Invader Trail : Béarn et Gascogne


J 11 – Mercredi 17 mai 2023
Saint-Palais -> Navarrenx (km 265)


À l’entrée de Navarrenx.

La nuit portant conseil, j’ai commencé ma journée par un détour d’un kilomètre jusqu’à la gendarmerie de Saint-Palais où j’ai déposé une main courante pour signaler que j’avais été attaqué hier par un chien et l’endroit où cela s’était passé. Le but n’était pas de porter plainte puisque je n’avais pas été gravement blessé mais de faire en sorte que les personnes responsables de l’animal soient mises en face de leurs responsabilités car ma morsure était à la hauteur du visage d’un enfant. Les gendarmes ont pris les choses tout à fait sérieusement et m’ont assuré qu’ils allaient se rendre sur place.

Ma conscience libérée de ce poids, c’est donc bien plus tard que prévu que je me suis mis en route ce matin et que je me suis alors rendu compte… qu’il faisait beau ! Ciel bleu, pratiquement pas de nuages, sans qu’il fasse trop chaud, un temps idéal pour marcher.

À Irún il ya quelques jours j’avais laissé derrière moi le Chemin de Compostelle en quittant le Camino del Norte mais aujourd’hui je me suis de nouveau retrouvé a être sans cesse salué (et à rendre la pareille) par les « Bon chemin ! » des nombreux pèlerins qui arrivaient en sens inverse : le chemin suivi jusqu’à Navarrenx est en effet un tronçon du GR65, la « Voie du Puy-en-Velay » du Chemin de Compostelle, qui se poursuit par le Camino Francès à Saint-Jean-Pied-de-Port.

L’affluence était grande, et l’inquiétude aussi, chez les marcheurs qui n’avaient pas déjà réservé leur logement dans cette ville où il arriveraient après-demain. Une dame assez âgée qui faisait le Chemin pour la 6ème fois (!) m’a expliqué qu’à cette période de l’année environ 500 pèlerins partaient chaque jour de Saint-Jean-Pied-de-Port pour s’engager sur le Camino mais qu’avec le long week-end de l’Ascension et plusieurs manifestations sportives, tout était complet. S’il avait encore été besoin de me donner des raisons pour ne pas « faire » Compostelle…

L’étape fut longue jusqu’à Navarrenx, sans rien de bien notable à signaler et avec aujourd’hui encore beaucoup de bitume. Le temps de faire un petit tour dans cette jolie petite ville fortifiée et d’acheter quelques provisions, j’étais prêt à dîner et à me mettre au lit. Il faut dire que le mauvais temps prolongé m’a fait réserver à l’avance il y a trois jours des endroits où dormir pour toutes mes étapes jusqu’à Pau. Ce soir encore donc je passerai une soirée et une nuit dans le luxe (très relatif)… Attention mon garçon, tu te ramollis !

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J 12 – Jeudi 18 mai 2023
Navarrenx -> Monein (km 288)


Dans la palombière, les cages des « appelants ».

Temps vivifiant ce matin, le thermomètre indiquait 6°C à 8 heures. Petite polaire de rigueur pour se mettre en route mais dans le ciel redevenu bleu depuis hier le soleil a vite rempli son office et réchauffé l’atmosphère.

Lassé de marcher essentiellement sur le bitume depuis deux jours, j’avais décidé hier soir en préparant mon trajet de tenter de couper à travers une zone boisée en suivant un tracé non visible sur OpenStreetMap mais représenté en pointillés sur la carte de l’IGN. Cette dernière indiquait en outre la présence d’un camp romain sur le trajet. Bien m’en a pris, le chemin existait bel et bien et était facilement praticable. En outre il m’a fait passer par deux endroits captivants à des titres divers.

Le camp romain d’abord. S’il n’avait pas été indiqué sur la carte, je serais passé à côté sans me rendre compte de sa présence. Aucun vestige, pas de murailles, pas de pierres évocatrices mais quand on sait qu’il était là jadis, on le voit. Une fois escaladé ce qui est désormais un talus d’une quinzaine de mètres de haut, je suis arrivé sur un petit plateau arrondi d’environ 70 mètres de diamètre, situé au sommet d’une butte dominant les alentours, entouré d’un remblai encore bien visible. Le tout était bien sûr envahi par les herbes et de nombreuses générations successives d’arbres avaient eu le temps d’y pousser en deux mille ans. Toutefois, j’imaginais facilement dix ou vingt tentes romaines installées en ce lieu qui, pour moi aussi, aurait été parfait pour un bivouac, avec un ruisseau coulant au pied de la butte.

