À pied, de Paris au Salento : Valais


<< Haute-Savoie | Sommaire | Val d’Aoste >>

J 46 – Jeudi 30 juillet 2020
La Chapelle d’Abondance -> Monthey (km 1.074)


La passerelle du diable, au-dessus des Gorges de la Vièze.

J’avais déjà fait une courte incursion en Suisse lorsque j’étais passé par La Dôle au cours de mon étape entre Les Rousses et le Col de la Faucille, mais aujourd’hui mon chemin a quitté pour de bon le sol français. Je vais maintenant traverser le Valais pendant quelques jours, jusqu’au Col du Grand Saint-Bernard où je basculerai enfin en Italie.

La météo annonçait une journée torride. Je suis donc parti tôt de La Chapelle d’Abondance en suivant d’abord, comme hier, le chemin qui longe la Dranse. Le soleil n’avait pas encore dépassé les sommets et il faisait bien frais au bord de l’eau.

Je suis arrivé à Châtel au moment où les magasins ouvraient, et une angoisse m’a soudain saisi : « bon sang, c’est vrai que la Suisse, l’Italie, c’est plein d’étrangers aux goûts probablement bizarres… est-ce qu’ils connaissent les Monster Crunch dans ces pays-là ? Est-ce qu’ils ont des Haribo Polka ? » Arrivé si près de la frontière, je ne pouvais décemment plus faire demi-tour, j’ai donc continué ma route malgré le risque de disette… après m’être procuré quelques réserves de dernière minute (et tant pis pour le poids supplémentaire, quand on aime on ne compte pas).

Le sac alourdi mais l’esprit plus léger, j’ai donc franchi la frontière suisse au Pas de Morgins et ai alors débuté la longue descente vers la vallée du Rhône, par une chaleur de plus en plus accablante.

En France, j’ai presque uniquement utilisé pour me guider les cartes de l’IGN (Institut Géographique National) avec l’application Iphigénie, mais dès le passage de la frontière cela n’était plus possible. Comme prévu, je suis donc passé aux cartes OSM (OpenStreetMap) avec l’application Oruxmaps. J’ai tout de suite vu la différence : la plupart des chemins que j’ai suivis dans cette longue descente ne se trouvaient pas sur la carte OSM, ou seulement sous la forme de fragments non reliés entre eux. Il est probable que cela m’amènera désormais à moins me reposer sur la carte pour me guider, on verra bien.

Il y avait heureusement un excellent balisage qui, complété par les explications recueillies auprès des habitants, m’a permis d’éviter les routes goudronnées (et en plein soleil) de ma trace sur OSM, d’emprunter beaucoup de sentiers abrupts mais ombragés, et d’arriver à Monthey par les très belles gorges de la Vièze.

J 47 – Vendredi 31 juillet 2020
Monthey -> Martigny (km 1.097)


Le cloître de l’Abbaye de Saint-Maurice.

En sortant de Monthey, j’ai rejoint la Via Francigena dont je vais suivre le tracé pendant toute la traversée du Valais puis du Val d’Aoste, c’est à dire sans doute une dizaine de jours. Ce chemin de pèlerinage, moins fréquenté que celui de Compostelle (heureusement pour moi) relie la Cathédrale de Canterbury à la Cité papale à Rome, en suivant les pas de Sigéric, archevêque de Canterbury qui a noté en 990 dans son journal les noms des 80 lieux où il s’est arrêté pour passer la nuit.

Saint-Maurice est l’une de ses étapes les plus fameuses. L’Abbaye date de 1500 ans (elle a été fondée en 515 par le roi burgonde Sigismond) et depuis cette époque il ne se serait pas passé un jour sans que des prières y soient dites par les moines puis les chanoines, et des messes célébrées.

Selon la légende, Maurice était un soldat romain originaire de Thèbes, en Égypte. Coptes, lui et sa centurie auraient refusé de se battre contre d’autres chrétiens et auraient été exécutés pour cette raison vers 303 sur l’ordre de l’empereur Dioclétien. La visite de l’abbaye et de la basilique est très intéressante, et les reliques du trésor sont magnifiques.

