À pied, de Paris au Salento : Jura


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J 32 – Vendredi 3 juillet 2020
Pierre-de-Bresse -> Chemenot (km 730)


Pardon pour le dérangement, ami héron !

J’ai fait peur au héron qui dormait au bord du ruisseau. Réveillé en sursaut par mon pas dans les herbes hautes, il a poussé un cri rauque et s’est envolé maladroitement, ses longues ailes bousculant les branches retombantes des saules sous lesquels il était assoupi. Une fois dans les airs, il a fait plusieurs grands cercles à faible altitude autour du gêneur en l’agonisant copieusement d’injures héronesques. Merci, ami héron, pour ce beau début de journée et pardon pour le dérangement.

J’ai marché sur des petites routes et des chemins de terre, parmi les étangs, entre les prés, parfois dans les bois. La trace de l’homme était partout, bornes, poteaux télégraphiques, barrières, clôtures, maisons, bétail et basse-cour, mais en dehors des conducteurs de quelques automobiles et d’une charmante dame qui m’a proposé de l’eau et des fruits secs à Mouthier-en-Bresse, de toute la journée je n’ai pas croisé un être humain.

Peu avant Rye, je suis passé de la Saône-et-Loire au Jura. C’était toujours la Bresse – la Bresse jurassienne et ses multiples étangs – mais au loin on commençait à apercevoir les premières vraies élévations de terrain et, en regardant bien, les six éoliennes du parc de Chamole, près de Poligny où je serai demain. On commence à sentir que les montagnes ne sont plus très loin.

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J 33 – Samedi 4 juillet 2020
Chemenot -> Poligny (km 752)


Passage sous l’autoroute.

J’ai traversé une autoroute ce matin et même, en quelques mètres, deux autoroutes, au niveau de la jonction entre l’A39 et l’A391. Rien d’étonnant à cela me direz-vous ; quand on marche longtemps en Europe, on est bien obligé de croiser de temps à autre une autoroute, annoncée longtemps à l’avance par la basse continue du bruit des automobiles.

Parfois, comme aujourd’hui, le promeneur peut passer dans un tunnel creusé sous les voies. Plus souvent, la traversée du fleuve d’asphalte se fait sur une passerelle du haut de laquelle on voit passer les bolides. C’est dans ces cas-là que je trouve l’opposition particulièrement frappante entre la vitesse et le bruit de cette foule de véhicules et la lenteur, le calme et le silence de mon actuelle vie de marcheur solitaire.

Le rôle d’une autoroute est de satisfaire un besoin exactement opposé à celui de la marche : atteindre une destination le plus rapidement possible. Le chemin en lui-même n’a pas d’intérêt, plus il est bref, mieux c’est. Dans une longue marche, au contraire, « c’est le chemin qui compte, pas la destination ». C’est comme pour la vie, en somme.

Parti tôt ce matin, alors que de la brume flottait encore sur les étangs, j’ai avancé en gardant en ligne de mire les éoliennes des Crêts de Chamole qui dominent Poligny (et qui ont la réputation d’être les éoliennes les plus hautes de France). Je suis arrivé en milieu d’après-midi à Poligny où, comme je l’espérais, les magasins de fromage étaient encore ouverts. Je n’ai eu que l’embarras du choix pour acheter un morceau de comté 18 mois.

En revanche, tous les autres magasins, y compris la supérette, étaient déjà fermés jusqu’à mardi. Aïe. Rien de dramatique, il me reste des Monster Crunch, de la semoule et du saucisson… mais je vais devoir me sevrer en Haribo.

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J 34 – Dimanche 5 juillet 2020
Poligny -> Champagnole (km 778)


Le Prieuré de Vaux-sur-Poligny.

Pour quitter Poligny en direction de Champagnole, il fallait que je sorte de la Culée de Vaux à l’entrée de laquelle la ville est construite. Les culées, ou reculées, sont ces vallées en cul-de-sac caractéristiques du Jura, aux parois si abruptes qu’il est souvent impossible de les franchir. En analysant la carte IGN, j’avais vu qu’un sentier (certes indiqué seulement par des tirets) grimpait directement jusqu’au haut de la falaise à partir de Vaux-sur-Poligny et je m’étais dit qu’avec un peu de chance ce serait un bon raccourci.

Arrivé à Vaux, où se trouve un prieuré au toit superbe, j’ai effectivement déniché ce sentier. Raide, très raide, avec des pierres qui roulaient sous les pieds et de surcroît encombré de branchages. Au bout de 20 minutes d’efforts, complètement en nage sans avoir fait le dixième de l’ascension, j’ai dû me rendre à l’évidence et rebrousser chemin.

En me voyant débouler sur la route en sortant des broussailles, deux vieux messieurs m’ont dit avec un fort accent du Jura que le sentier était impraticable. Après un coup d’œil goguenard sur ma carte, ils m’ont conseillé de revenir sur mes pas jusqu’à « un bon chemin » passant par Chamole (là où se trouvent les éoliennes que j’ai vues cette fois d’encore plus près), soit un détour de deux bons kilomètres.

