Diagonale SE-NO : Massif central


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J 22 – Samedi 4 juin 2022
Bollène -> Saint-Julien-de-Peyrolas (km 459)

La traversée du Rhône !

Lorsqu’on construit une longue marche comme celle-ci, on se fixe toujours plus ou moins consciemment des objectifs intermédiaires. Pour moi, le Rhône était l’un de ceux-ci, ou plus précisément cette zone de quelques dizaines de kilomètres comprise entre le Rhône et Vallon-Pont-d’Arc à partir de laquelle je quitterai le Midi pour entamer la longue remontée du Massif Central.

Et aujourd’hui, ça y est, j’ai atteint le Rhône ! Atteint et franchi, changeant ainsi de département et de région. Au revoir la Provence (« région PACA », c’est vraiment moche, non ?), je suis ce soir en Occitanie – presque par accident pour quelques kilomètres de marche dans le Gard – avant d’arriver demain en Ardèche, dans la « région Auvergne-Rhône-Alpes » dont je vais parcourir les chemins pendant plusieurs semaines.

Après avoir fait mes adieux à Léa, Françoise et Christophe en leur renouvelant mes remerciements pour leur accueil simple et chaleureux, j’ai repris mon chemin à travers la pinède qui recouvre le massif d’Uchaux, sur de larges pistes tapissées de sable et de petits cailloux. À cette heure précoce et à l’ombre des grands pins, il y faisait encore très agréablement frais. C’est là que j’ai rencontré Lionel promenant son chien Nahor. On fait parfois des rencontres de quelques minutes qui nous marquent, sans qu’il soit toujours possible d’expliquer pourquoi. Celle-ci en fait partie mais Lionel ne lira sans doute jamais ce billet. Il m’a appris que le nom de son chien, Nahor, signifie « l’homme heureux » en hébreu. Je souhaite que ce nom puisse aussi souvent que possible s’appliquer également à lui-même.

Après Mondragon, les six ou sept kilomètres jusqu’à Pont-Saint-Esprit sont une sorte de no-man’s land où le marcheur doit suivre des routes goudronnées ou des pistes cyclables avec le plus souvent des automobiles passant juste à côté. Je suis successivement passé sous une voie ferrée ; au-dessus de l’Autoroute du Soleil ; au-dessus du Canal de Mondragon par un pont à voie unique dépourvu de trottoirs ; sous la voie du TGV ; avant d’atteindre enfin le Rhône. Rien ne laissait présager que j’approchais du fleuve dont j’attendais pourtant l’apparition. Je l’ai seulement découvert quand la route sur laquelle je progressais est devenue un long pont coudé, aux murets de pierre et au trottoir étroit sur lequel il était assez désagréable de marcher en étant constamment frôlé par les automobiles.

J’avais quitté la Provence… Après m’être promené dans Pont-Saint-Esprit (le samedi y est jour de marché), avoir appris que ses habitants s’appellent les Spiripontains et y avoir déjeuné, je suis reparti par une chaleur étouffante pour une dizaine de kilomètres de marche au soleil, croisé ou dépassé par de nombreux cyclistes dont Maïté et Marie dont la gourde était sur le point de tomber d’une sacoche mal fermée. J’ai fait ma B.A. de la journée en la prévenant.

J’ai finalement conclu cette longue étape en arrivant en fin d’après-midi au camping de Saint-Julien-de-Peyrolas, recommandé hier par Christophe et Françoise. C’est effectivement un joli camping au bord de l’Ardèche, propre et calme, ombragé de platanes et de peupliers. Je m’y suis installé, y ai dîné… et ai rentré en catastrophe mon linge qui séchait sur les haubans de mon abri lorsque vers vingt heures un bel orage a éclaté. Une première vraie pluie depuis trois semaines qui, espérons-le, rafraîchira peut-être l’atmosphère.

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J 23 – Dimanche 5 juin 2022
Saint-Julien-de-Peyrolas -> Bivouac de Gournier (km 477)

Les gorges de l’Ardèche.

Mon matelas autogonflant s’est autodégonflé pendant la nuit mais le fait de dormir quasiment à même le sol ne m’a pas empêché de bien dormir puisque je ne m’en suis aperçu qu’au réveil. Les nuits prochaines me diront si j’avais mal verrouillé la valve hier soir (ça m’étonnerait) ou s’il y a une microfuite. Après une nuit de huit heures je suis parti très tôt alors que tout le camping était encore endormi, y compris le bébé du camping-car voisin pour lequel j’avais mis hier mes amis les bouchons d’oreilles. Comme on pouvait le craindre, le court orage d’hier soir n’avait pas suffi pour rafraîchir l’atmosphère : j’étais trempé de sueur en me réveillant et le thermomètre indiquait déjà 19°C à 5h45.

