À pied, de Paris au Salento : Ligurie


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J 64 – Lundi 17 août 2020
Piancastagna -> Campo Ligure (km 1.479)


L’orage gronde, les nuages volent bas et filtrent la lumière du petit matin.

Au revoir le Piémont, me voici arrivé en Ligurie, présentée localement comme « le pays où les montagnes se marient à la mer ». La mer, je ne l’ai pas encore vue, mais dès hier j’étais arrivé dans les montagnes, et demain je rejoindrai le tracé de l’Alta Via dei Monti Liguri (AVML) que je vais suivre désormais, pendant au moins deux semaines.

J’ai dû reprendre les habitudes du marcheur en semi-autonomie dont l’attention, outre sur le parcours lui-même, est en permanence centrée sur trois fonctions vitales : boire, manger, dormir. Finie donc la Dolce Vita à laquelle j’ai pleinement goûté dans le Val d’Aoste et le Piémont ! Finies, les fontaines partout, qui permettaient de ne transporter qu’un demi-litre d’eau. Finies, les épiceries dans tous les villages, les trattorias, finis les restaurants. L’AVML chemine de col en col et passe dans peu de villages, il va me falloir à nouveau porter assez de nourriture pour plusieurs jours. Pour ce qui est de trouver où dormir, je verrai ça au jour le jour, et de toute façon j’ai ma tente.

Un quatrième élément est devenu lui aussi capital, c’est la charge du smartphone. Qu’il vienne à être déchargé et je n’aurais plus de cartes pour me guider, plus de téléphone, plus de photos… plus de Facebook ! D’où la batterie externe + le panneau solaire.

Ce fut une belle journée sous un ciel orageux. Une fois quitté le refuge, la journée a commencé par une longue descente jusqu’à la rivière Orba, suivie d’une longue remontée vers Toglieto, le tout tandis que l’orage grondait et tournait autour de moi. Il n’a pas éclaté mais la lumière filtrée par les nuages donnait parfois au paysage des reflets surnaturels et m’a permis de faire quelques photos que trouve très modestement superbes !

Entre Tiglieto (abbaye fermée à la visite en raison du covid) et Campo Ligure, sur des chemins de montagne escarpés, je n’ai rencontré personne en dehors de quelques taureaux. J’avais trouvé astucieux que des réservoirs d’eau de pluie soient installés sur le bord du chemin après la Cima Massia, et m’étais dit que j’aurais pu filtrer de l’eau pour ma gourde si j’en avais eu besoin. Mais non, ce n’était pas pour les randonneurs qu’ils étaient là ! Duh !

J 65 – Mardi 18 août 2020
Campo Ligure -> Pietralavezzara (km 1.505)


Sur l’Alta Via dei Monti Liguri.

Le tonnerre grondait fort ce matin et les gouttes de pluie tombaient en rangs serrés. J’avais beau être levé depuis cinq heures et avoir bouclé mon sac, ce n’était pas un jour à partir tôt. J’ai dû attendre jusqu’à 7h30 que le ciel veuille bien se calmer un peu pour me mettre en route sous une pluie assez raisonnable pour être bien à l’abri sous mon parapluie. Petit à petit, la pluie s’est tarie et le temps est devenu parfait pour la marche, ni trop mauvais, ni trop chaud. Comme hier, les nuages rasaient le sol et filtraient la lumière en donnant un aspect irréel à toutes choses.

J’ai rejoint l’Alta Via dei Monti Liguri au Col de Praglia, d’où la vue sur la vallée était splendide. Cela va désormais être au tour des marques de cette épine dorsale des Monts ligures – trois bandes rouges et blanches avec les lettres AV dans le blanc central – de m’accompagner et me guider jusqu’à Aulla. Ainsi guidé par ce balisage, j’ai avancé rapidement.

J’avais contacté hier Claudio Simonetti qui gère des gîtes et refuges dans la région où je me trouve en ce moment, et la page Facebook Alta Via dei Monti Liguri. Sur ses conseils, je suis remonté de plusieurs centaines de mètres (dur, dur en fin de journée) jusqu’au village de Pietralavezzara où l’ancienne école primaire a été transformée en un « Posto Tappa » (ce qui m’a paru être l’équivalent de ce qu’on appelle un refuge communal en France ).

