Diagonale SE-NO : Centre et Pays de Loire


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J 50 – Samedi 2 juillet 2022
La Souterraine -> Chaillac (km 1.061)

Déjeuner au bord de l’eau.

Le Massif Central est désormais derrière moi : j’ai quitté la Creuse ce matin, j’ai marché quelques kilomètres en Haute-Vienne et je dormirai ce soir dans le département de l’Indre et la région Centre. Toute la journée s’est passée très agréablement sur de toutes petites routes (dit-on encore des « chemins vicinaux » ?) sur lesquelles ne passaient quasiment pas de voitures. Tôt ce matin, la lumière rasante du soleil naissant projetait sur les prairies, les haies et les halliers les ombres mobiles des pales animées par le vent d’une théorie d’éoliennes alignées comme des soldats à la parade.

L’intérêt économico-écologique des éoliennes dans la production d’électricité compense difficilement dans mon esprit la pollution visuelle et sonore que ces champs d’immenses moulins engendrent. Pour le dire plus simplement : d’habitude je trouve ça moche. Pourtant, ce matin – était-ce la lumière, le calme et le silence de cette belle journée débutante, ou bien était-ce juste parce que je me sentais parfaitement bien – je n’ai pas trouvé que ces champs de pylônes enlaidissaient le paysage. J’ai regretté après coup de n’avoir pas pensé à enregistrer quelques secondes de vidéo pour partager ce ballet d’ombres mouvantes qui m’a accompagné pendant un ou deux kilomètres. C’était joli et calme. Même le vrombissement des rotors, peu intense car assez lointain, m’a paru agréablement doux.

Sur le papier (enfin, sur l’écran du smartphone), le chemin à parcourir aujourd’hui paraissait plat, les petites routes ondulaient doucement, sans grandes lignes droites et sans virages prononcés mais ce n’était qu’une impression. En fait, ça montait ou ça descendait tout le temps. Oh, pas de beaucoup à chaque fois mais finalement sur la journée mes jambes pourraient témoigner de dénivelés non négligeables. Au bout d’une vingtaine de kilomètres, j’ai pris vers onze heures un petit déjeuner tardif dans un café à Saint-Sulpice les Feuilles, dans la Haute-Vienne (eh oui, les villages que j’ai traversés aujourd’hui possédaient à nouveau des cafés, et des commerces, et un bureau de poste !). À côté de moi, une cliente demandait en anglais à la serveuse de lui donner du lait pour son café mais celle-ci ne la comprenait pas. J’ai traduit et engagé la discussion. Shirley, anglaise de l’Essex vivait en France depuis dix ans mais ne parlait pas un mot de français. « Le français est trop difficile à apprendre ! ».

Je n’étais pas arrivé au bout de mes surprises. Deux heures plus tard, désormais dans l’Indre à Beaulieu, je me suis arrêté pour déjeuner au restaurant « Le renard roux » dont la propriétaire et serveuse, elle aussi anglaise et en France depuis 2018, ne parlait pas non plus le français ce qui ne la gênait pas vraiment puisque dans la salle tous les autres clients étaient apparemment anglais eux aussi. À la table voisine de ma mienne, Mary et Jenny, deux dames de la cinquantaine, m’ont expliqué avoir quitté le nord de l’Angleterre depuis plusieurs années « parce que l’Angleterre n’est plus ce qu’elle était » avec l’alcool, la pauvreté, la cherté de la vie. Leurs histoires étaient similaires : elles avaient vendu tous leurs biens en Angleterre et acheté, l’une une maison et un magasin de coiffure, l’autre une ferme dans l’Indre. « Ici, tout coûte beaucoup moins cher ! ». Mary parlait un tout petit peu français (« j’ai appris avec les clientes du salon de coiffure »), Jenny pas un mot « mais moi, j’ai la nationalité française depuis trois ans » m’a-t-elle dit avec un grand sourire. Le Brexit ? Mary était pour ( ! ), Jenny pensait que ça ne changeait rien pour elle. Ni l’une ni l’autre n’envisageait de retourner un jour en Angleterre ni de prendre des cours de français. « Il y a beaucoup d’Anglais par ici, nous avons un journal d’informations locales en anglais (the Bugle) et les Français parlent souvent un peu anglais, alors on se débrouille très bien comme ça ! »

Je serais bien resté à discuter avec elles tout l’après-midi tellement j’étais estomaqué mais il fallait que je rejoigne mon gîte à Chaillac. Comme il était situé dans une annexe du musée de minéralogie qui se trouve dans cette petite ville, je suis allé faire un tour dans celui-ci. À l’accueil, Armand m’a expliqué être étudiant en minéralogie et faire ici un stage de trois mois. Nous avons ainsi découvert qu’il était camarade de fac à Beauvais de mon neveu Matthieu ! Un selfie de nous deux lui a illico été envoyé. Le monde est petit… même quand on voyage à pied.

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J 51 – Dimanche 3 juillet 2022
Chaillac -> Le Blanc (km 1.094)

Arrivée au Blanc.

Le gîte communal de Chaillac est un gîte grand luxe. Situé dans une annexe du musée de minéralogie, il ne comprend pas de dortoirs mais huit chambres à deux lits, chacune pourvue de ses douches et toilettes séparées. J’y ai dîné hier des courses faites avant d’arriver à la supérette – ouverte même un samedi après-midi – située juste à côté et y ai remarquablement bien dormi. Qui plus est, l’orientation plein est des chambres m’a permis d’être réveillé à la lumière du soleil levant. Bref, je recommande !

Ayant prévu de dormir ce soir au Blanc, je savais que l’étape du jour ferait de l’ordre de trente-cinq kilomètres et la météo annonçait le retour de la chaleur. Je suis donc parti avant sept heures, accompagné par le chant des coqs. Toute la journée, mon trajet a alterné entre des petites routes semblables à celles d’hier et des chemins souvent rectilignes, allées forestières, chemins d’exploitation entre les champs de blé ou de tournesol ou simples chemins entre des prés à vaches ou à moutons.

Il peut être assommant de marcher ainsi pendant des heures sur de longues lignes droites successives. Avec la pratique, j’ai mis au point quelques trucs qui m’aident à empêcher que cette monotonie se transforme en un pensum ennuyeux : ne jamais penser à la distance restant à parcourir mais évaluer à quelle heure j’arriverai au bout (ou en haut, je fais pareil dans les longues ascensions). Il n’y a plus qu’à occuper cet intervalle de temps en observant le paysage, en chantant (certaines chansons de Brassens ont un rythme à 2 temps ou à 4 temps particulièrement bien adapté à la marche), en évoquant des souvenirs, en tirant des plans sur l’avenir… c’est ainsi qu’on se « réveille » soudain au bout d’une demi-heure en se demandant à quoi on a bien pu penser pendant tout ce temps. La monotonie engendre la méditation, et la méditation évite l’ennui. On peut aussi écrire en marchant… la quasi-totalité de ce paragraphe en est l’illustration !

