À pied, de Paris au Salento : Bourgogne


<< Île-de-France | Sommaire | Jura >>

J 12 – Samedi 13 juin 2020
Saint-Julien-du-Sault -> Joigny (km 280)

La chapelle Saint-Julien et ses remparts.
La légende affirme que Julien, centurion romain traqué parce qu’il était chrétien, échappa à ses poursuivants en faisant faire à son cheval un « sault » prodigieux depuis le sommet d’une colline jusqu’à la vallée de l’Yonne. De là vient le nom de Saint-Julien-du-Sault, la ville où j’ai passé la nuit, depuis laquelle cette chapelle perchée sur une colline attire tout de suite l’attention.

J’avais largement le temps de faire un détour pour gravir cette colline ce matin avant la courte étape prévue jusqu’à Joigny et j’ai donc commencé la journée par une petite grimpette (sans savoir d’ailleurs que le trajet d’aujourd’hui en comporterait plusieurs autres). C’est une belle chapelle gothique du XIIe siècle qui faisait partie d’une forteresse assurant la protection des villages de la plaine. Chapelle et remparts sont en très bon état. On ne peut pas pénétrer dans l’édifice mais, de ce que j’ai pu apercevoir entre les barreaux de la porte, l’intérieur de la chapelle n’a pas été restauré.

Une fois revenu sur mes pas, j’ai ensuite traversé l’Yonne à Villevallier puis ai remonté son cours sur les pentes boisées de sa rive droite. Après la Seine elle-même à Meudon, après la Bièvre, l’Essonne et le Loing, c’était aujourd’hui le dernier des affluents de la Seine que je traversais. J’ai maintenant quitté pour de bon le Bassin parisien, comme le montrent aussi les dénivelés qui commencent à apparaître.

Comme prévu, « l’intendance » m’a rejoint à Joigny (avec une veste de pluie !). Demain sera un jour de pause.

-:-:-:-:-:-:-:-

J 13 – Dimanche 14 juin 2020
Joigny (pause)

Joigny.

Rues étroites et pentues, vieilles maisons, église Saint-Jean de style Renaissance contenant de belles œuvres, Joigny est une jolie petite ville dont le moins que l’on puisse dire est qu’elle n’était pas très animée en ce dimanche.

Ça n’est finalement pas du tout désagréable de passer une journée entière sans crapahuter. Mais quand même, dormir dans un lit pour la quatrième nuit consécutive, est-ce bien raisonnable ? Il va être temps dès demain de reprendre les bonnes habitudes.

-:-:-:-:-:-:-:-

J 14 – Lundi 15 juin 2020
Joigny -> Appoigny (km 306)

Eh non, ce n’est pas du cannabis…
J’ai quitté la vieille ville de Joigny, sortie elle aussi de sa léthargie dominicale, en remontant d’un bon pas le cours de l’Yonne, d’abord sur l’ancien chemin de halage de sa rive droite, accompagné par le concert des grenouilles, puis, plus à distance, sur de longues allées ombragées par des tilleuls et des platanes.

Après une vingtaine de minutes de marche dans la campagne, j’ai eu la surprise que le chemin s’éloigne de la rivière pour pénétrer dans… Joigny, quartiers est. Arrivant directement dans la vieille ville depuis les côteaux ouest, j’avais cru avant-hier que Joigny était une petite ville. En fait elle s’étend largement vers l’est par des zones pavillonnaires et des cités HLM où, ce matin, des dames aux longues robes colorées se promenaient voilées derrière leur poussette.

Malgré les espaces verts et les efforts évidents pour que le quartier soit agréable à ses habitants, je me disais en traversant ces cités qu’à Joigny et ailleurs la comparaison entre les maisons du 17ème et du 20ème siècle n’était pas flatteuse pour ces dernières.

À Laroche-Saint-Cydroïne, je suis repassé sur la rive gauche, peu après avoir admiré une église romane remarquable par son clocher octogonal et, à l’intérieur, par ses poutres traversantes et plusieurs œuvres d’art. Le chemin a ensuite suivi la rivière sur plusieurs kilomètres avant de s’en s’éloigner pour grimper sur un plateau d’où l’on domine, à 201 mètres d’altitude, d’un côté la vallée de l’Yonne, de l’autre celle du Tholon. Ce plateau est le siège de cultures diverses, en particulier maraîchères mais j’y ai aussi vu un immense champ de cannabis ! (*)

C’est sans rapport avec ce qui précède mais ce plateau m’a paru un bon endroit pour bivouaquer. Comme je n’avais plus d’eau, il m’a fallu faire un aller-retour vers le cimetière de Branches, en contrebas. Passant devant le jardin du château attenant, j’ai échangé un « bonjour » avec un vieil homme qui s’y trouvait et qui, me revoyant passer quelques minutes plus tard avec mes bouteilles pleines, s’est exclamé « Ah mais il fallait me demander ! Entrez donc ! Voulez-vous visiter l’église ? C’est moi qui ai la clef. » J’ai accepté, plus pour ne pas le décevoir que par réel intérêt mais c’est moi qui n’ai pas été déçu : des fresques du 14e siècle ont été récemment découvertes sur les murs de cette église et sont en train d’être remises au jour. L’accès est interdit au public mais j’ai eu droit à une visite personnelle commentée !

Après cela, le temps de remonter sur le plateau et d’installer mon bivouac, il était plus que temps de penser à me coucher.

(*) En fait, de ce que j’ai *cru* sur le moment être un champ de cannabis. J’ai ensuite appris qu’il s’agissait de chanvre agricole, dénué de toute propriété psychotrope.