En arrivant en haut du chemin, j’ai demandé ma route à Andrea et Siriana, qui travaillaient dans leur jardin avec leur grand fils Maurizio. Cinq minutes de discussion plus tard, je repartais avec un sac contenant deux œufs et des tomates pour mon repas de ce soir, accompagné jusqu’au Posto Tappa par Maurizio qui est resté à discuter avec moi jusqu’à l’arrivée d’Emilio et de son épouse, qui gèrent le refuge communal et qui m’ont eux aussi accueilli avec beaucoup de chaleur.

Ce soir, covid oblige, je serai seul dans ce gîte d’étape prévu pour douze personnes. Je ne narguerai donc personne en dînant de ces tomates goûteuses et de deux œufs hyper-frais.

J 66 – Mercredi 19 août 2020
Pietralavezzara -> Creto (km 1.533)


La mer !

La mer !!! J’ai vu la mer !!! Oh, pas longtemps, cela n’a duré que quelques minutes, juste avant de finir l’étape du jour au col de Creto, mais après plus de 1.500 km parcourus depuis Paris, cela m’a fait quelque chose de voir la Méditerranée.

Je suis parti en pleine forme ce matin du « poste d’étape » de Pietralavezzara où j’ai dormi comme un loir pendant près de huit heures, en direction du Passo della Boccheta. Une mise en jambe de 300 mètres de dénivelé sur une petite route en lacets, infiniment plus facile que la montée d’hier jusqu’au refuge, sur cet horrible sentier sans cesse barré par des chablis et des ronciers (je pense m’en souvenir longtemps). Après le Passo della Boccheta, j’ai successivement atteint le Passo dei Giovi, la Crocetta d’Orero et le Colle di Creto où je vais passer la nuit.

L’organisation du chemin est excellente. Outre le balisage spécifique, des panneaux indicateurs précisent régulièrement les temps de trajet restant pour chaque étape et de grands panonceaux explicatifs détaillent le trajet et les particularités de l’étape en cours et des suivantes. Par ailleurs, le site de l’AVML regorge d’informations qu’il faut juste réussir à trouver car son ergonomie a besoin d’être améliorée.

Excellent balisage, disais-je. Encore aurait-il fallu que je le suive correctement… À peine parti du Passo della Bocchetta, je me suis trompé de chemin en suivant scrupuleusement les flèches indiquant le chemin vers le Mont Calvo et ce n’est qu’en y arrivant que je me suis rendu compte que ce sommet-là ne se trouvait pas sur mon trajet… demi-tour, et une heure de promenade supplémentaire !

Mon erreur aura fait le bonheur d’un jogger allemand rencontré en redescendant qui était parti depuis deux heures pour un « jogging d’une demi-heure » sans eau, sans carte et sans téléphone. J’ai pu lui indiquer non seulement le chemin de son agriturismo mais aussi la fontaine où je venais de remplir ma bouteille. Heureusement qu’il y a le covid car il était tellement soulagé que sinon je crois bien qu’il m’aurait embrassé !

Au cours de la journée, au fil des montées vers les hauteurs et des redescentes vers les vallées, les passages en forêt ont alterné avec les lignes de crêtes d’où les paysages étaient splendides. Je ne m’en plains pas mais j’étais seul pour les admirer. Où sont donc passés les randonneurs ? Il y a au moins dix jours que je n’en ai pas vu.

J 67 – Jeudi 20 août 2020
Creto -> Passo della Scoffera (km 1.547)


C’est haut mais c’est beau!

Pour aujourd’hui, j’avais prévu un court trajet, histoire de récupérer après les grosses étapes de ces derniers jours, et du coup ce matin j’ai pris tout mon temps : j’ai repoussé jusqu’à sept heures le moment de me lever, j’ai fait un peu de couture, j’ai traîné pour préparer mon sac et – une fois n’est pas coutume – j’ai pris un petit-déjeuner avant de partir.

Discutant avec mon hôtesse pendant celui-ci, je lui ai demandé si elle recevait beaucoup de randonneurs depuis le covid. « Oh non, vous êtes le premier depuis plusieurs semaines » m’a-t-elle répondu « mais c’est forcé, ils ne peuvent plus aller marcher sur l’Alta Via puisque tous les refuges de Ligurie ont reçu l’ordre de fermer ». Voilà qui était nouveau pour moi… et j’ai soudain compris pourquoi Emilio, il y a deux jours, avait autant insisté sur le fait que j’allais dormir dans un « posto tappa », un lieu d’étape, et non dans un « rifugio », et pourquoi je ne croisais aucun randonneur sur le chemin !