À partir du milieu de journée, le chant des oiseaux a été de plus souvent accompagné voire recouvert par des coassements indiquant avant même que je la voie la présence d’une mare ou d’un étang. Les plans d’eau sont de plus en plus fréquents : c’est la Brenne. Ce soir je suis arrivé assez tard au Blanc, trop tard pour avoir le temps de visiter l’Écomusée de la Brenne (musée ornithologique) et en ce dimanche soir tout y était hélas fermé mais c’est une jolie ville avec de beaux panoramas sur la Creuse et des restes de l’époque médiévale. La prochaine fois, j’arriverai plus tôt et en semaine !

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J 52 – Lundi 4 juillet 2022
Le Blanc -> La Roche-Posay (km 1.125)

Quatre amis de rencontre.

Depuis quelques jours je file comme le vent ! Jeudi dernier, lorsque je suis reparti de Bourganeuf sous une pluie battante, j’ai résolument mis le cap vers le nord-ouest et depuis lors j’ai déjà parcouru environ cent cinquante kilomètres dans cette direction à travers cinq départements (Creuse, Haute-Vienne, Indre, Indre-et-Loire et Vienne). Il est clair que sur le plat et en grandes lignes droites on parcourt plus vite le pays que sur des sentiers de montagne !

Même si aller vite n’a jamais été un objectif, je dois reconnaître que je n’ai pas été mécontent de laisser derrière moi ce qui fut la partie la moins agréable de ce périple. Marcher dans des territoires déserts n’est pas déplaisant en soi, au contraire même parfois. Ce qui m’a autant perturbé dans cette traversée du sud du Puy-de Dôme et de la Creuse fut le contraste entre d’une part les signes omniprésents de l’emprise de l’homme sur la nature (remembrement, prairies à vaches, clôtures et barbelés partout) et les contraintes que cela impose au promeneur, et d’autre part la quasi-absence de tout ce qui fait la relation humaine : les êtres humains, d’abord et évidemment, peu nombreux et souvent peu enclins aux échanges, et puis les cafés, les boulangeries, les commerces, enfin tous les lieux de réunion et de vie. Je suis sorti de cette portion sinistrée du territoire français avec une conclusion évidente pour moi : quelques soient mes futurs projets de longue marche, il ne sera pas question de traverser la France le long de la « diagonale du vide », mon moral n’y résisterait pas !

Aujourd’hui encore donc j’ai marché en direction du nord-ouest lors d’une étape très agréable malgré sa platitude et la présence de nombreuses lignes droites car la variété a été au rendez vous, que ce soit par les paysages traversés ou par les divers chemins empruntés, petites routes, pistes cavalières, chemins de terre, à travers villages, prés, champs ou forêts. Et puis la lumière aujourd’hui était magnifique, elle m’a imposé d’innombrables pauses photo.

Je suis parti du Blanc sur la Via Sancti Martiri, une « voie verte » cyclable en terre qui relie Montluçon à Tours, visiblement sur le trajet d’une ancienne voie ferrée. Je l’ai quittée au niveau de l’ancienne gare de Pouligny-Saint-Pierre, toujours en place mais réaffectée à je ne sais quel usage, pour partir ensuite sur des chemins ruraux et des petites routes, à travers champs, puis bois, etc., tout au long de ce qui fut donc une excellente journée, quoique vraiment chaude l’après midi. Il semblerait que la canicule revienne, ici aussi ; bonne résolution de ce soir : je vais m’efforcer de continuer à me lever et partir tôt. Et puis, pour les photos, rien ne vaut la lumière encore rasante du matin.

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J 53 – Mardi 5 juillet 2022
La Roche-Posay -> Descartes (km 1.153)

Soleil !

Comme souvent lorsque l’on fait étape sur les bords d’une rivière, la journée a commencé par une petite ascension – oh, rien de considérable, juste quelques dizaines de mètres de dénivelé, exactement ce qu’il fallait pour réveiller le bonhomme après une nuit que j’aurais bien prolongée plus longtemps… Mais le devoir m’appelait ! Mon esprit avait enregistré les consignes que je m’étais données à moi-même hier soir : partir tôt pour marcher le plus possible avant qu’il fasse trop chaud et, en bon petit soldat, il m’a réveillé à cinq heures et demie au lieu de mes six heures habituelles. Grâce à lui, à six heures et demie je marchais déjà dans la campagne surplombant la vallée de la Creuse sur un plateau parcouru de douces ondulations qu’on n’oserait pas appeler des collines.

La journée a beaucoup ressemblé aux deux précédentes. Malgré quelques montées et descentes bien modestes, il s’est essentiellement agi de longues lignes droites dans la forêt ou entre les champs. Il a fait chaud, et même très chaud l’après-midi. À partir de quinze heures, j’ai été tenté à plusieurs reprises de m’arrêter et de planter ma tente à l’ombre dans l’un des très jolis sites de bivouac devant lesquels je suis passé, en sous-bois et surplombant la vallée de la Creuse. Mais, d’une part je n’avais pas assez d’eau pour le bivouac, d’autre part je voulais visiter la maison-musée de René Descartes dans la ville où il est né et qui, de son vivant, s’appelait La Haye (elle a été renommée en son honneur il y a une cinquantaine d’années).

Mauvaise pioche : le mardi, les musées nationaux sont fermés. Le point positif, c’est qu’une fois arrivé à Descartes je n’avais plus qu’à rejoindre le camping… et ses douches ! avant de passer la fin de la journée à l’ombre.

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J 54 – Mercredi 6 juillet 2022
Descartes -> Marcilly-sur-Vienne (km 1.174)

Le long de la Vienne.

Je n’aurais pas dû me forcer à finir ce hamburger hier soir au snack du camping de Descartes. J’avais pourtant bien senti qu’il avait un goût bizarre mais après avoir marché toute la journée, j’étais affamé. Sans trop entrer dans les détails, cela m’a valu deux levers nocturnes (enfin deux passages prolongés de la position allongée dans ma tente à la position assise dans une des dépendances du camping, heureusement assez proche) puis une journée assez difficile à rechercher un (petit, évidemment) coin isolé dans les bosquets ou à espérer la présence d’un café dans le prochain village. Depuis bientôt deux mois que j’ai débuté ce périple et quelle que soit la région où je me trouvais alors, je pense que la réponse la plus fréquente à ma question « est-ce qu’il y a un café dans la commune ? » a été : « Un café ? Il y en avait encore un il a un an/deux ans/pas si longtemps/… mais il a fermé ». Aujourd’hui j’ai eu de la chance, deux villages traversés en possédaient un.

