À pied, de Paris au Salento : Piémont


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J 56 – Dimanche 9 août 2020
Pont-Saint-Martin -> Ivrea (km 1.269)


Les vignes du Piémont.

Quelle belle journée ! Pleine de rencontres, de paysages, de belles églises… mon seul problème a été de ne pas pouvoir faire autant de photos que je l’aurais souhaité, sous peine de n’arriver à destination qu’au milieu de la nuit !

En quittant Pont-Saint-Martin, j’ai également quitté le Val d’Aoste pour le Piémont, ce qui est rapidement devenu évident car le français a soudain disparu des noms de villes et de rues et a été remplacé par l’anglais sur les panneaux descriptifs des monuments, parfois accompagné du piémontais. Au café de Montestrutto où je me suis arrêté vers neuf heures pour prendre un petit déjeuner, je n’ai d’ailleurs pas pu décider si mon incapacité à saisir le moindre mot de la conversation des trois vieux messieurs attablés à côté de moi était liée à mon faible niveau en italien et à leur accent, ou à leur éventuelle utilisation du piémontais (mais je crains que cela ne soit plutôt la première hypothèse).

Ledit village de Montestrutto a un superbe château, perché comme beaucoup sur une éminence abrupte. J’y suis arrivé par une belle succession de chemins et de petites routes serpentant à travers les vignes, « il sentiero de vigneti ». Dans ces vignobles, pour être davantage exposées au soleil je suppose, les treilles poussent en hauteur, sur des poutres horizontales fixées à des centaines de colonnes de pierre ou de poteaux de bois verticaux qui forment un quadrillage de tonnelles très particulier.

Aujourd’hui encore il y a eu beaucoup d’églises et de chapelles le long du chemin mais, comme chaque jour depuis mon départ d’Aoste, je me suis cassé le nez en voulant les visiter car elles étaient toutes fermées, jusqu’à l’église de Borgofranco d’Ivrea et à la cathédrale d’Ivrea qui à elles seules ont compensé la frustration créée par les autres bâtiments tant elles étaient splendides.

Plusieurs rencontres disais-je : d’abord Gian Luca qui promenait sa petite Ana de huit mois dans un landau, bien protégée du soleil. Il m’a entretenu de son avis très pessimiste sur la situation économique et l’avenir de l’Italie et il m’a fait part de son soutien admiratif à la fois pour le mouvement des gilets jaunes et pour les actions de notre président (allez comprendre…). Ensuite, un couple de cyclistes romains voulant à tout prix exercer leur français, aussi médiocre que mon italien… nous avons donc parfaitement réussi à nous comprendre ! Puis Carla, de Ravenne, qui se dépêchait pour arriver à temps à la gare d’Ivrea, finissant aujourd’hui un segment de la Via Francigena commencé à Lausanne. Et enfin un « signore » très digne, qui depuis son jardin m’a entretenu longuement de tout ce qu’il fallait absolument voir à Ivrea.

Suivant ses conseils, je me suis promené dans la vieille ville, située sur la rive gauche de la Dora Baltea (la ville moderne étant sur la rive droite), je suis passé devant le château (fermé à la visite) et j’ai surtout longuement visité la Cathédrale dont l’intérieur est magnifique et dans laquelle j’étais parfaitement seul.

La Serra
La Serra
Enfin, je suis allé jeter un œil à un bâtiment plus inhabituel dont j’avais découvert l’existence l’an dernier dans un formidable article du Monde (pour les abonnés, article du 31 mai 2019) : la Serra, bâtiment en forme de machine à écrire, construit à l’initiative d’Adriano Olivetti, industriel progressiste et humaniste qui avait réussi à créer une cité utopique dans laquelle cadres et ouvriers logeaient côte à côte près des équipements sociaux, culturels et sportifs de l’entreprise. Une autre époque… mais cela nous entraînerait loin de la randonnée !

J 57 – Lundi 10 août 2020
Ivrea -> Cigliano (km 1.296)


Banlieue sud d’Ivrea. C’est aussi cela, l’Italie.

Après une journée aussi extraordinaire que celle d’hier, je m’attendais à ce que celle d’aujourd’hui soit un cran en dessous. Je peux donc très honnêtement dire que cette journée a pleinement répondu à mes attentes. J’ai en effet parcouru aujourd’hui une Italie qui n’était plus seulement le pays chargé d’histoire aux églises et aux monuments superbes, mais qui laissait voir ses importantes difficultés économiques que la crise sanitaire n’a pas arrangées.

