Invader Trail : Quercy


J 29 – Dimanche 4 juin 2023
Castelsarrasin -> Montauban (km 570)


« La Source de l’invasion » (MTB_09)

À droite le canal, à gauche une petite route et la voie ferrée. Il faisait très beau ce matin quand j’ai quitté Castelsarrasin pour suivre sur une dizaine de kilomètres la piste cyclable qui longe le canal latéral à la Garonne. Longer un canal a quelque chose d’hypnotique : c’est toujours pareil et pourtant, au fil des pas, les paysages changent, insensiblement. À vélo cela doit être différent mais au rythme de la marche, tout est lent, comme l’eau qui coule, comme les écluses successives qui arrivent l’une après l’autre et chacune à son heure.

Un peu après Saint-Porquier j’ai quitté ce canal pour couper à travers la campagne et rejoindre quelques kilomètres plus loin un autre canal, le canal de Montech, qui m’a amené jusqu’au Tarn, et à Montauban. Voilà une nouvelle rivière atteinte, un nouveau jalon de ce périple, après la Bidassoa sous la grêle de Biriatou, l’Adour franchi pour entrer en Gascogne, et hier – mais j’ai oublié d’en parler – La Garonne à Saint-Aignan. Un passage sans tambour ni trompette tant ce fleuve étroit aux eaux marronnasses n’avait pas fière allure en cet endroit.

Ce fut donc aujourd’hui une étape tranquille, pour l’essentiel au bord de l’eau et sans aucun dénivelé, ce dont ni mon pied ni mon genou droits ne se sont plaints (et ce soir l’un et l’autre se sont entendus pour décider de m’accorder un sursis supplémentaire). Toutefois, je n’ai pas trop traîné en chemin car il fallait que j’arrive à Montauban avant la fermeture du Musée Ingres-Bourdelle à l’intérieur duquel se trouve l’un des Space Invaders de la ville et qui sera fermé demain lundi. Mission accomplie, je suis arrivé largement à temps pour y « flasher » MTB_11, profitant même d’une entrée gratuite en ce premier dimanche du mois. En fait, j’ai pu passer près de deux heures dans ce musée où j’étais quasiment seul malgré les merveilles exposées. Il m’a ensuite fallu moins d’une heure pour « flasher » sans me presser les huit autres SI survivants de cette très belle ville.

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J 30 – Lundi 5 juin 2023
Montauban -> Caussade (km 594)


En quittant Montauban

J’ai vraiment l’impression de me traîner cette année, et ce n’est pas qu’une impression. Il y a aujourd’hui tout juste un mois que je suis parti de Bilbao et j’ai à peine parcouru six cents kilomètres. Vingt kilomètres par jour de moyenne, même en prenant en compte ma pause toulousaine du long week-end de Pentecôte, ce n’est vraiment pas beaucoup. Ce n’est pas un drame, j’ai tout mon temps et le fait que je fasse une « longue promenade » implique que je le prenne sans scrupules, mais en l’occurrence j’ai été vraiment pénalisé par mes ennuis du pied droit qui m’ont obligé à raccourcir la longueur de mes étapes depuis de nombreux jours. Cela va plutôt mieux, suffisamment pour que je décide de continuer mon périple après Montauban, mais les fins de journée restent rudes et j’ai un peu d’appréhension en pensant au moment prochain où je quitterai la plaine dans laquelle je marche depuis Pau. On verra bien comment cela se passe avec du dénivelé…

Pour ce qui est de marcher en plaine, aujourd’hui j’ai été servi car mon prochain objectif intermédiaire, où je devrais passer demain, est un Space Invader isolé dont la localisation ne m’a laissé aucune autre possibilité que celle de suivre des routes goudronnées, heureusement peu fréquentées : il n’existe tout bonnement pas de chemins dans ce secteur. En outre, autant l’arrivée à Montauban hier avait été agréable, le long du canal de Montech puis du Tarn, autant la sortie de la ville a été dépourvue d’intérêt sur des trottoirs longeant des rues rectilignes dépourvues de charme. Le centre historique de la ville n’est pas très étendu mais l’agglomération se prolonge sur plusieurs kilomètres vers le nord. C’est la rançon du choix que j’ai fait de passer par des villes, n’est-ce pas, et je l’assume, mais ce ne fut pas aujourd’hui la plus plaisante de mes journées de marche. Allez. Douche, lessive, dîner, dodo. Demain sera un autre jour.