Bref. Parti tôt car réveillé très tôt et pour cause, j’avais parcouru une vingtaine de kilomètres assez jolis – même si je n’en ai pas pleinement profité – le long de la Creuse puis de la Vienne et j’étais, si j’ose dire, vidé, lorsque peu après midi je suis passé devant le camping de Marcilly-sur-Vienne et que je me suis dit que ça suffisait pour aujourd’hui. La journée s’est mieux terminée qu’elle avait commencée puisque j’ai même pu y louer un mobil-home. Douche et toilettes sur place, voilà exactement ce qu’il me fallait, ainsi qu’un lit où j’ai fait presque trois heures de sieste. Ce soir, ce sera bouillon de poulet et coquillettes.

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J 55 – Jeudi 7 juillet 2022
Marcilly-sur-Vienne -> Chinon (km 1205)

Au revoir, petit paradis ! Merci !

La petite voix qui m’a soufflé hier à l’oreille de m’arrêter dans ce camping de Marcilly-sur-Vienne a eu cent fois raison. Ce mobil-home providentiellement libre m’a permis de passer la fin de la journée confortablement allongé à l’ombre et au calme et de me requinquer. Entre la longue sieste de l’après-midi et la nuit qui a suivi, j’y aurai finalement passé plus de douze heures à dormir et ce matin je me sentais en assez bonne forme.

Je suis parti vers six heures et demie pour une première partie inévitable sur le bitume d’une route départementale, heureusement à une heure où la circulation était encore faible car les Fangio du petit matin se croyaient apparemment tous au volant d’une Formule 1 sur la ligne droite des Hunaudières. C’est donc avec soulagement qu’à l’Île-Bouchard j’ai pu traverser une nouvelle fois la Vienne pour marcher tout le restant de la journée sur « la route des vignes », en fait le plus souvent des chemins d’exploitation non goudronnés où les seuls véhicules à moteur que l’on croise sont des engins agricoles. Des vignes ! C’est pourtant vrai, je n’en avais plus vu depuis l’Ardèche. Les deux années précédentes, des côteaux de l’Yonne jusqu’aux Pouilles, il y avait eu presque partout sur mon trajet des vignes et des vins différents à goûter… Bourgogne, Jura, Savoie, Valais, Aoste, Piémont, Toscane, etc… Cette année, la coupure a duré plusieurs semaines mais les vins de Touraine sont désormais là ! (et en Bretagne, pas de souci, je me consolerai avec le cidre !).

Je ne sais plus trop pourquoi le nom de Chinon évoque d’emblée pour moi l’Histoire de France, le Moyen-âge, Jeanne d’Arc, Louis XI… Je n’ai pas révisé et j’y suis arrivé trop tard et trop fatigué par une longue étape pour vérifier mes souvenirs confus et très « roman national » à propos de la place de cette ville dans l’histoire de France mais l’idée que je m’en faisais a été confortée par ce que j’en ai vu en marchant dans ses rues. La ville semble très étendue. Arrivant par l’est, sur la rive droite de la Vienne, j’en ai traversé les faubourgs sur deux bons kilomètres le long de rues assez étroites bordées de hauts murs et de maisons mitoyennes paraissant anciennes avant d’arriver à la Collégiale Saint-Mexme, puis à l’église Saint-Étienne, puis sans transition au centre-ville dont les rues piétonnes sont bordées de maisons paraissant souvent dater de plusieurs siècles.

Après Vaison-la-Romaine, Le Puy-en-Velay, Le Blanc, voilà encore une ville où il aurait fallu que je fasse une pause de vingt-quatre heures pour la visiter. Une autre fois, qui sait ? En tout cas, c’est noté dans mes tablettes.

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J 56 – Vendredi 8 juillet 2022
Chinon -> Montsoreau (km 1.225)

Derrière moi, Chinon, vu depuis le pont Aliénor d’Aquitaine.

La forteresse de Chinon ne se révèle aux regards que depuis la rive gauche de la Vienne. En arrivant hier par l’est le long des étroites ruelles de ses faubourgs, je n’avais pu qu’entrevoir le sommet de la Tour Saint-Georges dépassant du toit des maisons mais lorsque ce matin j’ai traversé la rivière sur le pont Aliénor d’Aquitaine elle m’est apparue tout entière, succession de châteaux et de fortifications se détachant sur le ciel bleu au-dessus de la ville. Comme, depuis hier, j’ai révisé, je me rappelle maintenant que c’est là, et précisément dans le Château du Milieu, que Jeanne d’Arc vint en 1429 depuis sa Lorraine natale prêter allégeance à Charles VII.

C’est donc de nouveau sur sa rive gauche que j’ai suivi la Vienne ce matin, d’abord sur des chemins longeant de près le bord de l’eau, puis dans des bois, puis plus à distance et un peu en hauteur parmi des champs de tournesol et des vignes où j’ai fait la connaissance d’Anne et de Philippe qui maniaient la binette, deux petits humains nettoyant cep après cep un immense vignoble. L’une de mes photos d’hier montrait des ouvriers agricoles pulvérisant un produit, herbicide sans doute, au pied des ceps d’une autre vigne, ce que Nicolas Kohn – qui sait de quoi il parle – a commenté en écrivant que ce n’était sûrement pas bio mais moins éprouvant qu’une binette. C’est en pensant à cet échange que je les ai salués et que nous avons ensuite discuté pendant quelques minutes sans qu’ils interrompent leur travail alors que je les photographiais maniant leur instrument traditionnel et écologique.

Au cours de mes semaines de marche – j’ai achevé la huitième aujourd’hui – il m’est assez souvent arrivé de traverser des villages portant le nom de (Saint)-Martin, au point que cela m’avait marqué (pour ne citer que ceux qui me reviennent à l’esprit : Roquebrune Cap-Martin, Saint-Martin de Brômes, Saint-Martin d’Ardèche, Saint-Martin de Fugères, Tournon Saint-Martin, etc.). On connaît l’histoire de ce soldat romain qui occupe une place particulière dans l’iconographie chrétienne : selon la légende, il donna en hiver la moitié de son manteau à un mendiant avant de quitter l’armée pour devenir ermite puis évêque de Tours. Candes-Saint-Martin, où je suis passé aujourd’hui, est particulièrement en droit de porter ce nom puisque c’est là que Saint-Martin est mort en 397 avant d’être inhumé à Tours où se trouve son tombeau (celui qui se situe dans la Collégiale de Candes est un cénotaphe).

