À pied, de Paris au Salento : Val d’Aoste


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J 51 – Mardi 4 août 2020
Col du Grand-Saint-Bernard -> Aoste (km 1.172)


Ben oui, on est au mois d’août, pourquoi ?

À quatre heures du matin, il faisait trois degrés en-dessous de zéro et l’autre bâtiment de l’Hospice, situé à moins de dix mètres de l’autre côté de la route, était à peine visible à travers la brume et les traînées horizontales de neige poussée par le vent violent. Je me suis rendormi en me demandant si et quand il serait possible de repartir ce matin.

À six heures et demie, la brume était moins dense et il ne neigeait plus. Allez bonhomme, on se prépare et on avise ensuite. Habillage en « mode survie » : vêtements de nuit (collant + tee-shirt en mérinos) sous ceux de jour, micropolaire + doudoune + pantalon de pluie, gants et bonnet – qui m’auront ainsi servi au moins une fois – et « vapor barrier » faits de sacs plastiques enfilés par-dessus les chaussettes et tenus aux chevilles par un élastique afin de protéger mes pieds, car des chaussures de trail en tissu léger ne sont pas exactement conçues pour marcher dans la neige…

À huit heures, la brume s’était assez dégagée pour voir les marques sur le chemin… En route, de l’autre côté c’est l’Italie ! Passés les trente premiers mètres de descente raide dans la neige glacée qui m’ont pris dix bonnes minutes et que j’ai finis sur les fesses, ça passait en y allant doucement.

À partir de 2.200 mètres, il n’y avait plus de neige et la descente a alors été rapide jusqu’à Saint-Rhémy-en-Bosses où, à 1.600 mètres et dix heures du matin, j’ai pu me débarrasser des couches de vêtements devenues inutiles.

La suite de la descente vers la vallée a été beaucoup plus classique, avec de beaux paysages de montagne alors que le ciel se dégageait progressivement. Sur une dizaine de kilomètres en fait, presque jusqu’avant Gignod, le sentier est resté quasiment horizontal autour de 1.200 m d’altitude, en suivant dans la forêt le « Ru neuf », canal d’irrigation multicentenaire qui amène l’eau du torrent Artanavaz jusqu’à la colline d’Aoste.

« Ru neuf », « Saint-Rhémy-en-Bosses », « Gignod », et aussi les noms des rues, tout est encore en Français dans le Val d’Aoste, même si les habitants ne le parlent plus guère. Plusieurs d’entre eux m’ont salué au passage d’un « buon cammino » avec un grand sourire et même une fois un signe de croix.

Balisage spécifique, nombreux panneaux d’information, statues, messages d’encouragement accrochés aux murs, la Via Francigena semble connue de tous et est visiblement chère aux habitants des villages qu’elle traverse dans son chemin vers Rome.

Me voici arrivé à Aoste, où je vais rester 24 heures, à la fois pour y prendre un peu de repos et pour commencer à m’imprégner de l’atmosphère et de la langue italiennes dans lesquelles je baignerai désormais.

J 52 – Mercredi 5 août 2020
Aoste (pause)


L’enceinte de la ville romaine « Augusta Praetoria »

Dès cette première ville italienne, la profusion de beauté m’a sauté à la figure. Parcourant les rues et les places du centre d’Aoste hier soir et aujourd’hui, je n’ai pu qu’être frappé par l’apparition, presque à chaque coin de rue, d’un vestige de l’époque romaine, d’une superbe façade, d’une statue, d’une fresque… Certes, on est loin de la richesse historique et artistique de Rome ou de Florence, les voies piétonnes sont remplies de boutiques pour touristes et de pizzerias et, dès qu’on sort de la vieille ville, les rues sont poussiéreuses et les bâtisses souvent mal entretenues, mais il n’y a pas de doute, ça y est, je suis arrivé en Italie !