-:-:-:-:-:-:-:-

J 15 – Mardi 16 juin 2020
Appoigny -> Auxerre (km 329)

Promenons-nous dans les bois…
Être réveillé par le chant des oiseaux est l’un des grands plaisirs du bivouac. Le soleil se lève, la nuit est finie mais le jour n’a pas encore vraiment commencé. On peut prolonger sans remord pendant plusieurs dizaines de minutes un demi-sommeil douillet bercé de gazouillis.

Comme tout le monde, je sais reconnaître le chant du coucou, du pigeon ou du merle, mais j’en suis bien incapable pour la plupart des autres oiseaux des champs et des bois (et j’envie beaucoup les personnes qui le savent). Ainsi, ce matin, il m’a été impossible d’identifier les dizaines de chants différents qui résonnaient dans les arbres, ce qui ne m’a pas empêché de passer ravi le premier quart d’heure de la journée à écouter ce concert matinal, allongé bien au chaud dans mon duvet tandis que le ciel rougeoyait entre les arbres.

J’ai vu ce matin que le choix de mon lieu de bivouac d’hier soir avait été judicieux car j’ai marché longtemps dans une dense forêt d’acacias où il aurait été bien difficile de trouver un endroit où planter la tente en sécurité pour elle et pour le bonhomme. Toute la journée ou presque d’ailleurs, c’est sur des sentiers forestiers que j’ai marché sans y croiser personne.

En milieu d’après-midi seulement, à la périphérie d’Auxerre, j’ai rencontré Yohann. Une équipe d’ouvriers défonçait la chaussée avec une excavatrice pour mettre en place des canalisations. Me voyant arriver, leur superviseur s’est précipité vers moi : « Ça alors ? C’est vous ? C’est vous qui traversez la France à pied ? J’ai eu un message me disant que vous arriviez à Auxerre aujourd’hui, regardez ». Tout de même un peu surpris par cette notoriété soudaine, j’ai en effet lu sur son smartphone qu’un jeune homme de 21 ans faisait 900 km à pied pour trouver du boulot et devait arriver aujourd’hui à Auxerre… Le quiproquo a vite été levé et notre rencontre immortalisée par un selfie. Quand même, je suis surpris qu’il ait pu me prendre pour un garçon de 21 ans… je sais bien que je fais nettement moins !

Le vieil Auxerre mérite une longue visite. Je n’ai fait que m’y promener un peu ce soir ; j’y passerai sans doute toute la matinée de demain.

-:-:-:-:-:-:-:-

J 16 – Mercredi 17 juin 2020
Auxerre -> Champs-sur-Yonne (km 343)

Sur le Canal du Nivernais

Les circonstances de la vie font qu’il y a des villes où l’on est allé de nombreuses fois et d’autres que l’on ne connaît pas. Les premières sont pleines de souvenirs, les secondes offrent le plaisir de la découverte. La ville d’Auxerre, comme d’ailleurs l’Yonne en général, est pour moi une belle découverte.

Après avoir fait un petit tour dans la ville hier en fin d’après-midi, j’ai arpenté ce matin ses petites rues pavées et pentues, et j’ai fait – avec plaisir – la tournée des églises : l’église Saint-Pierre, l’église Saint-Eusèbe, puis la cathédrale Saint-Étienne et pour finir l’Abbaye Saint-Germain, que j’ai visitée en dernier avant de rejoindre les quais de l’Yonne. Il était alors midi passé et largement temps pour moi de reprendre la route.

Le Canal du Nivernais qui relie la Seine à la Loire se confond ici avec l’Yonne. Le chemin qui le suit d’écluse en écluse est une agréable promenade pour les cyclistes et les piétons. J’y ai rencontré Maryse et Philippe avec lesquels nous avons échangés nos expériences de randonneurs. Ils randonnent actuellement à vélo depuis leur camping-car mais ce sont aussi des randonneurs à pied qui font chaque année une portion du Chemin de Compostelle.

A Champs-sur-Yonne, j’ai quitté la rivière/canal pour monter sur les côteaux de la rive droite dans les vergers (c’est le temps des cerises !) et les vignes. J’y ai trouvé, abrité par des arbustes et des pins, un carré d’herbe de dix mètres sur dix qui n’attendait que ma tente pour conclure cette petite étape.

-:-:-:-:-:-:-:-

J 17 – Jeudi 18 juin 2020
Champs-sur-Yonne -> Bessy-sur-Cure (km 366)

La Cure et le canal d’Accolay

Je n’étais qu’à 200 mètres d’altitude et au milieu des vignes, et pourtant j’ai eu l’impression de faire cette nuit le premier bivouac de montagne de cette longue marche. Une fois les viticulteurs et leurs tracteurs partis, je me suis retrouvé seul sur ce grand plateau désert, surmontant les lumières des villages alentours. Le sol rocailleux où j’ai eu bien du mal à planter mes sardines, le vent violent qui soufflait, le froid qui est venu avec le coucher du soleil… tout cela me donnait presque l’impression de me trouver quelque part dans les Alpes, comme un avant-goût du futur.

J’ai levé le camp suffisamment tôt ce matin pour être déjà en train de marcher parmi les vignes lorsque les viticulteurs sont revenus, au volant de leurs étranges tracteurs aux immenses roues. L’un d’entre eux, Thierry Richoux, a eu la gentillesse de s’arrêter pour apprendre au citadin que je suis quelques rudiments de son métier. J’ai par exemple appris que ces « tracteurs enjambeurs » servent à retourner la terre et à arracher les mauvaises herbes sans toucher aux treilles et que cette année les vendanges (qui ont toujours lieu cent jours après la floraison) seront précoces, à la fin août. Comme je suis un bon élève, j’ai aussi retenu que le vin d’Irancy est le seul vin rouge d’appellation communale de l’Yonne… et je compte bien y goûter bientôt.

