Invader Trail : Pays basque


J-1 – Vendredi 5 mai 2023
Voyage

Dans le train.

C‘est parti ! Enfin, je suis parti… de Paris (trop) tôt ce matin et suis arrivé cet après-midi à Bilbao. Gare Montparnasse à sept heures, arrivée à Hendaye un peu avant midi, une petite demi-heure de marche pour traverser la Bidassoa et la frontière et atteindre la gare d’Irún. Là, un autobus rejoignant directement Bilbao en une heure et demie a avantageusement remplacé les billets de train proposés par l’appli SNCF Connect qui m’amenaient certes à bon port mais en plus de cinq heures avec un changement quelque part du côté de Burgos… pour trois fois plus cher. No comment.

Je suis donc arrivé au point de départ de cette nouvelle longue promenade qui commencera réellement après-demain. Au programme d’ici là : visite de la ville et « flashage » de ses space invaders (déja bien entamé cet après-midi), musée des Beaux-arts et musée Guggenheim. Aujourd’hui était le J-1… demain sera le J0 avant le début des choses sérieuses.

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J 00 – Samedi 6 mai 2023
Bilbao

Le Musée Guggenheim de Bilbao.

Ambiance de veillée d’armes ce soir dans ma chambre d’hôtel de Bilbao. J’ai défait et refait mon sac à dos, évidemment déjà vérifié plusieurs fois avant de quitter mes pénates. C’était bien la peine puisque la conclusion s’est imposée d’elle-même : il va pleuvoir. Aucune incertitude à ce propos puisque j’ai oublié d’emporter mon parapluie. Tant pis, je m’en passerai – après tout la plupart des randonneurs n’en prennent pas – mais j’ai tellement l’habitude du confort de cet ustensile en cas de pluie ou de soleil ardent que je vais assurément le regretter. Oublier son parapluie quand on va marcher au Pays basque, on n’a pas idée, vraiment.

Bilbao est une ville très agréable, animée et gaie, construite le long de la ria du Nervión avec des quartiers assez marqués, certains avec une très belle architecture moderne, vers Abando et le quartier des musées, d’autres plus typiques comme dans la vieille ville aux rues étroites et très animées où les terrasses des multiples bars à pintxos (les tapas locales) et les ruelles avoisinantes sont bondées et très bruyantes dès la fin de l’après-midi et jusqu’à tard dans la nuit – en tout cas les vendredis et samedis soirs comme j’ai pu le constater.

« Maman », l’extraordinaire araignée
de Louise Bourgeois
J’ai évidemment terminé aujourd’hui mon « flashtour » de la ville et ai ajouté à ma collection 25 des 26 mosaïques encore présentes (sur les quarante posées en 2007). Je grimperai sur l’échafaudage qui empêche actuellement de photographier la vingt-sixième quand j’aurai vingt ans de moins !

Et puis, bien sûr, j’ai visité le musée Guggenheim dont l’architecture est extraordinaire et dans lequel il est possible de se promener tranquillement malgré l’affluence. Il est immense, lumineux, aéré et l’on y est toujours suffisamment à l’écart des autres visiteurs pour déambuler à son rythme parmi des salles d’une taille gigantesque.

Outre l’exposition permanente (Pollock, Warhol, Basquiat, Lewitt, de Kooning et d’autres), trois expositions temporaires occupaient les différents étages, respectivement consacrées à Joan Miró, Oskar Kokoschka et Lynette Yiadom-Boakie. Je ne connaissais pas cette dernière artiste dont j’ai surtout apprécié les fusains ; quant aux deux précédents, on ne les présente plus. Je suis finalement resté trop longtemps au musée Guggenheim pour aller ensuite au musée des Beaux-Arts. Entre cette visite et le space invader inaccessible, cela me fait deux raisons pour lesquelles « il faudra que je revienne ». Voilà qui est probablement cette année la première occurrence d’un refrain connu.

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J 01 – Dimanche 7 mai 2023
Bilbao -> Elexalde (km 17)

Premier bivouac.