Je suis reparti de Saint-Maurice en fin de matinée par une forte chaleur, heureusement un peu atténuée par le vent qui soufflait fort, comme souvent dans cet étroite vallée du Rhône. En arrivant à La Balmaz, j’ai été abordé par Pascal qui sortait de son auto-école avec à la main le topoguide du Tour du Mont-Blanc. « Ah, qu’est-ce que je voudrais pouvoir faire comme vous ! Vivement la retraite ! »

Sur ses conseils, je me suis arrêté cent mètres plus loin dans le restaurant tenu par Paula et Karl, dans lequel non seulement j’ai très bien déjeuné mais où j’ai eu, essentiellement avec leurs clients Véronique et Philippe, une intéressante discussion (quoique ce dernier l’ait particulièrement « animée ») qui reflétait la vision des Français qu’ont les Valaisans, ou en tout cas certains d’entre eux… Derrière les poncifs se cache souvent une part de vérité qui est toujours intéressante à entendre. Nous nous sommes finalement quittés les meilleurs amis du monde, après que l’on m’a offert café et génépi.

Ces échanges m’ont fait repartir bien tard du restaurant et je ne suis arrivé que peu avant 18 heures à Martigny où j’étais invité par mon amie Sophie et son mari Kelly. Nul doute que discussion et agapes se poursuivront assez tard. Je me demande dans quel état je serai demain pour affronter sous la chaleur la première des trois étapes de l’ascension jusqu’au Grand Saint-Bernard…

J 48 – Samedi 1er août 2020
Martigny -> Orsières (km 1.116)


À Bovernier.

La nuit n’a pas été longue mais me coucher plus tôt n’y aurait de toute façon probablement pas changé grand chose car les rues du centre de Martigny étaient hier soir le terrain de jeu des lanceurs de pétard qui célébraient la fête nationale suisse. Il était à peine six heures lorsque j’ai quitté l’ancienne Octodure des Romains – dont j’ai pu voir en passant les ruines du forum et des thermes – pour la première des trois étapes assurément les plus symboliques de la Via Francigena, celles qui font monter le marcheur/pèlerin de la vallée du Rhône jusqu’au Col du Grand-Saint-Bernard.

Ce départ matinal avait évidemment pour but de profiter d’un maximum de fraîcheur, ce qui a été le cas pendant les premières heures d’une marche qui, en outre, a suivi le plus souvent au début des chemins forestiers, certes étroits, caillouteux et escarpés, mais protégés par le couvert des arbres. Heure matinale et jour férié aidant, les rues des jolis villages traversés (Bovernier, Sembrancher) étaient toutes désertes.

Après Sembrancher, le chemin s’est orienté plein sud, et il a commencé à faire bien chaud. Alors que je grimpais à un rythme [qui me paraissait pourtant] soutenu sur un bon chemin assez raide, deux bolides à bâtons m’ont dépassé à toute vitesse. Fabio et Benjamin se sont arrêtés en riant quand je leur ai fait la remarque que, comme les Dupondt en jeep dans le désert, j’avais un instant eu l’impression que j’étais arrêté ! Nous avons un peu discuté de nos trajets respectifs, eux faisaient un trail jusqu’au Mont Catogne. Quelques minutes plus tard, c’est moi qui ai dépassé un randonneur solitaire, effectivement arrêté, lui, pour déjeuner, et un peu tristounet de faire aujourd’hui la dernière étape d’une randonnée de trois semaines de col en col.

La chaleur devenant écrasante, j’ai préféré finir mon étape d’une seule traite et grignoter tout en marchant. Grâce à cela, je dégustais à midi et demi une bière « La Valaisane » sur la terrasse ombragée d’un bar d’Orsières où, malgré l’altitude, le thermomètre indiquait 32°C à l’ombre. Cet après-midi, sieste !

J 49 – Dimanche 2 août 2020
Orsières -> Bourg-Saint-Pierre (km 1.130)


Petit matin dans le Valais.

Depuis que je suis arrivé dans le Valais, j’ai toujours dormi dans des gîtes ou des hôtels en prévoyant mes étapes à l’avance, d’abord parce que, hors urgence, le bivouac y est interdit en-dessous de la limite des arbres, et ensuite parce que j’ai voulu suivre les étapes « officielles » de la Via Francigena dans sa montée vers le col du Grand-Saint-Bernard.

