Diagonale SE-NO : Provence


J 00 – Vendredi 13 mai 2022
Menton

Kilomètre Zéro !

Cette traversée de la France en diagonale sud-est -> nord-ouest ne débutera réellement que demain lorsque je tournerai le dos à la frontière italienne et au bord de mer pour me diriger vers les hauteurs de l’arrière-pays niçois. Mon périple n’a donc pas encore vraiment commencé et pourtant cette journée n’était pas J-1, ce qui désignerait le jour précédant mon départ. Aujourd’hui était J0, une journée que je vois comme une borne indiquant le début de mon voyage.

C’est bien ce matin, en effet, que je suis parti de chez moi pour de nombreuses semaines, que j’ai dit au revoir à mon confort quotidien, fait des caresses à mes chats qui ne se doutaient pas de ma longue absence à venir et que j’ai serré longuement ma Chérie dans mes bras en lui promettant d’être prudent. Quelques minutes plus tard, j’étais dans le train. Malgré tout le temps passé à préparer cette marche, à y penser et à en parler, à imaginer son trajet, à peaufiner la liste de mon matériel, etc., lorsque le moment de quitter mon nid est arrivé, tout semblait irréel. Il me faudra quelques jours pour retrouver mes marques de chemineau. Je suis donc parti ce matin et j’ai traversé la France en quelques heures. Une demi-journée de TGV à 280 km/h dans un sens avant plusieurs mois de marche dans l’autre sens, à une allure à peu près soixante-dix fois plus lente !

J’avais prévu de descendre du train à la gare de Menton-Garavan, juste avant la frontière italienne, mais je n’ai pas vu que le train pour Menton attrapé au vol en gare de Nice avait son terminus à Menton-Ville, quelques kilomètres plus tôt. Or, cette longue marche a pour prétexte de relier les deux points de l’Hexagone les plus éloignés l’un de l’autre… Il n’était donc pas question de la débuter ailleurs que sur la ligne de départ. J’ai donc fini ma journée par une bonne balade sur le bord de mer jusqu’au poste frontière avant de revenir partiellement sur mes pas jusqu’à l’hôtel que j’avais réservé dans le vieux Menton.

En fait, en y repensant… je pourrais presque parler de J1 pour cette journée puisque depuis la frontière, j’ai déjà parcouru aujourd’hui un peu plus de deux kilomètres en direction de Porspoder ! Ma longue promenade a commencé.

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J 01 – Samedi 14 mai 2022
Menton -> Sanctuaire Notre-Dame de Laghet (km 19)

Ah le coquin… Obéis à ta mère, chenapan !

Lors des premières étapes d’une longue marche, il est généralement recommandé d’être modeste dans ses ambitions afin de réduire le risque de blessure (ampoules, tendinite, etc.). On conseille de ne pas marcher trop vite et de limiter le nombre de kilomètres parcourus et, si possible, le dénivelé. Les kilomètres « perdus » au cours de ces quelques jours sont largement compensés par la suite. J’ai suivi avec profit cette consigne lors de mes deux dernières longues promenades et j’avais initialement prévu d’en faire autant cette année en parcourant cette diagonale dans le sens Finistère —> Menton. Je comptais faire ainsi un rodage du bonhomme en Bretagne et dans les Pays de Loire avant d’aborder les reliefs du Massif Central puis des Préalpes.

Bretagne en mai, Provence en août… J’ai vite réalisé que ce n’était sans doute pas très astucieux au plan météo. J’ai donc pris le parti d’inverser mon trajet et de partir de Menton au printemps pour arriver en Bretagne en été, le hic étant que mes premières étapes seraient bien accidentées, y compris mille mètres de dénivelé le premier jour. Maintenant qu’elle est terminée, je peux bien reconnaître que j’avais une certaine appréhension concernant cette première étape mais cela s’est bien passé. Le temps a été de mon côté : alors qu’il faisait près de 30°C les jours précédents, j’ai eu la chance que le ciel reste couvert pratiquement toute la journée, avec même de la brume au-dessus de 400 mètres. Après quelques kilomètres en bord de mer, je me suis tranquillement élevé au-dessus de la ville par des escaliers à larges marches. Ensuite, en dehors de vingt minutes d’un sentier étroit et très raide au-dessus de Roquebrune, le chemin est monté progressivement et régulièrement ce qui m’a permis de faire de même.

Peu après Fontbonne, je me suis arrêté pour déjeuner sur une pelouse sauvage parsemée de rochers, d’épines et de pins. Des « ronk ronk » insistants, à quelques mètres de moi, m’ont fait chercher des yeux le sanglier responsable et sortir mon smartphone pour une éventuelle photo… Un marcassin espiègle est alors passé trois mètres devant moi à toute vitesse… Clic ! Les grognements de sa mère, heureusement, s’étaient alors un peu éloignés car je n’aurais pas aimé qu’elle me voie près de son petit. J’espère que le lascar désobéissant est rapidement retourné auprès d’elle.

Contrairement à mon habitude, j’ai marché aujourd’hui avec deux bâtons au lieu d’un seul puisque j’en ai emporté deux devant servir de mâts pour ma nouvelle tente X-Mid. Il est bien possible que leur utilisation ait aussi rendu l’ascension plus facile. Seul point négatif de la journée, l’un de ces bâtons s’est cassé tout net à l’occasion d’une glissade sur un chemin en pente. J’ai bricolé une réparation car j’en aurai besoin pour ma tente mais je serais étonné que cela tienne très longtemps. Je m’en procurerai un autre dès que possible (et pas en carbone cette fois-ci !). Pour ce soir pas de souci car j’ai trouvé un abri en dur : je vais être hébergé — et nourri — par les sœurs bénédictines du Sanctuaire de Notre-Dame de Laghet, une très belle chapelle située sur un piton rocheux non loin de La Turbie.

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J 02 – Dimanche 15 mai 2022
Sanctuaire Notre-Dame de Laghet -> Tourrette-Levens (km 36)

Ça grimpe, mais c’est beau !

Il y avait du monde hier soir dans les trois salles du réfectoire du sanctuaire Notre-Dame de Laghet : outre les soeurs et quelques bénévoles, une quinzaine de personnes faisaient une retraite dans le sanctuaire et un groupe de huit était là pour trois jours. Il n’y avait que moi à être de passage pour la nuit.

Une fois tout le monde arrivé, les résidents se sont spontanément dirigés vers leur chaise habituelle et ont posé leurs mains sur son dossier. Pendant ce temps-là, une sœur me guidait vers le siège qui m’était attribué, à une grande table à part, où je me suis retrouvé seul avec Patricia, une bénévole du sanctuaire apparemment chargée de me tenir compagnie.

Les religieuses se sont alors retirées vers leur propre réfectoire mais personne ne s’asseyait… À l’appel d’une des bénévoles, tout le monde excepté votre ignorant serviteur a chanté à gorge déployée une chanson de grâces de plusieurs couplets en frappant dans ses mains. Pour le mécréant que je suis, c’était très étonnant et un peu magique de voir ainsi chanter avec une ferveur joyeuse toutes ces personnes au regard illuminé par la foi.

Patricia et moi avons donc dîné face à face. Pendant tout le repas, elle m’a parlé d’elle, de sa vie, de son enfance, de son métier, de ses voyages, de sa foi, de sa rencontre avec le Pape François en 2016, du Père de Foucauld sur le point d’être canonisé… (j’en oublie) tout en regardant sur son smartphone la retransmission en direct d’une procession qui avait lieu à Jérusalem. À la fin du repas, elle m’a remercié de l’avoir ainsi écoutée en me disant que je lui rappelais son évêque qui d’ailleurs s’appelle aussi Philippe ! Si ça se trouve une nouvelle carrière pourrait s’ouvrir à moi. Mauvais point toutefois dans cette optique, au lieu d’assister aux complies en sortant de table, je suis allé directement me coucher (et ai néanmoins très bien dormi).