J’ai mis cette nouvelle dans un coin de ma tête pour y réfléchir plus tard, le plus ennuyeux dans la fermeture de tous les refuges n’étant pas tant l’obligation de bivouaquer (quoique le risque d’orage en montagne fin août soit élevé) que l’impossibilité d’avoir un repas servi le soir et la diminution supplémentaire des points d’eau. Il va donc devenir indispensable de prévoir très finement mon trajet et sans doute de porter davantage. Cela dit, mes points de chute de ce soir et de demain étant déjà prévus, j’ai un peu de temps pour penser à la suite.

Après un dernier coup d’œil à la mer à laquelle je tournais le dos, je suis donc parti pour une étape qui s’est avérée composée de deux parties successives très différentes. Cela a commencé par une montée ombragée en forêt, sur un sentier grimpant assez régulièrement jusqu’au Colle est del Monte Lago, au cours de laquelle il n’était guère possible de voir autre chose que les arbres et le chemin. La seconde portion en revanche, nettement plus longue, sur le flanc et sur les crêtes des Monts Candelozzo, Carmo, Dragonat et Spina, a été une succession de vues magnifiques (et vertigineuses…) sur les vallées des deux côtés des Apennins ligures, versan maritime comme versan padan.

J’ai évidemment regretté alors mon départ tardif qui m’a fait me trouver pleinement exposé aux heures les plus ensoleillées de la journée, même si la température était à coup sûr moins élevée que mille mètres plus bas (d’après le règlement, six degrés de moins). La fin de l’étape, une descente courte et raide, jusqu’au Col de la Scoffera, s’est faite à l’ombre d’une forêt.

Au cours de toute cette étape, je n’ai pas rencontré un seul point d’eau. Il va falloir que je me penche sérieusement ce soir sur la carte, car l’étape de demain sera plus longue, et un litre et demi d’eau ne pourra pas me suffire.

J 68 – Vendredi 21 août 2020
Passo della Scoffera -> Pianazze (km 1.566)


Il Drago Bianco, le dragon à pizzas

Depuis que nous sommes arrivés en Ligurie, Flop la Girafe n’a pas arrêté de me tanner pour que je la photographie… « Oh regarde, c’est super-beau toutes ces montagnes ! Oh, et là-bas il y aussi la mer ! Eh, oh, tu me prends en photo devant, dis ? tu me prends en photo ? »

J’avoue que je lui gardais un chien de ma chienne depuis son caprice du Morvan. Je lui ai sèchement fait remarquer l’autre jour que nous marchions à des altitudes comprises entre 500 et 900 mètres. « Dis donc Floppette, tu as oublié le Mont Beuvray ? Pas de photo à moins de mille mètres, tu disais ! Et ton ‘standing’, alors ? » C’est difficile à affirmer chez une peluche, mais je crois bien qu’elle a rougi, et en tout cas elle n’a plus rien dit. Et moi, bien sûr, depuis deux jours je me sentais coupable… Alors, lorsque j’ai vu le cairn qui n’attendait qu’elle en atteignant ce matin le sommet du Monte Lavagnola (1.133 m), je l’ai descendue de mon sac à dos pour qu’elle prenne la pose, avec derrière elle les Monts ligures et la Méditerranée.

Les paysages étaient aujourd’hui encore magnifiques, et totalement différents selon que je regardais à gauche (au nord) vers les montagnes nous séparant de la plaine du Pô, ou à droite (au sud) vers la Méditerranée, et j’ai pu en profiter plus pleinement qu’hier car le terrain était plus facile, avec moins de risques de faux-pas. Les derniers kilomètres, sur un plateau, longeaient une rivière tranquille dans laquelle j’ai pu me rafraîchir avant de faire la sieste à l’ombre.

Ce soir je dormirai sous la protection du Drago bianco (le Dragon blanc) qui a été dressé à cuire les pizzas. Je verrai tout à l’heure en dînant avec mon sympathique hôte, Paolo, si le résultat est encore meilleur qu’au feu de bois.