Ça n’a pas manqué, ce matin il pleuvait. Une bruine persistante, exactement le type de pluie légère pour laquelle on peut se passer d’enfiler sa tenue de pluie et se contenter d’ouvrir son parapluie, mais comme j’ai eu la bonne idée d’oublier d’emporter le mien c’est avec ma veste de pluie sur le dos que j’ai débuté la journée par quelques centaines de mètres d’ascension par des ruelles et des escaliers bien raides jusqu’en haut de la colline d’Artxanda.

Les bonnes vestes de pluie, c’est censément quasi-magique : imperméables à l’eau de pluie et « respirantes » car perméables à l’air et à la vapeur d’eau. En pratique, l’imperméabilité marche souvent aussi bien pour empêcher la pluie d’entrer que la sueur de sortir. Bref, quelque soit le fluide responsable, j’étais tout à fait trempé en arrivant là-haut.

J’avais appris il y a quelques semaines la destruction du space invader numéro 36 de Bilbao (alias BBO_36) mais je voulais d’une part m’en assurer, d’autre part profiter d’un panorama réputé unique sur toute la ville de Bilbao. Entre la pluie et la brume, ce n’était pas le meilleur jour pour cela mais le point de vue est effectivement remarquable.

J’ai ensuite rejoint le trajet du Camino del Norte, l’un des chemins de Compostelle, que je compte suivre en sens inverse jusqu’à la frontière. Il paraît que ce chemin est beaucoup moins fréquenté que le plus classique Camino Francès. Si c’est vrai, qu’est-ce que cela doit être sur celui-là ! Les deux fois où je me suis trompé de chemin, j’ai vite été alerté par le fait qu’il y avait plusieurs minutes que je n’avais plus croisé de pèlerin. Je ne garantis pas toutefois que je vais continuer à le suivre car son trajet d’aujourd’hui n’était pas très plaisant ; il longeait surtout des routes, d’ailleurs bien équipées avec de larges trottoirs tout du long mais le bitume, on s’en lasse. En début d’après-midi je m’en suis écarté pour commencer à rechercher un endroit où planter ma tente.

Lors des premières étapes d’une longue marche, j’ai en effet pour règle absolue de ménager la mécanique et de m’échauffer avec de courtes étapes de moins de vingt kilomètres si possible. Ce « temps perdu » des premiers jours est largement rattrapé par la suite. Aujourd’hui je me suis arrêté d’autant plus tôt que j’ai trouvé presque immédiatement un bon site étonnamment plat dans la pente d’une colline boisée alors que l’abondance des grillages et des clôtures m’avait fait craindre que cela soit difficile. J’ai largement eu le temps d’y monter la tente et de m’installer, et même de faire une petite sieste avant de débuter mes routines du soir : lessive, toilette, cuisine, vaisselle… des routines dont j’aurai sûrement l’occasion de parler plus en détail une autre fois.

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J 02 – Lundi 8 mai 2023
Elexalde -> Gernika-Lumo (km 36)

Reproduction en mosaïque du « Guernica » de Picasso.

Je n’étais encore jamais allé au Pays basque et c’est une découverte. Je ne me rendais pas compte de l’importance du sentiment national qui se reflète, non seulement par les multiples tags, affiches et dessins muraux concernant les membres de l’ETA emprisonnés mais par l’omniprésence de la langue basque, en tout cas à l’écrit.

Tous les panneaux de rue étaient bilingues à Bilbao et de nombreux panneaux publicitaires y étaient uniquement rédigés en basque, et aujourd’hui j’ai eu le plus grand mal à me repérer : non seulement suivre le « Camino » à l’envers est compliqué car les bornes indicatrices ne sont souvent visibles que quand on marche dans le bon sens – aujourd’hui encore c’est l’absence un peu prolongée de marcheurs arrivant d’en face qui m’a fait réaliser mes méprises en plusieurs occasions – mais surtout la carte est quasi-inexploitable : les noms de ville y sont écrits en espagnol alors que tous les panneaux sont en basque et que c’est ce nom-ci que les habitants utilisent.