J’ai d’abord pesté en moi-même mais ai vite réalisé que le chemin indiqué par ces deux messieurs était effectivement « un bon chemin ». J’y ai progressé assez rapidement pour arriver à Montrond juste avant midi. Et là… divine surprise, l’épicerie du village était ouverte en ce dimanche matin. J’ai pu m’y ravitailler pour les prochains jours (y compris en Haribo !)

Moralité : en randonnée, la ligne droite et les raccourcis ne sont pas toujours le chemin le plus court pour aller d’un point à un autre, un détour astucieux peut faire gagner du temps et beaucoup d’énergie, et il faut pas hésiter à avoir recours aux conseils des « gens du coin ».

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J 35 – Dimanche 6 juillet 2020
Champagnole -> Foncine-le-Bas (km 807)


Iris.

Je n’avais pas encore eu l’occasion d’essayer la nouvelle veste de pluie que mon épouse m’avait apportée à Avallon il y a deux semaines pour remplacer celle que j’avais idiotement perdue. Eh bien, voilà qui est réparé… Dès mon départ de Champagnole il s’est mis à tomber une pluie drue rendant assez difficile la montée vers Bourg de Sirod, sur un chemin rocailleux et glissant.

Une fois arrivé en haut, je n’ai pas résisté à l’invitation muette d’une auberge à m’abriter quelques minutes devant un chocolat chaud. À l’intérieur, une famille prenait son petit-déjeuner. Les adultes étaient pêcheurs et/ou randonneurs, ce qui m’a permis d’en apprendre un peu plus sur les truites, et de mon côté d’avoir des oreilles attentives à ma « bonne parole » sur la marche légère, en réponse à l’étonnement exprimé devant la petite taille de mon sac à dos.

La pluie persistant, j’ai renoncé à aller observer les Pertes de l’Ain. C’est un endroit où la rivière s’engouffre dans une gorge étroite puis disparaît sous terre, pour ressurgir plus loin en une cascade. Je serais volontiers allé observer ce phénomène s’il n’avait pas fallu pour cela descendre (puis remonter) de très nombreuses marches métalliques sous la pluie… Tant pis.

Après une seconde grimpette toujours bien arrosée je suis arrivé à mes premiers alpages (on dit alpages aussi dans le Jura ? et pourquoi pas jurages ?). La pluie a alors eu la bonne idée de s’arrêter afin de me permettre de lier connaissance avec plusieurs dizaines, voire centaines, de vaches. En fait, ce sont surtout ces dames qui ont décidé de me suivre, de me précéder, bref de m’accompagner dans la prairie en prévenant de loin toutes leurs copines que j’arrivais. Je le dis avec beaucoup de modestie : j’ai eu un succès fou ! Toutes les vaches sont curieuses, mais ces jolies petites Montbéliardes avec leur robe marron et blanc – les seules vaches dont le lait puisse être utilisé pour faire un fromage portant le nom de comté – ces Montbéliardes, disais-je, sont aussi curieuses qu’elles sont mignonnes. Entouré par ma cour de dizaines de porteuses de clarines, j’ai ainsi fait une entrée en fanfare dans les alpages du Jura.

Les dernières clôtures passées, j’ai pu me poser au bord du chemin pour déjeuner. C’est ainsi que j’ai fait la connaissance d’Iris et de Maud qui se promenaient. Iris aurait bien voulu que je lui donne un peu de mon saucisson mais a très sagement accepté mon refus. Maud, qui avait fait une pause dans l’arrachage des vieux torchis de la maison qu’elle retape, m’a proposé un café que nous avons bu avec Thomas, son compagnon. Maud n’a pas voulu que je la prenne en photo. Iris, quand je lui ai demandé la permission, ne m’a pas dit non.

Le beau temps était revenu. J’ai suivi, jusqu’à Foncine-le-Bas où je dors ce soir, les gorges de Malvaux au fond desquelles coule la rivière Saine. Franchement, avoir fait plus de 800 km depuis Paris pour dormir sur les bords de la Saine, était-ce bien raisonnable ?

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J 36 – Lundi 7 juillet 2020
Foncine-le-Bas -> Les Rousses (km 835)


Droit devant !

En prévision d’une étape assez longue et comportant un peu de dénivelé, j’avais commencé à marcher tôt. Le soleil oblique du petit matin éclairait d’une jolie lumière les prairies que les gentianes piquetaient de jaune. Il faisait frais, ce qui me poussait à accélérer le pas pour me réchauffer. Trois heures, dix kilomètres et quelques centaines de mètres de dénivelé plus tard, j’étais tout à fait réchauffé et j’allais nettement moins vite. J’ai ainsi rejoint, un peu au sud de Chapelle-des-Bois, le trajet de la Grande Traversée du Jura, ici commun avec le GR5, puis ai atteint la Roche-Bernard, au-dessus du lac de Bellefontaine.

Vers 11 heures, fatigué et affamé, j’ai mis à profit la présence d’une cabane au bord du chemin pour faire une pause déjeuner. À l’intérieur, mon attention a été attirée par des piaillements et des bruits d’ailes : un petit oiseau essayait désespérément de sortir à travers la fenêtre fermée de la soupente ménagée sous le toit. J’ai eu le plaisir de réussir à l’attraper sans le blesser et à le libérer.