À deux reprises aujourd’hui j’ai rencontré des randonneurs allant en sens inverse. D’abord trois randonneuses d’Irancy (dont deux semblaient plus pressées que la troisième), et un peu plus tard Laurent, parti d’Avallon hier pour rejoindre Auxerre ce soir, soit deux étapes de 30 et plus de 40 kilomètres, respect !

Comme j’arrivais au village de Bessy-sur-Cure, une pluie drue s’est mise à tomber. Pratiquement en face du cimetière où j’allais chercher l’eau de mon bivouac de trouvait… un gîte communal. Qu’auriez-vous fait à ma place ? Seriez-vous reparti chercher un bivouac sous la pluie ou auriez-vous fait le choix d’une nuit sous un toit après une douche chaude ? Pour moi ça a été tout vu : je suis entré. On m’a installé dans un dortoir pour quatre personnes où, pour l’instant, je suis tout seul et bien tranquille.

-:-:-:-:-:-:-:-

J 18 – Vendredi 19 juin 2020
Bessy-sur-Cure -> Massangis (km 395)

Près d’Arcy-sur-Cure

Il a bien plu cette nuit et ce matin la nature ruisselait. Dans le bois entre Bessy-sur-Cure et Arcy-sur-Cure, des averses miniatures tombaient des branches à mon passage, le sol était glissant et l’herbe mouillée, et les limaces étaient de sortie.

Victimes du covid-19, les grottes de Saint-Moré étaient encore fermées mais j’ai parcouru dans tous les sens la colline où se trouvait il y a deux mille ans le camp romain de Cora-Villaucerre. Cette place-forte gardait la Via Agrippa, qui joignait Lyon à Boulogne-sur-mer, en mettant à profit la situation exceptionnelle d’une colline naturellement inaccessible sur trois côtés en raison de falaises créés par un ancien méandre de la Cure. Les restes de remparts qui subsistent sur le quatrième côté ne sont guère impressionnants. Jadis pourtant, ils faisaient 200 mètres de long. L’endroit le plus remarquable (et qui aurait pu faire un superbe site de bivouac hier, si…) est situé au bord de la falaise opposée, dominant par-dessus la rivière le village de Voutenay-sur-Cure.

Après cette longue visite, il était juste midi lorsque je suis arrivé devant l’auberge de Saint-Moré. C’était l’occasion de déjeuner et de tenir la promesse faite hier à Thierry Richoux de goûter le vin d’Irancy. L’accueil dans cette auberge a été très sympathique. Laura m’a servi avec le sourire et « le chef » m’a longuement instruit sur les vins locaux tandis que je dégustais un verre d’Irancy (ne provenant hélas pas du domaine de Thierry). C’est un vin particulier, un peu acide et « rocailleux » comme le terrain où ses treilles poussent… j’aime bien.

J’aurais alors pu aller directement à Vézelay et en repartir demain pour Avallon où mon épouse doit me rejoindre pour le week-end mais cela m’aurait obligé à « bâcler » la visite de Vézelay et de Saint-Père. J’ai donc pris le parti de faire – encore – un détour et de rejoindre d’abord Avallon en deux jours via une boucle sur le GRP de l’Avallonais, pour n’aller à Vézelay qu’ensuite.

C’est ainsi que j’ai marché cet après-midi dans un paysage bien différent de celui des côteaux et des bords de l’Yonne et la Cure, sur de grandes étendues moutonnantes qui m’ont beaucoup rappelé le Vexin, et que je me suis installé pour la nuit dans une forêt vivante (mais quasiment dépourvue de réseau téléphonique) où j’ai déjà vu deux chevreuils et un renard.

-:-:-:-:-:-:-:-

J 19 – Samedi 20 juin 2020
Massangis -> Avallon (km 419)

Déjà la fenaison !

Au lieu de reprendre le GRP Tour de l’Avallonais à Massangis, je suis parti directement vers le sud en coupant à travers la forêt et l’ai rattrapé à Sainte-Colombes, réduisant ainsi l’étape d’aujourd’hui jusqu’à Avallon à une vingtaine de kilomètres parcourus sans événement particulier, dans la forêt puis entre champs et prairies.

Une vingtaine de kilomètres, c’est la distance quotidienne que je m’étais promis de ne pas dépasser pendant mes premières semaines de marche pour laisser à mon corps le temps de s’adapter à son nouveau mode de fonctionnement. Une sorte de rodage en somme, qui a été facilité par le fait d’avoir marché d’abord en plaine, puis avec un peu de dénivelé depuis quelques jours, avant d’arriver bientôt dans le Morvan où les choses devraient se corser quelque peu.

La méthode semble avoir bien fonctionné : aujourd’hui, ça m’a paru facile. Les sensations reviennent, je sens que la machine s’est remise « en route », qu’elle est en « état de marche » (la langue française a des expressions particulièrement appropriées, n’est-ce pas). Pour le moment - touchons du bois - je ne suis pas particulièrement fatigué, j’ai probablement perdu un peu de poids ce qui n’est pas un drame, et surtout je ne me suis pas blessé : pas de douleurs excessives, pas de signes de tendinite et même pas d’ampoules. Pourvu que ça dure !

Comme on dit à Paris : « qui veut voyager loin ménage sa monture ». Comme on dit à Syracuse : « chi va piano va sano e va lontano »

-:-:-:-:-:-:-:-

J 20 – Dimanche 21 juin 2020
Avallon (pause)

Avallon depuis ses remparts

Il ne m’avait pas été difficile de comprendre pourquoi, à Auxerre, le « parcours découverte » de la ville était marqué au sol par des plaques triangulaires en bronze à l’effigie de Cadet Roussel car c’est un personnage historique lié à la ville dont le nom est connu de tous.