En quittant Ivrea ce matin j’ai aussi quitté la Via Francigena que je suivais depuis mon arrivée en Suisse. Je m’étais très vite habitué à être tenu par la main par son balisage, et le fait de devoir reprendre des chemins non balisés m’a obligé à retrouver l’habitude de me référer fréquemment à ma trace prévisionnelle… avec quelques loupés. Direction plein sud désormais, avec pour premier objectif Asti, au pied de la chaîne des Monts Ligures que je parcourrai bientôt.

Une fois sorti de la ville, je me suis retrouvé dans une zone très humide, presque marécageuse et grouillant de mouches et de moustiques, avec des hangars apparemment désaffectés et des casses auto. Il m’a fallu près d’une heure pour en sortir et atteindre la grande plaine padane où j’ai marché en grandes lignes droites sur des petites routes bordées de champs de maïs ou de cultures maraîchères.

C’était un peu comme en Beauce il y a deux mois, mais en moins beau, sans le blé et l’orge, et par des températures qui n’étaient pas les mêmes, posant à nouveau la question de la gestion de l’eau. Dans le Valais puis au Val d’Aoste, on trouvait des fontaines partout et je n’avais aucun problème à ne faire que compléter le remplissage d’une bouteille de 500 ml à chaque fois que je buvais aux fontaines. Celles-ci étaient aujourd’hui plus rares et sur plusieurs d’entre elles était affiché « non potabile », j’avais bien fait de me charger à nouveau d’un litre et demi.

Dans les villages, des rues étroites et toutes en longueur étaient bordées de maison toutes semblables, comme des corons à la mode italienne, avec néanmoins une pépite bien cachée, une église à l’intérieur superbe, dans le village de Tina.

Vers midi, j’ai mis à profit l’ombre d’un grand platane pour m’installer à l’abri d’un soleil harassant. J’y suis resté trois heures avant de me remettre en route pour rejoindre à Cigliano l’hôtel que je venais de réserver afin d’échapper pour de bon à la chaleur et y prendre une douche.

Plutôt que d’un hôtel-restaurant, il s’agissait d’une sorte de pension de famille, avec les deux fils cinquantenaires s’occupant l’un de la cuisine et l’autre du service, la Mama volumineuse à l’accueil et au bar, et le pater familias silencieux mais surveillant tout et tout le monde depuis son fauteuil. Pendant le dîner, la télévision passait à plein volume un jeu télévisé, à mi-chemin entre « Questions pour un Champion » et « La Roue de la Fortune », dans lequel de grosses boules roses déterminaient les gains d’une concurrente, sous les commentaires passionnés et les exclamations de toute la famille. J’ai bien dîné, j’ai probablement un peu amélioré mon italien en écoutant l’émission et j’ai appris par la même occasion quelle était la capitale de la Mandchourie.

J 58 – Mardi 11 août 2020
Cigliano -> Marcorengo (km 1.327)


Le matin très tôt, dans la plaine du Pô.

Les températures caniculaires de cette semaine m’ont amené depuis plusieurs jours à adopter un rythme de marche que j’ai encore suivi aujourd’hui : je suis parti très tôt, avant le lever du soleil et j’ai fait deux longues pauses qui ont ainsi transformé une longue étape en trois segments d’étapes plus faciles à gérer.

À six heures, je marchais donc déjà sur un chemin d’exploitation qui longeait à perte de vue des champs de céréales. Comme en Beauce, en somme, sauf que cette céréale, c’était du riz. Des centaines d’hectares de riz. L’habileté des hommes a transformé les marécages dont je parlais hier en d’immenses champs inondés, paradis des aigrettes et des hérons, alimentés par un quadrillage de canaux de toutes tailles. Cela va de larges canaux de vingt mètres de large aux simples fossés qui longent les chemins (comme les rus du Val d’Aoste) avec tous les intermédiaires, des interconnexions multiples et des systèmes de portes et d’écluses permettant de régler la direction et (ah qu’il est beau) le débit de l’eau.