J 69 – Samedi 22 août 2020
Pianazze -> Passo del Bocco (km 1.605)


Au Passo della Forcella

Sachant que je n’avais plus beaucoup de provisions, Paolo avait eu la gentillesse hier soir de me donner quelques tranches de jambon et les deux parts de pizza qui restaient de notre dîner, mais il fallait quand même que je fasse quelques courses ce matin pour ne pas risquer de tomber en panne ce week-end, car à partir de midi tous les magasins restés ouverts en août seraient fermés jusqu’à lundi ou mardi.

Le Dragon blanc a sa tanière plusieurs kilomètres au dessus du trajet de l’Alta Via dei Monti Liguri. Plutôt que de revenir en arrière pour retrouver celle-ci, j’ai donc suivi une petite route de montagne qui me permettrait de la reprendre au Passo della Forcella, en espérant trouver une épicerie sur le chemin, quitte à attendre son ouverture.

Cela m’a fait agréablement traverser plusieurs hameaux dans lesquels j’ai pu suivre les étapes successives du réveil et du début de journée de leurs habitants au fur et à mesure que le soleil se levait et que la journée débutait. Hélas il n’y avait de commerce dans aucun de ces villages. Pas le choix donc, il fallait que je descende dans la vallée pour me réapprovisionner.

Dix-huit kilomètres plus loin et huit cents mètres plus bas, je suis arrivé à Borzonasca, largement avant midi et la fermeture des magasins. J’ai fait mes courses, j’ai déjeuné dans une trattoria… et je me suis mis en route en début d’après-midi pour remonter sur l’autre flanc de la vallée en direction du village de Borzone dont on m’avait vanté la beauté de son abbaye bénédictine et de son église.

Je m’étais dit que je chercherais un coin pour bivouaquer quelque part par là, mais il y a des jours où on se sent dans une forme olympique… si bien qu’une fois la visite terminée je suis finalement monté jusqu’en haut. Au total, une étape de 39 km avec environ mille mètres de dénivelés cumulés positifs et négatifs – ma plus grosse étape depuis mon départ de Paris – qui m’a pourtant moins fatigué que celle d’avant-hier qui en faisait largement moins de la moitié… allez comprendre.

Au Passo del Bocco, comme prévu, le refuge était fermé mais plusieurs bars étaient ouverts et remplis de motards et de cyclistes. J’étais le seul randonneur et la serveuse m’a confirmé ne pas en avoir vu depuis longtemps. Elle m’a indiqué les deux meilleurs sites de bivouac : un petit champ fermé, isolé et invisible de partout bien que situé à moins de cinquante mètres du bar et, un peu plus loin, le pourtour du Lago del Bocco. Dormir au bord d’un lac c’est joli mais c’est la certitude de se réveiller avec une tente trempée de condensation… le petit champ m’a semblé parfait.

J 70 – Dimanche 23 août 2020
Passo del Bocco -> Varese Ligure (km 1.624)


Dans le « Borgo rotondo » de Varese Ligure.

Finalement, la condensation aurait difficilement pu être pire si j’avais planté la tente au bord du laghetto (petit lac) du Passo del Bocco ! Je n’avais encore jamais vu ça : sitôt le soleil couché, et bien que j’aie laissé comme d’habitude les portes de la tente grandes ouvertes, de l’eau a commencé à goutter du toit sur mon duvet et sur ma figure. J’ai fini par en avoir assez d’essuyer tous les quarts d’heure et par installer bonhomme et matériel dans mon sursac pour finir la nuit.

Inutile de préciser que mes vêtements, que j’avais pendus hier soir sur un fil tendu entre deux arbres après rinçage à l’eau claire dans le lavabo des toilettes du café, n’avaient pas séché le moins du monde. Cela m’a donné le plaisir rare d’endosser à l’aube des habits trempés. Même quand il ne fait pas froid, ça réveille… En arrivant hier à ce col sous le chaud soleil de la fin d’après-midi, je n’avais pas pu me rendre compte que cet endroit est classé « zone très humide » et qu’il est réputé pour la flore particulière qui y pousse. Si jamais vous randonnez par là, vous êtes prévenus.

Au cours de ma longue promenade, je me suis toujours laissé le droit de changer de trajet lorsque l’idée m’en venait. Jamais deux sans trois… après le Bassin parisien et les Alpes, je vais à nouveau modifier ma route. Depuis deux jours je suivais de près les prévisions météo qui ont confirmé ce matin la grande probabilité d’orages pour ce soir et surtout pour demain.