Un peu plus loin sur le même chemin, je suis arrivé à une barrière avec des panneaux ACCÈS INTERDIT - PROPRIÉTÉ PRIVÉE - PALOMBIÈRE. C’était en somme mon second camp retranché de la journée mais autant j’avais été captivé par le premier, autant celui-ci m’a surtout inspiré de la tristesse et de l’effroi. C’était comme un petit village de huttes camouflées, avec tout un système élaboré d’échelles, de poulies, de contrepoids conçus pour accéder au sommet des arbres et sans doute pour manœuvrer des filets. Il y avait aussi des cages (pour les appelants je suppose). Cela m’a rappelé les gabions près desquels j’étais passé il y a bien des années sur la Côte d’Opale, au tout début de ma traversée nord-sud de la France.

La tristesse et la répulsion que j’avais alors ressenties envers l’ingéniosité des hommes quand il s’agit de créer des instruments de mort se sont réveillées dans cette forêt. Mais bon. Il faisait beau, le chemin était bon, ce n’était pas la saison de la migration des palombes… je suis reparti pour tâcher de profiter de la suite de cette belle journée.

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J 13 – Vendredi 19 mai 2023
Monein -> Pau (km 315)


Arrivée à Pau.

Il faisait encore bien frais ce matin quand j’ai quitté Monein pour parcourir la dernière étape de ce premier tronçon entre deux villes « envahies » par des Space Invaders, Bilbao et Pau (n’oublions pas que le prétexte de cet « Invader Trail » est de rallier les unes après les autres des villes envahies par lesdites mosaïques !).

La première partie de la journée s’est passée dans les vignes du Jurançon. Rien à voir avec les immenses vignobles que j’ai traversés l’an dernier dans le Val de Loire. Ici, ce sont de petites parcelles à flanc de coteau, séparées les unes des autres par des champs et des bois dans un paysage doucement vallonné.

J’ai ensuite atteint le Gave de Pau que j’ai suivi jusqu’à la ville sur une dizaine de kilomètres, une rivière gonflée par les pluies abondantes des derniers jours et qui coulait avec impétuosité. Un pêcheur m’a expliqué que le niveau de l’eau pouvait monter à toute vitesse en cas d’orages et redescendre tout aussi rapidement ensuite. Il y a deux jours, m’a-t-il montré, l’eau arrivait ici, recouvrant le chemin. Son niveau a baissé d’un mètre et demi depuis que les pluies ont cessé.

Et enfin je suis arrivé à Pau, dans laquelle se déroulait ce week-end le Grand Prix automobile des voitures anciennes. Dans un bruit infernal, de vieilles voitures tournaient à toute vitesse sur un circuit empruntant des rues de la ville, évidemment interdites à la circulation… et aux piétons. Cela m’a obligé à attendre la nuit avant de pouvoir accéder à l’une des mosaïques. Je dois reconnaître qu’avec une trentaine de kilomètres dans les pattes, je me serais volontiers couché plus tôt, mais le devoir avant tout ! Ce soir, les neuf SI survivants de la ville sont dans mon escarcelle.

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J 14 – Samedi 20 mai 2023
Pau -> Anoye (km 347)


Quel temps, non mais quel temps !

Après la fin d’une longue promenade, et parfois même avant qu’elle soit terminée, se pose la question de ce que sera la suivante. Une fois que l’idée générale est arrêtée (d’où partir et où arriver, en premier lieu) vient le moment de la préparation du trajet. Chaque marcheur est différent sur ce plan, mais quelle que soit la précision désirée cette période de préparation est très agréable. Elle permet de se projeter dans le périple futur plusieurs mois à l’avance, et en fait elle fait pleinement partie du périple.

C’est vrai même dans mon cas, alors que l’expérience a montré que je ne respecte souvent que les grandes lignes directrices du trajet théorique élaboré à l’avance et que je fais sans cesse des digressions autour du projet initial. Cette année, j’avais par exemple prévu que le premier tronçon de ma promenade, entre Bilbao et Pau, durerait environ trois semaines car je comptais, à partir d’Irún, suivre pendant plusieurs étapes le Piémont pyrénéen jusqu’à Saint-Jean-Pied-de-Port avant de remonter vers le nord par Oloron-Sainte-Marie.

Le temps épouvantable auquel j’ai été confronté pendant mes dix premiers jours de marche m’a fait abandonner cette idée. Plutôt que tutoyer les Pyrénées, j’ai préféré aller au plus court en coupant par Ascain, Saint-Palais et Navarrenx, raccourcissant ainsi mon trajet de plusieurs jours et me faisant arriver à Pau avec presque une semaine d’avance sur mon programme. Or il se trouve que j’avais prévu d’y prendre vendredi prochain un train pour Toulouse où j’ai rendez-vous avec mon épouse pour que nous y passions ensemble le long week-end de la Pentecôte (je compte évidemment en profiter pour flasher les Space Invaders qui s’y trouvent).