C’est également à Candes-Saint-Martin que j’ai retrouvé la Loire à qui j’avais dit au revoir à Coubon il y a presque un mois. Elle a bien grandi depuis, la petite ! alimentée comme elle l’a été par de nombreux affluents dont la Vienne, elle-même récemment grossie de la Creuse, deux rivières que j’ai suivie l’une puis l’autre depuis plus de dix jours. Le confluent de la Vienne avec la Loire à Candes-Saint-Martin était tout-à-fait spectaculaire aujourd’hui dans la belle lumière de l’après-midi.

C’est donc en longeant désormais la Loire que j’ai fini cette belle journée de marche en rejoignant Montsoreau où j’ai trouvé où me loger pour la nuit chez une dame qui habite… quai Alexandre Dumas ! Demain, je rejoindrai en une courte étape la gare de Saumur où je vais provisoirement interrompre ce périple pour trois semaines de vacances en famille.

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J 57 – Samedi 9 juillet 2022
Montsoreau -> Saumur (km 1.242)

Saumur, où je reviendrai bientôt.

Après tant de jours passés à suivre de longues portions du GR4 depuis Grasse jusqu’à Bourganeuf, puis deux semaines à tracer ma propre route sur des chemins de pays et des petites routes allant vers le nord-ouest, j’ai rejoint hier une nouvelle ligne directrice, le GR3 qui longe la Loire et que je compte suivre sans doute jusqu’à Ancenis. « Longer la Loire » d’ailleurs, semble être un terme un peu inapproprié. Aujourd’hui en tout cas, il l’a plutôt accompagnée à distance. J’ai surtout marché sur les côteaux, apercevant parfois de loin le fleuve en bas d’une falaise dont les abords étaient parsemés de panneaux incitant à la prudence en raison des risques de chute et d’éboulement.

Pour la première fois depuis longtemps il a fait vraiment chaud dès neuf heures du matin dans ces vignes sans ombre alors qu’il n’y avait pas un souffle de vent. À côté du plaisir évident de retrouver ma maison et ma famille, la probable nouvelle vague de chaleur qui s’annonce me console de faire maintenant une coupure dans mon périple.

À force de chercher un raccourci parmi les vignes pour atteindre un chemin plus ombragé, je me suis retrouvé piégé à l’intérieur d’une propriété ceinte d’un mur de pierres que j’ai fini par escalader après l’avoir longé en vain sur quelques centaines de mètres. Il y avait longtemps que je n’étais plus passé par-dessus des portails et des barrières, un peu d’entraînement était sans doute nécessaire ! Quoiqu’il en soit, j’ai ainsi pu atteindre le village de Turquant dont les maisons sont toutes bâties en tufeau, sauf celles qui sont carrément troglodytiques, creusées à même la paroi des falaises de calcaire.

Je ne connaissais pas Saumur, une belle ville dynamique, plus grande que je l’imaginais et dominée par un château splendide. Je n’ai fait que la traverser pour rejoindre la gare dans les temps et n’ai pas eu le temps de la visiter. Comme je l’ai dit pour d’autres cités où je n’ai fait que passer trop vite, « il faudra que je revienne ». Mais dans ce cas précis, c’est prévu ! Dans trois semaines, pour être précis.

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J 58 – Mercredi 3 août 2022
Saumur -> Gennes (km 1.264)

Sur les bords de la Loire.

Quand il fait chaud, mieux vaut partir tôt ! Or mes horaires de lever (et de coucher) ont été beaucoup plus tardifs pendant mes trois semaines de vacances que ce qui est mon habitude lorsque je marche. Comme on n’est jamais trop prudent, j’avais donc programmé hier soir une alarme à six heures du matin. Eh bien, j’avais eu tort de ne pas faire confiance à mon horloge interne : je me suis réveillé spontanément deux minutes avant que l’alarme ne sonne et comme il est beaucoup plus rapide de lever le camp quand on ne bivouaque pas, à six heures et demie j’étais parti.

Il faisait beau, pas encore trop chaud, et la lumière du matin était splendide sur les bords de Loire. Jusqu’à dix heures environ, tout a été parfait. La température montait progressivement mais elle restait d’autant plus tolérable que les chemins étaient souvent ombragés, y compris quelques kilomètres goudronnés pendant lesquels le GR3 a suivi le trajet de « La Loire à vélo » sur une jolie petite route où, effectivement, les bicyclettes étaient assez nombreuses. C’est là que j’ai croisé Pascale, arrivant à pied en sens inverse pour une boucle de quelques jours depuis Angers, en bivouac et quasi-autonomie et en tirant derrière elle avec un harnais un chariot qui m’a paru horriblement lourd. Bien évidemment, je n’ai pas pu m’empêcher d’aborder le sujet du poids de son équipement et j’ai eu l’impression de prêcher une convaincue après quelques journées apparemment difficiles. En tout cas, elle connaît désormais l’adresse du forum randonner-léger !

La matinée avançant, la température a continué à augmenter et les frondaisons ont disparu. Malgré mon parapluie utilisé comme ombrelle et bien que j’aie pu boire abondamment grâce à mes réserves et à trois cimetières successifs, je suis arrivé vers treize heures à Gennes totalement éreinté. La chaleur de l’air était telle, sans un souffle de vent, que j’avais même un peu de mal à respirer. Un « restaurant de poulet » (où l’on ne servait que du poulet, rôti ou en salade) m’a alors tendu les bras – enfin, les accoudoirs. Le temps de reprendre mes esprits et mon souffle et de boire un Coca et une bière en déjeunant, j’ai pu constater que le thermomètre accroché au mur indiquait la même valeur que celui de ma montre : 39°C à l’ombre. Il y avait un hôtel avec des chambres libres à 300 mètres de là, je ne suis pas allé plus loin. Quel bonheur de passer dix minutes sous une douche froide !

Pour demain, la météo annonce une baisse des températures (parler de baisse des températures pour 30-31°C, c’est un peu bizarre quand même…) et peut-être même un peu de pluie. Qui vivra verra, à chaque jour suffit sa peine.

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J 59 – Jeudi 4 août 2022
Gennes -> Juigné-sur-Loire (km 1.297)

Hélas, rien à faire pour planter ma tente dans ce sable !

