus agréable des longues marches. J’avais donc imaginé de quitter Pise en longeant les berges du fleuve Arno qui traverse la ville.

Ce fut une demi-réussite : j’ai effectivement pu rester ainsi à l’écart des routes à grande circulation et des zones industrielles et commerciales des alentours mais je suis resté sur ma faim concernant la marche au bord du fleuve car les berges de l’Arno sont inaccessibles en dehors de la ville. Il est même le plus souvent impossible de voir un cours d’eau qui coule en contrebas d’une digue herbeuse de plusieurs dizaines de kilomètres de long, construite et entretenue depuis des siècles pour en contenir les crues. C’est sur cette digue que j’ai marché une bonne partie de la journée, une marche un peu monotone mais pas désagréable, sous le soleil et dans le vent printanier.

Comme l’an dernier, j’avais pris la « bonne résolution » de commencer mon périple par de courtes étapes pour limiter le risque de blessure — en principe, pas plus de 20 km par jour pendant la première semaine. Une fois atteint cette distance, je me suis donc mis à la recherche d’un coin où planter ma tente. J’avais mal choisi mon endroit pour cela car la commune de Fornacette où j’étais arrivé est une banlieue ouvrière dans laquelle, entre les entrepôts, les barres d’immeubles et les jardins ouvriers, il m’a été impossible de trouver un lieu propice au bivouac. L’autorisation de m’installer dans un coin du stade de football m’a même été, aimablement mais très catégoriquement, refusée par le responsable des lieux.

Je n’ai finalement pas trouvé d’autre solution que de prolonger mon quota du jour par cinq kilomètres en ligne droite sur le bitume pour atteindre le plus proche hôtel, à Pontedera. Vingt-cinq kilomètres dont beaucoup d’asphalte le premier jour, c’est un peu trop pour moi. Mes pieds ont bien chauffé mais leur inspection n’a pas détecté ce soir d’ampoule ou de zone suspecte. J’espère bien que demain il me sera possible d’être plus raisonnable et de respecter les consignes !

J 80 – Samedi 8 mai 2021
Pontedera -> Peccioli (km 1.863)


Sur la digue, le long de l’Arno (caché par les arbres, à gauche).

C’est un peu le monde à l’envers : alors que beaucoup de marcheurs au long cours emportent une tente pour parer au risque de ne pas trouver de toit sous lequel dormir, moi qui avais prévu de bivouaquer je vais encore dormir ce soir à l’hôtel faute d’avoir trouvé un bout de terrain où planter mon abri.

L’aménagement du territoire dans cette partie de la Toscane est très différent de ce à quoi l’on est habitué en France : très peu de terrain semble avoir échappé aux jardins, vergers, champs et autres prés clôturés, sans parler de l’urbanisation espacée et de la place prise par les aménagements routiers omniprésents. Il n’y a aucun bosquet touffu où s’installer à l’abri des regards et je n’ai encore traversé aucune forêt. Un très grand bois, longé ce matin sur deux ou trois kilomètres, était une réserve de chasse entourée d’un haut grillage parsemé de panneaux d’interdiction.
Je crains donc qu’il ne me faille accepter pendant quelque temps de prendre une douche tous les soirs et de passer mes nuits dans des draps frais… je devrais arriver à me faire une raison !

J’ai fait deux agréables rencontres aujourd’hui. Ce matin, entre Pontedera et Ponsacco, Gian Luigi qui courait sur la digue qui longe la rivière Cascina s’est arrêté quand je lui ai dit en riant qu’il courait si vite que son chien n’arrivait pas à le suivre ! Outre le fait que Lassie était un peu paresseuse aujourd’hui, il m’a expliqué que le cours de la rivière avait été détourné, et la digue construite, pour protéger le pays des inondations… au 12ème siècle. Ces digues longeant les rivières (dont j’ai hélas oublié le nom italien) sont encore entretenues de nos jours et continuent à très bien remplir leur rôle.