Il a donc fallu que je modifie mes plans. Rejoindre Toulouse à pied aurait été une alternative intéressante mais la ville est un peu trop éloignée de Pau pour que j’y arrive à temps. En outre, cela me ferait ensuite beaucoup de chemin à rattraper pour rejoindre mon parcours. J’ai donc choisi une autre solution : au lieu de faire un aller-retour à Toulouse par le train depuis Pau, je vais le faire à partir d’Auch où je devrais pouvoir arriver vendredi prochain, en suivant une fois de plus le Chemin de Compostelle, en sens inverse comme c’est en train de devenir une habitude, cette fois-ci sur la voie d’Arles.

À en juger par l’étape d’aujourd’hui cela a été plutôt une bonne décision car c’est un chemin agréable, même si les paysages ont une fois de plus été bien trop souvent masqués par la pluie.

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J 15 – Dimanche 21 mai 2023
Annoye -> Maubourguet (km 369)


Jolis paysages… malgré le temps pourri.

C’est sous une pluie battante que je suis arrivé hier en fin d’après-midi au refuge communal d’Anoye (prononcer « Hanoï ») où j’avais réservé quelques heures plus tôt la dernière place. Je ne suis pas fana des dortoirs mais le temps qu’il faisait m’avait encore une fois dissuadé de planter la tente. Dans ce dortoir de huit personnes, quatre allemands et un autrichien qui ne parlaient ni français ni anglais ont passé la soirée à discuter entre eux. Les deux autres occupants étaient deux cyclistes hollandais très sympathiques et très grands. Tellement grands que leurs pieds dépassaient très largement du cadre en bois de leur lit et qu’ils ont fini par décider d’aller monter leurs tentes malgré la pluie battante.

Dans l’autre dortoir, quatre jeunes femmes devaient prendre place mais deux d’entre elles voyageaient avec un chaton (en fait, une chatonne) et elles ne savaient pas que le gîte était interdit aux animaux. Elles aussi sont donc allées dans le jardin de la mairie planter leur tente sous la pluie. Soirée mouvementée en somme, avec beaucoup de remue-ménage mais dans la bonne humeur. Une fois le calme revenu, j’ai finalement passé une excellente nuit, aidé par le fait qu’il n’y avait aucun ronfleur dans le dortoir.

Ce matin avant de partir je suis passé dire au revoir aux deux hollandais – qui dormaient encore – et à Sandrine, Léa et leur chatte, une toute petite chatte écaille de tortue âgée de trois mois et demi, déjà étonnamment bien habituée au harnais et à la laisse longue. Elle voyageait dans une cage sur le dos de l’une de ses humaines tandis que l’autre tirait tout leur barda posé sur une charrette.

Parti plus tôt que d’habitude, j’ai pris mon temps en empruntant un joli chemin faisant le tour du Lac du Petit Lées. Joli certes mais boueux ; *très* boueux même, à tel point que j’ai ensuite préféré marcher sur le GR 653 alias Chemin d’Arles qui passe surtout sur des petites routes, désertes en ce dimanche matin. J’ai ainsi rencontré plusieurs pèlerins et ai passé de longs moments à discuter avec plusieurs d’entre eux. Lorsqu’il fait à peu près beau (tout est relatif) et qu’on sait que l’étape ne sera pas très longue, pourquoi s’en priver ?

Le dimanche à Vidouze, il y a bar à la mairie. Passant devant le bâtiment vers 11 heures, je me suis vu proposer de m’arrêter pour boire un pastis. J’ai volontiers accepté l’invitation d’une petite pause et ai choisi un café que j’ai siroté en discutant avec le maire et ses adjoints. J’ai ainsi appris que je venais de pénétrer dans le département des Hautes-Pyrénées et qu’à quelques kilomètres se trouvaient deux enclaves de ce département à l’intérieur de celui des Pyrénées-Atlantiques que je venais de quitter, les « enclaves bigourdanes » qui existent depuis le 11ème siècle. Il s’agissait alors d’enclaves du Comté de Bigorre en Vicomté de Béarn. Au 21ème siècle, les cinq communes qui s’y trouvent font administrativement partie de la région Occitanie alors que celles qui les entourent sont en Nouvelle-Aquitaine, avec des dates de vacances scolaires différentes et des imbroglios administratifs multiples… mais les habitants desdites enclaves ont refusé par référendum leur rattachement aux Pyrénées-Atlantiques. D’après mes informations, on peut néanmoins traverser leur frontière sans passeport.