Atteindre le village de Saint-Martin d’Ardèche, en empruntant un joli pont, a pris environ une heure, après quoi les choses sérieuses ont commencé. Il y a presque deux semaines, j’avais abordé les gorges du Verdon en m’attendant à une étape difficile. Il y avait certes du dénivelé mais j’étais en forme ce jour-là et j’avais aussi eu la chance que le ciel soit un peu couvert. J’avais fini mon étape au Chalet de la Maline peu après midi et cette étape avait pratiquement été un « nero-day ». Aujourd’hui cela a été exactement le contraire. Je m’attendais à faire une jolie balade tranquille le long de la rivière, au lieu de quoi j’ai eu droit à l’une de mes journées de randonnée les plus difficiles depuis longtemps.

Eh oui, c’est par là !
Lorsque je préparais mon parcours, j’avais été étonné de constater que le GR4 ne passait pas par le fond des gorges de l’Ardèche mais restait en altitude au-dessus de sa rive droite, alors qu’il emprunte le sentier Blanc-Martel dans les gorges du Verdon. Aujourd’hui j’ai compris pourquoi en suivant un sentier extrêmement technique le long des falaises et sur des dalles rocheuses avec des échelles, des dizaines de portions avec mains courantes et sans cesse des endroits où il fallait s’aider des mains. L’un des passages les plus inhabituels (mais que j’ai beaucoup aimé) obligeait le randonneur à ramper, en poussant son sac à dos devant lui, à l’intérieur d’un étroit boyau.

Les paysages étaient magnifiques et je ne regrette certainement pas cette journée mais que ce fut dur ! La chaleur aidant, je suis arrivé fourbu et déshydraté au Bivouac de Gournier.

Arrivé néanmoins parmi les premiers, j’ai eu le loisir de choisir un bon site pour planter ma tente, de prendre ma douche et de faire ma lessive avant que n’arrivent progressivement les trois cent cinquante ( ! ) personnes inscrites pour cette nuit, essentiellement des canéistes et des kayakistes parmi lesquels mes sympathiques voisins : dans la tente à ma droite Jessica, institutrice dans le Valais et Michka, guide de montagne dans le Jura, avec lesquels j’ai bien discuté puis dîné, et dans celle à ma gauche Naïs et Colin. Autour de nous, la fumée des barbecues peinait à faire fuir des moustiques particulièrement affamés. Chacun s’est rapidement réfugié dans son abri en espérant que les 345 autres bivouaqueurs en feraient bientôt de même.

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J 24 – Lundi 6 juin 2022
Bivouac de Gournier -> Vallon-Pont-d’Arc (km 497)

Au revoir aux gorges de l’Ardèche… belles mais rudes !

Il n’y a finalement pas eu tellement de bruit hier soir dans l’aire de bivouac de Gournier malgré les trois cent cinquante campeurs qui s’y étaient installés. Il est probable que tout ceux qui étaient arrivés jusqu’ici, que ce soit à pied ou en canoë, étaient trop fatigués pour faire la fête. Mes bouchons d’oreilles en place, je me suis moi-même endormi en quelques instants. J’ai pu constater lors de mon réveil au chant des oiseaux que mon matelas autogonflant était de nouveau à plat et que cela ne m’avait pas davantage gêné que la nuit précédente. Je vais quand même tâcher de détecter la fuite !

Réveillé tôt, parti tôt, à 6h45 je traversais le bivouac encore endormi sans avoir eu la possibilité de faire mes adieux à mes sympathiques voisins et me suis dirigé vers la rivière. Les choses sérieuses ont commencé très vite par une première traversée de celle-ci au Gué de Guitard, signalé par un panneau indicateur. Poches du short vidées, téléphone mis dans un sac plastique étanche, les deux bâtons en main, en avant ! La première moitié de la traversée a été facile malgré des galets glissants mais une fois arrivé au milieu de la rivière ça n’était plus le même tabac : l’eau m’arrivait au milieu des cuisses avec un courant devenu vraiment fort. « C’est ce que je craignais, les orages des deux derniers jours ont gonflé la rivière » ai-je raisonné.

Me stabilisant pas après pas avec mes deux bâtons, le corps orienté de trois-quarts face au courant comme appris dans les livres, je suis finalement arrivé sur la petite crique que je visais depuis l’autre berge. C’est alors que j’ai compris que je n’avais pas traversé au bon endroit, car cette crique n’avait aucune sortie. Comme il n’était pas question de refaire la traversée dans l’autre sens, je me suis servi de mes expériences italiennes de l’an dernier et suis parti à l’assaut de la pente couverte d’arbustes en mode bâton-machette. Vingt minutes plus tard et dix mètres plus haut, j’avais retrouvé le chemin, et peu après j’arrivais au véritable gué, à l’eau peu profonde et bien calme. J’avais traversé cent mètres trop tôt, juste avant les « rapides du gué de Guitard »… pas étonnant qu’il y ait eu du courant !

