À pied, de Paris au Salento : Haute-Savoie


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J 39 – Vendredi 10 juillet 2020
Refuge du Gralet -> Olliet (km 910)


Le Rhône au Défilé de l’Écluse, surplombé par le Fort de l’Écluse

Après tout le dénivelé avalé hier, cela a été un pur plaisir de commencer la journée par une longue descente douce sur un large et bon chemin forestier. Les choses sont devenues plus techniques ensuite, lorsque la descente s’est poursuivie par un sentier abrupt pour aboutir à un dénivelé négatif de 1200 mètres dans la matinée mais il n’y a pas de doute, je préfère définitivement les descentes aux montées.

Il fallait bien descendre des hauteurs pour traverser le Rhône qui, tout juste sorti du lac Léman, passe dans le Défilé de l’Écluse, étroit couloir entre la chaîne du Haut-Jura au Nord et le massif du Vuache au sud. Malgré l’étroitesse de ce passage, le cours du fleuve est calme et assez lent. Le pont Sadi Carnot sur lequel je suis passé a été nommé ainsi, non pas pour honorer le Président de la République assassiné, mais parce qu’il l’avait conçu, longtemps avant, en tant qu’ingénieur des Ponts-et-chaussées. Le passage à pied y est assez déplaisant car l’on est obligé de marcher sur la chaussée malgré la forte circulation automobile en raison de trottoirs trop étroits pour être utilisés, mais on y a une vue superbe sur le Fort de l’Écluse qui surplombe les eaux bleu turquoise du fleuve.

Une fois de l’autre côté (et donc désormais en Haute-Savoie), j’ai eu l’impression de me retrouver dans les premiers jours de cette longue promenade, lorsque je marchais en vallée de Chevreuse… mêmes maisons modernes et cossues, mêmes jardins aux gazons impeccables et aux haies taillées au cordeau, même impression d’opulence. La seule différence était les vignettes suisses de circulation apposées sur les pare-brise des automobiles de ces travailleurs frontaliers.

J’ai vite repris un peu de hauteur pour aller bivouaquer sur les flancs du Vuache. La pluie a commencé à tomber cinq minutes après que j’ai monté la tente. Excellente synchronisation.

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J 40 – Samedi 11 juillet 2020
Olliet -> Archamps (km 935)


Une guitare en bois massif…

Une pluie fine est tombée pendant une bonne partie de la nuit et ce matin le massif était noyé dans la brume. J’ai remballé mon matériel, plié la tente, bouclé mon sac à dos et me suis mis en route pour une dernière journée de marche avant la pause… puisque j’ai interrompu mon périple ce soir pour une durée de deux semaines.

Lorsque j’avais programmé ce voyage à pied jusqu’à Syracuse, j’avais calculé que j’arriverais en Toscane après deux mois et demi de marche, aux alentours du 14 juillet. Mon épouse et moi avions donc prévu qu’elle me rejoindrait alors à Sienne pour deux semaines de vacances. Le covid-19 est passé par là, j’ai dû modifier mon projet et je ne suis pas en Toscane… mais les quinze jours de vacances sont toujours au programme. Nous les passerons dans les Alpes et pas au ‘bel paese’, voilà tout.

À Saint-Blaise, j’ai donc quitté le GR Balcon du Léman et ai rejoint Archamps par le GR65. Un peu avant d’arriver à Neydens, je suis tombé sur Jérome Demiet en train de sculpter une guitare en bois massif… avec une tronçonneuse. Il m’a montré plusieurs de ses sculptures, j’aurais bien emporté l’escargot si je n’avais pas craint de trahir l’esprit de la marche légère.

Et voilà. J’ai provisoirement mis le déroulement de ma longue promenade sur « pause », juste au moment où j’atteignais les Alpes. Pendant deux semaines, je vais faire des balades à la journée dans le Haut-Chablais, histoire de ne pas perdre la main… enfin, le pied, et je repartirai d’Archamps samedi 25 juillet. À bientôt !