Tant qu’il s’agit de Gernika au lieu de Guernica, ça va, mais comment voulez-vous deviner que le village à l’entrée duquel il est écrit « Errigoiti » est le même que celui désigné par « Pozueta » sur la carte ? Bref, j’ai beaucoup avancé par déductions aujourd’hui mais le chemin était bon, beaucoup plus agréable qu’hier car évitant le plus souvent le goudron, le temps ensoleillé mais pas trop chaud et le bonhomme à peu près en forme.

Cela m’a permis d’arriver assez tôt à Gernika-Lumo alias Guernica. Le nom espagnol de cette petite ville est connu de tous grâce au chef-d’œuvre de Picasso exposé depuis plusieurs dizaines d’années au Musée Reina Sofía de Madrid, une dénonciation des horreurs de la guerre peinte en 1937 après la destruction de la ville sous les bombes allemandes nazies et italiennes fascistes, à la demande de Franco.

Les Basques de Guernica qui demandent depuis longtemps que le tableau « confisqué par le pouvoir central » soit transféré au musée de leur ville ont compensé son absence – qui risque de durer – par la pose de sa reproduction en mosaïque sur une place de la ville, une ville à l’urbanisme et à l’architecture évidemment modernes qui était ce soir animée et joyeuse.

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J 03 – Mardi 9 mai 2023
Gernika-Lumo -> Markina-Xemein (km 64)

Un superbe site de bivouac trouvé juste après l’arrêt de la pluie.

En bivouac, le nec plus ultra en termes de confort est de dormir sur un matelas gonflable, fabriqué dans ce but avec un matériau à la fois plus solide et plus léger que celui des matelas pneumatiques de plage. J’en utilise un en hiver en raison de l’excellente isolation que cela procure contre le froid du sol. L’inconvénient de ce type de matelas est évidemment le risque de crevaison par une pierre, une ronce, une bogue ou autre. C’est pour limiter ce risque, et pour sa légèreté, que je préfère emporter un matelas autogonflant court, réputé plus robuste, lors de mes longues promenades.

Ce fut donc une mauvaise surprise lorsque, l’an dernier, le matelas que j’avais j’utilisé sans souci pendant des années est devenu « autodégonflant », m’obligeant à le regonfler plusieurs fois chaque nuit. Je n’ai jamais réussi à authentifier la fuite, sans doute liée à un matériau devenu poreux avec le temps, et en ai donc acheté un nouvel exemplaire pour ma longue marche de cette année. Je l’ai bien sûr testé et vérifié à la maison, pas de problème… mais vous devinez la suite puisque j’en parle : avant-hier, lors de mon premier bivouac, rebelote en pire. Ce matelas-là se dégonflait en quelques minutes. J’avais heureusement choisi de bivouaquer dans une pinède, et avec un tapis d’aiguilles de pin sous le dos la nuit n’a pas été trop inconfortable.

Je ne me rappelais pas avoir laissé le matelas sans surveillance à portée de mes deux matous. Néanmoins, mon cher Watson, un matelas ne se crève pas tout seul. J’ai donc profité du fait qu’hier je dormais sous un toit pour tirer partie de l’eau courante et du bac de douche… plop plop plop, des chapelets de petites bulles ont vite révélé la fuite : un splendide trou de griffe dans le plastique jaune. La réparation avec le matériel ad hoc a été facile et j’ai vérifié ce soir que le matelas ne fuyait plus. Dans quelques semaines je pourrai m’employer à découvrir lequel de mes deux chats est le coupable (est-ce qu’il est possible de relever des « empreintes griffitales » ?)

Sinon, concernant la journée d’aujourd’hui il y peu de choses à dire : il a plu quasiment sans arrêt, un crachin tenace qui ne m’a guère permis de faire des pauses ni des photos. La pluie a toutefois eu la bonne idée de s’arrêter peu avant que je monte la tente dans le superbe endroit où j’écris ce billet.

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J 04 – Mercredi 10 mai 2023
Markina-Xemein -> Mutriku (km 83)

Ici, ce sont les chevaux qui portent des clarines !