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J 16 – Lundi 22 mai 2023
Maubourguet -> Marciac (km 387)


Marcher sans arrêt sous la pluie pendant des jours et des jours ?
Le plus âne n’est pas forcément celui qu’on croit !

À Maubourguet j’ai traversé l’Adour en direction du nord. Après le Pays basque, la Basse Navarre et le Béarn me voici arrivé dans le Pays gascon, mais que je marche au País Vasco, dans les Pyrénées-Atlantiques, les Hautes-Pyrénées ou maintenant dans le Gers, c’est toujours la même chanson : « I’m singing in the rain ». Cela me donne au moins la satisfaction d’avoir largement rentabilisé l’achat de ce fameux parapluie à San Sebastián. Au cours des deux semaines écoulées depuis mon départ je n’aurai eu qu’une seule journée de vrai beau temps et deux de temps couvert mais sans pluie.

(AVERTISSEMENT - Je précise à toutes fins utiles que je ne me plains pas, je constate !)

Du coup, lorsque je suis arrivé à Marciac en début d’après-midi après une vingtaine de kilomètres très humides et que j’y ai vu un petit hôtel, j’ai décidé que ça suffisait pour aujourd’hui et j’ai posé le sac à dos. Le temps de m’installer, de prendre ma douche et de faire ma lessive, lorsque je suis ressorti il faisait un grand beau temps ! Cela m’a permis de visiter Marciac qui en vaut la peine, mais j’en toucherai plutôt un mot demain pour parler aujourd’hui des rencontres que j’ai faites ce matin.

Comme d’habitude, en suivant à l’envers un des multiples Chemins de Compostelle (actuellement celui d’Arles), j’ai croisé et discuté avec plusieurs randonneurs qui comptaient le plus souvent marcher jusqu’au col du Somport ou jusqu’à Puente la Reina, et quelques-uns jusqu’à Santiago ou Fisterra. Mais surtout, j’ai rencontré José, un vieux monsieur d’origine espagnole qui promenait Rio, son chien podenco andalou, qui m’a immédiatement rappelé un autre vieux monsieur, italien celui-là, que j’ai rencontré dans un village du Piémont lors de ma longue promenade de 2020. J’ai alors raconté dans cette chronique combien j’avais été touché par ce vieux monsieur (Giuseppe, je crois) désespéré de ne pas pouvoir rendre visite à son épouse atteinte de la maladie d’Alzeihmer en raison des restrictions de l’époque liées à la pandémie de covid.

José, qui me le rappelait physiquement, m’a lui aussi raconté que son épouse était atteinte de la maladie d’Alzeihmer et qu’il profitait de sa sieste pour sortir un moment se promener avec son chien. « Heureusement qu’on a toutes ces aides en France », m’a-t-il dit. « Infirmières, kinés, psychologues, médecins, il n’y a pas tout ça en Espagne, mais je suis quand même épuisé. Le médecin et la psychologue disent que je devrais la faire hospitaliser pendant une dizaine de jours pour me reposer mais je ne veux pas l’abandonner, j’ai peur que ça ne se passe pas bien… qu’est ce que vous en pensez ? »

Il y a trois ans, en Italie, lorsque j’avais repris mon chemin, Giuseppe m’avait salué d’un « e stato un piacere » qui m’avait touché. Je n’ai pas été vraiment surpris que José, qui avait avec lui tant de points communs, me quitte pour retourner auprès de son épouse en me remerciant de l’avoir écouté et par un « ça a été un plaisir de discuter avec vous » tandis qu’il me tendait sa main à serrer. Pour moi aussi, José.

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J 17 – Mardi 23 mai 2023
Marciac -> Montesquiou (km 411)


Dans l’église Notre-Dame de l’Assomption, à Marciac.

Comme j’étais arrivé tôt à Marciac hier et que le soleil avait eu la bonne idée de se montrer au milieu de l’après-midi, j’ai eu tout le loisir de visiter cette petite ville. J’ignorais jusqu’alors où elle se trouvait mais j’en avais souvent entendu parler en raison du festival « Jazz in Marciac » qui s’y déroule chaque année en juillet/août. C’est plus un gros village qu’une petite ville en fait, auquel le festival a sans doute évité le destin des autres villages des alentours : il y a une épicerie, une boulangerie, une pharmacie, un bureau de poste – tous absents des villages que j’ai traversés aujourd’hui – l’hôtel où j’ai dormi et pas moins de huit restaurants. Il y a aussi de nombreuses galeries d’art et beaucoup de street art, souvent bien sûr en rapport avec le jazz.