Réveillé tôt ce matin, j’ai quitté le sanctuaire au son de l’angélus. Contrairement à l’étape d’hier dont les mille mètres de dénivelé étaient passés comme une lettre à la poste, j’en ai bien bavé aujourd’hui car le dénivelé, aussi important qu’hier, s’est fait sur des sentiers étroits et malaisés, abrupts et caillouteux. Les descentes étaient parfois pires que les montées, très pentues et à plusieurs reprises sur de véritables pierriers. En outre, il a fait vraiment chaud, avec un soleil de plomb sitôt passé dix heures du matin.

Après avoir atteint Drap (prononcer Drapp), dans la vallée du Paillon, la remontée vers les hauteurs n’a pas été plus facile, jusqu’à ce qu’à Tralatorre le sentier abrupt où j’avais sué sang et eau pendant plusieurs heures laisse enfin la place à un beau chemin, large et régulier, que j’ai suivi sur plusieurs kilomètres en direction de Tourrette-Levens. Enfin, c’est ce que je croyais… Je ne me suis rendu compte qu’au moins deux kilomètres plus loin (et 200 mètres plus haut) que je n’étais pas sur le bon chemin ! Retour en arrière jusqu’à Tralatorre où le bon embranchement m’a finalement amené, après une dernière « bavante », à Tourrette-Levens où je suis arrivé vers 15 heures 30 en assez piteux état.

Je ne me voyais pas continuer à crapahuter sous le soleil et j’ai demandé au patron du café où je finissais mon second Coca s’il connaissait un endroit où passer la nuit. Merveille des merveilles, vingt minutes plus tard j’avais un lit et l’accès à une douche fraîche, quel bonheur.

Tourrette-Levens est un village magnifique avec des monuments médiévaux très bien mis en valeur. Je n’ai pas eu beaucoup de temps après ma sieste pour visiter le musée des vieux métiers qui fermait à dix-huit heures mais le vieux monsieur passionné qui a réuni les huit mille objets qu’il contient et où il m’a très gentiment guidé en une visite éclair m’a donné envie d’y revenir un jour en touriste.

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J 03 – Lundi 16 mai 2022
Tourrette-Levens -> La Gaude (km 56)

La Gaude, sur son baou.

Je passerai sur les détails… Disons simplement que le fait que ma nuit se soit passée en grande partie en position assise ne lui a pas permis d’être très réparatrice. Comme d’habitude, je me suis néanmoins réveillé spontanément à six heures mais après peut-être quatre heures de sommeil j’avais de tout petits yeux. Malgré une bonne douche et les coups de pied au derrière que je me suis virtuellement flanqués, le départ a été très poussif, en particulier lorsque, peu après mon départ de Tourrette-Levens, il m’a fallu remonter en face sur la colline d’Aspremont. C’est bizarre, j’étais pourtant bien plus léger que la veille !

Heureusement toutefois, ces 300 mètres de remontée régulière m’ont finalement fait du bien et c’est en meilleure forme que j’ai atteint ce joli village d’Aspremont. Comme Tourrette-Levens, c’est ce qu’on appelle ici un ‘baou’, c’est à dire un village perché, bien plus proche de ses voisins à vol d’oiseau qu’à pas de randonneur.

À Tourrette comme à Aspremont — et d’ailleurs comme dans tous les villages traversés depuis mon départ — les fontaines ne coulaient pas. Un ouvrier de la compagnie des eaux m’a confirmé que c’était en raison d’une alerte sécheresse émise par la préfecture des Alpes-Maritimes. « On est à la mi-mai mais on croirait que c’est la fin de l’été ». J’avais aussi remarqué des panneaux interdisant d’arroser son jardin ou de laver sa voiture. Un peu plus tard il m’a suffi de regarder le Var quasiment à sec pour voir l’évidente illustration du changement climatique.

C’est en descendant vers le fleuve, après Colomars, que la médiocrité de mes talents de bricoleur a été exposée au grand jour, lorsque le bâton « réparé » avant-hier a décidé de se briser à nouveau. Un randonneur du coin arrivant en sens inverse a été témoin de la scène et m’a appris qu’il y avait un magasin de sport sur une grande zone commerciale située à quatre ou cinq kilomètres du pont de la Manda par lequel j’allais franchir le Var une fois arrivé en bas de cette descente. J’avais absolument besoin de nouveaux bâtons puisqu’ils sont indispensables pour monter ma tente mais il n’était pas raisonnable de faire à pied un aller-retour de dix kilomètres le long d’une route à grande circulation. Par autorisation exceptionnelle accordée par moi-même, j’ai donc pris un bus et en moins d’une heure j’étais de retour au même endroit avec une paire de bâtons en alu qui devraient être solides.

De l’autre côté du Var, effectivement bien sec, et après être sorti d’une zone commerciale entourée d’échangeurs, une toute petite route montait en pente douce jusqu’à Gattières où j’ai déjeuné à quatorze heures passées. Ensuite — incroyable mais vrai — le chemin a été à peu près plat jusqu’à la fin de l’étape.

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J 04 – Mardi 17 mai 2022
La Gaude -> Le Bar-sur-le-Loup (km 78)

Fraîcheur, gazouillis de l’eau et des oiseaux…

Aujourd’hui fut une excellente journée, assez sportive mais sans que la rudesse des dénivelés soit au point de nuire au plaisir de la randonnée comme cela avait un peu été le cas il y a deux jours. Il faut dire aussi que les paysages traversés ont été beaux de bout en bout.

Je m’étais arrêté hier peu avant le village de La Gaude. Gravir tranquillement son « baou » a été un excellent moyen de me mettre d’emblée en jambes avant de poursuivre vers Vence. À ce propos, il semble que j’aie écrit une bêtise hier puisque le terme de « baous » ne désignerait pas les villages perchés, comme je l’avais compris, mais les nombreuses collines abruptes de la région, qu’elles soient ou non coiffées d’un village.

Le chemin entre La Gaude et Vence monte et redescend de cent cinquante à deux cents mètres à trois ou quatre reprises, à chaque fois qu’il croise le lit d’une rivière. Cela a été à chaque fois un enchantement de marcher sur ce sentier étroit et sinueux mais très régulier, au milieu des pins, gingkos et robiniers (entre autres) et entouré du gazouillis de nombreux oiseaux (mais il n’y a guère que le chant de la mésange charbonnière que j’aie reconnu). Au fur et à mesure que je descendais, la fraîcheur devenait palpable, le bruit du ruisseau devenait plus présent et la récompense arrivait par la découverte des petites cascades et du flux agité de l’eau. Un seul ruisseau était à sec, les autres coulaient encore vaillamment.

Après un peu de temps passé à marcher au hasard dans les rues de Vence, je suis reparti en direction de Tourrettes-sur-Loup. Cette portion du chemin était totalement différente de la précédente mais très belle aussi. Moins accidenté et parfois plane, dans un bois au sol tapissé d’herbes et parsemé du rose de multiples massifs de valériane.

Depuis mon départ de Menton le chemin était balisé à la fois par les deux bandes blanche et rouge des chemins de grande randonnée et par la coquille stylisée des chemins de Compostelle (voie d’Arles). Plusieurs personnes avec lesquelles j’ai discuté croyaient d’ailleurs que ma destination était Santiago. Cela ne sera plus le cas puisqu’à Tourrettes-sur-Loup ces deux chemins ont divergé. Le mien se dirige toujours plein est vers Grasse où je passerai demain et Le-Bar-sur-le-Loup où je vais dormir ce soir au camping. Comme quoi j’ai bien fait de me procurer hier les bâtons indispensables pour monter ma tente.

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J 05 – Mercredi 18 mai 2022
Le Bar-sur-le-Loup -> Grasse (km 93)

L’aqueduc du Foulon.

Après une excellente nuit au camping des Gorges du Loup, je suis monté jusqu’au village du Bar-sur-le-Loup (que je proposerais volontiers de renommer Le-Bar-loin-au-dessus-du-Loup…) où je me suis un peu promené. Le seul café du village a toujours son enseigne bien visible mais il a fermé pour faillite il y a deux ans. Il faut dire qu’il avait été aménagé dans le donjon du village… Je ne suis pas certain que cela ait été une bonne idée pour attirer la clientèle.