Ce n’est pas un pays de vaches ici. Le superbe pré à flanc de montagne en bas duquel je m’étais installé hier soir pour bivouaquer avait pour hôtes habituels une vingtaine de moutons bien tranquilles, sans chien pour les garder et qui restaient cantonnés au sommet.

Le grand animal qui broutait l’herbe contre la paroi de ma tente quand je me suis réveillé vers trois heures du matin n’était assurément pas un mouton. Je l’ai effrayé en me redressant et du coup c’est moi qui ai été effrayé car j’ai entendu sa clarine tinter. J’aime bien les vaches mais pas quand elles risquent de piétiner mon abri. Je suis donc vite sorti pour la chasser et me suis retrouvé presque nez à nez avec… un cheval qui a aussitôt décampé, me laissant continuer ma nuit.

En effet, ce sont les chevaux, ici, et pas les vaches, que l’on repère à l’oreille. Ce matin le petit groupe de chevaux de la nuit était encore là, à quelques dizaines de mètres, et pendant toute la journée j’en ai croisé plusieurs qui se déplaçaient en liberté dans la montagne au son de leurs cloches, agréables compagnons de parcours pour quelques minutes.

Eux ne semblaient pas gênés par la pluie. Tant mieux pour eux car il pleuvait hier et il a plu aujourd’hui mais au lieu de crachin ce fut une alternance d’averses et d’éclaircies au cours desquelles de très beaux paysages se dévoilaient (combien de beaux points de vue ai-je dû rater ces derniers jours…) Et en fin de journée, alors que je ne m’y attendais pas du tout, au tournant du chemin c’est la mer qui est apparue au loin, en contrebas, comme un cadeau de fin d’étape.

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J 05 – Jeudi 11 mai 2023
Mutriku -> Zarautz (km 108)

Vert et gris, les couleurs du Pays basque.

Il a fait un temps magnifique aujourd’hui… au moins dix fois, entre chaque averse ! Je suis parti ce matin de Mutriku en ayant déjà enfilé ma veste et mon pantalon de pluie car il avait bien plu au cours de la nuit et la couleur du ciel ne présageait rien de bon.

Il ne s’est effectivement pas passé vingt minutes avant qu’une pluie drue s’abatte sur la tête des pauvres pèlerins du Camino del Norte. C’était un drôle de spectacle que de comparer l’allure des multiples marcheurs arrivant face à moi (puisque je ne peux évidemment pas voir l’allure que j’ai moi-même) dans leurs diverses tenues de pluie plus ou moins élaborées. Beaucoup étaient en short et ne protégeaient que le haut de leur corps et leur sac à dos avec un poncho ; pourquoi pas, la peau est encore ce qui sèche le plus facilement et il ne faisait pas froid.

D’autres, comme moi, avaient fait le choix de la veste imperméable, associée ou non à un pantalon de pluie ; les plus malins, bien sûr, complétaient leur protection avec un parapluie de randonnée (on ne rit pas s’il vous plaît dans la salle). Certains marchaient avec le seul parapluie, comme d’ailleurs la plupart des gens du cru, visiblement habitués à la brièveté des averses dans leur région. Certains enfin marchaient gaillardement en tee-shirt sous la pluie ; pour être franc, ces derniers avaient nettement moins fière allure en fin de journée car les averses parfois violentes se sont succédé du matin jusqu’au soir.

Toutefois ces giboulées duraient rarement plus dix minutes, laissant la place à de courtes périodes d’ensoleillement pendant lesquelles la lumière éclairait magnifiquement le paysage, mer bleue et herbe verte. Pas de sécheresse ici à coup sûr, les prés étaient couverts d’une herbe d’un vert tendre donnant l’impression de marcher au milieu d’un gigantesque terrain de golf.

Pour ne pas changer, une violente averse se déversait sur ma tête lorsque je suis arrivé dans la petite ville côtière de Zumaia. Comme il était midi et demie j’ai demandé au vendeur d’un bureau de tabac s’il savait où je pourrais m’arrêter pour m’abriter tout en mangeant un morceau, et il a tenu à m’accompagner lui-même malgré la pluie jusqu’à un petit restaurant, trois ruelles et deux escaliers plus bas. Nous nous quittés en échangeant nos prénoms sur une poignée de main, mes remerciements et un ¡buen camino! sincère et vigoureux de sa part.