Ce soir, c’est de Rebecca, heureuse et soulagée d’avoir été vaccinée aujourd’hui contre la covid, que j’ai fait la connaissance en remplissant mes bouteilles à la fontaine du village de La Rosa. Nous avons parlé – quelle surprise – de randonnée, elle-même ayant parcouru il y a quelques années le chemin portugais de Compostelle, de Porto à Santiago. C’est elle qui m’a indiqué le chemin de l’hôtel de Peccioli où j’écris ces lignes qu’elle lira sans doute. Grazie ancora, Rebecca !

J 81 – Dimanche 9 mai 2021
Peccioli -> Volterra (km 1.886)


La « Maison des yeux » à Peccioli.

Ne prenez surtout pas pour argent comptant ce qui est écrit juste au-dessus : je suis effectivement arrivé ce soir dans la commune de Volterra mais la ville de Volterra se trouve encore à une bonne dizaine de kilomètres de l’agriturismo où je vais passer la nuit. Les communes italiennes ont en effet souvent une grande superficie, ce qui explique qu’il n’y en ait qu’environ huit mille dans tout le pays (soit moins du quart du nombre des communes de France, ce qui est probablement une bonne chose…). Le territoire italien est découpé en 20 régions, elles-mêmes fractionnées en 110 provinces équivalant à nos départements et, donc, en 7 904 communes.

J’ai appris ces intéressants détails géographiques – que je m’empresse généreusement de partager – en utilisant cet après-midi mon smartphone tout en marchant, afin de passer le temps des très ennuyeux derniers kilomètres d’une marche qui s’est encore beaucoup faite sur le bitume. La plupart des chemins que j’avais prévu de prendre, pour les avoir méticuleusement repérés ces derniers mois sur les cartes Openstreetmap et satellites, se sont en effet révélés soit impraticables car laissés à l’abandon, soit carrément absents, soit privatisés et barrés par des grilles et des chaînes… j’ai beaucoup fulminé aujourd’hui !

Tout n’est pas noir quand même puisque j’ai pu admirer ce matin de très beaux paysages et que j’ai marché pendant quelques kilomètres sur un joli chemin longeant la rivière Era au bord de laquelle j’ai déjeuné et fait une longue sieste bercée par le gazouillis des oiseaux. Il y a nettement plus malheureux.

J 82 – Lundi 10 mai 2021
Volterra -> Prato d’Era (km 1.901)


Paysages de Toscane… on s’en met plein les mirettes.

Quel plaisir d’avoir enfin quitté la banlieue de Pise ! Je me suis désormais suffisamment éloigné de la vallée de l’Arno, urbanisée et industrielle, pour marcher enfin avec plaisir dans une Toscane qui ressemble à l’idée que je m’en faisais… et c’est magnifique. Sous un soleil presque estival (il a fait 27°C à l’ombre aujourd’hui), j’ai traversé de très jolis paysages. Ce matin, il y a eu encore un peu trop de bitume à mon goût mais la beauté du panorama me l’a fait oublier. Arrivé à Volterra en fin de matinée, j’ai pris le temps de vadrouiller dans cette jolie cité vieille de… trois mille ans, plus que Rome !

Velatri, comme elle s’appelait avant que les Romains ne la rebaptisent Volaterrae, était une cité étrusque. Une des raisons pour lesquelles j’avais choisi de passer par cette ville était d’ailleurs son musée étrusque dont j’avais vérifié sur Internet avant mon départ qu’il serait bien ouvert malgré la covid. Hélas, Internet n’était visiblement pas au courant de sa fermeture pour travaux… Ce n’est pas cette fois-ci que je pourrai admirer de visu l’Ombra della sera.

Repartant de là assez dépité, je suis arrivé au Musée de la Torture. Je n’avais aucune envie de visiter ce musée-là mais j’ai été bien content d’être passé devant car, sur la façade de la maison voisine, se trouvait la plaque d’un Monsieur Russo ! « Russo » à « Volterra »… les Lumières à l’italienne en somme ! Voilà qui m’a consolé de ma récente déception.