J’avais pensé que Le-Bar-sur-le-Loup était construit au sommet d’un baou, mais non 
! Une fois quitté le village, la descente a été très courte et je me suis vite retrouvé à attraper de nouveau une suée sur un sentier très pentu, étroit et mal entretenu dont mes mollets égratignés se souviennent ce soir. Vers le milieu de la montée, le chemin était traversé par une grosse canalisation qu’on appelle encore aujourd’hui « l’aqueduc du Foulon » mais qui a remplacé dans les années 1950 le véritable aqueduc construit au 19e siècle pour alimenter en eau la ville de Grasse à partir d’une source lointaine.

Quelques dizaines de minutes de grimpette plus tard, j’ai finalement atteint un plateau, guère attractif car occupé en grande partie par une « aire d’activité », c’est à dire un paquet d’immeubles flanqués de postes de contrôle à leur entrée et de panneaux d’interdiction d’entrer, de photographier, etc. Je me suis évidemment offert le petit plaisir de franchir la barrière d’une entreprise spécialisée en « Formation Seveso transporteurs » pour demander à l’un des gardiens en uniforme s’il serait possible de remplir ma bouteille d’eau, ce qu’il a d’ailleurs fait avec un grand sourire.

Un peu plus loin sur ce même plateau lunaire se trouvait un circuit de karting où trois bambins d’une dizaine d’années, en combinaison et casque de professionnels, se livraient à une lutte acharnée pour la première place. Je suis resté une bonne dizaine de minutes à regarder si le kart rouge allait finalement réussir à dépasser le bleu qui ne se laissait pas faire (spoiler : il y est arrivé !).

C’est ensuite beaucoup plus facilement que j’ai atteint les hauteurs qui surplombent Grasse par une large piste serpentant au flanc des collines sur une dizaine de kilomètres. J’ai fait une longue pause déjeuner sur un espace bien ombragé à côté de cette piste avant de repartir vers Grasse. Je suis arrivé en ville assez tôt pour avoir le temps de m’y promener un peu après la douche et la lessive de rigueur.

Je me suis d’abord rendu au musée Fragonard, persuadé d’y voir des peintures de Jean-Honoré… pour me rendre compte s’il s’agissait du nom d’un fabricant de parfum (je dois avouer à ma grande honte que je n’en avais jamais entendu parler). Cela dit, la visite a été instructive et les machines de l’usine impressionnantes. Les rues de la vieille ville sont typiques du Midi 
: étroites et ombragées, tortueuses, pentues et parsemées d’escaliers. Grasse est bien sûr la capitale du parfum et des roses, avec chaque année une exposition internationale « Exporose » qui avait lieu la semaine dernière et en l’honneur de laquelle des centaines de parapluies roses étaient accrochés au-dessus des rues piétonnes.

J’ai terminé ces deux heures de tourisme par la visite de la cathédrale dont j’ai trouvé l’intérieur magnifique et dans laquelle se trouvent pas moins de trois grands tableaux de Rubens.

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J 06 – Jeudi 19 mai 2022
Grasse -> Escragnolles (km 114)

Des fleurs partout.

Comme je voulais absolument visiter Grasse où je n’étais jamais allé, j’ai quitté hier soir le GR51 pour rejoindre la ville en descendant des centaines de marches et de longues portions de ruelles très pentues. Je n’ai donc pas été surpris par mon début de journée puisqu’il s’est agi de refaire le même chemin en sens inverse pour retrouver le GR à l’endroit où je l’avais quitté. Ça réveille ! mais je savais que ce n’était que la première grimpette de la journée. Et ce fut une très belle journée, que ce soit par le temps (un peu chaud, certes) ou par les paysages traversés.

Le GR51, qui devient rapidement le GR406, suit essentiellement le trajet de l’ancienne « Route Napoléon » empruntée par l’Empereur en 1815 à son retour de l’île d’Elbe. Elle est différente de la Route Napoléon moderne, faite pour les automobiles… et pour les commerces locaux. S’il voyageait en calèche, Napoléon Bonaparte a dû être sacrément secoué sur ce chemin caillouteux mais jusqu’à Saint-Vallier-en-Thiey il a dû aller assez vite sur une large piste qui monte progressivement. Moi, en tout cas, j’ai bien avancé et je suis arrivé dans ce village à midi sonnantes, ce qui était parfait pour faire quelques courses en prévision de mon dîner du soir et pour déjeuner au restaurant « Le Contrat » (simple, bon et serveuses sympathiques).

À la table la plus proche de celle où je me suis assis en terrasse, deux maçons discutaient ; l’un d’entre eux, Christian, racontait ses balades à cheval dans les montagnes de la région. Il m’a appris que les chevaux, lorsqu’ils sont jeunes, peuvent tout à fait apprendre à marcher en montagne même escarpée et qu’il avait dressé le sien à marcher « à pas de mule ». Comme j’envisageais de bivouaquer ce soir autour de mille mètres d’altitude, je me demandais où trouver de l’eau. Christian m’a indiqué qu’il faisait souvent boire son cheval à un ruisseau situé non loin de mon chemin près de la Chapelle Saint-Jean et qui — précision importante vu la sécheresse déjà installée dans la région — coulait encore la semaine dernière. Il m’a indiqué l’endroit sur la carte, dans la vallée de la rivière Siagne (qui est elle-même inaccessible car coulant au fond d’une gorge), quelques dizaines de mètres en dehors du chemin.

J’y suis donc allé. Cela aurait été un très bel endroit pour un bivouac (quoi que sûrement humide le matin) mais j’y suis passé un peu trop tôt, peu après quinze heures. Après une courte hésitation, j’ai décidé de rester sur mon idée initiale et de me charger de trois litres d’eau filtrée au ruisseau pour l’ascension jusqu’à la Chapelle Saint-Martin, quatre cents mètres plus haut. Je ne l’ai pas regretté, ni pour la splendeur des paysages traversés ni pour le site où j’ai planté ma tente.

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J 07 – Vendredi 20 mai 2022
Escragnolles -> Séranon (km 134)

Un merveilleux site de bivouac, à coté de la Chapelle Saint-Martin.

Il y a des endroits où l’on ne peut que bien dormir… Cet espace isolé couvert d’herbe, à côté de la Chapelle Saint-Martin, restera dans ma mémoire comme l’un de mes plus beaux bivouacs. Tout était parfait, le site comme le temps. J’étais donc détendu et joyeux en me réveillant après neuf heures de sommeil, et sifflotais en repliant ma tente. Il était sept heures et le soleil n’avait pas encore dépassé le sommet des montagnes lorsque j’ai fait ma première rencontre d’une journée qui allait en comporter plusieurs.

Jean-Bernard était le premier « long-marcheur » que je rencontrais depuis mon départ de Menton. Parti depuis plusieurs semaines du Puy-en-Velay pour rejoindre Rome, il n’avait pas beaucoup préparé son voyage et ne savait pas par où il passerait une fois franchie la frontière italienne. J’ai mis à profit mon expérience italienne des deux dernières années pour le prévenir de la rareté et du mauvais état de beaucoup de chemins de randonnée en Italie et de la grosse différence avec la France sur ce plan. Je lui ai conseillé de se renseigner sur l’Alta Via dei Monti Liguri, après laquelle il lui serait possible de rejoindre la Via Francigena un peu avant Lucques. Jean-Bernard marchait avec un bâton hérité de son grand-père et qui devait peser un bon poids, une véritable œuvre d’art orné de la sculpture d’un très impressionnant serpent.

Jean-Bernard,
en route pour Rome.
En définitive, je n’ai levé le camp que peu avant huit heures pour une journée de marche en moyenne montagne. Le chemin (en fait souvent un étroit sentier… je suppose finalement que Napoléon devrait être à cheval !) a oscillé tout du long entre 900 et 1200 mètres d’altitude. Le temps a continué à être splendide, un peu chaud l’après-midi certes mais, bah, les 28-30 degrés de ce mois de mai n’ont rien à voir avec les plus de 40°C de l’année dernière dans les Pouilles !