L’étape d’hier était déjà un peu courte, même si je ne m’en suis pas plaint étant donné la chaleur, mais aujourd’hui, c’était vraiment trop peu : seulement 14 kilomètres et 900 mètres de dénivelé cumulé, soit quatre heures de marche. Sous réserve de ce que sera l’étape de demain qui monte jusqu’au col, je crois donc pouvoir conseiller à ceux qui envisagent de faire eux aussi cette ascension de ne prévoir que deux étapes depuis Martigny, en passant une nuit à Liddes. En ce qui me concerne, j’ai en tout cas décidé de doubler l’étape d’après-demain et de rallier directement Aoste depuis le col.

Mes amis Sophie et Kelly, qui m’avaient invité avant-hier soir à Martigny, passaient le week-end dans leur chalet situé dans un hameau près de Liddes, en plein sur le trajet de la Via Francigena. J’ai donc frappé à leur porte ce matin avec des croissants remontés d’Orsières, et Sophie m’a ensuite accompagné pour un bout de chemin le long de la Dranse d’Entremont.

Pendant que nous prenions le petit déjeuner, une randonneuse est passée devant la terrasse du chalet. C’était Marie, partie ce matin d’Orsières pour faire une dizaines d’étapes sur la Via Francigena, que j’ai également retrouvée cet après-midi à mon arrivée à Bourg-Saint-Pierre, puis ce soir au concert de musique de chambre qui était donné dans l’église du village par « l’Ensemble à cordes d’Entremont ». Au programme, des œuvres de Richter, Elfrida Andrée, Haydn et Beethoven, excellemment exécutées par des musiciens de tous âges et d’excellente qualité.

Après le concert, Marie et moi avons dîné ensemble en discutant – qui aurait pu le deviner – de randonnée, de matériel, de bivouac, du chemin de Compostelle, etc. Depuis mon départ de Paris, c’était la première fois que je ne dînais pas seul à la fin d’une étape. C’est ma foi très agréable aussi.

J 50 – Lundi 3 août 2020
Bourg-Saint-Pierre -> Col du Grand-Saint-Bernard (km 1.143)


Montée vers le col et la brume…

Difficile de croire qu’il y a 48 heures, à Orsières, il faisait plus de trente degrés à l’ombre ! Lorsque je suis arrivé au Col du Grand-Saint-Bernard noyé dans la brume, le thermomètre indiquait… deux degrés ! La météo avait heureusement prévu ce mauvais temps à venir, ce qui m’a incité à partir tôt ce matin et m’a permis d’arriver à l’Hospice avant qu’il soit midi, et par chance quelques minutes avant qu’une pluie fine et glacée ne commence à tomber.

En dehors de quelques courts passages abrupts, la montée jusqu’au col (Alt. 2.473 mètres) s’est faite de manière progressive et ne m’a finalement pas parue très difficile. Pour compléter ce que j’écrivais hier, il me semble donc que l’ascension depuis Martigny peut définitivement se faire en seulement deux étapes.

Cette voie de passage à travers les Alpes a de tout temps été utilisée, dans un sens ou dans l’autre, pour des expéditions militaires, par exemple par Jules César pour sa conquête des Gaules et en mai 1800 par le premier consul Napoléon Bonaparte lorsque son armée de 40.000 hommes est passée par Bourg-Saint-Pierre et le col du Grand-Saint-Bernard pour aller battre les Autrichiens à Marengo.

Calfeutré à l’intérieur de l’Hospice en raison d’un temps devenu épouvantable au cours de l’après-midi (vent très violent, brouillard épais, pluie et neige mêlées), j’ai laissé tranquillement la fin de la journée s’écouler. Je suis allé admirer l’église et visiter le musée qui se trouvent dans le bâtiment, je suis passé devant le cénotaphe du général Desaix (tué à Marengo), et j’ai profité d’une très courte accalmie pour sortir voir les chiens Saint-Bernard dans leur chenil, où je me suis vu offrir un copain pour Flop. Pour demain, et ma première journée italienne, la météo est encore incertaine… chi vivrà vedrà.

-:-:-:-:-:-:-:-

Sommaire | Haut de page          << Haute-Savoie | Val d’Aoste >>

Licence Creative Commons    Lignes de Fuite - 2010