Vers neuf heures et quart j’avais parcouru environ quinze kilomètres (ces précieux kilomètres du matin qui permettent de ne pas être pressé ensuite) et la température commençait à grimper lorsque je suis arrivé au village de Lamporo. Ce qui est extraordinaire dans le Piémont (et peut-être dans toute l’Italie, je ne le sais pas encore), c’est la persistance d’au moins un café/trattoria dans pratiquement tous les villages. À tel point d’ailleurs que j’ai fait sans arrière-pensée un détour d’un petit kilomètre pour entrer dans ce village au lieu, comme je l’avais fait un autre jour, de petit-déjeuner à l’ombre d’un arbre en tirant des victuailles de mon sac à dos.

Les cinq tables de la terrasse de la trattoria de Lamporo étaient toutes occupées mais le patron m’a fait asseoir d’autorité à celle où Giuseppe sirotait un verre de vin blanc (il est toujours midi quelque part, n’est-ce pas). On a causé. Enfin, lui surtout et c’était passionnant. Giuseppe, avec son ballon de blanc et son déambulateur, a 92 ans. Il m’a parlé de son ancien métier de paysan, trop dur et qu’il a quitté pour créer une entreprise de câblages électriques que son fils et son petit-fils dirigent désormais. Pendant que je mangeais mes croissants, il m’a parlé de ses deux métiers, de ses souvenirs d’adolescence pendant la seconde guerre mondiale (où, à l’entendre, les Italiens ont toujours été opposés aux Allemands), du temps qui passe et de la beauté des petits matins de son pays. Nous avons échangé nos prénoms et il m’a serré la main avec effusion et un « è stato un piacere » que je lui ai sincèrement rendu.

Bien alimenté, bien réhydraté après cette longue pause, je suis reparti pour la seconde étape de la journée, toujours le long de canaux entre des champs de riz. Il faisait déjà nettement plus chaud lorsqu’à midi et demie j’ai atteint Crescentino où j’ai excellement déjeuné pour un prix dérisoire et en prenant tout mon temps. Je n’en suis reparti qu’après deux heures de l’après-midi, ce qui était d’ailleurs encore trop tôt, la chaleur étant alors au plus haut (36°C d’après la pharmacie du village), car la traversée du Pô m’attendait.

Dans son livre « Pô, le roman d’un fleuve », l’écrivain-marcheur Paolo Rumiz décrit longuement le dédain qu’ont selon lui les Italiens pour ce fleuve, et son quasi-oubli, expliquant par exemple qu’il est pratiquement impossible de trouver où que ce soit sur tout son trajet un chemin permettant d’atteindre ses berges.

Après être sorti de Crescentino, qui n’a pas été bâti au bord du fleuve mais à un kilomètre de là, j’ai effectivement ressenti une sorte de négligence envers cette colonne vertébrale du nord de l’Italie. J’ai traversé ce grand fleuve sur un pont, invisible avant d’avoir le nez – enfin, les pieds – dessus, et c’est tant mieux car il est laid (oui, comme le débit de lait ; hum, pardon), le long d’une route à grande circulation dépourvue de trottoirs. Aucune grandeur dans ce passage qui était pourtant celui d’une frontière géographique car, de l’autre côté, la plaine était finie. J’étais arrivé aux tous premiers contreforts des Apennins, ce qui m’a permis de finir ma journée en gravissant à nouveau un peu de dénivelé sous les feux ardents du soleil.

J 59 – Mercredi 12 août 2020
Marcorengo -> Villa San Secondo (km 1.352)


Les collines du Piémont.

J’ai repris mon chemin dans les collines du Piémont pour une étape champêtre, sur des chemins et des petites routes qui sinuaient entre des prairies et des champs de blé fauchés, tantôt dans des creux de terrain, tantôt sur les bosses (parler de crêtes pour ces ondulations du terrain serait excessif même si, finalement, je n’ai pas arrêté de monter et de redescendre). J’ai vu beaucoup de villages aujourd’hui, souvent à distance, avec par endroits des paysages typiques de l’Italie des cartes postales sur lesquelles, au sommet d’une colline et se détachant sur le ciel bleu, quelques dizaines de maisons sont regroupées autour de leur église, comme des moutons roses autour de leur berger.