J’ai quitté Volterra avec les coordonnées d’un affitocamere (c’est-à-dire, en bon français, un Bed & Breakfast) tenu par Michele qui, lorsque je lui ai dit que j’arriverais à pied, a eu la gentillesse de m’indiquer un joli chemin rejoignant sa maison à travers bois, un très vieux chemin romain avec encore de nombreuses portions pavées. Après mon arrivée, Michele m’a aussi conseillé sur le meilleur trajet pour rejoindre demain San Gimignano en évitant le bitume. Grazie mille!

J 83 – Mardi 11 mai 2021
Prato d’Era -> San Gimignano (km 1.923)


San Gimignano by night.

Que d’eau, que d’eau ! Toute la journée j’ai marché sous la pluie. Après le grand soleil et la chaleur de ces derniers jours, quelle différence… Ce fut d’abord une légère bruine, à peine plus qu’un crachin, suivie en fin de matinée par une pluie drue puis par des trombes d’eau tout l’après-midi. Dès le matin j’avais enfilé veste, puis pantalon de pluie, fixé mon parapluie à la bretelle du sac à dos et rangé mes lunettes, la routine quoi : la pluie, quand on randonne, ça fait partie du jeu.

Sieste tout confort sous la pluie
Sieste tout confort sous la pluie
Je marchais en forêt le long du sentier conseillé hier par Michele quand est venu le moment de faire une pause et de déjeuner. Je me suis installé confortablement (OK, tout est relatif) contre le tronc d’un arbre, les jambes protégées de la pluie battante par ma couverture de survie, le haut du corps par mon parapluie. Ma foi, j’étais assez bien installé pour m’endormir pendant vingt minutes après avoir fini de déjeuner.

L’après-midi et l’arrivée à San Gimignano ont été tout aussi humides, m’obligeant à laisser mon smartphone dans sa protection étanche, même pour faire quelques photos embrumées, mais ce soir la pluie s’est arrêtée juste avant 22 heures, sans doute pour respecter le couvre-feu et me permettre de faire quelques photos de San Gimignano by night. Il semble que le temps devrait un peu s’améliorer demain.

J 84 – Mercredi 12 mai 2021
San Gimignano -> Strove (km 1.944)


L’argile rouge de Toscane.

Ce matin le ciel était gris mais il ne pleuvait pas. J’ai donc pu faire la visite de San Gimignano que la pluie battante d’hier avait rendu impossible avant qu’il fasse nuit. Cette ancienne place fortifiée construite au quatorzième siècle est une impressionnante ville de pierre, encore parsemée aujourd’hui d’une quinzaine de maison-tours (il y en aurait eu soixante-quinze au moyen-âge) visibles à des kilomètres à la ronde.

Début mai et covid « aidant », la ville était quasi-vide de touristes, il faisait froid et il y avait du vent. C’était en fait un peu triste. Le temps d’explorer les rues, les places et les remparts de la cité et d’admirer les points de vue sur la campagne en contrebas, il était près de 11 heures lorsque je me suis mis en route. Le soleil n’attendait apparemment que cela pour se montrer et il a finalement brillé tout au long de mon chemin.

En parlant de chemin, j’ai retrouvé à San Gimignano la Via Francigena, ce chemin de pèlerinage qui va de Canterbury à Rome que j’ai déjà suivi pendant une dizaine de jours en Suisse et en Val d’Aoste, puis plus brièvement entre La Spezia et Lucques. C’est bien commode de n’avoir plus besoin de se référer à la carte et de pouvoir simplement suivre les indications des panneaux indicateurs. Et quand en plus les paysages sont jolis et qu’il recommence à faire beau, que demander de mieux ?

J 85 – Jeudi 13 mai 2021
Strove -> Sienne (km 1.968)


Monteriggioni.