Mon horloge interne a de nouveau bien fait son travail. Elle m’a réveillé à cinq heures et demie si bien qu’à six heures et quart j’étais parti. Je n’avais pas réalisé jusqu’à ce réveil précoce à quel point les jours ont déjà raccourci : le soleil n’était pas encore levé. Je me suis mis en route dans une aube grise et un peu moite puis à la lumière d’une aurore devenant bleue et rose. Le ciel était chargé de nuages et à deux reprises il est même tombé quelques gouttes bien insuffisantes pour corriger les effets très visibles de la sécheresse : fougères desséchées, tournesol brûlés… Même un champ empli de petits arbres qui m’ont semblé être des bébés peupliers n’était plus qu’une désolation roussie.

J’avais déjà remarqué hier la quasi-absence de chants d’oiseaux. Où sont passés les rossignols, les fauvettes, les mésanges, les merles, les coucous ? Je ne sais pas si la chaleur en est aussi responsable mais depuis Saumur les seuls oiseaux que l’on entend de temps en temps sont les pigeons. En revanche, j’ai vu plusieurs fois des chevreuils, deux fois hier, trois fois aujourd’hui, et à deux reprises il s’agissait d’un joli couple gambadant de concert.

Le tracé du GR3 restait aujourd’hui à distance de la Loire, empruntant des sentiers forestiers, quelques pistes, des chemins d’exploitation entre les champs et les vignes et de toutes petites routes goudronnées désertes de voitures. J’ai bien avancé mais lorsqu’en fin d’après-midi j’ai constaté que les gîtes et chambres d’hôtes étaient tous complets, je me suis écarté du GR pour chercher un site de bivouac. C’est alors qu’un véritable feuilleton à épisodes a commencé…

Premier épisode : j’ai repéré sur la carte une petite île sur la Loire — dénommée « Belle-Île » ce qui était encore plus tentant — uniquement accessible depuis la rive gauche du fleuve en empruntant un gué et je me suis dis qu’avec un peu de chance j’y serais bien tranquille pour planter ma tente. Hélas, une fois le petit bras de fleuve traversé je suis tombé sur des barrières et des panneaux PROPRIÉTÉ PRIVÉE – DÉFENSE D’ENTRER (ils auraient pu prévenir avant que je traverse !). J’ai fait demi-tour et ai regagné la rive que j’ai longée sur quelques centaines de mètres à la recherche d’un autre « spot »… que j’ai trouvé. Re-hélas ! J’ai rapidement fait la démonstration qu’installer sur du sable une tente non-autoportante en y plantant deux bâtons et des sardines était une entreprise irrémédiablement vouée à l’échec. J’ai dû remballer mon matériel et chercher un autre endroit.

Il était dix-sept heures passées et j’avais dans les pattes 33 kilomètres parcourus par 32°C (ou l’inverse) ; j’ai donc décidé de m’installer sur une zone de pique-nique, trois tables avec bancs sur un grand carré d’herbe, située à côté du chemin qui longe la rive. J’ai hésité à choisir un tel endroit car je n’aime pas être visible lorsque je bivouaque mais il se faisait tard. Après avoir attendu une dizaine de minutes pour m’assurer qu’il ne passait plus personne, j’ai sorti mon barda et ai monté la tente à côté de la table la plus en retrait… et cinq minutes plus tard un groupe de quatre types est arrivé et s’est installé à une autre table avec des packs de bière en discutant et rigolant bruyamment. Je me suis tâté quelques minutes mais lorsque deux autres personnes sont arrivées en moto j’ai pris mes cliques et mes claques et ai une seconde fois replié ma tente !

Bon, finalement, j’ai trouvé vers dix-neuf heures un endroit quelconque – mais isolé et tranquille ! – dans une hêtraie d’où j’espère qu’aucune catastrophe ne m’obligera à décamper pendant la nuit.

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J 60 – Vendredi 5 août 2022
Juigné-sur-Loire -> Rochefort-sur-Loire (km 1.321)

Un bon bivouac, finalement. Mais quel triste silence au réveil !

L’orée du bois où je me suis installé hier soir après ces quelques péripéties était finalement un bon endroit où j’ai été parfaitement tranquille. Dans la soirée un orage a tourné et retourné dans le ciel pendant une bonne heure mais aucune pluie n’a accompagné les éclairs et le tonnerre qui ont eu la courtoisie de s’arrêter lorsqu’est venue l’heure de dormir.

Après une excellente nuit je me suis réveillé dans un silence inhabituel : il n’y avait pas un gazouillis dans ce petit bois qui aurait dû être peuplé de petites boules de plumes. Tout juste ai-je entendu au loin le chant d’un coucou tandis que je démontais ma tente et à quelques reprises des roucoulements de pigeons. Je ne sais pas si cela est dû à une particularité de ce coin du Val de Loire (mais pourquoi en serait-il ainsi ?) ou si les vagues de chaleur successives de ces derniers mois en sont responsables mais je me demande vraiment où sont passés les passereaux.

Le temps de ranger mon matériel et de plier la tente, il était déjà sept heures et demie lorsque je me suis mis en route sur des chemins qui, aujourd’hui, suivaient presque uniquement le cours du Louet, un des bras de la Loire d’une vingtaine de kilomètres de long. Ils le suivaient d’ailleurs souvent d’un peu loin en lignes droites qui faisaient des zig-zags à distance du cours d’eau. J’ai beaucoup marché en longues lignes droites aujourd’hui.

Les épiceries, boulangeries, cafés se faisant rares et beaucoup de ceux qui restent étant fermés en août, il était prudent que je me ravitaille pour quelques jours avant le week-end. Sur la carte, Mûrs-Érigné qui se trouve en face d’Angers, sur la rive gauche de la Loire, semble une assez grande ville. Je pensais donc y trouver tous les magasins désirés. Mais son unique boulangerie était fermée et les habitants auxquels je me suis adressé m’ont tous fait la même réponse : « Oh il n’y a plus aucun commerce à Mûrs, ils ont tous fermé depuis des années. Mais il y a tout ce qu’il faut à l’Hyper-U ! » En effet. Un gigantesque centre commercial avec des galeries marchandes et un « Drive » se trouve en plein centre de la ville, entouré de plusieurs grands parkings, et les clients y étaient nombreux. J’ai pu faire mes courses mais quelle tristesse et quelle différence avec l’Italie où j’ai marché ces deux dernières années. Là-bas, même le plus petit village possède au moins une trattoria/café/épicerie où les habitants (et les randonneurs de passage) se rencontrent et discutent.