Quelques minutes plus tard, un groupe de randonneurs arrivait devant la cabane. Il n’a pas fallu longtemps pour que Colette, qui encadrait quatre randonneurs, se rende compte comme moi que nous nous « connaissions » via nos pages Facebook respectives.

Yourte
La yourte où je vais
passer la nuit
En revanche, je n’ai pas pu rencontrer Jean-Marc « Caminaïre », étant arrivé trois jours après lui sur cette portion commune de mon parcours et de sa Grande Traversée de la France. Dommage que nous n’ayons pas eu l’opportunité de nous rencontrer mais qu’il m’ait devancé est en fait tout bénéfice pour moi car je vais pouvoir profiter des infos qu’il publiera sur son site.

J’ai d’ailleurs déjà commencé à le faire puisque je vais dormir ce soir dans la yourte où il a lui-même passé la nuit de samedi à dimanche.

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J 37 – Mardi 8 juillet 2020
Les Rousses -> Col de la Faucille (km 859)


Comment ça, je gêne ? Mais j’ai réservé, Môssieur !
Ce bout de Mont-Blanc derrière mon oreille ne vous suffit pas ?

L’excellente nuit passée dans cette yourte mongole m’a porté conseil. Lorsque je me suis couché, je me demandais en effet quel chemin il faudrait que je suive pour rejoindre mon étape du jour, le Col de la Faucille. Au matin, mes idées s’étaient mises en place toutes seules : au lieu de suivre ma trace théorique, qui m’obligeait à finir la journée par une longue grimpette depuis la combe de Mijoux, j’allais passer par la Suisse pour faire l’ascension de la Dôle en début de journée, alors que je serais encore frais. Je rejoindrais ensuite la Faucille par un chemin plus facile car arrivant par le haut.

C’était une excellente idée. Frais et reposé, j’ai gravi le matin sans réelle difficulté la Dôle dont j’ai atteint le sommet à 10 heures précises. C’était visiblement l’heure réservée par un troupeau de vaches pour admirer le Mont-Blanc. J’ai donc attendu quelques minutes qu’elles veuillent bien laisser la place pour pouvoir admirer le panorama à mon tour. La vue sur le lac Léman et ses alentours et sur le Mont-blanc est absolument renversante.

La descente de la Dôle m’a paru plus raide que la montée, et les randonneurs/euses que j’ai croisé(e)s ne diraient probablement pas le contraire. J’ai marché ensuite, sans événement notable à signaler, sur des sentiers souvent étroits et parfois exposés, jusqu’au Col de la Faucille où la vue sur le Mont-Blanc est là aussi grandiose.

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J 38 – Mercredi 9 juillet 2020
Col de la Faucille -> Refuge du Gralet (km 884)


Flop devant le Mont-Blanc

Grande nouvelle ! Flop la Girafe a enfin fini de bouder ! Après que je lui ai promis-juré que je ne l’abandonnerais pas, elle a accepté de descendre de mon sac à dos pour une séance photos au sommet du Grand Montrond. Certes, nous n’étions qu’à 1600 mètres d’altitude environ, mais avec le Mont-Blanc derrière elle, son standing était respecté.

J’avais aussi besoin de m’arrêter parce que je venais d’avoir un gros coup de pompe dans l’ascension et qu’il fallait que je mange quelque chose. Il faut dire que je suis incapable d’avaler quoi que ce soit au réveil et que je ne prends jamais de petit-déjeuner. Quand je randonne en plaine, je peux me contenter d’une barre de céréales dans la matinée, mais en montagne c’est une autre histoire. Bonne résolution du jour : m’obliger désormais à manger le matin. C’est pas gagné.

Flop et moi sommes ensuite repartis d’un bon pied (enfin, moi surtout…) vers les autres sommets de la journée en commençant par le Colomby de Gex. Vers midi, je suis arrivé au refuge de la Loge tenu par Cathy et Franck, simples et chaleureux. J’y ai déjeuné, m’y suis ravitaillé en eau et, sur leur conseil, ai décidé plutôt que de bivouaquer dans cette zone protégée du Haut-Jura où les possibilités sont très restreintes, de pousser plus loin que prévu, jusqu’au refuge du Gralet.

L’après-midi de cette longue journée m’a permis d’atteindre successivement le Crêt de la Neige (point culminant du Jura à 1720 m) puis le Reculet, devant lequel j’ai fait la connaissance de deux sympathiques randonneurs, Olivia et Andrea. Ce soir je dors donc au refuge du Gralet, refuge non gardé, bien aménagé, où j’ai dîné avec Xavier, de Poligny où j’étais moi-même il y a quelques jours, et ses deux jeunes compagnons de 11 et 12 ans, Gabin et Léon. Leur étape avait été aussi longue et avec autant de dénivelé que la mienne, mais ils étaient encore assez en forme pour grimper un peu plus haut afin d’admirer le coucher de soleil… où donc les enfants vont-ils chercher toute cette énergie ?

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