Il a encore fait très chaud. Passons, pour raconter plutôt mon aventure du jour : j’ai été attaqué par des chiens, pour la première fois depuis le début mon voyage et heureusement sans dommage. Tous les randonneurs connaissent le désagrément de se faire aboyer dessus vingt fois par jour au cours de nos balades. Je n’en avais pas encore parlé mais les chiens italiens, cela n’étonnera personne, sont tout aussi stupides, frustrés, agressifs et/ou mal dressés que les chiens français. J’ai simplement trouvé qu’ils étaient souvent plus gros, et souvent plusieurs par maison. Il y a des bergers allemands en pagaille, toutes sortes d’épagneuls, des dobermans et plein d’autres cabots moins sympas que Milou, qui aboient à s’en décrocher la mâchoire quand un étranger passe devant leur maison en tirant sur leur chaîne ou en se jetant sur la grille de *leur* territoire, me faisant me réjouir qu’ils soient ainsi tenus à distance.

Ce matin cela n’a pas été le cas : depuis le fond de leur jardin, deux animaux excités se sont précités vers moi par le portail laissé grand ouvert aussitôt qu’ils m’ont vu passer sur la route. Je les ai également vus venir, ce qui m’a laissé le temps de ramasser une pierre et de retirer ma casquette (beaucoup de chiens détestent les couvre-chefs). Je me suis tourné face à eux en leur parlant fermement mais sans les regarder dans les yeux, mon bâton dirigé devant moi vers le bas, et j’ai poursuivi mon chemin en marchant de côté, sans leur tourner le dos.

Le plus gros, un épagneul, est resté à distance en se contentant de gronder mais l’autre, une sorte de fox-terrier hargneux, a carrément essayé de me mordre les jambes. Mon caillou l’a manqué mais l’a fait reculer, et j’ai ainsi pu m’éloigner de quelques mètres supplémentaires avant qu’il ne revienne à la charge. Pendant une bonne minute (et je vous assure que c’est très long) j’ai continué à reculer sur le chemin en le maintenant tant bien que mal à distance par des mouvements de mon bâton qui a fini par le toucher à la gueule lors d’une nouvelle tentative de morsure. Ça a dû lui faire mal car il a abandonné la partie. Ouf. Confidence : je ne déteste pas les chiens… mais j’ai toujours été plutôt un homme à chats.

J 60 – Jeudi 13 août 2020
Villa San Secondo -> Asti (km 1.370)


La Pietà de l’église San Secondo d’Asti.

Hier, en fin d’après-midi, le tonnerre a commencé à gronder et, après une longue indécision, l’orage a fini par éclater alors que la nuit tombait. Cela a été très violent avec un vent intense en bourrasques et une pluie drue. Ce matin, tout était encore trempé, herbes et chemins de terre, mais surtout il faisait bon ! Cette merveilleuse sensation de fraîcheur valait bien la peine de supporter le petit désagrément d’une fiesta chez les moustiques.

En partant d’Ivrea dimanche matin, j’avais envisagé de parcourir en trois jours la centaine de kilomètres qui la sépare Asti, mais j’ai vite réduit mes ambitions en raison de la chaleur accablante. Arrivé hier à Villa San Secondo, je n’avais plus aujourd’hui qu’une courte étape de dix-huit kilomètres à parcourir, ce qui était parfait puisque le fait d’arriver en fin de matinée m’a laissé tout l’après-midi pour visiter la ville.

Empreinte
L’empreinte de quel animal ?
(cliquer pour agrandir)
Sur le trajet, j’ai vu de loin, comme hier, plusieurs villages roses perchés sur leur colline, avant de descendre dans un vallon en empruntant un raccourci repéré sur ma carte. Celui-ci s’est en fait avéré ne pas être un sentier mais le cours asséché d’un torrent. J’y ai suivi sur plusieurs centaines de mètres les empreintes laissées par un animal sur son fond sableux détrempé par la pluie… mais quel animal ? (je pencherais pour un blaireau ; si un spécialiste des empreintes est dans la salle, merci de ses lumières).

J’ai donc pu passer une bonne partie de l’après-midi à visiter Asti. Torre Rossa, Torre Troyana, Torre Comentina… cette ville est parsemée de tours, construites pour la plupart au 13e siècle avec la même brique rouge que celle utilisée pour la cathédrale. Je dois reconnaître que je n’ai été emballé ni par les tours ni par la cathédrale de style « gothique piémontais » et par son intérieur baroque. J’ai en revanche trouvé très beau l’intérieur de l’église San Secondo. Chacun ses goûts, assurément. J’ai bien apprécié aussi le verre d’Asti Spumante offert en apéritif dans le petit restaurant où j’ai dîné ce soir, à l’abri d’un nouvel orage presque aussi violent que celui d’hier.