N’étant pas tenté par la marche et le bivouac en montagne sous les orages, j’ai fait le choix de ne pas poursuivre ma route sur l’Alta Via dei Monti Liguri mais de redescendre dans la vallée pour me diriger ensuite vers les Cinque Terre. J’ai donc dit au revoir à l’Alta Via en arrivant au Colla Craiolo et me suis dirigé vers la très jolie petite ville de Varese Ligure où un albergo m’a tendu les bras.

Douche et lessive ont été les bienvenus avant que je ressorte faire le tour (c’est le cas de le dire) du centre de la ville, le « Borgo rotondo » dont les rues sont courbes. La ville a en effet été construite en ellipses concentriques dans un but de défense avec sur la place principale une forteresse, le « Castello Fieschi » qui date du 15ème siècle. Celui-ci ne se visite pas mais il doit y avoir une bonne douzaine d’églises dans la ville… j’ai eu de quoi occuper ma fin d’après-midi.

J 71 – Lundi 24 août 2020
Varese Ligure -> Carrodano (km 1.656)


« Il cane » contemple le village de Carro.

Sans doute insuffisamment réveillé en quittant Varese Ligure, j’ai manqué le chemin repéré hier pour rejoindre San Pietro Vara et me suis retrouvé à marcher le long de ce qui serait en France une route nationale. À six heures du matin, heureusement, il y passait peu de voitures, mais du coup les quatre premiers kilomètres de la journée n’ont pas été très agréables. Une fois traversé San Pietro, j’ai toutefois pu dévier vers une route moins fréquentée pour quitter la vallée de la rivière Vara, et à huit heures du matin je m’étais suffisamment élevé dans la montagne pour marcher sur de toutes petites routes quasiment dépourvues de circulation automobile, puis sur des chemins dans la forêt.

Alors que je marchais sur l’une de ces petites routes, quelque chose d’humide a soudain touché mon mollet… c’était la truffe d’un chien noir et blanc, surgi de je ne sais où, qui me signalait ainsi sa présence. La surprise passée et voyant qu’il avait envie de compagnie, j’ai commencé à lui parler et il dû apprécier les sonorités du français car, en silence et en faisant mine de ne pas me regarder, il est passé devant moi comme pour me montrer le chemin.

Après tous ces chiens aboyant à mon passage à travers les grilles de leur maison, après l’attaque canine de l’autre jour, c’était ma rencontre du troisième type avec un chien, et de loin la plus agréable. Il avait un collier mais aucun nom inscrit dessus, je l’ai donc astucieusement baptisé « Il cane » pour le temps qu’a duré ce bout de conduite. Tantôt derrière, tantôt devant et revenant alors souvent vers moi comme pour m’encourager, attendant aux embranchements de voir quel chemin je prenais pour s’y engager ou revenant en arrière quand il avait pris l’autre, mon nouveau copain m’a accompagné pendant plus d’une heure, jusqu’à ce que j’arrive au village de Matarrana. Celui-ci sortait probablement des limites de son territoire car, sans un regard vers son compagnon à deux pattes, « Il cane » a alors fait demi-tour et a repris en trottinant le chemin en sens inverse, me laissant seul et un peu triste.

Heureusement, il était alors l’heure de déjeuner et La Cantina di Barbara se trouvait sur mon chemin. Lorsque j’en ai poussé la porte, je me suis retrouvé au milieu d’une discussion très animée, « à l’italienne », entre l’un des clients et Barbara en personne, qui lui disait visiblement ses quatre vérités (mais je dois reconnaître que je n’ai pas compris grand chose à ce qui se disait), avec le soutien des deux autres clients répartis, chacun à sa table, à bonne distance les uns des autres.

J’ai été moi aussi installé en respectant la distanciation (et à ma demande près d’une prise électrique) pour savourer l’excellent déjeuner préparé par Ita la cuisinière et agréablement servi par Barbara.

Cela m’a redonné des forces pour la suite de l’étape, moins agréable car là encore sur le bord d’une route assez fréquentée. Aujourd’hui encore, j’ai marché plus de trente kilomètres et gravi plus de 1.000 mètres. Il va falloir que je me modère car Pise se rapproche de plus en plus. Je commence déjà (« déjà »…) à entrevoir la fin de cette première moitié du voyage.

J 72 – Mardi 25 août 2020
Carrodano -> Corniglia (km 1.681)


Corniglia, depuis les hauteurs.