Toutefois, ma visite des monuments de la commune a plutôt mal commencé. J’aurais aimé voir les arènes mais elles étaient fermées. Quant au couvent Saint-Augustin, son cloître a été démonté et emporté aux États-Unis il y plusieurs dizaines d’années par un milliardaire américain. Les dépliants touristiques gardent un silence pudique sur les conditions de cette acquisition qui m’a rappelé l’existence des « Cloisters » dans le quartier de Washington Heights à New-York. Si ça se trouve le cloître de Marciac se trouve là-bas… Pour compléter le tableau, les colonnes démontées ont été remplacées par des espèces de fausses colonnes en grillage que j’ai trouvées tout à fait ridicules.

J’étais donc quelque peu agacé en me dirigeant vers l’église Notre-Dame de l’Assomption mais elle méritait la visite, avec un très bel autel, des tableaux de bonne facture et plusieurs bas-reliefs splendides.

La marche d’aujourd’hui s’est déroulée sans histoire. Il a fait beau toute la journée et même chaud l’après-midi. J’ai traversé plusieurs villages dépourvus du moindre commerce, comme c’est de plus en plus souvent le cas dans nos campagnes, et me suis arrêté en fin d’après-midi pour planter la tente dans un petit bois de jeunes chênes. J’ai connu de meilleurs spots (avec un sol plat et sans moustiques par exemple) mais on fera avec.

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J 18 – Mercredi 24 mai 2023
Montesquiou -> Barran (km 430)


Quand il n’y a pas de rue, c’est quand même du street-art ?

J’ai été vite puni de mon outrecuidance d’hier. Pensez donc, oser affirmer qu’il avait fait beau toute la journée ! J’avais à peine fini d’écrire ces lignes que le ciel s’est obscurci et que le tonnerre a commencé à gronder. J’étais douillettement installé dans ma tente, au sein d’un petit bois de chênes, j’avais dîné et j’étais sur le point de m’endormir quand le spectacle son et lumière a commencé. L’orage a duré deux bonnes heures et m’a fait me féliciter d’avoir choisi d’emporter cette grande tente double-toit X-Mid, parfaite pour la pluie, dans laquelle j’ai passé une nuit relativement confortable malgré le déluge.

La pluie s’est arrêtée en milieu de nuit et ce matin tout était détrempé. Herbes mouillées, chemins boueux, les premiers kilomètres ont été humides et glissants avant que je finisse par rejoindre une petite route goudronnée. Il y a des jours où le bitume a du bon, aujourd’hui je m’y suis cantonné. Les nuages sont restés bien présents toute la journée mais il n’a pas re-plu. Vers midi, j’ai profité de ma pause déjeuner pour faire sécher la toile extérieure de l’abri dans un pré bien exposé au vent. Mon duvet, en revanche, était resté sec et n’en avait pas besoin – j’essaie toujours de faire sécher mon matériel dans la journée lorsque c’est possible, ce qui est surtout important lorsque les bivouacs se succèdent mais cela ne sera pas le cas aujourd’hui car j’ai trouvé un gîte pour la nuit.

Bien que je suive toujours à l’envers le chemin d’Arles, je n’ai étonnamment rencontré aucun pèlerin. En revanche, j’ai eu une longue discussion avec François, 90 ans, qui promenait Rip, son fox-terrier de 13 ans. La présence d’un chien est un moyen infaillible pour engager une conversation avec les gens qu’on croise et je ne m’en prive pas. C’est particulièrement vrai pour les personnes âgées qui ont souvent le temps et l’envie de discuter. François m’a expliqué que Rip avait beau être presque aussi vieux que lui et avoir lui aussi de l’arthrose, c’était encore un sacré bon chasseur et qu’il n’avait peur de rien. « Il court toujours après les sangliers quand ils vadrouillent dans le coin. Il y a quinze jours il en a débusqué onze qui se vautraient dans la mare desséchée (en ce moment, elle n’est plus desséchée, hein ! ah ah !) Eh bien, il a beau ne pas être bien grand, il les a tous fait se sauver, c’était sacrément beau à voir. Ces sangliers, qu’elle engeance ! Et vous, vous venez d’où comme ça ? »

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J 19 – Jeudi 25 mai 2023
Barran -> Auch (km 449)


J’avais perdu l’habitude de marcher sous le soleil !

J’ai souvent expliqué que je m’applique toujours, au cours des premières journées de mes longues marches, à ne pas faire des étapes trop longues, afin de limiter le risque de blessure, et que cela m’avait toujours réussi. Eh bien, pour la première fois cette année cela n’aura pas été le cas. Il y a un peu moins de deux semaines, le soir qui a suivi mon passage de la frontière à Irún sous la pluie et la grêle, j’ai sorti comme tous les soirs les semelles intérieures de mes chaussures pour qu’elles sèchent un peu pendant la nuit. Elles étaient tellement trempées ce jour-là que j’ai eu l’idée saugrenue de les essorer. La semelle droite n’a pas du tout aimé ce traitement et s’est quasiment transformée en charpie.