J 61 – Vendredi 14 août 2020
Asti -> Nizza Monferrato (km 1.400)


Paysage du Piémont.

J’ai quitté Asti par le sud et après deux ou trois kilomètres de banlieue insipide, je suis arrivé au Tanaro, un important affluent du Pô. Comme Crescentino où je suis passé mardi, la ville a donc été construite à distance de la rivière afin de la protéger des crues, fréquentes et parfois dramatiques, ce qu’on ne pourrait pas imaginer en voyant l’étiage actuel de ces cours d’eau.

L’étape a été rude et belle. Rude pour plusieurs raisons : la chaleur d’abord, comme c’est maintenant devenu une habitude et que j’apprends à gérer : vers midi j’avais déjà parcouru plus de vingt kilomètres quand je me suis arrêté à l’ombre d’une jolie petite chapelle dont le banc m’a servi de siège pour déjeuner puis de lit pour une bonne sieste. Je n’en suis reparti qu’après 15 heures.

Les obstacles ensuite. Il y avait à l’évidence aujourd’hui une conspiration pour me bloquer le passage, depuis les chablis de cinq mètres d’épaisseur (deux fois) jusqu’aux chemins emportés par un glissement de terrain (deux fois aussi), sans oublier un sentier fermé par une méchante clôture (une seule fois mais heureusement car je ne passerais pas par-dessus ça tous les jours…) alors qu’il n’était pas question que je fasse demi-tour : j’étais arrivé en bas d’une descente raide et glissante qui avait commencé un kilomètre plus tôt par l’un des chablis. Bref, aujourd’hui c’était Koh Lanta au Piémont !

Enfin, le dénivelé. Cela paraît forcément bizarre de parler de dénivelé pour une journée de marche à des altitudes toujours inférieures à 250 mètres ! Et pourtant… Ce n’est pas par hasard si les glissements de terrain sont si fréquents ici, et pas sans raison si les routes ont des lacets qui rappellent le Queyras… montées et descentes sont abruptes et j’ai cumulé aujourd’hui un peu plus de mille mètres de dénivelés positif et négatif. Mais c’est justement cela qui permet de marcher souvent avec une vue magnifique sur le paysage, à des kilomètres à la ronde.

La beauté, donc, car cette rude étape a été très belle avec des paysages verdoyants, les vignes du Monferrato, des vergers, des champs… et toujours ces villages, perchés chacun sur sa colline. Une beauté soulignée par la pureté de l’air et par le temps splendide (mais chaud, je ne sais plus si je l’ai déjà dit ?).

En milieu d’après-midi, peu de temps après être reparti de ma longue pause, il me restait encore six ou sept kilomètres avant d’arriver à Nizza mais je n’avais plus beaucoup d’eau. Dans le village de Noche, il n’y avait pas de fontaine mais deux adolescentes m’ont indiqué un café tenu par une jeune femme avec laquelle j’ai discuté et à qui j’ai raconté mon périple en buvant un Coca. Elle m’a alors avoué que le bar était fermé et qu’elle était uniquement venue pour préparer des pizzas pour la fête de Ferragosto, ce soir et demain. Alessandra n’avait pas voulu me refuser à boire par cette chaleur, et elle a aussi refusé que je paie ma boisson. Grazie mille, Alessandra, per la tua gentilezza, e Buon Ferragosto a te e la tua famiglia!

J 62 – Samedi 15 août 2020
Nizza Montferrato -> Acqui Terme (km 1.422)


Castel Rocchero sur sa colline et dans la chaleur…

J’en aurai traversé des vignobles au cours de ce voyage ! Depuis les côteaux de l’Yonne et ma découverte du vin d’Irancy, je suis passé par la Bourgogne, le Jura, le Valais, et après le Val d’Aoste ce sont maintenant les vignobles du Piémont qui me font de l’œil. Monferrato, Asti, et ce soir à Acqui Terme je compte bien goûter au Brachetto (d’Acqui) !

J’en profite car la période de Dolce Vita que j’ai commencée à Aoste va se terminer. J’ai fini de parcourir ce qui n’était au départ dans mon esprit qu’une transition entre les Alpes et l’Alta Via dei Monti Liguri mais qui s’est révélé être une promenade dans une magnifique région. Je ne devrais plus traverser de ville importante avant Lucques, dans quelques semaines, et d’ici là ma vie va redevenir plus frugale.