Levé tard, j’ai joué au touriste dans la vieille ville en commençant à faire semblant de parler italien. Ce qu’il y a de bien quand on se trouve à l’étranger, c’est la sympathie que l’on déclenche en faisant l’effort de parler la langue du pays. Je pense que c’est ce qui m’a valu qu’on m’offre mon espresso ce midi.

J’ai commencé ce matin (assez tard, donc…) par aller faire un tour à l’Office du Tourisme où l’on m’a donné un plan de la ville avec ses points d’intérêt et une liste d’hébergements sur le trajet de la Via Francigena dans le Val d’Aoste. On m’y a en effet confirmé que le bivouac est strictement interdit dans toute la province en dessous de… 2.500 mètres ! Comme dans le Valais, je vais donc devoir continuer à prévoir et réserver à l’avance chacun de mes futurs lieux d’étape, au moins jusqu’à Ivrea. On fera avec.

Je me suis ainsi baguenaudé dans la ville pendant plusieurs heures, j’ai longuement admiré le porche et l’intérieur somptueux de la Cathédrale Notre-Dame de l’Assomption et je me suis même offert un petit extra au Musée archéologique en visitant aussi une exposition temporaire consacrée à l’impressionnisme allemand et en particulier à trois peintres (M. Lieberman, L. Corinth et M. Slevogt) dont j’avoue ne pas avoir apprécié l’académisme et les couleurs sombres.

Je suis assez vite ressorti vers la lumière et les ruines romaines jusqu’à ce que, vers 15 heures, je sente qu’il était de mon devoir de sacrifier aux coutumes du pays qui m’accueille en regagnant ma chambre pour une petite sieste. Demain je recommencerai à faire des efforts sous le soleil mais aujourd’hui… c’est les vacances !

J 53 – Jeudi 6 août 2020
Aoste -> Châtillon (km 1.202)


Le château de Quart.

L’étape d’aujourd’hui était assez longue et la météo prévoyait dans l’après-midi des températures largement supérieures à 30°C. C’était deux excellentes raisons pour partir tôt, comme c’est de toute façon mon habitude en randonnée. Dès 6h30 je sortais donc de la vieille ville d’Aoste encore endormie, passant sous la double Porte Prétorienne, où les touristes ne se bousculaient pas encore, puis à côté de l’arc d’Auguste. Sortir de la ville moderne a pris nettement plus longtemps, mais après la grande route, ce fut une petite route qui a pris peu à peu de la hauteur sur le flanc de la montagne.

Grande route, puis petites routes… eh oui, beaucoup de bitume aujourd’hui, sur les neuf dixièmes du parcours je dirais, pour un trajet à flanc de montagne côté adret – c’est-à-dire exposé plein sud – et avec de très rares portions ombragées. Autrement dit, dès 10 heures il a fait très, très chaud. Ajoutez à cela le fait que l’étape d’aujourd’hui, qui sur la carte paraissait être une sorte de faux-plat descendant, s’est en fait avérée faite d’une succession de montées et de descentes très casse-pattes.

Heureusement que pour compenser ces désagréments, les paysages ont été splendides tout le long de cette balade en balcon au-dessus de la vallée : les montagnes omniprésentes, des villages dont beaucoup de maisons gardent des toits de lauzes, plusieurs châteaux… Et puis, pour la première fois depuis mon départ, j’ai été accompagné par le chant des cigales ! On est dans le nord de l’Italie, d’accord, mais quand même : c’est déjà le sud.

J 54 – Vendredi 7 août 2020
Châtillon -> Verrès (km 1.222)


Un château… j’ai oublié lequel !