Trois jours plus tard, à Saint-Palais, j’ai eu la chance qu’un magasin de matériel médical se trouve tout près du gîte où j’allais passer la nuit, ce qui m’a permis d’acheter des semelles neuves sans attendre d’arriver à Pau comme je l’avais d’abord envisagé. Entretemps toutefois j’avais parcouru plusieurs jours de suite une trentaine de kilomètres, dont beaucoup de bitume, avec une semelle droite quasi-inexistante. Une petite douleur du talon est apparue au bout de deux jours et depuis elle n’a cessé de se majorer, ce qui m’a obligé à réduire récemment la longueur de mes étapes à une vingtaine de kilomètres.

Sans entrer dans les détails, les symptômes ne sont pas évocateurs d’une fracture de fatigue mais plutôt d’une fasciite plantaire pour laquelle, outre les anti-inflammatoires, il n’y a qu’un seul traitement efficace : le repos. Cela tombe bien puisque je vais rejoindre en train mon épouse à Toulouse pour que nous y passions ensemble le long week-end prochain. J’espère que cela suffisant pour réparer le bonhomme.

L’étape d’aujourd’hui a été sans particularité si l’on excepte le fait que le soleil a brillé toute la journée et que je n’ai pratiquement croisé personne. Vers seize heures, voyant que j’aurais du mal à atteindre Auch aujourd’hui, j’ai profité d’un joli coin de verdure à l’orée d’un bois pour y installer mon bivouac. Demain je n’aurai plus que quelques kilomètres à parcourir pour atteindre Auch et sa gare. Raymond, mon hôte d’hier soir, m’a vanté cette « jolie ville tout en montées et en descentes ». Je compte bien l’explorer lorsque j’y reviendrai en début de semaine prochaine pour continuer ma longue promenade.

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J 24 – Mardi 30 mai 2023
Auch -> Aubiet (km 465)


Et c’est reparti !

Ces quelques jours de pause à Toulouse avec mon épouse m’ont fait le plus grand bien. Tour du cadran la première nuit, bonnes nuits et siestes quotidiennes ensuite, j’ai rechargé des batteries qui en avaient bien besoin. Cela ne nous a évidemment pas empêchés de visiter un peu la Ville Rose et d’aller « flasher » les Space Invaders qui s’y trouvent.

Comme on pouvait le craindre, ce court repos n’a toutefois pas permis à mon pied de guérir complètement. La douleur s’est un peu atténuée mais elle est toujours bien là ; on verra ce que cela donne dans les jours qui viennent. Pour mettre toutes les chances de mon côté (et à dire vrai j’aurais du mal à faire autrement) je vais limiter drastiquement la longueur de mes étapes.

Reparti d’Auch ce matin vers dix heures, je me suis arrêté pour bivouaquer vers seize heures un peu avant Aubiet, soit seize kilomètres en cinq heures de marche effective… ça n’est vraiment pas beaucoup mais il ne m’aurait pas été possible d’avancer plus vite. On peut toutefois espérer que l’inflammation finisse par régresser, même en continuant à marcher, au bout d’environ trois semaines. Comme cela fait maintenant quinze jours que ça dure et que je compte arriver à Montauban dimanche prochain, je me suis donné jusque-là pour faire le point.

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J 25 – Mercredi 31 mai 2023
Aubiet -> Mauvezin (km 482)


TLS_02 protégeant l’entrée de Mauvezin

Passer ou non une bonne nuit en bivouac dépend essentiellement de l’endroit où l’on a décidé de monter sa tente. Un sol en pente, ou irrégulier, ou couvert de débris / branchages / cailloux, un endroit infesté de moustiques ou trop bruyant… il y a plein de manières très efficaces de se gâcher la nuit. Or, pour bien marcher, il vaut évidemment beaucoup mieux avoir bien dormi. Je mets donc toujours une attention particulière à la recherche d’un bon site de bivouac et j’y consacre souvent un long moment avant d’être satisfait.

Hier soir cela m’a donné un mal fou. Au cours de l’après-midi j’avais repéré sur la carte une petite colline boisée dans la zone où je comptais arriver. Cela s’est avéré être une forêt de jeunes chênes, au sol torturé et couvert de ronces. Après avoir tourné et retourné pendant une bonne demi-heure sans rien trouver d’acceptable, j’avais fini en désespoir de cause par poser mes affaires sur un triangle d’herbe à peu près horizontal, à l’intersection de deux chemins non entretenus, lorsque un mouvement à quelques dizaines de mètres de là a attiré mon attention.