Grenouille

La grenouilled’Yvan Baudoin
En revanche, je ne voyais pas pourquoi, à Avallon, l’emblème gravé sur ces plaques était une grenouille jusqu’à ce que l’on m’explique qu’il s’agit de l’une des curiosités de la ville, une sculpture en pierre située depuis une quinzaine d’années sur la placette qui fait face à l’église Saint-Lazare. Je suis allé la voir… Pour parler franchement, son principal intérêt m’a paru être celui de pouvoir servir de monture à tous les enfants qui passent.

Quoiqu’il en soit, j’ai plus ou moins suivi le parcours de la grenouille pour faire connaissance avec la ville cet après-midi : les remparts qui dominent la campagne et la vallée du Cousin ; l’église Saint-Lazare (fermée) dont le magnifique portail du 12e siècle est hélas très endommagé ; l’église Saint-Martin dont j’ai beaucoup aimé des vitraux vraisemblablement modernes ; la statue de Vauban, « l’enfant du pays » ; et pour finir la Tour de l’Horloge près de laquelle j’ai dîné en écoutant des chanteurs amateurs célébrer gaiement la Fête de la musique.

Demain, fin du repos, direction Vézelay.

-:-:-:-:-:-:-:-

J 21 – Lundi 22 juin 2020
Avallon -> Vézelay (km 441)

La crypte de la Basilique

J’ai quitté Avallon par des petites rues en pente, des chemins sentant bon l’herbe fraîchement coupée et des escaliers raides, et ai rejoint la vallée du Cousin. Je m’attendais à une jolie promenade tranquille en bord de rivière et c’était en effet très joli, mais ces quelques kilomètres ont surtout été sportifs car les bords de la rivière sont restés sauvages. La progression y est difficile avec des passages en dévers prononcé et de multiples chablis en travers du sentier.

En quittant à Pontaubert les bords du Cousin, j’ai également quitté le couvert des arbres pour marcher en plein soleil tout le reste de la journée, heureusement bien protégé par le parapluie que j’avais fixé à une bretelle de mon sac à dos. Je suis néanmoins arrivé en haut de la côte de Vézelay assez fatigué et déshydraté… ce qu’une bonne bière d’abbaye a corrigé en urgence, avant même que je ne visite la Basilique.

Les bâtisseurs de celle-ci l’ont orientée et ont placé ses fenêtres de telle sorte qu’un « chemin de lumière » soit visible à midi (heure solaire) lors des solstices. C’était par hasard la bonne période de l’année mais je suis arrivé trop tard dans l’après-midi pour observer ces neuf flaques de lumière alignées au milieu de l’allée centrale de la nef… et me suis contenté d’en voir des photos. Même en dehors de ce phénomène, cette basilique colossale est grandiose.

Dans un registre totalement opposé, j’ai découvert ensuite dans une ruelle une église orthodoxe minuscule, en fait constituée par les deux pièces superposées d’une maisonnette. Dans la chapelle, au premier étage, un pope était assis, seul avec un livre dont il a très courtoisement interrompu la lecture pour répondre à mes questions et, de fil en aiguille, pour discuter longuement des rites orthodoxes, des (trop) nombreux patriarcats, des monastères du Mont Atos et de la difficulté pour des oreilles et des cordes vocales occidentales d’interpréter des chants orientaux qui sont composés dans une gamme utilisant les quarts de ton… La légèreté d’esprit et l’ouverture aux autres apportés par la marche au long cours favorise décidément de belles rencontres.

-:-:-:-:-:-:-:-

J 22 – Mardi 23 juin 2020
Vézelay -> Chastellux-sur-Cure (km 464)

Sur la façade de l’église de Saint-Père.
Plusieurs fois, au cours des derniers jours, on m’a récité : « J’avais une soif de l’Yonne. Voulant savoir à quoi l’Auxerre, en homme de Sens, j’y Joigny un peu de vin et je dis : Tonnerre, Avallon ! » À mon tour de dire cette comptine en guise d’au revoir à l’Yonne et aux villes que j’ai visitées, Joigny, Auxerre, Avallon, Vézelay, à ses côteaux et ses rivières, à ses vignes et ses cerisiers. Ce fut une belle découverte.

Après trois semaines de marche j’ai achevé à Vézelay la première partie de mon périple. Mon corps est maintenant rodé et je me sens prêt pour une deuxième partie physiquement plus exigeante avec le Morvan et le Jura.

J’étais parti tôt de Vézelay pour profiter de la fraîcheur matinale, mais à Saint-Père j’ai dû patienter jusqu’à neuf heures que la « serrure électromagnétique programmable » (on n’arrête pas le progrès) de l’église me laisse y pénétrer. L’attente en valait la peine, que j’ai aussi mise à profit pour mitrailler l’extérieur de l’édifice. La restauration de cette magnifique église a été commencée par Eugène Viollet-le-Duc. Interrompue pendant des décennies, elle a repris il y a plusieurs années.

J’ai ensuite rejoint les bords de la Cure, passant au fil de la journée d’une rive à l’autre, tantôt quittant la rivière pour les hauteurs, tantôt revenant à son niveau pour la traverser, jusqu’à ce soir où un petit bois en haut d’une colline a accueilli ma tente. Il a fait très chaud. En dehors d’un randonneur assis au milieu du sentier pour soigner ses ampoules et qui n’avait pas la moindre envie de discuter, je n’ai rencontré personne.

-:-:-:-:-:-:-:-

J 23 – Mercredi 24 juin 2020
Chastellux-sur-Cure -> Brassy (km 486)

Tout est en bois…

Les jours se suivent et ne se ressemblent pas : alors qu’hier je n’avais croisé personne, aujourd’hui les rencontres se sont multipliées à un tel point que je ne peux les citer toutes.