Quelques kilomètres après mon site de bivouac se trouvait le village d’Escragnolles, où naquit le général François Mireur qui fut le premier à chanter, lors d’une réunion à Marseille, le « Chant des guerre des armées du Rhin » de Rouget de Lisle, renommé ultérieurement « La Marseillaise » (merci Wikipedia). J’ai surtout fait dans ce village ma deuxième rencontre de la journée, celle d’une chatte quémandeuse de caresses et ne refusant pas les photographies.

Pendant plusieurs kilomètres j’ai ensuite marché sur un sentier à flanc de montagne qui surplombait la vallée parmi des myriades de fleurs jaunes, roses et violettes, avant qu’il laisse la place sur un plateau à une piste où plusieurs carcasses de voitures avaient été abandonnées. Pas seulement des voitures d’ailleurs mais également une gigantesque caravane de dix mètres de long, très rouillée et vandalisée mais qui pourrait à l’occasion servi de refuge d’urgence à celui qui passerait par là par un soir d’orage. Le matelas ne m’a pas paru nickel, mais il y a un matelas. Avis aux amateurs !

C’est juste avant d’arriver au village de Séranon que j’ai entendu le chant de mes premières cigales. Cela m’a fait plaisir bien que ce soit le témoignage incontestable d’une chaleur inhabituelle pour un mois de mai puisque leur sortie de terre n’a habituellement lieu que vers la fin juin. Alors que je m’étais arrêté pour les écouter, j’ai fait ma troisième rencontre, celle d’Amina et Bernard, un couple randonnant à la journée. Nous avons marché de concert en discutant jusqu’à Séranon où, à midi et demi, le restaurant nous a tendu les bras. Nous avons passé un excellent moment tous les trois. C’étaient les premières personnes que je rencontrais depuis de nombreuses années à ne pas avoir de téléphone portable, avec des arguments très raisonnés à l’appui de leur choix. Le repas fini, nous nous sommes séparés car ils devaient maintenant retourner au point de départ de leur aller-retour.

Repartir après un bon repas est une rude épreuve que tous les marcheurs connaissent. Cet après-midi n’a pas fait exception à la règle. Pendant deux heures, je me suis traîné. Cela ne m’a pas empêché de me tromper de route et d’être remis sur le droit chemin par ma quatrième rencontre de la journée, celle de Christophe et Alex avec lesquels je discutais de nos balades respectives lorsque nous avons réalisé que non, je n’allais pas comme eux rejoindre la « Via Ferrata del Pierrot ». Merci à eux de m’avoir remis sur le droit chemin pour me rapprocher de Castellane où je devrais arriver demain.

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J 08 – Samedi 21 mai 2022
Séranon -> Castellane (km 157)

Depuis le Pont du Roc.

Lorsque l’on part marcher pour plusieurs jours (semaines, mois…), il ne faut pas longtemps pour que des routines s’installent. Les soirs de bivouac, il s’agit de monter la tente, d’y placer le matelas, le duvet, les affaires de nuit, de faire sa toilette et d’enfiler ses habits de nuit. En ce qui me concerne, c’est alors que je lave mes chaussettes et parfois ma chemise et que je les étends sur un fil. Le temps de faire tout ça, c’est le moment de faire la cuisine et de dîner, puis de laver la vaisselle… l’heure de se coucher arrive vite, d’autant qu’habituellement on a bien sommeil. Le matin, il faut tout ranger, défaire la tente, remettre tout le matériel dans le sac. Avec l’habitude, ça va vite. Quand on dort sous un toit c’est la même chose en plus simple : pas de tente à monter et démonter et parfois eau courante pour la lessive et la vaisselle.

Dans la journée aussi, les randonneurs ont souvent des routines et des trucs voire des manies. Par exemple, je me surprends souvent à rechercher sur mon passage les « bons coins de bivouac »… même à dix heures du matin ! Ou bien, lorsque je grimpe une longue côte, je compte instinctivement mes pas, coordonnés avec ma respiration, sur deux double-pas : « et-vingt-et-un, et-vingt-te-deux… » Cela a très vite un effet quasi-hypnotique : ainsi concentré sur mon souffle qui rythme mes pas, j’avance lentement mais sûrement, idéalement sans trop penser au fait que « ça monte dur ».

Le Roc Notre-Dame qui domine Castellane.
Et pour monter dur, depuis huit jours que je suis parti de Menton, ça monte dur en effet. Je viens de regarder que depuis mon départ, le dénivelé cumulé est un peu supérieur à 7.000 mètres, ce qui pour moi est beaucoup, surtout en tout début de périple. Je ne regrette pas mon choix de traverser la France dans ce sens SE -> NO — bien qu’il fasse actuellement plus de 30°C — mais j’ai hâte que quelques jours supplémentaires m’aient apporté la forme physique qui, je le sais par expérience, permet à partir d’environ trois semaines de marche de se sentir (presque) inépuisable.

Bref. Aujourd’hui encore, j’ai eu du mal dans les montées et presque autant dans des descentes abruptes et caillouteuses, quasiment des pierriers parfois. Les paysages, heureusement, étaient toujours aussi beaux (enfin, quand j’avais le loisir de les regarder !) et la végétation printanière exubérante. Je ne me plains pas, « je suis mieux ici qu’à visser des boulons ».

Je suis arrivé ce soir à Castellane où je vais dormir dans un lit. Beau village, très touristique, situé au pied du Roc Notre-Dame qui domine la ville actuelle de plus de 180 mètres. Cette grimpette-là, je n’ai pas l’intention de la faire.

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J 09 – Dimanche 22 mai 2022
Castellane -> Rougon (km 177)

Entre Castellane et Rougon.

Ce matin, bonheur suprême, pour la première fois depuis Menton mon chemin a débuté par deux kilomètres de marche tranquille sur le plat, sur une petite route déserte qui longe le Verdon. On va dire que je n’arrête pas de parler de dénivelé mais j’avoue qu’en ce moment je ne refuserais pas une petite journée de marche le long du Canal de Nantes à Brest (spoiler, ça viendra dans quelques semaines et si ça se trouve je me plaindrai alors de la monotonie). Mais non, d’ailleurs je ne me plains pas. Avoir mal tous les jours à un endroit différent et tirer la langue dans les côtes, ça fait partie du jeu. Je savais très bien avant de partir que les premières semaines de cette promenade seraient sans doute rudes, alors mon gars, avance en silence, non mais !

Comme tous les jours depuis que je suis parti, il a fait très beau – et très, très chaud l’après-midi – et les paysages ont été magnifiques. Ce qui est extraordinaire c’est que les paysages que j’ai traversés depuis Menton sont tous beaux et tous différents les uns des autres, y compris souvent au cours de la même journée. Aujourd’hui, une fois quitté Castellane par une petite route, pistes et sentiers de montagne m’ont amené en suivant les gorges du Verdon jusqu’au plateau désertique de Suech où soufflait un vent très apprécié avant de redescendre abruptement de l’autre côté vers Rougon.

Les trois jeunes bolides
m’ont laissé sur place.
Parmi mes rencontres de la journée, plusieurs randonneurs. Sur la petite route montant de Castellane, en début de journée, j’ai été rattrapé par trois jeunes marcheurs aux sacs et aux pieds légers. Lupita, Kevin et Tomaz avaient débuté ce matin une randonnée d’une semaine jusqu’à Manosque avec un jour de retard en raison de l’annulation surprise de l’un de leurs trains (merci Ouigo). Nous allions dans la même direction mais pas à la même vitesse… Le vieux diesel a donc souhaité bonne route aux trois jeunes bolides, sachant que nous aurions la possibilité de discuter plus longuement demain soir puisque nous avons réservé dans le même refuge.