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J 31 – Mardi 6 juin 2023
Caussade -> Lalbenque (km 620)


Un pigeonnier dans la nature

J’‘ai retrouvé la campagne ! Après plusieurs journées passées à suivre des routes plus ou moins rectilignes en milieu urbain ou semi-urbain, que c’était bon ! Certes, j’ai encore souvent marché sur le bitume mais cela ne me dérange pas vraiment lorsqu’il s’agit de ces petites routes, ces « chemins vicinaux » qui sinuent entre les villages au gré des collines et des ruisseaux, traversent des bois et des champs et dont les automobiles ignorent l’existence. Et puis, j’ai quand même aussi beaucoup marché sur des chemins de terre et d’herbe, comme cela ne m’était plus arrivé depuis plusieurs jours.

TLS_11
J’ai « flashé » aujourd’hui TLS_11, un joli Space Invader placé sur un ancien pigeonnier, en un endroit que je ne dévoilerai pas pour respecter la promesse de secret faite aux propriétaires.

C’était mon dernier SI avant longtemps puisque les prochaines mosaïques que je flasherai seront celles de Clermont-Ferrand, ville que je n’atteindrai que dans plusieurs semaines. D’ici là, je vais être libéré des impératifs invaderesques que je me suis imposés et je vais avoir carte blanche pour choisir mon itinéraire en privilégiant les beaux chemins et en évitant les routes.

Ce soir je dors chez Ludovic dont je suis le seul hôte pour le dîner et pour la nuit. En 2019 il est parti de Namur pour rejoindre Compostelle par la voie de Vézelay et le Camino primitivo, est allé jusqu’à Fisterra puis est revenu à Cahors en suivant à l’envers en Espagne le Camino del Norte, comme je viens de le faire depuis Bilbao. On a eu beaucoup d’anecdotes à se raconter à propos de nos longues marches respectives, et il m’a presque donné l’envie de suivre moi aussi, une prochaine année, l’un ou l’autre des chemins vers Compostelle… j’ai dit presque !

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J 32 – Mercredi 7 juin 2023
Lalbenque -> Cahors (km 640)


Le pont Valentré, à Cahors.

Lorsqu’on se déplace à pied, la transition entre les différentes régions que l’on traverse est habituellement progressive, et c’est insensiblement que l’on passe de l’une à l’autre. Ce n’est pas le cas cette fois-ci. Il a suffi de quelques heures pour que je change complètement d’environnement, et pour une fois les « pays » géographiques ont été parfaitement reflétés par les limites administratives.

J’ai quitté hier le Tarn-et-Garonne pour entrer quasi simultanément dans le département du Lot, l’ancienne province du Quercy et dans la région naturelle du Causse blanc. Finies les longues plaines recouvertes à perte de vue de plantations d’arbres fruitiers, le paysage a changé du tout au tout, laissant la place à des collines rocailleuses parsemées de blocs de pierre blanche et parcourues par des chemins caillouteux. Le soleil était aussi présent après les orages des derniers jours, ajoutant sa touche à une ambiance paradoxalement beaucoup plus méridionale que tout ce que j’ai connu lors des semaines précédentes, alors que je marchais pourtant plus au sud.

Pour la quatrième fois depuis mon départ, j’ai rejoint un chemin de Compostelle. Après le Camino del Norte en Espagne, le Chemin de la Nive au Pays basque français, le Chemin d’Arles entre Pau et Auch, tous suivis à contre-sens, c’est le Chemin du Puy que j’ai rejoint aujourd’hui et suivi jusqu’à Cahors, mais cette fois-ci dans le même sens que les pèlerins.

Cela a été une expérience intéressante. J’ai rencontré plusieurs personnes, discuté avec certaines tout en marchant ou lors de ma pause de midi dans un splendide « relais pèlerins » où nous étions une vingtaine à manger nos sandwichs, confortablement installés à des tables ou sur des fauteuils éparpillés sur une grande pelouse tandis que les propriétaires du lieu (des « trail angels » à la française) nous apportaient des boissons fraîches. J’en suis reparti reposé et ravi, en compagnie d’Amélie et Benoît, un couple de la quarantaine vivant une joyeuse semaine de liberté après avoir laissé leurs trois enfants à la garde de Papy et Mamie. Nous avons parcouru ensemble les derniers kilomètres en discutant, jusqu’à Cahors où nous nous sommes séparés car ils ne s’y arrêtaient pas.