Le ciel était gris ce matin et il a fait moins chaud que les jours précédents. Les paysages étaient moins nets, un peu voilés et les vignes étaient partout. Peut-être est-ce pour cela que j’ai été plus attentif à ce qui se passait à mes pieds ? En tout cas j’ai vu de près plusieurs petites bêtes que certains n’apprécieront sans doute pas mais que j’ai trouvées très belles : une superbe limace en habits de panthère (eh oui ! en Italie, même les limaces ont de la classe !), une splendide araignée à l’affût au centre de sa toile, et un petit serpent à tête noire que j’ai d’abord pris pour une vipère mais qui était en fait une jeune couleuvre à collier, totalement épouvantée par le géant qui se penchait sur elle.

J’ai petit-déjeuné dans le joli village de Castel Rocchero, sur la terrasse ombragée du café situé tout en haut de la colline et dominant les alentours, en compagnie d’un vieux monsieur très triste qui m’a parlé de la maladie d’Alzheimer de son épouse qu’il n’a le droit d’aller voir dans son institution qu’une fois tous les quinze jours en raison du covid, et qui ne le reconnaît pas au téléphone. Nous nous sommes quittés en nous souhaitant néanmoins un Buon Ferragosto, qu’il passera seul car ses enfants sont loin…

Un peu plus tard, un peu plus loin, le son de la messe qui se déroulait dans l’église de Moirano m’a attiré à l’intérieur, et j’ai eu la curiosité d’assister à son dernier quart d’heure. Même pour cette messe de l’Assomption, il n’y avait guère plus d’une quinzaine de personnes dans l’édifice.

Acqui Terme aurait sûrement mérité une visite mais une fois mes affaires déposées à l’hôtel en début d’après-midi, je n’ai pas eu l’énergie de ressortir et j’ai fait une sieste de trois heures ! Peut-être aurai-je l’occasion de faire quelques photos de la ville demain matin pour me rattraper mais je ne promets rien.

J 63 – Dimanche 16 août 2020
Acqui Terme -> Piancastagna (km 1.450)


Salut, toi !

Je n’aurai finalement pas vu grand chose d’Acqui Terme que j’ai quittée avant le lever du soleil et dont je n’aurai pu admirer que la gare et le MacDo… Comme d’habitude au départ des villes piémontaises, il m’a d’abord fallu marcher deux kilomètres pour atteindre et traverser la rivière de la ville, la Bormida. C’est d’ailleurs depuis ce pont que j’ai finalement vu des ruines romaines, celles de l’aqueduc indispensable à cette ville thermale.

Une fois de l’autre côté de la rivière, je suis tombé sans l’avoir prévu sur le début du sentier 531 du Club Alpin Italien qui relie Acqui Terme à Toglieto, village où je compte justement passer demain. En me disant que le CAI devait connaître son affaire, j’ai choisi de suivre son balisage rouge et blanc plutôt que ma trace initiale et j’ai sacrément bien fait car, après l’ascension du Monte Stregone, il a suivi sur plusieurs kilomètres une ligne de crêtes avec de très beaux points de vue sur les vallées. Ces paysages étaient toutefois moins éclatants que ceux des jours précédents car, pour la première fois depuis longtemps, le soleil est resté caché toute la journée.

À Ciglione, j’ai petit-déjeuné à l’auberge de jeunesse en compagnie d’un petit Antonio de trois ans, très étonné que je parle moins bien que lui l’Italien… pour me consoler, il m’a laissé jouer avec son camion de pompiers. En fin de matinée le tonnerre a commencé a gronder de plus en plus près et l’orage a éclaté comme j’entrais dans Toleto. Le restaurant du village était fermé mais les tables en terrasse étaient protégées par un auvent. J’ai pu y déjeuner à l’abri en attendant la fin du déluge. Quarante jours plus tard… euh non, une heure et demie plus tard, je suis reparti du village pour tomber nez à nez avec un chevreuil pas du tout craintif.

Ce soir, je dors au Refuge forestier Cascina Tiole. C’est un abri sommaire et tout petit dans lequel, après avoir passé le balai, j’ai dû pousser table et banc contre un mur pour avoir la place de dérouler mon sursac et d’installer matelas et duvet, mais c’est un bon abri en dur, appréciable alors que l’orage gronde à nouveau. En outre il y a une fontaine. Allez, un bon repas purée/saucisson/monster crunch/haribos, et au dodo !

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