Il y a eu cette très vieille dame assise sur une chaise placée sur le pas de sa porte, qui était ravie de voir passer quelqu’un devant sa maison « Ici vous savez, il ne vient jamais personne » et qui m’a remercié avec chaleur d’être resté discuter avec elle pendant quelques minutes. Il y a eu Nicole, qui depuis son escalier s’est émerveillée de mon parapluie/ombrelle (dont je ne chanterai jamais assez les mérites sous le soleil) et son mari Sylvain, tous deux anciens randonneurs dans le Jura et les Alpes, récemment convertis au camping-car en raison des années qui passent et de problèmes de dos.

Et puis il y a eu deux randonneurs au long cours. En tout début de journée, David est arrivé face à moi sur un étroit sentier, se dirigeant vers Vézelay. Avec son gros sac sur le dos et une bouteille d’eau à la main, il marchait… en tongs, et était à l’évidence très à l’aise ainsi, ayant déjà à son actif un voyage à pied d’Évry à Istanbul. Il est reparti à la recherche d’une épicerie et d’une prise de courant pour recharger son téléphone, entreprise dont le succès à court terme ne paraissait hélas pas assuré.

En milieu de journée, alors que je marchais sur une petite route, j’ai été rattrapé par un cycliste au VTT lourdement chargé. Léon rentrait à vélo chez lui, à Cluny, après deux ans d’absence passés à voyager sur ce même vélo en Australie. Deux ans là-bas, puis plusieurs semaines de confinement à Sidney et il y a quelques jours le retour en France. C’étaient les derniers kilomètres du retour du fils prodigue à la maison familiale.

Concernant le trajet en lui-même, eh bien… Le Morvan c’est beau, ça monte, et ça descend, et ça remonte… et il a fait chaud !

-:-:-:-:-:-:-:-

J 24 – Jeudi 25 juin 2020
Brassy -> Corancy (km 514)

Il fait chaud !

La journée promettant d’être encore très chaude, je me suis mis en route de bonne heure pour profiter autant que possible de la fraîcheur matinale. Au-dessus de Brassy, la campagne était encore endormie, le silence seulement troublé au loin par quelques aboiements déclenchés par la sonnerie de l’angélus. Le ciel était magnifique, son bleu intense rehaussé par des nuages floconneux, blancs avec des touches de gris et de jaune.

Je suis arrivé à Ouroux-en-Morvan peu après dix heures, au moment où la chaleur commençait à monter. C’était le moment idéal pour déguster un Coca bien frais sur une terrasse à l’ombre, faire une pause technique et recharger mes batteries - et accessoirement celles de mon téléphone.

Ouroux-en-Morvan a eu une place particulière dans l’histoire récente du Morvan. Cette petite ville fut en effet la préfecture clandestine de la Nièvre à partir de 1944. C’est là que furent signés les « Accords d’Ouroux-en-Morvan » qui unifièrent les Forces Françaises de l’Intérieur du département (le « Maquis Bernard ») et les Francs-Tireurs et Partisans. C’est également à Ouroux-en-Morvan qu’eut lieu la jonction entre le Maquis Bernard et la Première Armée française en septembre 1944.

Deux heures après m’être remis en route, une nouvelle pause a été nécessaire, au plus fort de la chaleur, pour me mettre à l’ombre au bord du lac de Chaumard. Ce lac artificiel est en fait un élargissement du cours de l’Yonne créé par le barrage de Pannecière. J’y ai déjeuné et fait une petite sieste, non loin de trois pêcheurs qui ont eu la gentillesse, lorsque je suis reparti, de m’offrir une grande bouteille d’eau avant que je remonte sur les hauteurs où je campe ce soir.

Au fait, je ne sais plus si je vous ai dit qu’il avait fait chaud ?

-:-:-:-:-:-:-:-

J 25 – Vendredi 26 juin 2020
Corancy -> Le Haut-Folin (km 544)

On s’attendrait presque à voir passer des Gaulois dans cette forêt !

J’ai péché par excès de prudence hier soir. Une fois arrivé, assoiffé et en nage, sur les hauteurs surplombant le lac de Chaumard, il était 16h30 et il me restait moins d’un litre de l’eau que les trois pêcheurs m’avaient donnée. Craignant par cette chaleur de me retrouver rapidement à sec et le premier village se trouvant à plusieurs heures de marche, j’ai préféré m’arrêter dans un petit bois ombragé pour y bivouaquer. L’eau qui me restait a été tout juste suffisante pour la soirée mais j’ai fait avec.

Ce matin, je suis donc reparti sans eau, alors qu’il faisait encore frais. Une demi-heure plus tard, j’arrivais à la Chapelle de Faubouloin. Je n’avais pas vu sur la carte hier, faute de l’avoir examinée à une échelle suffisamment petite, que cette chapelle est entourée par *trois* sources. Qui plus est, l’endroit était parfait pour un bivouac, isolé, assez plat et couvert d’une herbe rase. C’était rageant mais tant pis… et puis toute leçon est bonne à prendre.

Cette chapelle de Faubouloin a été construite sur un site sacré celtique. Les trois fontaines qui l’entourent font l’objet d’un ancien rite qui s’est prolongé avec le christianisme. L’eau de la fontaine du Frêne, où j’ai rempli mes bouteilles, a en particulier la propriété de garantir le mariage pour les jeunes filles et la fécondité pour les épouses si, après en avoir bu, elles plantent sur l’arbre sacré une épingle ou une feuille de houx.