Un peu plus tard, un randonneur pesamment chargé est arrivé en sens inverse. Didier, originaire d’Annecy, était parti de Pont-Saint-Esprit et comptait marcher jusqu’à Grasse sur le GR4. Il m’a expliqué que son gigantesque sac à dos pesait à vide trois kilos mais qu’il était « très confortable ». Didier n’était donc pas MUL pour un sou mais connaissait le concept et même le forum www.randonner-leger.org. Il était très au courant du matériel de bivouac et connaissait en particulier ma tente X-Mid qu’il avait lui-même l’intention d’acheter. Nous nous sommes aperçus en discutant qu’il avait lui aussi rencontré Jean-Bernard, le pélerin de Rome au bâton sculpté d’un serpent que j’ai croisé il y a deux jours. Le monde des longs-marcheurs est petit.

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J 10 – Lundi 23 mai 2022
Rougon -> Refuge de La Maline (km 190)


Dans les gorges du Verdon.

Le sentier Blanc-Martel qui suit la rive droite des gorges du Verdon entre le Chalet de la Maline et le Point Sublime, à Rougon, est un chemin vedette, parcouru chaque année par des milliers de randonneurs. Mieux vaut éviter de le parcourir pendant le week-end ou en été si l’on veut éviter la foule. C’est justement parce que je voulais l’emprunter au cours de la fenêtre de trois jours entre hier dimanche et le long week-end de l’Ascension à venir que j’avais fixé mon départ au samedi 14 mai. Le calcul a été bon : aujourd’hui lundi la fréquentation était acceptable. Parti tôt, ce n’est que sur le dernier tiers du parcours que j’ai croisé, seuls ou en groupes, quelques dizaines de randonneurs allant dans le sens « normal », inverse du mien.

On m’avait beaucoup parlé de la difficulté des échelles métalliques de la Brèche Imbert (j’ai compté 274 marches) et de la montée finale de 300 mètres avant le Chalet de La Maline. En fait, après les dénivelés avalés depuis Menton, cela ne m’a pas paru particulièrement difficile. Il est vrai que le temps a été de mon côté : il a fait beaucoup moins chaud que les jours précédents et je n’ai bu qu’un peu plus d’un litre d’eau, bien loin des trois litres que mon hôtesse d’hier m’avait conseillé d’emporter.

Une bonne journée donc, courte mais bonne. Presqu’un « nero (near zero) day » finalement puisqu’après cinq heures et demie de marche je suis arrivé au Refuge de la Maline peu après midi, ce qui m’a permis d’y déjeuner puis de passer une partie de l’après-midi à faire la sieste et l’autre partie à prendre le soleil sur la terrasse.

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J 11 – Mardi 24 mai 2022
Refuge de La Maline -> Moustiers-Sainte-Marie (km 215)

Les gorges du Verdon au petit matin

Soirée sympathique hier au Chalet de la Maline en compagnie de Lupita, Kevin et Tomaz, les trois jeunes frères et sœur que j’avais rencontrés la veille à Castellane puis sur le chemin vers Rougon. Nous nous sommes retrouvés comme prévu dans le refuge de 42 places (complet !) animé avec une bonne humeur efficace par Fabrice et Cédric. J’ai ensuite partagé un dortoir de quatre avec trois cyclistes hollandais tout à fait sympathiques mais dont au moins deux se sont affrontés une bonne partie de la nuit dans un concours de ronflements. Bouchons d’oreilles aidant, j’ai finalement réussi à m’endormir mais ce ne fut pas l’une de mes meilleures nuits. Réveillé à six heures comme d’habitude, je me suis levé en faisant le moins de bruit possible, j’ai pris mon sac à dos et les quelques affaires préparées la veille et je me suis mis en chemin.

La Route des Crêtes qui mène à La-Palud-sur-Verdon permet aussi d’accéder à plusieurs spots d’escalade. À sept heures du matin, plusieurs aires de parking de bord de route étaient déjà occupées par des adeptes en train de se préparer. Au Belvédère de l’Imbut mon attention a été attirée par le 29 d’une plaque d’immatriculation. « Tiens, des Bretons ! » me suis exclamé à l’intention du couple qui venait de sortir de leur van aménagé. Encore en pyjama et les yeux ensommeillés, Émilie et Thibault venaient de se réveiller en face d’un des plus beaux spectacles qui soient, alors que les rayons du soleil commençaient à pénétrer les gorges. Ce fut une rencontre courte mais lumineuse entre ces deux jeunes sportifs et le marcheur au long cours de passage. Je les salue !

Après La Palud-sur-Verdon, mon parcours aujourd’hui n’a pas été de tout repos. Le chemin s’est d’abord élevé assez régulièrement jusqu’à l’adrech de Barbin à plus de 1.300 mètres avant de suivre les crêtes qui dominent vertigineusement le lac de Sainte-Croix en le contournant longuement par l’est. Arrivé de l’autre côté, il s’est alors transformé en un sentier étroit, très abrupt et recouvert de cailloux qui roulaient sous mes pieds, pour une épuisante plongée de 700 mètres vers Moustiers-Sainte-Marie. Ce soir, mes cuisses et mes mollets ne lui disent pas merci.

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J 12 – Mercredi 25 mai 2022
Moustiers-Sainte-Marie -> Saint-Martin de Brômes (km 246)


Le lac de Sainte-Croix

Pour la première fois depuis mon départ, il a pleuvioté hier soir et pendant la nuit, et ce matin le ciel était tout gris. La météo annonçait de la pluie à partir de dix heures et peut-être des orages dans l’après-midi. Après la rude étape d’hier, ces prévisions me donnaient un excellent prétexte pour décider de ne pas emprunter la variante en hauteur du GR4 qui suit une ligne de crête mais de soigner mes courbatures en marchant aujourd’hui uniquement sur le plat, le long du Colostre, un affluent du Verdon.

C’était compter sans le hasard : peu de temps après avoir quitté Moustiers-Sainte-Marie, je suis tombé sur mes trois compagnons des jours précédents qui venaient eux aussi de repartir. Nous avons continué ensemble en discutant de plein de choses, par exemple du fait que ces trois jeunes gens parlent tous le Breton et que Tomaz, qui l’a même enseigné, travaille maintenant pour une radio émettant principalement en langue bretonne, Radio Kreiz Breizh. Nous avions dépassé de plus d’un kilomètre l’embranchement où nous aurions dû nous séparer lorsque je m’en suis rendu compte. Plutôt que de revenir en arrière j’ai finalement choisi de poursuivre avec eux sur ce qui était pour moi un détour de plusieurs kilomètres au bord du lac de Sainte-Croix avant de remonter sur les hauteurs qui le dominent au nord. C’est là que nos chemins se sont finalement séparés pour de bon.

Quelques minutes plus tard, je suis passé à côté de deux camping-cars dont les occupants m’ont interpellé. Sandrine, Cindy Charlotte, Cyril et Julien commençaient tranquillement leur journée, attablés à côté des véhicules où ils avaient passé la nuit. Ils m’ont invité à boire un verre avec eux. « Merci, un Coca sera le bienvenu ! » et nous nous sommes mis à tchatcher jusqu’à ce que je réalise qu’il était onze heures passées et qu’après ce détour j’avais à peine fait le quart de mon parcours.

Heureusement, tout le reste de la journée s’est passé sur de petites routes allant droit dans la bonne direction et uniquement sur le plat. Des deux côtés les champs de lavande tapissaient le paysage de… vert (il faudra encore attendre quelques semaines pour que la lavande fleurisse) et les coquelicots de rouge. À Montagnac je suis passé devant le Relais des Lavandes où je me suis arrêté pour déjeuner, servi par Valérie que je remercie pour sa gentillesse et son intéressante conversation. Elle m’a en particulier appris que Montagnac est *le* village de la truffe, réputé pour son marché aux truffes qui a lieu tous les dimanches en hiver. Moralité : « il faudra que je revienne ! »

La pluie attendue est finalement arrivée alors que je repartais de Montagnac. Elle m’a accompagné sur toute la fin de mon parcours mais ce ne fut qu’une bruine légère et intermittente, rien qui vaille la peine d’enfiler ma veste de pluie. Mon parapluie a suffi.

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J 13 – Jeudi 26 mai 2022
Saint-Martin de Brômes -> Manosque (km 268)


Il fait chaud !