Journée un peu triste donc, et bien chaude encore l’après-midi. Le camping de Rochefort-sur-Loire où je me suis arrêté vers dix-sept heures est heureusement bien ombragé et l’accueil par Sandrine et Adèle y a été sympathique. J’avoue toutefois que je compte me coucher sans assister à la « Super-soirée Cabaret » du vendredi soir à laquelle elles vont participer… et que je vais dormir avec mes bouchons d’oreilles.

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J 61 – Samedi 6 août 2022
Rochefort-sur-Loire -> Le Mesnil-en-Vallée (km 1.354)

La Loire à Chalonnes-sur-Loire.

Excellente journée aujourd’hui ! Je me suis réveillé en forme après avoir très bien dormi dans cet agréable camping de Rochefort-sur-Loire. La « Soirée Cabaret » du vendredi soir a pourtant duré au moins jusqu’à minuit et demie puisque j’en ai entendu les échos lors de mon premier réveil à cette heure-là, mais avec mes bouchons d’oreilles je me suis immédiatement rendormi.

Je parle de premier réveil car – comme tout le monde même si on ne se le rappelle souvent pas quand on dort dans son lit – je me réveille très régulièrement en bivouac, toutes les 90 minutes environ, suffisamment pour m’en rendre compte, regarder l’heure et, ces derniers temps, souffler trois ou quatre bouffées dans mon matelas autodégonflant, mais pas assez pour que cela m’empêche de me rendormir dans la minute. En fait, non seulement ça ne me gêne pas mais j’aime bien ces courts réveils où on a le plaisir de se rendre compte que l’on dort.

Au lieu de suivre comme hier le GR3, j’ai eu envie ce matin d’emprunter d’abord le tracé du Chemin Sauvage qui avait l’avantage de rester à l’ombre des sous-bois qui bordent en cet endroit la rive gauche de la Loire mais en fait je me suis vite rendu compte qu’il était trop tôt pour que le soleil tape. Au bout de quelques kilomètres j’ai donc préféré grimper un peu pour atteindre la Corniche Angevine puis les Côteaux du Layon d’où la vue était dégagée des deux côtés, à droite sur l’autre rive de la Loire et à gauche sur la vallée du Layon.

J’ai ainsi marché à nouveau parmi les vignes pendant une bonne partie de la journée mais la chaleur est restée supportable, sans doute autour de trente degrés. En fin d’après-midi je me suis mis à la recherche d’un bivouac en bord de Loire, espérant trouver un « petit coin d’herbe avec vue » mais je n’ai rien trouvé et ai finalement choisi un bel endroit, à l’orée d’un bois, face à l’ouest pour voir tout à l’heure le soleil se coucher sur les prairies et les champs de blé fauchés.

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J 62 – Dimanche 7 août 2022
Le Mesnil-en-Vallée -> Ancenis (km 1.377)

D’eux ou moi, qui fut le plus surpris ?

Hier soir après dîner je me suis assis le dos contre l’un des arbres de l’orée du bois en tournant le dos à ma tente pour regarder le soleil se coucher et voir les champs et les bois des alentours s’enfoncer lentement dans l’obscurité. Il faisait moins chaud, j’étais propre et bien hydraté, j’avais le ventre plein, j’étais bien. À une trentaine de mètres, une ombre a précautionneusement traversé le champ devant moi. Une biche. Il faisait déjà trop sombre et elle était trop loin pour que je la voie distinctement (et elle ne m’a pas vu non plus) mais j’ai attrapé mon smartphone et ai quand même pris deux photos… où on ne la distingue pas.

J’avais encore le smartphone à la main lorsque, quelques secondes plus tard, des grognements m’ont fait tourner la tête : à deux mètres de moi, deux jeunes sangliers me regardaient avec curiosité, se demandant visiblement ce que cet animal bizarre faisait là. Nous nous sommes dévisagés pendant plusieurs secondes presque sans bouger, ce qui m’a permis de prendre plusieurs photos, jusqu’à ce que de nouveaux grognements derrière moi m’amènent à me mettre à genoux et à me retourner pour regarder, un peu inquiet, ce qui se passait derrière l’arbre contre lequel je m’appuyais. Ce mouvement a déclenché la débandade des deux jeunes curieux accompagnée par celle du modèle de la taille du dessus – leur mère à coup sûr – qui se trouvait à côté de ma tente, juste derrière l’arbre contre lequel je m’appuyais. Je n’ai pas eu le temps d’être effrayé et me suis couché ravi de cette rencontre. L’auvent de mon abri laissé grand ouvert pour contempler la lune croissante, je me suis vite endormi et ai passé une excellente nuit.

Il n’y avait aucune voiture en ce dimanche matin sur la petite route longeant le bord de la Loire jusqu’à Saint-Florent le Vieil mais à partir de huit heures j’ai quand même dû faire attention à bien rester sur la gauche de la voie en raison du passage rapide de multiples vélos montés par des cyclistes en tenues fluo. Après Saint-Florent, le GR a suivi un chemin pédestre étroit, également parcouru par quelques vélos mais il s’agissait alors de VTT qui n’allaient pas à la même vitesse que les précédents — et dont les cyclistes portaient des costumes moins flashy.

Je me suis arrêté pour déjeuner sur une grande aire aménagée sur les bords de la « Boire de Sainte Catherine » (rien à voir avec le fait qu’il faisait soif : en parler angevin, une boire désigne un étang, souvent issu du cloisonnement d’un bras de la Loire par des alluvions). Les tables de pique-nique étaient toutes occupées mais en me voyant chercher où m’installer, une tablée de huit personnes m’a cordialement invité à m’asseoir en se serrant pour me faire de la place. Un peu plus tard je goûtais à leurs tomates et à leur charcuterie, accompagnées d’un peu de rosé. C’est un grand plaisir que ces sympathiques rencontres impromptues. C’est donc tout gaillard que je suis reparti vers Ancenis où j’ai traversé la Loire et où je vais passer la nuit dans un lit.

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J 63 – Lundi 8 août 2022
Ancenis -> Saint-Mars-du-Désert (km 1.400)

Un dernier regard sur la Loire.

Après avoir passé une semaine à suivre la rive gauche de la Loire, j’ai fini par la traverser hier sur le pont d’Ancenis. J’avais prévu sur mon tracé préparatoire qu’une fois sur l’autre rive, je partirais tout droit vers le nord-ouest avec en ligne de mire ce qui est désormais mon nouvel objectif intermédiaire, Redon – ma porte d’entrée en Bretagne !