Voilà déjà 4 jours que je suis en Italie et je réalise que je n’ai pas encore parlé de nourriture ! Je dois avouer que lorsque je regarde la carte OSM de mon parcours je me surprends maintenant à rechercher les petites icônes en forme de couverts qui indiquent les restaurants, et que j’ai soudain trouvé moins attrayant, lors de mon déjeuner d’hier, le mélange semoule/saucisson dont je me m’étais pas lassé depuis deux mois…

L’étape prévue aujourd’hui ne faisant qu’une vingtaine de kilomètres, j’avais bon espoir de la finir à l’heure du déjeuner et, en effet, un excellent spaghetto alle vongole m’a récompensé de mes efforts un kilomètre à peine avant qu’elle ne se termine. Ce fut donc un après-midi consacré à la lessive (un peu) et au farniente (davantage) après un parcours très plaisant ce matin.

Les premières heures de la journée sont vraiment les plus agréables pour marcher : jusqu’à environ huit heures et demie, avant que le soleil ne passe au-dessus des montagnes, il fait encore frais, et jusqu’à dix heures la chaleur reste très supportable. Ensuite, eh bien, l’on est content de marcher à l’ombre de temps en temps. Aujourd’hui c’était parfait, le chemin qui montait et descendait sur le flanc de la montagne, en surplomb de la vallée de la Dorea Baltea, est souvent resté sous le couvert des arbres, et il faisait finalement assez frais grâce à l’eau omniprésente : torrents, rus, fontaines… et nombreux arrosages automatiques, dans les jardins et étonnamment aussi dans les simples prairies.

Comme hier, le chemin permettait régulièrement de voir des châteaux, des églises, de belles maisons, que j’aurais aimé pouvoir photographier avec un vrai zoom. Pour cette marche au long cours j’ai fait le choix de la légèreté en me contentant de mon smartphone et je ne le regrette pas mais on comprend très bien en de tels endroits que certains randonneurs décident d’emporter un véritable appareil photo, voire un téléobjectif.

J 55 – Samedi 8 août 2020
Verrès -> Pont-Saint-Martin (km 1.243)


Sept heures du matin à Verrès, un artiste au travail.

Pendant ces journées de grosse chaleur, je ne suis pas le seul à me lever tôt. Bien que l’on soit samedi, lorsque peu après sept heures j’ai traversé la petite ville de Verrès à l’entrée de laquelle j’avais passé la nuit, il y avait déjà des gens dans les rues, plusieurs boutiques avaient ouvert, des ouvriers réparaient la chaussée et un peintre exerçait ses talents sur la façade d’une maison. Il y a quelques jours, en Suisse, j’avais entendu débiter quelques poncifs sur les Français. Les Italiens ne sont pas indemnes sur ce plan, et j’en profite pour dire que j’ai été impressionné depuis que je suis dans le Val d’Aoste par l’ardeur au travail des ouvriers et des commerçants que j’y ai croisés.

Un fois quitté Verrès, le chemin a vite rejoint la rive de la Dora Baltea (alias Doire Baltée) qu’il a suivie pendant quelques kilomètres. Depuis Aoste, la rivière avait toujours été visible au fond de la vallée qu’elle irrigue mais c’était ce matin la première fois que la Via Francigena s’en approchait. Le cours d’eau est assez large mais peu profond et non navigable, avec en de multiples endroits des affleurements de pierres, des rochers et des petites îles où on rêverait de planter sa tente. Nous nous reverrons souvent pendant les prochains jours car mon trajet va plus ou moins suivre le sien jusqu’à son confluent avec le Pô.

Quittant pour un temps le bord de la rivière, le chemin a ensuite regagné les pentes du flanc ouest de la vallée pour traverser le joli village d’Arnad, puis l’a longée à nouveau, puis est remonté vers le château de Bard… Plusieurs va-et-vient entre le fond de la vallée et les flancs encore abrupts de la montagne, histoire sans doute de donner le change, mais je n’ai pas été dupe : les reliefs restent vifs et les pentes sont encore raides mais il suffit de regarder vers le sud, dans l’axe de la vallée, pour voir les sommets s’abaisser graduellement. Le Piémont n’est pas loin, la grande plaine approche. Demain, j’aurai fini de traverser les Alpes.

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