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J 41 – Samedi 25 juillet 2020
Archamps -> Reignier-Ésery (km 961)


Depuis la crête du Salève, Genève et le lac Léman,
avec en arrière-plan le Haut-Jura où j’étais il y a quelques jours.

C’est reparti ! Mon épouse m’a déposé en fin de matinée à Archamps, à l’endroit précis où elle m’avait récupéré le 11 juillet. J’ai ensuite regagné, au Col de la Croisette, le GR Balcon du Léman sur les hauteurs du Salève. La vue était splendide des deux côtés : à droite, les Alpes avec le Mont-Blanc qui ne se laisse jamais oublier, à gauche le Lac Léman et l’agglomération genevoise et, en arrière-plan, tous les pics du Haut-Jura que j’ai gravis récemment : la Dole, le col de la Faucille, le Colomby de Gex, le Crêt de la neige, le Reculet, comme un flash-back vers le passé récent.

Les deux semaines de vacances que je viens de passer dans le Haut-Chablais m’ont été très bénéfiques, non seulement au plan physique (il y avait bien longtemps que je n’avais pas autant dormi que pendant les trois premiers jours !) mais aussi parce qu’elles m’ont permis de réfléchir à tête reposée à la suite de mon parcours.

J’ai pu reconnaître que lorsque les dénivelés quotidiens de mille mètres et plus ont commencé à se succéder, mon âge s’est très impoliment rappelé à mon souvenir. Un jour ça va, deux jours ça va, trois jours… bref, ce n’était plus l’agréable « longue promenade » des premières semaines ; je me levais chaque matin avec l’objectif d’accomplir une performance sportive, et ce n’est pas cela qui m’attire dans la randonnée au long cours.

Le recul permis par l’interruption de mon périple et les randonnées à la journée que j’ai faites pendant cette période en moyenne et haute montagne autour de Morzine et d’Avoriaz m’ont fait réaliser que j’avais péché par optimisme en pensant que l’entraînement des premières semaines de marche et l’augmentation progressive des dénivelés quotidiens me permettraient de poursuivre mon périple par la Grande Traversée des Alpes. Je ne suis pas certain d’en être physiquement capable, et je suis en revanche tout à fait certain que ce n’est pas le type de randonnée que j’ai envie de faire.

Je vais donc profiter de la proximité de la Suisse et de la relative stabilité de la situation sanitaire pour recoller au trajet que j’avais élaboré avant que la pandémie du covid-19 ne m’en fasse changer. Dans quelques jours, une fois arrivé au terme du Balcon du Léman à La Chapelle d’Abondance, je me dirigerai à l’est vers la Suisse pour rattraper à Monthey ma trace initiale qui rejoint l’Italie par le Col du Grand Saint-Bernard.

Mon objectif pour cette année n’est donc plus Menton, et je ne sais pas encore jusqu’où je vais marcher en 2020. À travers le Val d’Aoste, le Piémont et sur l’Alta Via dei Monti Liguri, sans aucun doute ; jusqu’à la Toscane, probablement ; plus loin peut-être ? Qui sait… On verra bien.

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J 42 – Dimanche 26 juillet 2020
Reignier-Ésery -> Le Signal des Voirons (km 984)


La Cabane de la Servette, où je vais passer la nuit.

Il faut toujours rester positif, n’est-ce pas ? Alors, disons qu’il faisait très beau ce matin et que c’était dimanche ! Il faut bien reconnaître toutefois que les onze ou douze premiers kilomètres de la journée n’ont pas été très agréables car le GR suivait des routes, sans doute moins fréquentées ce matin qu’un jour de semaine, mais aux bas-côtés inconsistants et sur lesquelles il fallait marcher en gardant les yeux et les oreilles grands ouverts pour prévoir l’arrivée des automobiles… Qu’on se le dise, les environs d’Annemasse ne sont pas des plus propices à la randonnée.