J’ai retrouvé ce matin le GR4 que j’avais temporairement abandonné hier pour relier (presque) directement Saint-Martin-de-Brômes depuis Moustiers-Sainte-Marie. Court-circuitant le long détour qu’il fait en longeant la rive nord du lac de Sainte-Croix, j’ai ainsi gagné deux journées de marche.

On est souvent amené à faire de type de choix au cours d’une marche de longue durée : vais-je privilégier le chemin le plus direct ou m’autoriser cet écart séduisant ? Faire un détour d’une journée pour passer par les gorges du Verdon était pour moi une évidence mais, peut-être à tort, cela n’était pas le cas pour Sainte-Croix et Quinson. J’ai d’ailleurs été récompensé de mon infidélité au GR par le charme des petites routes désertes entre les champs où j’ai marché, par les rencontres que j’y ai faites… et par les kilomètres parcourus.

En quittant aujourd’hui Saint-Martin-de-Brômes au petit matin, j’ai évidemment débuté ce jour férié par l’Ascension (ah-ah !) de ses petites ruelles endormies jusqu’à la « Tour-musée » qui domine le village avant de rejoindre les gorges du Colostre, rivière qui se jette dans le Verdon à Gréoux-les-Bains. C’était joli, très vert, moins impressionnant bien sûr que les gorges du Verdon mais ce n’est pas la même échelle.

Gréoux-les-Bains est une ville de cure opulente dont les habitants peuvent visiblement se réjouir de la participation de la Sécurité Sociale aux finances locales. Je l’ai rapidement traversée pour continuer mon chemin en une fin d’étape éprouvante car les sept ou huit derniers kilomètres du GR4 avant Manosque se font entièrement sur le goudron d’une piste cyclo-pédestre protégée par un muret de béton de la route à grande circulation qu’elle longe. Mais voyons plutôt le côté positif : cette piste passait dans la zone commerciale de la ville où se trouvait une enseigne de sport bien connue dans laquelle j’ai pu acheter de nouvelles chaussures pour remplacer les miennes dont la semelle partait en morceaux. Adieu, mes fidèles amies, vous qui l’an dernier avez parcouru avec moi tant de chemins d’Italie !

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J 14 – Vendredi 27 mai 2022
Manosque -> Céreste (km 289)


Sur les chemins, sous le beau soleil, seul.

Je n’ai pas pu voir grand chose de la vieille cité de Manosque où tout était fermé hier après-midi pour cause de jour férié et guère plus ce matin à mon départ précoce. Il y flottait toutefois, à travers les nombreuses inscriptions murales, les panneaux, les affiches, un parfum d’histoire, de littérature et de poésie, et l’ombre omniprésente de Jean Giono.

Il faisait beau et déjà chaud, à sept heures et demie, lorsque j’ai quitté la ville pour une étape sans histoire, ce qui bien sûr est parfait puisque « les gens heureux n’ont pas d’histoire ». Je n’ai pas photographié plusieurs des personnes avec lesquelles j’ai discuté et le regrette pour ce couple de la quarantaine qui promenait Prince, un très bel épagneul de deux ans qu’ils étaient allés chercher avant-hier à la SPA et pour lequel ils avaient la sollicitude des nouveaux parents. Ils m’ont raconté avec beaucoup d’émotion l’adoption de ce nouveau chien, plusieurs mois après la mort du précédent, et nos échanges ont duré un bon quart d’heure. Lorsque nous nous sommes quittés, j’ai eu la surprise qu’ils me remercient de les avoir écoutés. Je n’ai pas eu la présence d’esprit de leur demander leurs prénoms ni de les photographier. C’est souvent lors des échanges les plus intenses que je n’y pense pas, ou que je n’ose pas. Ensuite, je le regrette.

Passant à Montfuron en fin de matinée, j’ai aperçu du coin de l’œil dans une ruelle à ma gauche un panneau « Brocante-Café ». Intéressant ! (et puis il faisait soif). L’établissement était bien ce qu’indiquait le panneau : terrasse à l’extérieur pour mon Coca, brocante à l’intérieur. Un client, Laurent, discutait avec le patron d’un oiseau automate en expliquant que lui-même fabriquait en amateur des automates animés par de petites éoliennes. Apprenant mon périple, il a regretté que son travail ne lui laisse pas deux mois de libre pour aller à Compostelle, « mais un jour… »

Ce soir à Céreste, je vais dormir dans le gîte communal, impeccable et très bien agencé. Il était complet hier mais ce soir j’ai le dortoir de sept places pour moi tout seul. Un peu de chance ne fait jamais de mal.

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J 15 – Samedi 28 mai 2022
Céreste -> Apt (km 312)


Paysages du Vaucluse…

J’ai déjà expliqué ici que je suis incapable d’avaler quoi que ce soit au réveil mais, lorsque je dors sous un toit, l’un de mes petits plaisirs du matin est de passer à la boulangerie du village acheter un croissant que je dégusterai une heure ou deux plus tard sur le chemin. Selon la nourriture qu’il reste dans mon sac à dos et les villages que je prévois ou non de traverser, j’achète parfois aussi un sandwich pour le déjeuner.

Ce matin, toutefois, je suis parti de Céreste avant l’heure d’ouverture de la boulangerie. Ni croissant ni sandwich donc aujourd’hui mais, en guise de petit déjeuner, les morceaux de pain pris hier soir dans la corbeille de mon dîner, et à midi mon incontournable cocktail semoule + saucisson. Mon trajet ne passant par aucun village pendant les vingt premiers kilomètres, je m’étais en revanche alourdi de deux litres et demi d’eau, ce que je n’ai pas regretté par des températures dépassant encore les 30°C l’après-midi.

Aucune rencontre aujourd’hui. Jusqu’au village de Saignon, trois kilomètres avant Apt, j’ai marché complètement seul sous le soleil dans les beaux paysages du Vaucluse –&nsbp;puisque je viens de changer de département – et de nouveau sur un Chemin de Compostelle, cette fois-ci la Via Domitia alias GR 653D. Cette voie romaine reliait Rome à la Gaule Narbonnaise ; son tracé est désormais repris en grande partie par la Via Francigena en Italie et par cette variante du Camino en France, permettant de relier Rome à Compostelle via le Mont Genèvre. Elle m’a amené ce soir à Apt, fondée par Jules César et qui fut justement l’une des principales cités de la Gaule Narbonnaise.

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J 16 – Dimanche 29 mai 2022
Apt -> Gordes (km 336)


Gordes

J’ai quitté Apt par la « Véloroute du Calavon », une voie verte qui suit le cours de cette rivière et qui est, à l’évidence, une ancienne voie ferrée désormais réservée aux cyclistes et aux randonneurs. Lorsqu’elles vont dans la bonne direction, ces « voies rapides du marcheur » sont bien pratiques pour avaler les kilomètres et j’ai apprécié de suivre celle-ci pour traverser de larges zones commerciales puis industrielles, heureusement silencieuses en ce dimanche matin. Je m’en suis toutefois lassé assez vite et j’ai préféré la quitter pour faire un détour par le village de Gargas où se trouvent les célèbres mines d’ocre de Bruoux. Hélas, leur visite ne se faisait que sur réservation et le guide n’avait pas de créneau avant 14h30. Tant pis…

J’ai eu plus de chance en arrivant à Roussillon puisque je suis passé devant le Musée de l’Ocre au moment précis où une visite guidée commençait. Le jeune guide était drôle et passionné par son sujet, donc passionnant. J’ai appris plein de choses sur les sables argileux et leur évolution en plusieurs millions d’années vers une argile blanche, le kaolin, dont la coloration par de l’hydroxyde de fer (gœthite) aboutit à l’ocre jaune, tandis que sa coloration par de l’oxyde de fer (hématite) aboutit à l’ocre rouge.

Le village de Gordes a une situation spectaculaire et plusieurs de ses monuments sont très beaux, en particulier son imposant château. Cependant le tourisme a tellement envahi les lieux que je n’ai fait qu’y passer pour me diriger vers l’Abbaye de Sénanque en pensant vaguement y demander l’hospitalité pour la nuit car j’avais peu d’espoir de trouver un endroit propice au bivouac dans ce coin pentu, au sol caillouteux et couvert d’arbustes épineux.