Les quatre ou cinq premiers jours d’une marche sont toujours les plus difficiles mais au bout d’une semaine il semble que pour moi le plus dur soit passé. Mon corps reprend ses automatismes, mon allure redevient plus souple et progressivement plus rapide, douleurs et fatigue s’atténuent, je n’ai pas eu d’ampoule ni de tendinite, bref pour le moment tutto va bene. L’expérience montre qu’il faudra sans doute encore deux bonnes semaines avant que mon organisme soit parfaitement rodé et je devrai continuer à limiter la longueur de mes étapes d’ici là mais je sens que je tiens le bon bout. La pause de 24 heures que je vais faire à Sienne va en outre me permettre de recharger mes batteries.

Parti du petit village de Strove peu avant huit heures, je suis passé devant l’église du monastère d’Abbadia a Isola à neuf heures pile, au moment où son gardien (bedeau ? sacristain ? je ne sais pas) en déverrouillait la porte et me faisait signe d’entrer, visiblement très heureux d’avoir un « pélerin » auquel faire visiter son église (il faut dire que les derniers mots écrits dans le livre d’or remontaient à six jours). Elle en valait la peine. Le monastère a été fondé en 1001 et la construction des bâtiments terminée 150 ans plus tard. À l’intérieur, les fresques datent pour la plupart du 15ème siècle. Certaines sont très abîmées mais d’autres sont en bon état de conservation.

Un peu plus tard je suis passé à proximité du village fortifié de Monteriggioni qui domine depuis une butte la campagne environnante. C’est un lieu d’étape classique sur la Via Francigena que je n’avais pu atteindre hier, ayant préféré prendre le temps de visiter San Gimignano avant d’en repartir. Je me suis donc contenté de faire le tour de la place-forte sans y entrer, cette fois-ci parce que je voulais arriver tôt à Sienne. La vie du promeneur au long cours est faite de choix bien difficiles… mais je voulais pouvoir commencer dès aujourd’hui à arpenter les rues de cette ville qu’on dit magnifique et que je ne connais pas, et y trouver un logement dans un quartier choisi depuis longtemps… mais voilà quelque chose dont je parlerai demain !

J 86 – Vendredi 14 mai 2021
Sienne (pause)


Sienne. La Piazza del Campo.

Flop la Girafe comptait les jours. Elle n’en pouvait plus d’attendre que nous arrivions dans le quartier de Sienne où je lui avais promis que nous installerions les nôtres (de quartiers), à la condition expresse d’un comportement irréprochable de sa part. Elle a tenu parole, donc moi aussi : je nous ai trouvé à loger pour deux nuits dans un superbe endroit qui donne sur la Piazza Provenzano, en pleine Contrada della Giraffa et, encore mieux, est situé juste au-dessus des locaux de la ‘Società della Giraffa’.

Contrada della Giraffa !
Contrada della Giraffa !
Les contrade, ce dont les dix-sept quartiers médiévaux qui composent la partie centrale de la ville de Sienne et dont le nom est le plus souvent celui d’un animal (Loup, Chouette, Licorne… ou Girafe !). À chaque contrada ses couleurs (rouge et blanc pour Giraffa), son blason, son hymne et sa devise. Bien que le cou de la petite Flop n’ait pas encore beaucoup poussé, elle est très fière de la devise de sa contrada : « Altius caput maior gloria » (Plus haute la tête, plus grande la gloire).