Après un repas simple et bon, je suis reparti en bord de mer sous le soleil – pour quelques minutes jusqu’à l’averse suivante. Arrivé à Zarautz j’ai décidé que cela suffisait pour aujourd’hui et que ma nuit allait se passer sous un toit… d’où j’entends en ce moment le bruit de la pluie sur les tuiles et sur les pavés. Pour les trois ou quatre prochains jours, les prévisions météo sont exécrables. Il faudra bien faire avec.

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J 06 – Vendredi 12 mai 2023
Zarautz -> Saint-Sébastien (km 132)

Donostia.

L’an dernier, au début de ma « diagonale SE-NO » entre Menton et Porspoder, je me rappelle que je n’arrêtais pas de parler de dénivelés et que j’en avais d’autant plus bavé, pendant les huit ou dix premiers jours de « rodage », qu’il faisait déjà chaud. J’avais fini par m’auto-censurer et par arrêter d’en parler pour ne pas lasser et pour cesser de donner l’impression de me plaindre sans arrêt.

Cette année les dénivelés sont à peu près les mêmes, autour de 800 à 1000 mètres par jour, mais la pluie a été tellement prégnante depuis mon départ qu’elle n’a pas laissé place à d’autres raisons de geindre ! Aujourd’hui le temps a été encore plus exécrable qu’hier puisqu’il a plu sans discontinuer pendant la majeure partie de la journée, le soleil ne faisant son apparition que lorsque je venais d’arriver à San Sebastián. Pas de photos donc aujourd’hui en dehors de quelques-unes prises après mon arrivée dans cette jolie ville mais deux « bonnes résolutions ». La première a été rapidement mise en pratique : j’ai acheté un parapluie ! Quant à la seconde résolution, elle va consister à (essayer de) ne plus parler des trombes d’eau que la météo prévoit encore sur mon parcours pendant toute la semaine à venir.

San Sebastián, ou Donostia comme l’appellent ses habitants et les Basques en général, est une ville spectaculaire, très touristique, construite autour d’une baie bordée de grandes plages de sable. Je n’ai pas eu le temps de beaucoup m’y promener mais elle m’a donné l’impression d’une ville, disons… élégante, avec une belle architecture du 19ème siècle, des places, des ponts, des plages et la mer bleue quand le ciel l’est aussi. En haute saison, quand les touristes sont là, l’impression est peut-être différente mais aujourd’hui, en deux heures de visite forcément superficielle, je lui ai trouvé un charme surrané qui n’était pas désagréable.

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J 07 – Samedi 13 mai 2023
Saint-Sébastien -> Irún (km 152)

De plus en plus vivifiant, le temps par ici…

À Irún j’ai atteint ce soir la frontière francaise et le début du Camino del Norte. Depuis mon départ de Bilbao je m’étais habitué à croiser toutes les cinq à dix minutes des pèlerins qui arrivaient face à moi. Plusieurs fois par jour – surtout quand la raideur de la pente rendait une « petite pause de récupération » tout à fait attractive, dans un sens ou dans l’autre – la conversation s’engageait avec une personne ou un petit groupe. J’ai ainsi discuté avec des Espagnols, des Italiens, des Français, des Allemands (beaucoup), Mike de San Francisco, Kim de Séoul, Jonas de Louvain et Karl, Autrichien vivant à Bâle que je reverrai peut être là-bas… en employant tour à tour nos bribes respectives de diverses langues, espagnol et anglais en premier lieu ; je me suis même retrouvé à échanger longuement en italien avec un marcheur hongrois !