Ce fut donc une bonne surprise lorsque vers 18 heures j’ai repéré un espace un peu dégagé à quelques dizaines de mètres du chemin. Plutôt que de tenter ma chance à l’abbaye, je m’y suis installé. Cette nuit je testerai pour la première fois ma nouvelle tente en conditions venteuses, car il semble que le mistral ait décidé de me tenir compagnie.

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J 17 – Lundi 30 mai 2022
Gordes -> Mazan (km 357)


L’Abbaye de Sénanque.
Encore quelques semaines avant que les lavandes fleurissent !

J’avais bien arrimé ma tente par crainte que le vent ne lui fasse des misères mais en fait le mistral s’est calmé sitôt le soleil couché et la nuit s’est passée sans un souffle de vent. J’ai dormi comme un loir pour me réveiller à six heures au chant du coucou alors que le soleil émergeait tout juste à travers les arbustes entourant mon abri. Le thermomètre accroché à son sommet indiquait dix degrés ; belle amplitude thermique avec les 31°C d’hier après-midi !

Le temps de me réveiller en douceur et de tout ranger, à sept heures j’étais en route, sans savoir si l’angélus qui rythmait mes premiers pas de la journée provenait de l’église de Gordes ou de l’Abbaye de Sénanque. Vingt minutes plus tard j’arrivais devant celle-ci, trop tôt pour visiter le cloître mais suffisamment pour avoir le privilège d’arpenter seul ces lieux avant de véritablement commencer cette journée de marche, sur des chemins caillouteux et pentus toute la matinée.

Encore une fois – c’est le destin – c’est juste à l’heure du déjeuner que j’ai atteint un nouveau village perché, suant et soufflant. Je n’ai pu que me plier aux exigences de l’horloge, de mon estomac et de mes jambes demandant un répit et m’asseoir à une terrasse surplombant la campagne. Je n’avais pas fait attention en regardant la carte au nom de ce village, Vénasque. Ce n’est qu’en y arrivant que j’ai compris s’il s’agissait de la vieille cité des Comtes de Vénasque, l’ancien évêché qui a donné son nom à toute la région, le Comtat Venaissin, et qui reste le siège de nombreux édifices religieux.

Le Pape a quitté ses États depuis longtemps et c’est dans la culture des cerises que la région de Vénasque est maintenant spécialisée. Or, c’est maintenant le temps des cerises ! Le long des routes et des chemins, les arbres croulaient sous les fruits. Montés sur des échelles dans un grand verger, plusieurs personnes en remplissaient de grands paniers. Je n’ai eu qu’à traverser la route pour faire un brin de causette. Miguel et Gabriella étaient venus spécialement de Grenade pour cette récolte. Sans interrompre son travail, Miguel m’a expliqué qu’il faisait cela chaque année : « C’est assez bien payé, ça n’est pas trop fatigant car il n’y a pas besoin de se baisser, et on est à l’ombre des arbres ».

Je venais juste de finir de déguster quelques-unes de ces délicieuses Burlat quand j’ai croisé mes randonneurs de la journée – des randonneuses en fait, Caroline et Amélie, deux sœurs parties ce matin pour faire le tour du Mont Ventoux en six journées de marche. Il était temps, j’étais presque arrivé.

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J 18 – Mardi 31 mai 2022
Mazan -> Malaucène (km 375)


Visible de partout, dominant tout, sa Majesté le Mont Ventoux

Entre un endormissement difficile, une ébauche de lumbago depuis hier et des menaces de pluie sous un ciel tout gris, mon démarrage ce matin manquait d’enthousiasme. Je ne me suis finalement décidé à me mettre en route que vers huit heures mais, comme toujours, l’entrain est rapidement revenu. J’ai d’abord été remis en forme par une discussion avec mon hôtesse, d’origine portugaise, à propos de son magnifique matou qui n’en fait qu’à sa tête (je ne sais plus si j’ai déjà dit que j’aime les chats ?), puis de Saint-Malo qu’elle adore, puis des températures respectives de la mer en Bretagne et en Algarve… Nous aurions pu discuter ainsi toute la matinée mais je suis finalement parti, avec en outre le cadeau d’une banane pour mon futur petit déjeuner.

Ciel gris, disais-je, et par intermittence des gouttes de pluie tandis que j’allais bon train sur de petites routes filant droit entre des vignobles avec, en fond de tableau et dominant tout, le Mont Ventoux. Le temps aujourd’hui était breton : il a fait beau plusieurs fois. En conséquence, mon smartphone est beaucoup resté dans son sac étanche et j’ai fait peu de photos.
Entre Crillon-le-Brave et Malaucène, le chemin est devenu beaucoup plus escarpé, pour escalader une crête puis redescendre de l’autre côté à travers une belle forêt de pins aux long troncs élancés. Sur le parcours, plusieurs grottes dont l’une profonde d’une vingtaine de mètres au moins se prolongeait par un boyau plus étroit dans lequel je n’ai pas jugé prudent de m’aventurer seul. En haut, sur la crête, la petite Chapelle de Piaud a sans doute été le but d’un chemin de croix à en juger par les nombreuses croix de bois plantées en terre le long de ce qui était pour moi la descente et par les trois grandes croix de Golgotha fichées au sommet devant la chapelle.

J’avais suivi l’an dernier la marche de Nicolas Kohn entre Malaucène et Tincry (en Lorraine) et depuis cette époque nous avons échangé des messages personnels à quelques reprises. Ayant vu que mon chemin passait par Malaucène où il possède une maison actuellement inoccupée, Nicolas m’a généreusement proposé il y a quelques jours de m’y arrêter pour y passer la nuit. C’est donc chez lui que je me suis installé ce soir et que j’ai profité du luxe invraisemblable d’une machine à laver ! Tout mon linge en a bénéficié et c’est avec pour tout vêtement ma veste et mon pantalon de pluie, portés à même la peau, que je suis ressorti dîner… alors qu’évidemment le soleil était revenu. Bah, la rando, ce n’est pas un concours de mode, n’est-ce pas ! Marion, la serveuse du restaurant où j’ai dîné et avec laquelle j’ai discuté de randonnée a en tout cas eu l’élégance de ne pas paraître le remarquer.

Demain, après une bonne nuit, je repartirai donc de Malaucène dans des vêtements propres et secs. Merci encore Nicolas !

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J 19 – Mercredi 1er juin 2022
Malaucène -> Vaison-la-Romaine (km 392)


Au fond, à droite, les Dentelles de Montmirail vues sous un angle inhabituel.

J’ai passé une excellente nuit dans la maison de Nicolas – que je remercie encore de sa généreuse hospitalité - et je suis reparti de Malaucène dans des vêtements tout propres et sentant bon alors que les commerçants du marché commençaient tout juste à mettre en place leurs étalages. Huit heures du matin pour commencer à s’installer, il semblerait que les marchés de Provence ne soient pas aussi matinaux que dans d’autres coins de France…

Je suis sorti de la ville par la « route de Suzette » en me demandant qui pouvait bien être la jeune personne en l’honneur de laquelle elle avait été baptisée (et pourquoi…) avant qu’un panneau indicateur ne m’indique que c’était très prosaïquement le nom du prochain village – ce qui, à la réflexion, ne faisait que repousser d’un cran une énigme à laquelle je n’aurai pas eu de réponse. J’ai d’ailleurs quitté la route bien avant d’avoir atteint ce village pour emprunter un chemin s’élevant vers le GRP des Dentelles de Montmirail. De là-haut, la vue était splendide sur les Dentelles (de profil) et sur le village de Suzette à leurs pieds.