Je me suis approché et j’ai ainsi fait la connaissance d’André qui m’a montré sa récolte de champignons. « Il y a quelques girolles mais hélas j’ai surtout vu des russules ». André était allé à Compostelle par le Camino Francès il y a trois ans. On a causé de longues marches et quand je lui ai dit que je m’apprêtais à planter ma tente : « Eh, attends, il y a un super endroit pour le bivouac tout près d’ici. Sors ta carte je vais te montrer ». Dix minutes plus tard j’arrivais grâce à lui sur un splendide spot parfaitement plat et isolé où j’ai passé une excellente nuit. C’est bien agréable d’avoir de la chance.

Ce matin je suis donc parti bien reposé pour une étape assez courte jusqu’à Mauvezin, lieu de passage obligé de mon périple puisqu’une mosaïque d’Invader s’y trouve. Cela a donné à Flop la Girafe l’occasion de poser comme une star sur la photo en compagnie de TLS_02 avant que je rejoigne le gîte où je vais passer la nuit. C’était en fait un petit appartement loué par les VVF où j’ai été très gentiment accueilli par Jean-Noël alors que l’orage éclatait. Apprenant que je n’avais pas de toit prévu pour demain « Mais demain soir, vous pouvez être sûr qu’il y aura aussi de l’orage » il a passé illico quelques coups de téléphone et cinq minutes plus tard c’était réglé : orage ou pas, demain soir je dormirai aussi dans un lit.

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J 26 – Jeudi 1er Juin 2023
Mauvezin -> Saint-Clar (km 505)


Après avoir marché quasiment plein est à travers le Pays Basque, la Basse-Navarre et le Béarn pendant deux semaines, mon trajet s’est logiquement orienté vers le nord-est à partir de Pau. Mais depuis Auch, il s’est mis à décrire une large boucle et s’est carrément dirigé aujourd’hui vers le nord-ouest. Pas d’inquiétude, cette trace sinueuse sur la carte ne traduit pas de ma part un excès de consommation de petit manseng mais simplement le respect du prétexte de ce périple : la chasse aux Space invaders ! Après TLS_02 « flashé » hier, je me suis aujourd’hui rapproché de TLS_01 que je devrais dénicher demain matin à quelques kilomètres d’ici. Sitôt mon devoir flashinvaderesque accompli j’obliquerai à nouveau vers le nord-est en direction de Montauban.

J’ai donc parcouru aujourd’hui une étape allant quasiment dans la direction opposée à mon objectif final, mais puisque c’était pour la bonne cause… En outre, malgré un temps mitigé (mais pas trop chaud, c’est déjà ça), ce fut une jolie étape. J’ai marché le plus souvent sur de bons chemins et de temps en temps sur de toutes petites routes quasiment exemptes d’automobiles. En dehors de celles-ci et de trois ou quatre personnes promenant leur chien, je n’ai croisé personne ; aucun randonneur, aucun cycliste.

Un peu après midi, je suis monté jusqu’à Tournecoupe, un joli village perché sur une colline dont Jean-Noël (du VVF de Mauvezin) m’avait recommandé hier le restaurant. La porte de l’église du village était fermée mais alors que je rebroussais chemin, une petite fille qui jouait avec sa chienne m’a dit que son père avait la clef et elle a couru le chercher dans la maison d’à côté. J’ai ainsi eu droit à une visite guidée pour moi tout seul faite par Damien, le bedeau que je remercie encore. Quant au restaurant, je n’ai pas non plus été déçu… et heureusement qu’après déjeuner le redémarrage s’est fait en descente !

Après quelques derniers kilomètres je suis arrivé en milieu d’après-midi à Saint-Clar, un autre village perché particulier par la présence de deux églises, l’une romane et l’autre datant du 19ème siècle, mais elles étaient toutes les deux fermées et cette fois-ci aucun bedeau n’est apparu pour me les faire visiter.

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J 27 – Vendredi 2 juin 2023
Saint-Clar -> Lavit-de-Lomagne (km 524)


« La petite Toscane… »

J’ai ajouté ce matin une nouvelle mosaïque à mon tableau de chasse. TLS_01 se trouvait bien là où je l’avais localisée avant mon départ en passant un nombre d’heures indéterminé à m’user les yeux sur Street View : sur un poteau électrique au bord de la départementale qui relie Saint-Clar à Saint-Créac.

Une départementale d’ailleurs sacrément fréquentée, avec de nombreuses automobiles lancées à pleine allure sur les lignes droites de cette petite route que j’aurais imaginée plus tranquille et que je me suis empressé de quitter dès que cela a été possible, pour marcher ensuite presque uniquement sur de bons chemins entre les champs ou dans la forêt.