Les contrade de Sienne, de nos jours encore, ont une forte identité socio-culturelle avec des coutumes spécifiques, y compris religieuses, et une organisation régie par une ‘sociétà’. Le 2 juillet, puis le 16 août, elles s’opposent depuis plusieurs siècles lors du Palio, une course de chevaux qui a lieu sur la Piazza del Campo dont le sol de briques est recouvert pour l’occasion d’une épaisse couche de terre battue. Chaque contrada est représentée par un couple cheval/cavalier, les chevaux étant attribués aux cavaliers des différentes contrade par tirage au sort trois jours avant la course. Les cavaliers montent à cru et tous les coups sont permis : ils ont le droit de donner des coups de cravache à leurs adversaires, de les gêner, de les pousser et même de les faire tomber. Chaque contrada a des alliés (par exemple, Chouette, Porc-Épic et Panthère sont les alliés de la Girafe) et parfois des ennemis (mais Giraffa n’en a pas !)

Aujourd’hui la Piazza del Campo était bien loin de toute cette agitation. Elle était très calme et presque vide, comme l’étaient les rues et les églises de la ville. C’était bien agréable pour s’y promener tranquillement avec une girafe (presque) apprivoisée.

J 87 – Samedi 15 mai 2021
Sienne -> Ponte d’Arbia (km 1.994)


En Toscane, droit vers l’horizon !

Quand on se lance dans une longue marche de plusieurs milliers de kilomètres, l’objectif final reste toujours un peu abstrait. La distance restant à parcourir est telle qu’on a beau connaître par cœur un trajet préparé à fond, on ne se projette pas vraiment dans le moment lointain où l’on arrivera au bout de ce chemin. Pas moi en tout cas. Mon esprit, plus ou moins volontairement, se donne des objectifs intermédiaires qui scindent le trajet en une succession de segments qu’il devient possible d’appréhender.

Syracuse, c’est tellement loin que c’est presque irréel. Un endroit que j’atteindrai dans une ou deux semaines, c’est du concret. En repartant de Pise, cet objectif intermédiaire c’était Sienne. Je me suis rendu compte ce matin en en repartant que mon nouvel objectif était désormais Assise, où je devrais arriver dans une semaine environ.

Il faisait encore bien frais ce matin lorsque j’ai quitté Sienne par la Porta Romana, à laquelle s’accrochaient quelques lambeaux de brume. En dehors de la ville, celle-ci était encore partout présente, noyant le paysage dans un coton léger qui allait se lever au cours de la matinée, laissant la place à un ciel tout bleu. Les paysages de cette partie de la Toscane sont absolument magnifiques. Les chemins blancs et poussiéreux qui montent et descendent dans la campagne en formant de longues boucles traversent des prés d’un vert intense dont les herbes ondulent dans le vent comme des vagues sur la mer.

Pour la première fois depuis mon second départ j’ai rencontré plusieurs randonneurs marchant tous vers Rome sur la Via Francigena. Il est probable que leur nombre va augmenter à mesure que la Ville Sainte sera plus proche mais cela n’est pas très grave… car ce n’est pas là-bas que je vais.

J 88 – Dimanche 16 mai 2021
Ponte d’Arbia -> San Quirico d’Orcia (km 2.021)


Deux mille kilomètres…

Depuis que j’ai quitté Sienne, l’italien que les gens parlent a changé. On m’avait prévenu que dans le sud de l’Italie les accents et les particularismes linguistiques rendraient la compréhension de la langue plus difficile mais je n’imaginais pas que cela serait déjà le cas dans le sud de la Toscane.

Cela a commencé hier après-midi quand j’ai été abordé par deux jeunes garçons qui faisaient du vélo. Valens et Valden étaient deux vrais jumeaux d’une dizaine d’années, très bavards et excités de parler avec un « pellegrino francese », malgré leur déception quand je leur ai avoué que bien qu’habitant Paris je n’avais jamais rencontré Neymar… Avoir du mal à comprendre l’italien de deux jeunes garçons volubiles n’était pas très étonnant mais j’avais déjà trouvé qu’ils prononçaient certains mots « bizarrement » et que d’autres mots m’étaient inconnus.