Bien réhydraté et avec de l’eau dans mes bouteilles, j’ai ensuite marché d’un bon pas, jusqu’à Arleuf d’abord, puis jusqu’au Haut-Folin à l’approche duquel je suis arrivé à nouveau pauvre en eau. Instruit par l’expérience récente, j’ai trouvé sur la carte l’indication d’une « Fontaine des trois bornes » que j’ai fini par localiser, bien difficilement, dans un épais taillis d’épineux. Cela m’a pris une demi-heure et m’a coûté nombre d’égratignures mais j’en suis reparti avec 2 litres d’eau fraîche, non mais !

Que dire du Haut-Folin ? À vrai dire, pas grand-chose. Avec ses 901 m c’est le point culminant du Morvan (et de la région Bourgogne par la même occasion) mais si la montée parmi les pins, les fougères et les buissons de digitales est agréable, le plateau qui en forme le sommet n’a aucun charme, encombré qu’il est par les installations d’un relais de télévision. Au moins la tour permet-elle de le reconnaître de loin.

-:-:-:-:-:-:-:-

J 26 – Samedi 27 juin 2020
Le Haut-Folin -> Laizy (km 567)

Flop devant la tour du Haut-Folin

- Non mais ça va pas ? Tu ne vas pas me laisser là quand même ?
- Ben enfin Flopy, tu sais bien que c’est dans le contrat : un randonneur emporte Flop la Girafe jusqu’à un sommet où il la laisse pour qu’un autre randonneur la recueille à son tour pour l’amener jusqu’à un autre sommet, et ainsi de suite…
- Justement ! C’est pas un sommet ça ! C’est un genre de plateau minable avec une moche tour en ferraille dessus ! Ça ne correspond pas au contrat, et sûrement pas à mon standing !
- Ton standing ? Dis donc Flop, tu exagères ! C’est le Haut Folin, le point culminant du Morvan ! C’est pas de la gnognotte quand même…
- Point culminant, mon œil ! Neuf cents petits mètres de rien du tout, tu parles d’un point culminant ! Et puis, c’est pas pointu. Un sommet, ça doit être pointu ! Si c’est pas pointu, c’est pas un sommet, voilà !
- Neuf cent *un* mètres s’il te plaît, et puis c’est facile pour toi de dire que ce n’est pas haut dis donc, ce n’est pas toi qui les as grimpés ! Tout ce que tu as fait c’est de roupiller sur mon sac pendant que je suais sur les pentes…
- Mais moins de mille mètres, c’est juste pas possible quoi, de quoi je vais avoir l’air devant les copines ?
- (…)
- (éclatant en sanglots) Et puis moi je voulais aller voir le Jura avec toi, et puis les Alpes, et le Vésuve, et l’Etna ! Tu avais dit que tu m’emmènerais là-bas ! Tu avais promis ! Ouiiinnn ! Je veux voir l’Etna ! L’Etnaa ! Je veux voir l’Etnaaaa !
Je ne sais si vous avez déjà vu pleurer une girafe mais c’est un spectacle vraiment difficile à supporter, c’est terrible à regarder et très culpabilisant…
- Bon, bon, allez Flopinette, ne pleure plus, je ne t’abandonne pas, tu vois, je te remets sur mon sac à dos, voilà.
- Et on ira voir l’Etna ? Hein ? On ira ? Dis ? Tu promets ? Tous les deux ?
- OK, OK, on ira ensemble voir l’Etna, c’est promis. Flopette, ne pleure plus s’il te plaît…
- (séchant ses larmes) Ah merci, merci, c’est toi mon mulet préféré, merci, merci, merci !… Bon, on y va ? C’est qu’on a le Mont Beuvray à grimper maintenant, en route quoi !

Nous sommes repartis. Je me demande quand même si je ne me suis pas fait avoir quelque part dans cette histoire…

-:-:-:-:-:-:-:-

J 27 – Dimanche 28 juin 2020
Laizy -> Autun (km 590)

En arrivant à Autun.

J’ai rejoint Autun en début d’après-midi après avoir bivouaqué hier sur les hauteurs, à mi-chemin depuis le mont Beuvray. En l’espace de quelques heures j’ai ainsi relié les deux capitales successives des Éduens, Bibracte et Augustodunum.

Les Éduens étaient les Gaulois qui peuplaient le Morvan. Grands rivaux des Arvernes, ils étaient depuis plusieurs décennies les alliés des Romains lorsqu’ils finirent par se rallier tardivement à Vercingétorix, fédérateur des Gaulois… mais Arverne. Cela se passait en 52 avant J.-C. et cela n’a pas porté chance à ce dernier.

Comme la plupart des grandes villes gauloises, leur capitale, Bibracte, était un gigantesque oppidum qui occupait le sommet du Mont Beuvray. Pour donner un ordre de grandeur de la taille de cette ville fortifiée, il faut imaginer que sa superficie était du même ordre que celle de Paris à la fin du moyen-âge ! Le site est impressionnant, tant par les restes des douze kilomètres de remparts répartis en deux enceintes que par la reconstitution de l’une des douze portes qui donnaient accès à la ville et par la visualisation des rues, des habitations, des ateliers, etc. que les fouilles ont permise.

Après une apogée au cours des années qui ont suivi Alésia, Bibracte déclina progressivement après que l’empereur Auguste fit construire une nouvelle capitale portant son nom, Augustodunum. Cette nouvelle ville, construite à la romaine et dans la plaine, attira rapidement la population de l’oppidum. Elle a subsisté jusqu’à nos jours sous le nom d’Autun, tandis que Bibracte était abandonnée et oubliée pendant près de 2000 ans avant que son site ne soit redécouvert.