L’épreuve a pris fin une fois passée la ville de Bonne, avec l’ascension vers le Signal du Voiron. Les randonneurs étaient assez nombreux, souvent en famille grâce à plusieurs parkings d’altitude. J’ai ainsi fait la connaissance de Federica et Daniele, accompagnés de leur petite Luna, qui ont eu la gentillesse (et la patience) de me laisser utiliser pour notre discussion mes bribes d’italien, en une petite avance sur les semaines à venir. Italiens de Bologne, ils vivent actuellement à Genève – ce qui va permettre à Luna d’être bilingue, quelle chance pour elle. Nous n’avons pas discuté très longtemps mais je les remercie encore pour leur conversation et pour leur indulgence à mon égard.

L’après-midi dans les Voirons a donc largement compensé le début de journée, et ce soir je vais dormir sous le Signal des Voirons dans l’Abri de la Servette, une cabane grand luxe, très propre, avec une cheminée et, à l’extérieur, deux fontaines, deux tables et un barbecue.

J’ai en outre eu la chance d’arriver avant que le groupe de sept randonneurs qui y avait passé l’après-midi n’en reparte, ce qui nous a permis de discuter un moment. Après l’Italie tout a l’heure, c’était la Roumanie, la Moldavie et, encore plus exotique… le Vaucluse ! Comme il aurait été difficile de me rappeler le prénom de chacun, nous avons décidé que je les appellerais ici les TJV (pour Témoins de Jéhovah des Voirons). Les TJV, donc, y avaient fait une raclette dont ils m’ont laissé un gros morceau qui a composé mon dîner, accompagné de tranches de saucisson et de la bouteille de bière qu’ils m’ont aussi offert.

Assis à l’une des tables, avec en bruit de fond le glou-glou de la fontaine la plus proche, j’ai ensuite écrit ce billet tandis que face à moi le soleil se couchait. Décidément, quel beau dimanche !

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J 43 – Lundi 27 juillet 2020
Le Signal des Voirons -> Lullin (km 1.009)


Mille kilomètres !

Le nom de ce chemin de grande randonnée, Le Balcon du Léman, ne m’a jamais paru aussi justifié que ce matin, alors que je marchais sur le massif des Voirons en direction du col de Saxel. À ma gauche, vers le nord-ouest, la vue plongeante sur le Lac et les villes qui l’entourent m’invitait sans cesse à m’arrêter pour prendre des photos. J’ai fini par me raisonner en me disant qu’il faudrait peut-être aussi que je pense à marcher un peu… Comme un fait exprès, quelques minutes plus tard, le chemin a fait un quart de tour vers l’est, et ce sont les Alpes qui ont pris le relais, avec au sud-est un Mont-Blanc imposant et magnifique dans un ciel sans nuages.

Bien que je sois parti tôt, ce n’est donc que vers dix heures que je suis arrivé à Saxel où j’ai rencontré, alors qu’elle sortait de chez elle, Marylène à qui j’ai dit mon émerveillement devant ces somptueux paysages. Elle m’a invité à venir constater que depuis son jardin ce n’était pas mal non plus…En effet ! De fil en aiguille, j’ai fait la connaissance d’Yves alias Doudou et de Britney… J’ai dû rester près d’une demi-heure dans leur jardin, à discuter avec eux et à prendre le café. Voilà probablement la raison principale qui me fait autant aimer la randonnée en solitaire : cette possibilité de rencontrer à l’improviste des personnes sympathiques avec lesquelles la conversation ne se serait jamais engagée si j’avais randonné en groupe.

Avec tout ça, l’après-midi était déjà bien avancé lorsque j’ai atteint le Col de Cou qui restera désormais dans les annales comme l’endroit précis où j’ai atteint le millième kilomètre de mon périple. Ta-Taaa !!! Comme il ne semble pas prévu de célébrer cela par la pose d’une plaque, je me suis offert pour marquer le coup un excellent dîner et une nuit d’hôtel à Lullin.

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J 44 – Mardi 28 juillet 2020
Lullin -> Vacheresse (km 1.031)


Une pause déjeuner à l’ombre, un petit bain, une petite sieste !

J‘ai eu des envies de meurtre, ce matin ! Des envies de « gallinacide » lorsqu’à partir de 4 (quatre !) heures du matin – alors pourtant qu’il faisait encore nuit noire – un coq stupide a commencé à chanter à environ 20 mètres de ma fenêtre.