Bien que ne faisant que croiser toutes ces personnes, j’ai ressenti l’ambiance très particulière de joie, de compréhension et de partage entre ceux qui parcourent les Chemins de Compostelle. Cela m’a fait entrevoir la force des relations qui peuvent se nouer entre des personnes qui se retrouvent à de nombreuses reprises sur un Chemin qu’ils arpentent dans le même sens.
Pour presque tous ceux que j’ai croisés aujourd’hui, c’était la première étape et cela se voyait : les mots usuels de l’Espagnol du Camino (¡Hola!, ¡Buenas!, ¡Buen Camino!…) n’avaient pas encore été intégrés et surtout beaucoup de sacs à dos étaient énormes. La poste de San Sebastián doit bien fonctionner pour renvoyer à la maison les objets « indispensables » dont les pèlerins en herbe apprennent vite à se passer !

À Pasaia où je me suis arrêté en milieu de matinée pour un chocolat chaud, j’ai un peu prêché la bonne parole, sinon de la MUL (marche ultra-légère), en tout cas de l’indispensable sélection des objets et des vêtements emportés auprès d’un couple d’Allemands aux sacs gigantesques (quatre chemises et une paire de chaussures de rechange chacun !). Ils n’étaient partis que depuis quelques heures mais je crois qu’ils avaient déjà bien évolué dans leurs certitudes.

Demain je vais passer la frontière et quitter le Chemin de Compostelle pour suivre mes propres voies, avec pour premier objectif intermédiaire la ville de Pau et ses neuf Space Invaders survivants. Une autre partie de ma promenade va commencer.

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J 08 – Dimanche 14 mai 2023
Irún -> Saint-Pée-sur-Nivelle (km 181)

Marche en silence, hé ! C’est l’heure de la sieste.

Je n’étais pas fâché ce matin de retrouver la terre natale car c’est quand même bien agréable de pouvoir s’exprimer dans sa langue maternelle. Il y avait longtemps que je n’avais plus exercé mon espagnol, autrefois très correct, et je me suis rendu compte au cours de cette semaine sur le Camino que j’étais maintenant sans cesse « parasité » par l’italien pratiqué intensivement pendant mes deux années de promenade jusqu’au talon de la botte. Comme si l’ordinateur situé entre mes deux oreilles avait des bugs…

Mon passage de la frontière franco-espagnole a été salué avec pompe par Dame Nature : rien moins que vingt-et-un coups de tonnerre accompagnés d’un feu d’artifice de grêlons. De l’autre côté de la Bidassoa, une chienne blanche et noire m’a rejoint avec l’air apeuré. Gentille et docile, portant collier (mais sans nom ni numéro de téléphone) elle cherchait visiblement la présence d’un humain pour la rassurer. Elle s’est même lovée à mes genoux lorsque je me suis accroupi sous mon parapluie, au milieu de nulle part, alors que le tonnerre et les éclairs redoublaient et que pour la deuxième fois un déluge de grêlons dégringolait du ciel (mon beau parapluie tout neuf, je vous rassure, a vaillamment résisté). C’était très touchant et cela a finalement été un très bon moment. Hélas la traîtresse m’a vite abandonné, elle est partie sans un regard en arrière lorsque l’orage s’est éloigné.

Par un temps pareil, rien d’autre à faire que de filer bon train. Disant adieu à mes velléités d’aller chatouiller les Pyrénées pendant quelques jours, j’ai mis le cap au nord-est. Je suis arrivé à Ascain à l’heure du déjeuner alors que la pluie faiblissait et quand je suis sorti du restaurant une heure plus tard il ne pleuvait plus. Je suis reparti sur le chemin de randonnée GR8 qui porte à cet endroit le joli nom de Chemin des Crêtes, à travers des paysages sans doute magnifiques par temps clair et parmi de nombreux animaux domestiques en semi-liberté : cochons basques noirs et roses qui n’interrompraient leur sieste pour rien au monde, chevaux amicaux, moutons indifférents. En fin d’après-midi j’en avais « plein les bottes » quand j’ai atteint le gîte réservé la veille. Longue étape et plusieurs heures de temps épouvantable… je pense que cette nuit je vais bien dormir.

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J 09 – Lundi 15 mai 2023
Saint-Pée-sur-Nivelle -> Hélette (km 211)


Rencontre sous les nuages.