Queulle

Une « queulle »
Après cette longue visite du site archéologique, j’ai continué ma route en me dirigeant désormais plein est vers Autun, avec le Jura comme ligne de mire. En descendant le Mont Beuvray, j’ai d’abord rencontré deux randonneurs qui m’ont expliqué que ces nombreux hêtres tordus que l’on voit ici au bord des chemins sont des « queulles », séquelle du fait que lorsqu’ils étaient des arbrisseaux ils avaient été tressés pour former des haies.

J’ai ensuite croisé Myriam qui entamait vaillamment la raide ascension du Beuvray avec un sac qui m’a paru encore bien lourd, bien qu’elle se soit délestée la veille de plusieurs objets, à la fin de sa première étape d’une randonnée solitaire entre Autun et Vézelay.

Aujourd’hui c’est au contraire deux garçons avec de tout petits sacs que j’ai rencontrés au-dessus d’Autun : Simon finissait une « Grande Traversée du Morvan » en trail (320 km en six jours entre Avallon et Autun), accompagné par Noé en VTT. L’un dormait en tarp, l’autre dans un sursac cousu par lui-même dans ce qui m’a paru être du tyvek. Le compte Instagram de Simon : https://www.instagram.com/trissaer/

Enfin, ce soir, rencontre très inattendue dans la brasserie où je suis allé dîner : alors que je buvais mon café et m’apprêtais à partir, plusieurs dizaines de personnes en liesse ont envahi le restaurant : le résultat des élections municipales venait de tomber et le maire sortant, Vincent Chauvet, d’être réélu. Trois de ses partisans se sont installés à côté de moi et le plus proche, Pascal, m’a dit tout le bien qu’il pensait de son candidat. Quelques minutes plus tard, celui-ci entrait à son tour dans la brasserie et venait saluer à la cantonade et serrer spécialement la main de mes compagnons de table, et la mienne par la même occasion. La mairie, soit ; mais il avait surtout gagné le privilège de me rencontrer !

-:-:-:-:-:-:-:-

J 28 – Lundi 29 juin 2020
Autun -> Morlet (km 617)

Le tympan de la Cathédrale Saint-Lazare d’Autun.

Le ciel était avec moi hier soir. Enfin, pas le ciel avec les nuages, parce qu’il a plu à verse à partir de 17 heures, mais le Ciel avec une majuscule, parce qu’à cette heure-là j’étais déjà arrivé à Autun et installé dans ma chambre d’hôtel.

Autant j’aime le bivouac, la recherche d’un bon site, l’installation du campement, la nuit dans la nature, le chant des oiseaux le matin, autant je trouve particulièrement satisfaisant de dormir par hasard sous un toit justement la nuit où il fait un temps à ne pas mettre un campeur dehors. Ce matin, il bruinait, sans plus, et très rapidement la pluie a laissé place à un simple ciel gris.

Il n’était pas pensable que je quitte Autun sans avoir visité l’intérieur de la Cathédrale Saint-Lazare, ce que je n’avais pas pu faire hier car elle était fermée au public (un dimanche après-midi…) Je suis donc remonté ce matin à la ville haute pour cela. C’est une belle cathédrale, imposante, dont j’ai trouvé la nef particulièrement majestueuse. À l’extérieur, le portail et le tympan sont magnifiques, on pourrait passer des heures à regarder chaque sculpture, à examiner chaque détail.

La matinée déjà bien entamée, j’ai quitté les hauts quartiers et suis sorti de la ville par la porte Saint-André. Cap à l’est désormais, direction le Jura. Cette partie de mon parcours qui fait la jonction entre le Morvan et le Jura est quasiment une inconnue pour moi. Je l’ai tracée un peu à la va-vite sur la carte IGN en reliant comme j’ai pu les rares portions de GR bien orientées avec des chemins non balisés et des petites routes. On verra bien avec quelle fidélité je suis ou non cette trace. Il reste toujours possible que je décide à un moment où à un autre de modifier mon chemin si une nouvelle idée me passe un de ces jours par la tête.

-:-:-:-:-:-:-:-

J 29 – Mardi 30 juin 2020
Morlet -> Chagny (km 648)

Le jour se lève sur *LE* pré sans vaches !

J’ai eu beaucoup de mal hier à trouver un site de bivouac, entre les sous-bois couverts de ronces ou trop en pente et les prés occupés par des vaches. J’ai donc été bien content de finir par dénicher un petit pré à peu près plat et sans occupant bovin.

Il y a deux raisons pour lesquelles je préfère poser ma tente dans une forêt ou au moins dans un bosquet : la discrétion d’abord, l’absence de condensation ensuite. Exposé en plein champ comme je l’étais, la paroi de ma tente s’est retrouvée trempée ce matin ainsi que la face extérieure du duvet. Mais bon, cela fait partie des aléas du bivouac, moins on y attache d’importance et mieux c’est. Pour la tente, un coup de chiffon a réglé le problème et pour le quilt, il a suffi d’une pause de vingt minutes en milieu de matinée pour le faire sécher au soleil.

Il est difficile d’imaginer que la région où j’ai marché ce matin, ce bocage dans lequel paissaient des centaines de vaches charolaises, était jadis un bassin minier où l’on exploitait le charbon et les schistes bitumineux. Pourtant, les « Houillères d’Épinac » ont creusé environ 70 puits dans ce secteur à partir du 18ème siècle. Leur activité, qui a cessé il y a moins de cent ans, n’a étonnamment laissé aucune trace dans cette campagne en dehors de quelques panneaux explicatifs disposés sur les bords du chemin.