D’accord, je le reconnais, j’ai dit publiquement ici que j’aimais être réveillé par le chant des oiseaux, mais là, j’ai été servi… et puis, il y a chant et chant, et il y a oiseau et oiseau ! Le temps que je rassemble suffisamment mes esprits pour me lever, fermer la fenêtre et trouver mes bouchons d’oreilles, j’étais tout à fait réveillé et je n’ai plus réussi ensuite qu’à somnoler par bribes en rêvant de coq au vin.

Après ce réveil en fanfare, le démarrage a été plutôt poussif dans la remontée vers le Col du Feu et le GR Balcon du Leman, désormais fusionné avec le GR5 venu de Thonon-les-Bains. Après Reyvroz, alors que le soleil commençait à taper assez fort et la température à monter, une nouvelle grimpette assez raide a débouché sur un long passage en hauteur sous un fort cagnard. Aussi, lorsque le chemin est redescendu pour franchir l’Ugine, je me suis installé au bord de cette petite rivière afin de profiter de la fraîcheur du lieu pour une pause déjeuner… qui s’est bientôt transformée en pause déjeuner + baignade + sieste.

Je devais dormir depuis une bonne demi-heure lorsque j’ai été réveillé par un coup de tonnerre. Le ciel était devenu sombre, j’ai remballé mes affaires à toute vitesse et suis remonté aussi vite que j’ai pu sur le raide versant opposé, en direction du hameau du Crêt que j’ai eu la chance d’atteindre au moment précis où le ciel ouvrait ses vannes. Abrité sous un auvent, j’ai pu regarder bien au sec les trombes d’eau qui dégringolaient et la route transformée en rivière. Vingt minutes plus tard, c’était fini et je repartais sous le soleil.

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J 45 – Mercredi 29 juillet 2020
Vacheresse -> La Chapelle d’Abondance (km 1.049)


Quand il fait aussi chaud, vive l’ombre !

Il a tonné pendant toute la soirée d’hier avec encore de violentes averses en début de nuit, et ce matin le ciel au-dessus des sommets était d’un noir d’encre. J’avais prévu de rejoindre La Chapelle d’Abondance en passant par les hauteurs, via le refuge d’Ubine ou les Cornettes de Bise, mais la crainte de me retrouver pris dans un orage en altitude s’est conjuguée à ma faible motivation à gravir une nouvelle fois plus de mille mètres dans la journée… ce qui m’a fait opter pour un troisième chemin, en remontant tranquillement le cours de la Dranse d’Abondance.

Cette possibilité m’avait été suggérée hier après-midi, peu avant Vacheresse, par deux agents forestiers qui élargissaient le sentier à coup d’excavatrice et de tronçonneuse et qui m’avaient parlé de leur travail pour créer, un peu plus loin, l’Itinéraire des Bords de Dranse qui relie Bonnevaux à Châtel en passant par Abondance et La Chapelle d’Abondance.

Quand je leur avais dit que j’allais justement dans cette direction, ils m’avaient vanté la beauté de ce parcours longeant la rivière mais je leur avais répondu que ce serait pour « une autre fois, peut-être ». J’ai finalement été bien content ce matin de me rappeler leur suggestion et cet après-midi de l’avoir suivie. Le chemin est effectivement très agréable, et la fraîcheur de la rivière toute proche associée au couvert des arbres m’ont assez bien protégé de la touffeur de cette journée caniculaire.

L’étape d’aujourd’hui, du coup, a été plus courte que prévu, et plus touristique aussi avec en particulier la visite de la petite ville d’Abondance, célèbre par son fromage et son Abbaye, dans laquelle j’ai eu tout loisir de déambuler. L’après-midi ne faisait que commencer quand, quelques kilomètres plus loin, je me suis arrêté à La Chapelle d’Abondance. Avec seulement dix-huit kilomètres et 300 mètres de dénivelé, ce fut donc aujourd’hui ce qu’aux États-Unis les thru-hikers appellent un « nero » day (pour « near zero » = proche de zéro) qui m’a permis de me reposer et de faire quelques courses et une bonne lessive.

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