Toutefois, cela aurait imposé de marcher dès ce matin sur des petites routes goudronnées car aucun chemin de randonnée ne part dans la direction souhaitée. Sur les conseils de Mathilde, la serveuse adepte de randonnée du sympathique bistro où j’ai dîné hier soir (bistro que j’avais d’ailleurs été bien content de dénicher en ce dimanche soir du mois d’août), j’ai choisi de prolonger ma promenade d’une douzaine de kilomètres vers l’ouest en continuant de suivre la Loire jusqu’à la petite ville d’Oudon. De là, je suis remonté sur les petites hauteurs de la rive droite pour un dernier regard sur le fleuve.

Au point panoramique qui jouxte la chapelle de Saint-Méen, j’ai rencontré Séverine et Isabelle, assises sur un banc pour profiter du paysage tout en déjeunant pour compenser les efforts fournis en randonnant avec les deux bergers australiens de la première. Nous avons évidemment parlé de randonnée et en particulier de mon périple actuel (j’ai sans doute parlé la bouche pleine car Séverine m’a fait déguster un gros morceau de son délicieux rouleau au jambon et courgettes). Elles m’ont permis de vérifier que je ne suis toujours pas un pro des selfies (mais elles dont toutes les deux très bien sur les photos) avant que je les quitte, ainsi que le GR3 et les bords de Loire, pour repartir cette fois-ci sur des petites routes en direction du nord-ouest.

Ce soir j’ai planté ma tente dans l’angle nord-ouest d’un champ à vaches – sans vaches – et à faible distance des haies pour la protéger d’un vent étonnamment fort alors que le ciel est vide de tout nuage. J’ai fermé l’abside ouest de ma tente pour couper le vent mais je vais laisser l’autre abside ouverte, par laquelle je pourrai voir demain le soleil levant.

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J 64 – Mardi 9 août 2022
Saint-Mars-du-Désert -> Nort-sur-Erdre (km 1.420)

Le mur de l’école Saint-Martin, à Saint-Mars-du-Désert.

Les quelques kilomètres parcourus hier après-midi à partir d’Oudon m’ont fait changer de planète. Les bords de Loire lumineux et parsemés de beaux villages le long desquels je marchais depuis sept ou huit étapes ont cédé la place à un mélange de cultures maraîchères, de fermes d’élevage et de zones pavillonnaires. Ici, ce n’est plus vraiment le Val-de-Loire, c’est la « Petite Vendée » dont me parlaient ce matin le couple de randonneurs que j’ai rencontrés sur la voie verte allant au village de Saint-Mars-du-Désert. Christine et Jean-Luc, eux-mêmes Marsiens, m’ont rassuré sur la présence d’une boulangerie ouverte dans leur commune aujourd’hui.

J’ai donc profité de cette voie verte, (forcément verte, pour aller chez les Marsiens !) pour rejoindre ce village près duquel eut lieu en août 1795, par une chaleur peut-être aussi torride qu’aujourd’hui, la « Bataille de la Cerisaie » au cours de laquelle un bataillon républicain fut exterminé dans une embuscade tendue par les chouans. J’ai ensuite surtout marché dans des paysages de campagne, sur des routes désertes s’allongeant entre des champs entourés de haies ou de barbelés. J’ai revu des vaches et des fermes et j’ai de nouveau entendu le chant du coq, comme une réplique de mon passage dans le Limousin. La principale différence étant l’actuel début de la période d’ensilage… À la place des vignes de ces derniers jours, j’ai longé des prairies à vaches, des cultures maraîchères et des serres. Ne sachant pas reconnaître les grandes plantes que l’une de ces dernières contenait, j’ai posé la question à un groupe de quatre ouvriers agricoles qui travaillaient en plein soleil dans un vaste champ de bettes… aucun d’eux ne comprenait le français.

En résumé cette journée n’aura rien eu de mémorable. Il a fait encore très chaud et d’après la météo ce n’est pas fini. Cela va probablement m’amener à raccourcir mes étapes à des distances de l’ordre de vingt kilomètres, comme je l’ai fait aujourd’hui, pour me mettre à l’ombre dès le début de l’après-midi.

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J 65 – Mercredi 10 août 2022
Nort-sur-Erdre -> Le Gâvre (km 1.449)

Le Canal de Nantes à Brest, peu après Nort-sur-Erdre.

J’ai eu du mal à émerger ce matin ; apparemment le confort d’un bon lit ne me réussit pas ! II était presque sept heures lorsque je me suis levé mais comme je n’avais pas besoin de remballer le matériel de bivouac, j’ai traversé avant huit heures la ville de Nort-sur-Erdre où j’ai pu acheter un croissant et un sandwich pour midi. Son église Saint-Christophe est impressionnante, une grande bâtisse de la fin du 18e siècle avec un intérieur somptueux. De manière me semble-t-il inhabituelle dans cette région, son clocher est un beffroi mais il semble plus récent et il fait pâle figure à côté de l’église proprement dite.

Très rapidement après la sortie de la ville j’ai rejoint le Canal de Nantes à Brest que je devrais désormais être amené à suivre souvent jusqu’au terme de mon périple. J’ai toutefois l’intention de lui faire de nombreuses infidélités, parfois pour raccourcir le trajet, parfois aussi sans doute dans le simple but de varier les plaisirs. Aujourd’hui je l’ai suivi sur une dizaine de kilomètres avant de le quitter à La Chevallerie pour me diriger vers la forêt du Gâvre. Ces kilomètres au bord du canal ont été agréables car souvent à l’ombre des arbres et rythmés par les écluses successives.

Ma première écluse, celle de Cramezeul, était prise en charge par une jeune fille, Margaux, dont c’était le « job de vacances ». Je peux témoigner qu’elle a supervisé de manière magistrale le passage du bateau qui est arrivé alors que j’étais là ! Un peu plus tard, dans le café de La Chevallerie où j’ai bu un Coca en mangeant mon sandwich, j’ai discuté avec Julien, actuellement en vacances mais lui aussi éclusier sur le canal, à la Remaudais. Il m’a expliqué que le niveau des eaux était si bas que l’on craignait qu’il ne soit plus possible de remplir les écluses en septembre et qu’il faille alors interrompre la navigation.