J’ai pour ma part réservé deux nuits d’hôtel dans cette ville où j’ai décidé de faire une pause, bien sûr pour me reposer et pour aider mon pied droit à poursuivre sa lente guérison mais aussi pour visiter la vieille ville que je ne connais pas et pour mieux élaborer mon trajet jusqu’à Clermont-Ferrand. J’ai en effet beaucoup moins préparé ce périple que ceux des années précédentes et j’ai besoin de me pencher sérieusement sur les cartes – enfin, sur le petit écran de mon téléphone – pour décider du chemin que je vais suivre pendant les deux ou trois prochaines semaines.

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J 34 – Vendredi 9 juin 2023
Cahors -> Vers (km 662)


Savanac

Cette journée de repos m’a fait le plus grand bien. J’ai dormi, mangé et passé la majeure partie de la journée d’hier allongé sur le lit de cette chambre d’hôtel de Cahors à peaufiner mon trajet jusqu’à Clermont-Ferrand. Sauf bien sûr si je change d’idée à un moment ou un autre, je vais d’abord passer par Rocamadour (où j’avais déjà fait étape en 2012 lors de ma traversée nord-sud de la France) puis je suivrai pendant quelques jours la Dordogne avant de pénétrer dans le Massif central aux alentours de Saint-Privat.

Passer par Aurillac en suivant à rebours la Via Arverna était une autre possibilité mais j’aurais alors été amené à parcourir à nouveau pendant près d’une semaine une portion de mon parcours de l’an dernier, ce que je ne souhaite pas.

J’ai quand même quitté ma chambre pendant deux ou trois heures pour arpenter les rues de la vieille ville, le long desquelles de nombreuses bâtisses témoignent d’un riche passé, et j’ai profité deux soirs de suite d’excellents repas arrosés au vin de Cahors.

Mais aujourd’hui… retour à la vie spartiate du randonneur ! Spartiate et humide puisqu’il a commencé à pleuvoir à verse aux alentours de midi alors que je luttais vaillamment contre les broussailles et les chablis successifs sur une berge du Lot en fort dévers. Il faut dire qu’étant à la fois assez paresseux et plus malin que tout le monde, j’avais voulu couper par un sentier nettement mieux matérialisé sur les cartes IGN et OSM que dans le monde réel, sentier qui longeait la rive gauche du Lot au lieu de suivre le GR36 qui fait un détour de plusieurs kilomètres par les hauteurs. Vu le temps passé et la quantité de sueur dégagée par l’exercice, je ne suis pas sûr que le calcul ait été gagnant mais avec la pluie qui tombait, j’aurais de toute façon été trempé en arrivant à Vers. Il était alors trop tard pour déjeuner mais l’aubergiste m’a proposé de m’installer à une table pour une bière et un « casse-croûte du randonneur » improvisé, ma foi très roboratif.

Lorsque j’en suis reparti vers 15 heures, il pleuvait toujours autant et c’est sous une pluie battante que Daniel qui arrivait d’en face et moi avons passé plus d’une demi-heure à discuter les pieds dans l’eau de nos parcours respectifs et de notre matériel. Lui était parti du Puy-en-Velay avec l’intention d’atteindre Santiago d’une seule traite, en tirant – comme d’autres pèlerins déjà rencontrés – une charrette accrochée à sa taille par un harnais. « Avec la tente et tout ça, mon sac pesait 17 kg, impossible à porter vu l’état de mes vertèbres, alors on m’a conseillé cette charrette. Et du coup, je ne me suis plus limité… et maintenant j’ai 25 kg de barda là-dessus ! Mais bon, c’est lourd, hein ; je crois que je vais essayer de faire un peu de tri en arrivant à Cahors. » Et en réponse à ma question : « Ah non, tiens, c’est vrai, je n’ai pas pensé à peser la charrette ! »

J’avais repéré hier sur la carte OSM (mapy.cz) deux icônes juxtaposées « Abri touristique » et « Eau potable » à mi-chemin entre Cahors et Labastide-Murat (ville où j’ai réservé un lit pour demain soir), et en y arrivant j’ai vu que j’avais touché le jackpot ! Alors que la pluie s’arrêtait enfin, j’ai découvert une jolie cabane très propre, avec, outre un robinet à l’extérieur, une table, deux bancs et juste la place qu’il fallait pour mettre à sécher mes affaires trempées d’un côté et y installer mon couchage de l’autre. Un bivouac grand luxe en somme.