Après une matinée parmi les vaches, j’ai passé l’après-midi parmi les vignes, en empruntant à partir de Nolay la voie verte qui relie cette ville à Chagny, d’abord sur le trajet d’une ancienne voie ferrée (avec les tunnels qui vont avec) puis le long du Canal du Centre. Ce vignoble n’a rien à voir avec le côté plus artisanal des vignes traversées dans l’Yonne il y a deux semaines. Ici, les parcelles sont souvent très étendues, me faisant davantage penser aux champs de blé et d’orge du Bassin parisien qu’aux côteaux de l’Yonne, avec de multiples engins agricoles travaillant ensemble sur des exploitations immenses.

Terrain plat et souvent goudronné, la marche a été particulièrement facile. Je suis arrivé à Chagny assez tôt et en forme après avoir parcouru une trentaine de kilomètres. Comme il n’y a pas de mal à se faire du bien de temps en temps, je dormirai cette nuit à l’hôtel après avoir dîné dans le restaurant où j’écris ces lignes en discutant avec Mélanie, la serveuse souriante qui les lira probablement. Ce fut une excellente journée.

-:-:-:-:-:-:-:-

J 30 – Mercredi 1er juillet 2020
Chagny -> Verdun-sur-le-Doubs (km 677)

Le Doubs aux eaux limpides rejoint la Saône aux eaux limoneuses.

Trente jours de marche – en fait 28 jours + 2 journées de repos – voilà déjà un mois que je suis parti ! Le temps est passé à toute vitesse et pourtant, au rythme lent de mes pas, chaque journée s’est écoulée sans hâte, me faisant peu à peu découvrir de nouveaux paysages, de nouvelles régions.

Dans ma « marche vers l’est » actuelle, entre le Morvan et le Jura, je traverse quasiment en ligne droite une partie de la Bourgogne qui, pour le randonneur en général et pour moi en particulier, est une sorte d’entre-deux géographique, au sud de Beaune, au nord de Chalon. Par ici il y a très peu de chemins balisés et très peu de marcheurs, c’est le vélo qui est roi.

En quittant Chagny ce matin j’ai voulu me mettre rapidement à l’abri des vélos de course qui me frôlaient hier à toute vitesse sur la voie verte en arrivant silencieusement par derrière, et je me suis enfoncé dans la forêt où j’ai marché pendant plusieurs heures sur des chemins parfois bien entretenus, parfois envahis de hautes herbes, toujours seul avec les arbres et les oiseaux, et avec un chevreuil qui m’est passé lttéralement sous le nez, à moins de dix mètres.

Vers treize heures, je me suis arrêté avant la fin de la forêt pour déjeuner, afin de pouvoir profiter encore de sa fraîcheur avant de devoir affronter les heures les plus chaudes de la journée en terrain découvert. En fait, dans le petit coin douillet que je me suis aménagé entre trois arbres, j’ai déjeuné, j’ai lu, j’ai écrit, j’ai téléphoné… et j’ai fait près d’une heure de sieste.

En milieu d’après-midi, enfin sorti du bois (et de ma flemme) j’ai rejoint la Saône dont j’ai remonté un vaste méandre sous le soleil – et sur une voie verte – jusqu’au niveau de son confluent avec le Doubs. Ces deux rivières d’importance sensiblement identiques se fondaient sans heurt pour n’en faire qu’une seule, les couleurs différentes de leurs eaux – bleu foncé limpide pour le Doubs, plutôt jaune-vert et chargée de limon pour la Saône – restant bien distinctes sur plusieurs centaines de mètres.

Ce soir, couché sur le dos, j’écris ces lignes en contemplant des nuages que les rayons du soleil couchant colorent de rose. Sans les moustiques, tout serait parfait.

-:-:-:-:-:-:-:-

J 31 – Jeudi 2 juillet 2020
Verdun-sur-le-Doubs -> Pierre-de-Bresse (km 704)

La pluie menace, on ne moissonne plus.

Saint-Bonnet-en-Bresse, Pierre-de-Bresse… en franchissant la Saône hier, je suis entré en Bresse, ce que beaucoup de villages mentionnent dans leur nom. La Bresse est une de ces anciennes provinces françaises dont l’identité a résisté aux réformes administratives, comme j’avais pu le constater aussi dans le Morvan où personne ne se dira bourguignon ; on est morvandiau, point. De même, en Bresse on est bressan.

J’ai toutefois été surpris de constater que la Bresse remontait si haut. Bourg-en-Bresse est quand même 80 kilomètres plus au sud. En fait, on est ici en « Bresse bourguignonne » ce qui veut dire, m’a expliqué depuis le pas de sa porte une dame de Toutenant à qui je laisse courageusement l’entière responsabilité de ses affirmations « que les Bressans de Bourg nous regardent de haut parce qu’on est des ploucs et que les Bourguignons nous regardent de haut parce qu’on cultive les céréales et eux la vigne ».

Et des céréales, il y en en effet beaucoup ici. Cela m’a rappelé la Beauce pouilleuse traversée il y a quelques semaines, avec toutefois des paysages plus variés et des parcelles moins étendues. L’orge de printemps a déjà été moissonnée, comme le colza. C’est maintenant au tour du blé.

J’ai été étonné de voir en plusieurs endroits des champs de blé dont une partie seulement avait été fauchée. Christophe, a peine descendu de son énorme moissonneuse, m’a expliqué qu’il faut en effet arrêter de moissonner si la pluie arrive, pour éviter que le grain et la paille ne soient mouillés. Et la semaine dernière, il a plu. Lui-même préférait d’ailleurs arrêter sa moisson pour le moment, le ciel menaçant l’incitant à ne pas tenter le diable. Peut-être le fait que ce soit l’heure à laquelle ses amis Loïc et Patrick sont venus le rejoindre n’était-il pas non plus étranger à cette décision.

-:-:-:-:-:-:-:-

Sommaire | Haut de page          << Île-de-France | Jura >>

Licence Creative Commons    Lignes de Fuite - 2010