Après une matinée pluvieuse, le soleil est timidement apparu par intermittence à partir de midi et même si l’on ne peut pas dire qu’il ait fait beau par la suite, il n’a pas fait vraiment mauvais. Pour la première fois depuis mon départ de Bilbao, j’ai même pu prendre en milieu d’après-midi le risque inouï de retirer ma tenue de pluie.

Comme hier, mon chemin suivait aujourd’hui pour l’essentiel le trajet du GR8. Mon état d’esprit était-il différent ou cela a-t-il été dû à l’absence des petits « plus » (cochons qui dorment, chevaux qui viennent se faire flatter l’encolure…) qui avaient rendu hier la marche variée et distrayante ? Toujours est-il que j’ai trouvé que le chemin d’aujourd’hui – le plus souvent un large chemin rectiligne à flanc de montagne – était particulièrement monotone et que je m’y suis un peu ennuyé.

J’avais réservé ce matin une place dans le gîte communal d’Hélette où je suis arrivé vers dix-sept heures. Le temps de m’y installer dans une petite chambre où je serai seul, de prendre ma douche et de sortir faire quelques courses pour le dîner, Adriana et Julie arrivaient à leur tour, venant de Bayonne pour rejoindre le Camino Frances à Saint-Jean-Pied-de-Port. Nous avons bien discuté, en particulier du contenu de nos sacs à dos, puis cuisiné et dîné ensemble avant qu’elles aillent se coucher tandis que j’écrivais ces quelques lignes.

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J 10 – Mardi 16 mai 2023
Hélette -> Saint-Palais (km 235)


Pause déjeuner !

J‘ai quitté ce matin le gîte communal d’Hélette et mes compagnes de la soirée qui s’apprêtaient à partir en direction de Saint-Jean-Pied-de-Port alors que je continuerais mon chemin vers Pau où je compte arriver vendredi.

Au fil de ma progression vers l’est, j’ai vu depuis deux jours les paysages s’aplanir tandis que je m’éloignais progressivement des Pyrénées. Au lieu de chemins de moyenne montagne souvent abrupts, j’ai surtout traversé aujourd’hui des bocages sur des collines à pente douce – ce qui n’a pas changé, en revanche, c’est l’humidité ! – avec toujours beaucoup de moutons mais désormais aussi des vaches dans les prés (et moi, j’aime bien les vaches). Je suis aussi passé de la province basque du Labourd à celle de Basse-Navarre avant d’atteindre demain sans doute le Béarn… tout cela dans le seul département des Pyrénées-Atlantiques.

J’aime bien les vaches, disais-je, leurs grand yeux placides et leurs longs cils. J’aime bien les chiens, aussi, mais ils ne rendent pas toujours la pareille aux randonneurs. Sur une petite route, alors que je passais tranquillement devant une maison au portail ouvert, un chien noir et blanc ressemblant à un grand border collie s’est tranquillement dirigé vers moi depuis le fond de son jardin. Il n’avait pas l’air menaçant et je l’ai accueilli sans me méfier avec des paroles amicales… un bon coup de dent m’a déchiré sans avertissement une jambe de pantalon et quelques centimètres carrés de cuisse, une plaie heureusement superficielle. Mon hurlement et mon bâton l’ont fait s’enfuir mais il est ensuite revenu pour me harceler en silence sur plusieurs dizaines de mètres. Est-il nécessaire de préciser que les propriétaires dont la voiture était garée dans l’allée et que j’ai appelés à plusieurs reprises n’ont pas bronché ?

Rien de grave cela dit. J’en ai été quitte pour une désinfection rapide et, une fois arrivé, pour une séance de couture. La qualité du racommodage que j’ai fait ce soir laisse grandement à désirer mais j’ai été heureux a posteriori de ne pas avoir enfilé ce matin mon pantalon de pluie que je n’aurais pas pu réparer aussi aisément.

J’ai été mieux reçu, quelques kilomètres plus loin, par une petite chatte peu farouche qui m’a accueilli avec des miaulements séducteurs puis a vite ronronné sous mes caresses. Elle a même accepté que je la photographie.

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