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J 35 – Samedi 10 juin 2023
Vers -> Labastide-Murat (km 681)


   

C’est un geste difficile à réaliser quand on est tout seul mais il y a vraiment des coups de pied quelque part qui se perdent. Je m’explique : la tente X-Mid que j’ai emportée pour cette longue promenade se monte en utilisant deux bâtons de marche qui servent de mât. Comme j’ai l’habitude de marcher avec un seul bâton, j’ai transporté depuis mon départ l’autre bâton accroché sur le sac à dos. Hier matin, ma bataille contre les broussailles et les chablis de la rive gauche du Lot m’a amené à dégainer le second bâton et à m’en servir sur ce terrain en fort dévers… et je me suis ainsi rendu compte que le fait d’avancer avec un bâton dans la main gauche soulageait très nettement mes douleurs du pied droit ! (car les deux appuient sur le sol en même temps).

Voilà près d’un mois que je traîne ces douleurs et je n’avais pas eu l’idée de soulager le poids que mon talon encaissait à chaque pas alors que je savais très bien que l’usage des bâtons permet de transférer environ trente pour cent de la charge vers les membres supérieurs ! Quel c**, non mais quel c** !

Statue de Joachim Murat
Bref. Avec deux bâtons ma marche a été aujourd’hui nettement plus fluide et plus agréable que les jours précédents. J’ai bien avancé et toute la journée a été quasi-parfaite : j’ai été réveillé en douceur par le chant des oiseaux après une excellente nuit passée dans cette jolie petite cabane, il a fait beau (le brouillard matinal a vite laissé la place à un ciel tout bleu) et j’ai traversé des paysages splendides. Ce fut une de ces belles journées dont les longues marches nous gratifient parfois, une de ces journées qui compensent au centuple les mauvais jours, la pluie, les bobos, le bitume, les lignes droites sans fin et qui font qu’on en redemande.

Je suis arrivé en milieu d’après-midi à Labastide-Murat, petite ville qui s’appelait jadis Labastide-Fortunière et qui a été rebaptisée ainsi en l’honneur de l’enfant du pays, Joachim Murat, futur maréchal d’Empire et roi de Naples, dont les parents tenaient le relais de poste du village. J’aurais volontiers visité le musée Murat constitué dans sa maison natale mais il était fermé, tout comme l’office de tourisme le samedi après-midi. C’est donc finalement dans Wikipedia que j’ai rafraîchi mes souvenirs à son sujet.

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J 36 – Dimanche 11 juin 2023
Labastide-Murat -> Rocamadour (km 707)


À travers les Causses du Quercy.

Rude journée ! Rude mais belle. Parti peu après huit heures de Labastide-Murat (j’avais dû attendre l’ouverture de la boulangerie pour y acheter un sandwich) je suis arrivé à Rocamadour à dix-huit heures, au terme d’une étape qui ne faisait « que » 26 km, mais quels kilomètres… Des montées et des descentes (souvent très raides, les descentes) sur des sentiers caillouteux en plein soleil, avec de beaux paysages… je n’ai pas eu l’occasion de m’ennuyer. J’ai tout de même trouvé en début d’après-midi un coin agréable, à l’ombre d’un pin, pour y manger mon sandwich et faire une sieste de vingt minutes.

Les pèlerins arrivant en sens inverse ont été peu nombreux aujourd’hui mais c’est drôle, les quatre que j’ai croisés étaient tous Bretons. Rennes, Auray, encore Rennes et… Porspoder, le terme de ma promenade de l’an dernier ! Annick savait bien sûr que sa commune était à l’extrémité nord-ouest de la plus longue diagonale de France mais n’avait jamais eu l’idée de chercher à rejoindre Menton à pied… Il est possible que j’ai planté aujourd’hui une petite graine dans son esprit.

Il y a eu au cours de cette étape une autre raison pour me souvenir de mes longues marches précédentes, et c’est le fait qu’elle m’a fait arriver à Rocamadour qui fut aussi l’une des étapes, en 2012, de ma traversée de la France du nord au sud. Ce n’est bien sûr pas la première fois que deux de mes traces se croisent comme on peut le constater sur la carte de mes longues marches. ce fut le cas en Eure-et-Loir pour mes traversées nord-sud et est-ouest de la France, et dans la Creuse pour ma traversée nord-sud et ma diagonale SE-NO de l’an dernier, mais c’est la première fois que je fais étape dans la même ville que lors d’une autre marche au long cours.

Ça ne devrait d’ailleurs pas être la seule fois cette année car la trajectoire que j’ai choisie croise celle de toutes mes longues marches précédentes, à l’exception évidemment du tour de Bretagne. J’ai trouvé amusant de constater ce soir que mes périples successifs allaient être connectés les uns aux autres… on se distrait comme on peut après une belle étape épuisante, avant d’aller dormir.

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