En milieu de matinée, j’ai rencontré une troupe d’une vingtaine de randonneurs menés par deux guides. La discussion a été fournie et je salue ceux et celles d’entre eux qui me lisent désormais. L’un d’eux m’a appris que la distance exacte à vol d’oiseau entre Menton et Porspoder n’est pas de 1080 mais… 1083 kilomètres ! On n’est jamais trop précis mais quoi qu’il en soit j’en ferai nettement plus à pied. L’un des guides m’a recommandé de faire un petit détour pour admirer les sculptures exposées au Centre d’Art du Crestet mais, pour son information, celui-ci est maintenant fermé et le bâtiment interdit au public. Selon la charmante patronne du restaurant de ce village où je suis arrivé un peu plus tard, la bâtisse aurait même été mise en vente.

Arrivé à Vaison-la-Romaine en début d’après-midi sous un soleil éclatant et avec encore une fois plus de 30°C au thermomètre, j’ai eu tout le temps de visiter la vieille ville et les ruines romaines avant d’aller prendre une douche fraîche et de m’offrir une petite sieste. La vie est bien dure… Si je n’avais pas ce satané lumbago, tout serait parfait.

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J 20 – Jeudi 2 juin 2022
Vaison-la-Romaine -> Sainte-Cécile-les-Vignes (km 415)


Du soleil, de la chaleur, des vignes… et pas d’ombre !

Départ tout doux ce matin, mes lombes étaient toujours raides mais finalement cela a plutôt mieux été sitôt le sac à dos accroché aux épaules. Après être passé une nouvelle fois devant les vestiges romains, j’ai traversé une partie de Vaison-la-Romaine que je n’avais pas visitée hier, passant en particulier devant la Cathédrale Notre-Dame de Nazareth, bel ouvrage du XIe siècle hélas fermé ce matin.

J’ai ensuite longé les bords de l’Ouvèze, à l’étiage actuellement très bas, dans les coassements des grenouilles et les chants des coucous. On avait du mal à imaginer que ce soit cette même rivière dont la crue brutale consécutive à des précipitations considérables a tout dévasté sur son passage en 1992 et causé la mort d’une quarantaine de personnes. J’ai pu constater en les longeant qu’on a beaucoup reconstruit sur ses rives, y compris à proximité immédiate. Il s’y trouve même une « Zone d’activité » et je n’ai pas vu ce qui empêcherait que les mêmes causes produisent un jour les mêmes effets.

Après avoir suivi pendant quelque temps l’Ouvèze, le chemin s’en est écarté en passant à côté d’une œuvre d’art originale, « Le Jardin des 9 Damoiselles » de Serge et Fabienne Boyer. Il s’agit d’un alignement en cercles multiples de 81 mégalithes gravés (d’images, de maximes, de poèmes…) dont j’avoue ne pas avoir saisi tous les fondements philosophiques et esthétiques mais qui m’a fasciné. J’ai eu du mal à m’en arracher après une longue déambulation entre les pierres.

Le reste de la journée s’est essentiellement passé à marcher entre les vignes, souvent sur des chemins d’exploitation tranquilles, parfois aussi sur le goudron de toutes petites routes heureusement peu fréquentées car les conducteurs des quelques automobiles qui m’y ont frôlé avaient visiblement à cœur d’affirmer leur droit à rouler à 80 km/h !

À Cairanne, je me suis arrêté dans un café pour y déjeuner d’une salade. À la table voisine, un couple de Suisses allemands, Erna et Ernest, avaient fait le même choix. Après quelques minutes, nous avons rapproché nos tables pour discuter plus commodément. L’un et l’autre, malgré leurs dénégations, parlaient un excellent français. Ils m’ont expliqué être Bâlois, passer actuellement des vacances itinérantes dans le Midi de la France et avoir prévu de visiter aujourd’hui quelques domaines viticoles sur la route des vins des Côtes-du-Rhône. Ils étaient familiers de la notion de « thru-hiking », ce mot qui n’a pas vraiment d’équivalent en français car le concept même de « très longue marche » ne fait pas partie de notre tradition, et l’un de leurs amis était même actuellement en Californie sur le PCT (Pacific Crest Trail).

Je suis reparti de Cairanne vers 14 heures sous une chaleur torride qui m’a rappelé, certes à un degré moindre, certaines journées de l’an dernier dans la fournaise des Pouilles. Moins d’une heure plus tard, et bien qu’il ne me restât plus que trois ou quatre kilomètres à parcourir avant la fin de l’étape, je n’ai pas pu résister à l’oasis de fraîcheur créée par l’ombre bienfaisante d’un arbre unique dressé au milieu des vignes. Je m’y suis arrêté, m’y suis installé confortablement et y ai fait une merveilleuse sieste d’une heure et demie.

Lorsque je suis reparti, la chaleur était moins suffocante et j’ai rejoint Sainte-Cécile-les-Vignes d’un pas guilleret, passant à côté de champs de lavande qui, en avance sur tous les endroits où je suis passé depuis Menton, était déjà fleurie, preuve s’il en était besoin du climat particulièrement chaud de la plaine rhodanienne où je vais encore marcher pendant deux jours.

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J 21 – Vendredi 3 juin 2022
Sainte-Cécile-les-Vignes -> Bollène (km 430)


Comme un rappel des Pouilles… il y a un an déjà !

Petite étape d’une quinzaine de kilomètres seulement au programme de la journée car Christophe et son épouse Françoise qui suivent mes longues marches au jour le jour sur Facebook depuis plusieurs années ont eu la gentillesse de m’inviter à passer la soirée et la nuit chez eux. Leur maison à Bollène n’était pas exactement sur mon trajet théorique mais je ne voulais pas passer à côté d’une occasion de faire leur connaissance en chair et en os. Tout l’intérêt d’une longue promenade comme celle-ci est d’être disponible pour toutes les occasions qui se présentent, pas de faire une course de vitesse !

Je suis parti assez tard de Sainte-Cécile-les-Vignes (enfin, tard pour moi, autour de huit heures et demie) et j’ai eu la bonne surprise de découvrir un ciel tout gris. Les nuages n’ont duré que jusqu’à la fin de la matinée avant que le soleil ne reprenne ses droits mais ces quelques heures de fraîcheur inespérée ont été grandement appréciées tant j’avais été marqué par le cagnard d’hier, malgré l’emploi de mon parapluie/parasol.

Je suis arrivé en milieu de matinée à Rochegude ou je me suis offert un petit déjeuner dans un café sympathique. Rochegude n’est pas situé dans le Vaucluse mais dans une sorte de protubérance de la Drôme, département dans lequel j’aurai donc fait une courte incursion, comme ce fut le cas il y a deux semaines lorsqu’avant d’arriver à Castellane j’ai marché pendant quelques centaines de mètres dans le Var en un lieu-dit « Le Logis du Pin » étrangement partagé entre deux communes et deux départements. De même, en franchissant demain le Rhône, je quitterai le Vaucluse pour marcher pendant quelques kilomètres dans le Gard, avant de pénétrer en Ardèche qui sera le quatrième département que je traverserai réellement, après les Alpes-Maritimes, les Alpes de Haute Provence et le Vaucluse. Mais si je voulais frimer, je pourrais dire sans mentir qu’en trois semaines j’ai traversé sept départements, moi, Monsieur !

Peu avant midi, le ciel était toujours couvert mais il faisait chaud et lourd… et soif. Saisissant toutes les occasions de me rafraîchir en chemin (et de discuter), j’ai profité qu’une dame au T-shirt orné d’un autoportrait de Frida Khalo se garait devant chez elle pour lui demander de bien vouloir remplir ma bouteille. Sendrine (avec un E) m’a invité à entrer et nous avons discuté, euh, « quelques minutes », si bien que lorsque je suis ressorti de sa maison le ciel était redevenu tout bleu ! Le début de l’après-midi, après une pause déjeuner à l’ombre des pins, a été semblable à celui d’hier, écrasant de soleil et de chaleur, mais je n’avais plus que quelques kilomètres à parcourir pour arriver, trempé de sueur, chez mes hôtes. Christophe et Françoise et leur fille Léa, m’ont accueilli avec chaleur. Nous avons beaucoup discuté de randonnée, beaucoup ri, bien bu et bien dîné… et je tiens à dire que c’est entièrement de leur faute si ce n’est qu’à minuit passé que j’ai été en mesure de publier le billet du jour ! Hips.

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