Dînant hier dans un minuscule restaurant où quelques habitants des villages alentour étaient venu passer leur samedi soir, j’ai été pris en charge par le couple de vieilles personnes à côté duquel j’avais été installé. Ils ont été plein d’attentions pour l’étranger de passage, et Giuseppe, le mari, a même tenu à m’offrir le café à la fin du repas. Quand ils discutaient entre eux, je ne comprenais rien. Lorsqu’ils s’adressaient à moi, il leur fallait parler lentement – et en choisissant leurs mots, j’imagine, car eux comprenaient visiblement ce que je leur disais dans mon italien sommaire – pour que nous puissions avoir un semblant de conversation. Leur façon de prononcer ceux des mots que je reconnaissais n’était vraiment pas celle de Milan, et si les choses s’aggravent en descendant vers le sud, ça promet !

J’ai eu aujourd’hui d’autres difficultés de compréhension plus imprévues avec Johann, un marcheur suisse parti de chez lui, près de Zurich, le jour de Pâques, en direction de Rome où il devrait arriver dans une dizaine de jours. Il ployait sous le poids d’un sac à dos de 15 kg (qui ne l’avait pas empêché de franchir le Col du Saint-Gothard en avril dans la neige) et nous avons évidemment discuté matériel après que je lui ai dit que mon sac pesait environ le tiers du sien !

Comme il ne parlait que le suisse allemand et l’allemand standard (et que moi, non), cette discussion hautement technique s’est faite avec ses bribes de français, d’italien et d’anglais… et nous avons finalement très bien réussi à nous comprendre. Cela me laisse de l’espoir pour quand j’arriverai dans le mezzogiorno !

Ce matin il bruinait par intermittence et cet après-midi il a bien plu. Il est dommage que cette pluie affadisse la lumière des magnifiques paysages toscans que je traverse et qu’elle limite la possibilité de faire des photos avec un smartphone que je tiens à protéger mais il faut bien faire avec. C’est donc entre deux giboulées que j’ai immortalisé, en utilisant le sainfoin qui parsème les prés, les 2.000 kilomètres aujourd’hui parcourus depuis Paris.

J 89 – Lundi 17 mai 2021
San Quirico d’Orcia -> Montepulciano (km 2.044)


Partout où porte le regard, il n’y a que de la beauté.

Quelle belle journée ! D’abord, il a fait beau. Les nuages gris qui obscurcissaient le ciel en tout début de matinée ont rapidement été chassés par le vent, laissant la place à un grand bleu. Ce vent qui a soufflé de façon soutenue a permis à l’atmosphère de rester fraîche, ce qui a été bien agréable sur les côtes, longues et parfois bien raides, que j’ai gravies aujourd’hui.

Ensuite, le trajet s’est naturellement partagé en trois sauts de puce de sept ou huit kilomètres chacun, d’un beau village au suivant, tous fortifiés et perchés au sommet d’une colline. Chacune de ces places-fortes surplombe la campagne environnante de 300 mètres et la vue y est magnifique mais y accéder contre la volonté de ses occupants ne devait pas être une partie de plaisir pour leurs assaillants…

Enfin, on ne dira jamais assez à quel point cette partie de la Toscane est un enchantement pour les yeux. Partout où porte le regard – et il porte loin – il n’y a que de la beauté. J’ai souvent dû me raisonner pour arrêter de mitrailler à tout va, et avancer !

Le premier de ces trois sauts de puce m’a emmené de San Quirico d’Orcia, où j’avais passé la nuit, à Pienza où je me suis offert un petit déjeuner tardif et quelques visites d’églises. Après Pienza, nouvelle descente puis nouvelle montée (les Italiens appellent cela des « saliscendi », des montées-descentes, c’est joli, non ?) pour rejoindre Montichiello où j’ai été cordialement accueilli dans une trattoria pour une bière et une salade en terrasse. Et le troisième saut de puce m’a emmené à Montepulciano où, après avoir visité deux églises et dîné, je vais très vite aller me coucher. Près de mille mètres de dénivelé dans les pattes aujourd’hui… je pense que je vais bien dormir.

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