J’avais prévu de quitter très vite ce matin la route à forte circulation le long de laquelle j’avais dû marcher hier en fin de journée, en prenant au bout d’un kilomètre le « sentiero 577″ afin de rejoindre ensuite, par des petites routes, Monterosso del mare, la première des Cinque Terre.

Le seul problème, c’est que ledit sentier, pourtant bien individualisé sur la carte, était en fait impraticable car à l’évidence non entretenu depuis des années. J’ai dû regagner la grand-route, puis constater qu’il en était de même pour les deux sentiers suivants. Je n’ai finalement pas pu faire autrement que de continuer à marcher le long de cette route régionale pendant plusieurs kilomètres, y compris à l’intérieur d’un long, long, tunnel, alors que, l’heure avançant, la circulation commençait à s’intensifier. Au total, ce fut une expérience d’un peu moins de deux heures extrêmement déplaisante ; heureusement que j’étais parti à six heures et demie !

Aussi, lorsque je suis enfin arrivé à un embranchement avec une petite route, je l’ai prise bien qu’elle mène à Levanto. Cela me faisait faire un détour mais de là, j’ai pu rejoindre les premières des « Cinque Terre » : Monterosso, puis Vernezza, puis Corniglia. Tous ces villages sont magnifiques mais totalement envahis par les touristes (dont beaucoup de Français d’ailleurs). Pour quelqu’un qui marche en solitaire depuis des semaines, quel choc ! Je n’avais qu’une envie en y arrivant : en repartir.

Entre chacun de ces quatre villages de bord de mer séparés les uns des autres de quelques kilomètres, le sentier fait des sauts de puce, à chaque fois jusqu’à 200 ou 300 mètres d’altitude, pour redescendre au niveau de la mer pour le village suivant. Entre les émotions du début de journée et ce que les Italiens appellent joliment des saliscendi (des « montées-descentes ») multiples, je suis arrivé exténué à l’Ostello de Corniglia où j’avais réservé pour cette nuit une place dans un dortoir de quatre. J’avais imaginé passer la soirée à discuter avec d’autres randonneurs mais les autres occupants ne randonnent pas et ont passé la soirée chacun sur son smartphone… et du coup, moi aussi !

J 73 – Mercredi 26 août 2020
Corniglia -> La Spezia (km 1.701)


Le village de Biassa, qui domine le port de La Spezia.

Les jours raccourcissent de manière sensible, ce qui m’empêche désormais de me mettre en route à six heures comme j’en avais pris l’habitude mais pas de continuer à me réveiller spontanément tous les matins vers cinq heures. Aujourd’hui je suis donc rapidement sorti du dortoir avec mes habits à la main et mon sac à dos préparé hier soir, je me suis redonné figure humaine et me suis habillé dans la salle de bain, et puis je suis allé grignoter un morceau, installé sur un banc devant l’Ostello de Corniglia, en attendant que le ciel s’éclaire.

Le fait d’être totalement éveillé lorsque le jour se lève, alors que tout dort encore autour de soi, donne l’impression que l’on est seul au monde et, à l’extrême, que celui-ci nous appartient. C’est une sensation de plénitude tranquille tout à fait agréable.

Les meilleures choses ont hélas une fin et la lumière fut, me retirant tout prétexte à repousser davantage mon départ. J’ai donc entamé la montée vers l’Alta Via des Cinque Terre (AV5T), 700 mètres plus haut, d’abord par de raides escaliers puis par un sentier tout aussi raide, pour ce que l’on appelle une jolie « bavante » mais finalement pas si terrible que cela… vive la marche matinale ! Une fois arrivé en haut, le sentier AV5T qui surplombe la côte était le plus souvent situé en forêt, ce qui empêchait d’admirer le paysage mais rendait d’autant plus appréciable les rares trouées par lesquelles j’ai pu voir les deux « Cinque Terre » que je n’avais pas visitées hier, Manarola et Riomaggiore.

Au lieu-dit Telegrafo, j’ai obliqué sur l’autre versant du massif et suis descendu jusqu’au joli village de Biassa d’où la vue sur le port de La Spezia est impressionnante, puis jusqu’à La Spezia elle-même où je vais passer la nuit. J’avais entendu dire que c’est une ville très laide ; disons que c’est une ville moderne avec un grand port et des installations militaires et que le Centro Storico est particulièrement réduit, mais les rues piétonnes du centre ville sont agréables, et j’y ai très bien dîné.

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