Un peu plus tôt, alors que je longeais encore le canal, j’avais rattrapé un randonneur dont l’énorme sac à dos dépassait sa tête d’une bonne vingtaine de centimètres. Philippe (quel joli prénom !) venait d’arriver à Nort-sur-Erdre en train depuis Toulouse et allait suivre le canal de Nantes à Brest jusqu’à Redon puis la Vilaine jusqu’à Rennes. Nous avons commencé à discuter mais quand il a su que je marchais depuis Menton avec ce sac à dos pesant le tiers du sien et que, oui, j’avais une tente, et un duvet, et un matelas, et que je ne manquais de rien, et que j’avais même des choses qu’il n’avait pas (l’autonomie électrique par exemple) il s’est refermé comme une huître ! Nous nous sommes donc séparés assez vite… et il m’a jamais rattrapé !

L’après-midi a été caniculaire mais je l’ai bien supporté grâce à mon ombrelle, des pauses à l’ombre courtes mais fréquentes (au moins cinq minutes toutes les heures), des boissons très abondantes et en gardant en permanence sur la tête ma casquette mouillée. Je pense avoir bu environ cinq litres sur la journée. Cela dit, je me suis rendu compte ce soir que je n’ai pas pris une seule photo pendant tout l’après-midi. En tout cas, cela m’a permis de ne pas finir particulièrement fatigué une étape de près de 30 km jusqu’au camping du Gâvre où je vais passer la nuit.

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J 66 – Jeudi 11 août 2022
Le Gâvre -> Guémené-Penfao (km 1.472)

De l’avantage de se lever tôt…

Ce que c’est qu’avoir des goûts de luxe ! Alors que ma tente était plantée tout au fond du camping, par hasard à quelques mètres d’une brèche dans sa clôture qui permettait d’accéder directement à la forêt du Gâvre que j’allais traverser ce matin, mon envie de viennoiseries au petit déjeuner a été la plus forte et je suis parti dans la direction opposée vers la boulangerie du village. J’ai été bien puni de ma gourmandise en tombant sur le panneau « Congés annuels » collé à sa vitrine. Au total, deux kilomètres inutiles pour débuter la journée, ça agace un peu mais ce fut la seule petite mésaventure d’une bonne journée, solitaire mais riche.

J’ai donc pénétré vers huit heures dans la forêt du Gâvre, plus grande forêt de Loire-Atlantique. C’est aussi pour profiter de son ombrage pendant plusieurs heures que j’avais choisi hier de me diriger vers Le Gâvre puis aujourdhui vers Guémené-Penfao au lieu de continuer à suivre le Canal de Nantes à Brest pour rejoindre Redon. La canicule continue en effet à sévir. Cet après-midi (j’avais alors fini de traverser la forêt) il faisait 36°C à l’ombre – et il n’y avait pas beaucoup d’ombre – tandis que je longeais beaucoup de prés fauchés et de champs de haricots. Mais ce matin, dans la forêt, il faisait bon, avec même suffisamment d’humidité pour que de nombreux moustiques assoiffés de sang soient à l’affût de mes mollets. En revanche, il y avait toujours aussi peu d’oiseaux. Je n’ai entendu qu’une mésange charbonnière, deux ou trois autres oiseaux que je n’ai pas identifiés et bien sûr les indestructibles pigeons.

J’avais regretté que mes étapes me fassent traverser cette forêt le matin, aux heures les moins chaudes de la journée, mais c’est en fait bien tombé car depuis le début de la semaine un arrêté préfectoral interdit à quiconque de pénétrer dans les massifs forestiers de Loire-Atlantique entre midi et cinq heures du matin. C’est la même logique qui m’avait amené à voir hier affichée au cimetière de Nort-sur-Erdre l’interdiction de prendre de l’eau aux robinets après dix heures du matin. J’imagine mal comment le respect de ces interdictions sera mis en œuvre mais cela traduit bien l’extrême gravité de la sécheresse à laquelle nous faisons face.

Pour rester dans le positif et le léger, la traversée de cette forêt fut agréable et relativement fraîche, avant que je la quitte pour suivre le « circuit des trois rivières » (Canal de Nantes à Brest, Don et Vilaine) jusqu’à Guémené-Penfao. A propos de cette petite ville, deux précisions s’imposent pour que nous allions tous nous coucher plus savants : d’abord, son nom se prononce « Guémné Pinfo » ; ensuite, ce n’est pas de là que vient la célèbre andouille mais de Guémené-sur-Scorff, dans le Morbihan. Bon appétit !

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J 67 – Vendredi 12 août 2022
Guémené-Penfao -> Redon (km 1.506)

J’arrive en Bretagne… qui le croirait ?

C’était jour de marché à Guémené-Penfao. Lorsque ce matin j’ai traversé la ville, les marchands préparaient leurs étalages. J’étais leur premier et encore seul client lorsque j’y ai acheté de quoi faire mon repas de midi. Au-dessus des étalages et des toits volaient des hirondelles ! Il y avait bien longtemps que je n’en avais plus vu.

Les premiers kilomètres de cette longue étape ont emprunté une sorte de longue tonnelle formée par les feuillages des arbres bordant de part et d’autre le GRP des Trois Rivières qui a ensuite emprunté des petites routes désertes puis des sentiers sous les arbres ou, plus inattendu ici, dans le maquis pendant un ou deux kilomètres autour du « Rocher du Veau ». On se serait cru dans le midi, y compris pour le cagnard qui tapait sur cette zone sans ombre, bien qu’il ne soit alors que dix heures du matin.

Vers 13h30 je me suis arrêté à l’ombre d’une grande haie, adossé à des noisetiers pour déguster jambon, fromage et pain frais du marché avec en dessert des mûres cueillies à trois mètres et un concombre de son jardin offert par une gentille dame à qui j’avais demandé de l’eau une heure plus tôt. Une petite sieste de vingt minutes a complété ce moment savoureux… mais la reprise sous le soleil de quinze heures a été rude.

Je suis arrivé à Redon vers dix-sept heures et me suis dit « Ça y est, aujourd’hui je suis en Bretagne ! » Après toutes ces régions et ces départements traversés, me voici en Ille-et-Vilaine. J’ai célébré cela en commençant par faire des courses pour trois jours en prévision du long week de l’Assomption à venir, pendant lesquels il sera sans doute difficile de s’approvisionner. J’ai ensuite rejoint la maison où je vais passer la nuit. Après Nicolas à Malaucène, puis Françoise et Christophe à Bollène, j’ai été invité par Guichen, un contributeur régulier du forum randonner-léger avec lequel j’ai marché l’hiver dernier lors d’une randonnée mémorable d’un jour et demi avec bivouac entre Saint-Malo et Cancale, par un temps épouvantable, pluie, vent, orage et grêle. Une agréable soirée en perspective.

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