Je connaissais la Limagne, cette grande plaine d’Auvergne située à l’est de Clermont-Ferrand d’où ma famille paternelle est originaire et où je marcherai à nouveau dans quelques semaines si tout se passe bien, mais je dois reconnaître que je n’avais jamais entendu parler de la Lomagne, ce « pays » à cheval sur les départements du Gers et du Tarn-et-Garonne dans lequel j’ai marché depuis hier. Il aurait été difficile que je ne m’en rende pas compte étant donné les noms, officiels ou non, de nombreuses communes de la région : Saint-Clar de Lomagne, Beaumont de Lomagne, Puygaillard de Lomagne, Lavit de Lomagne, etc.

Mon ami Wikipedia m’a appris que la Lomagne était surnommée « la petite Toscane » et même si c’est assurément un peu présomptueux il faut reconnaître que j’ai été frappé par la géographie particulière des lieux que j’ai traversés aujourd’hui, faite d’une succession de collines aux pentes douces (enfin pas si douces que cela quand il s’agit d’arriver en haut), un paysage fait d’ondulations de terrain à perte de vue, ressemblant d’autant plus à l’Italie qu’il était aujourd’hui baigné de soleil. Pour vraiment ressembler à la Toscane, toutefois, les cyprès manquaient à l’appel.

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J 28 – Samedi 3 juin 2023
Lavit-de-Lomagne -> Castelsarrasin (km 545)


« Je vous assure, mon cher cousin, vous avez dit « monotone »

Entre Lavit et Castelsarrasin on traverse une région bien différente d’hier : au lieu d’une « petite Toscane » toute en ondulations de terrain j’ai traversé aujourd’hui une plaine monotone où les vergers succédaient aux vergers. J’ai marché pendant des kilomètres le long de théories d’arbres fruitiers espacés les uns des autres de deux ou trois mètres dans toutes les directions. C’est vite devenu ennuyeux, jusqu’à ce que je me mette au défi de reconnaître de quels arbres il s’agissait, ce qui m’a finalement bien occupé : j’ai reconnu des pommiers, bien sûr, des cerisiers mais aussi beaucoup de kiwis, quelques pêchers, des noyers et des noisetiers. La plupart de ces vergers étaient protégés des oiseaux par de gigantesques filets recouvrant des hectares et des hectares.

À Angeville, petite commune de 200 habitants où je me suis installé pour déjeuner à une table de pique-nique près du « foyer rural », une demi-douzaine d’habitants installaient bancs, tables et tréteaux pour la fête qui devait avoir lieu ce soir et pour le « marché local » de demain dimanche. Isabelle, qui dirigeait la manœuvre, m’a expliqué que cela avait été mis en place au moment du covid pour que les personnes âgées ou non motorisées puissent se retrouver et faire des provisions pour la semaine. Comme dans tant d’endroits en France, les commerces locaux ont disparu du village « grâce » à la grande distribution, m’a-t-elle expliqué, et c’était une façon de réintroduire de l’entraide et de la convivialité tout en donnant un coup de pouce aux producteurs locaux. Cela a si bien « marché » (c’est le cas de le dire) que cela continue et que de nombreux habitants des communes voisines viennent maintenant le dimanche faire leurs courses à Angeville.

En installant les bancs de bois, Bernard, le mari d’Isabelle, s’est enfoncé une longue écharde dans un doigt. Cela m’a permis de montrer que même un randonneur léger a tout ce qu’il faut dans son sac à dos pour soigner les bobos. Aiguille, briquet, pince à épiler, soluté hydro-alcoolique, en quelques minutes c’était réglé. « Ah, merci bien, vous auriez pu être docteur ! »

Le nom de Castelsarrasin, où je suis arrivé ce soir, a toujours été associé dans mon esprit à Pierre Perret, un chanteur que j’aimais beaucoup enfant, dont c’est la ville de naissance. Je devais avoir dix ou douze ans lorsque mon père m’a offert pour mon anniversaire un de ses 33 tours, sans aucun doute pour faire bisquer ma maman quand je chanterais ensuite certaines de ses chansons (et je connais encore par cœur « Elle m’a dit non », « Blanche » ou « Le représentant en confitures »). Le parcours de visite de la ville, que je n’ai bien sûr pas eu le temps de suivre en entier, est d’ailleurs illustré par des extraits de textes du chanteur que je suppose tirés pour l’essentiel de son livre « Le café du Pont ». Voilà qui ne me rajeunit pas mais ce sont des souvenirs très agréables.

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