Le parcours a ensuite été beaucoup plus raisonnable, moins technique qu’hier, avec seulement deux ou trois passages avec mains courantes et autant d’échelles, jusqu’au second gué de la journée, celui de Charmassonet qui permet de repasser sur la rive gauche. Cette fois-ci je ne me suis pas trompé d’endroit et la traversée a été facile, l’eau quasi-immobile n’atteignant pas les genoux.

Sur la fin du parcours, j’ai commencé à rencontrer d’autres randonneurs comme Vincent et Laurianne qui dormiront ce soir au bivouac de Gournier et dont la joie d’apprendre qu’il y aurait là-bas des douches chaudes a fait plaisir à voir. Huit ou neuf kilomètres de randonnée « habituelle » plus tard j’étais à Vallon-Pont-d’Arc où j’ai réservé à coucher pour deux nuits car ma journée de demain sera consacrée à visiter la Grotte Chauvet.

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J 25 – Mardi 7 juin 2022
Vallon-Pont-d’Arc (km 506)

Grotte Chauvet 2 — La Galerie de l’Aurignacien.

Mon sac à dos n’est déjà pas très lourd d’habitude mais aujourd’hui il a battu tous les records ! Pour faire les 9 km aller-retour entre Vallon Pont d’Arc et la Grotte Chauvet 2 où j’ai passé une bonne partie de la journée, je n’y avais mis qu’une bouteille d’eau, ma micropolaire et ma veste de pluie en cas de pluie pendant le trajet. Hier soir en effet, il a plu et bien plu – quel plaisir de s’endormir sous un toit quand dehors il pleut des cordes ! Cela dit, je l’ai emportée pour rien vu qu’en fait de pluie le soleil a brillé toute la journée et qu’il a encore fait 34°C cet après-midi.

Ce fut donc aujourd’hui une journée de pur tourisme sur le site de la Grotte Chauvet 2. Je le dis tout de suite aux personnes qui ne le connaissent pas : si vous le pouvez, allez-y, c’est juste sensationnel. On connaît l’histoire : le 18 décembre 1994, trois jeunes spéléologues, Jean-Marie Chauvet, Eliette Brunel et Christian Hillaire, ont découvert une grotte gigantesque (plusieurs centaines de mètres de galeries) que des éboulements avaient isolée du monde et de la lumière depuis plus de 20.000 ans, grotte dans laquelle se trouvaient des peintures pariétales créés par nos ancêtres directs il y a jusqu’à 36.000 ans.

Instruits par la catastrophe de Lascaux dont les fresques avaient été très abîmées par l’ouverture au public, la visite de la grotte Chauvet n’a jamais été autorisée mais il a été décidé dès 1998 d’en créer une réplique, désormais appelée Grotte Chauvet 2. Sans entrer dans les détails, il a fallu environ quinze ans pour générer un clone numérique intégral de la grotte à partir du relevé de seize milliards de points, puis créer une structure métallique qui a servi de support pour la reconstitution des parois de la grotte sur lesquelles environ mille peintures ont ensuite été reproduites. Stalactites, ossements, effondrements du sol, etc. ont également été créés à l’identique. La Grotte Chauvet 2 a été inaugurée en 2015 et le résultat est confondant de vérité. Les photos étant hélas interdites dans la grotte, je ne peux que vous conseiller d’aller les voir et éventuellement en télécharger sur le site de la grotte même si, bien sûr, rien ne peut égaler leur vision in situ avec le relief des parois sur lesquelles les peintures ont été faites.

En attendant l’heure de suivre la visite guidée de la grotte elle-même, j’ai passé une bonne heure dans la « Galerie de l’Aurignacien », une remarquable présentation essentiellement interactive (avec des écrans qui fonctionnaient tous parfaitement, c’est assez rare pour le souligner) de la vie de ces chasseurs-cueilleurs d’il y a 36.000 ans et des animaux qui vivaient à cette époque glaciaire appelée Aurignacien (entre 43.000 et 29.000 ans avant le présent) : mammouths et rhinocéros laineux, lions et ours des cavernes, bisons, megacéros, rennes, etc. Je ne me rendais pas compte qu’il y a si longtemps, les humains qui habitaient en Europe étaient déjà des hommes modernes, identiques à nous en apparence, en stature, en intelligence, en capacités créatrices, etc. Arrivé juste après l’ouverture, j’étais absolument seul, ce qui a rendu encore plus agréable ma visite.

En me dirigeant vers la sortie après avoir visité la grotte, je suis passé devant une affiche présentant « Animal, de la préhistoire au street-art », une création de « Spectaculaire, les allumeurs d’images ». Puisque c’était gratuit, je suis entré pour regarder ce « spectacle immersif » de quinze minutes, sans bien savoir de quoi il s’agissait. Bon sang ! J’en suis ressorti les larmes aux yeux et suis immédiatement retourné dans la salle pour y assister une seconde fois. J’avais déjà vu, à l’Atelier des Lumières à Paris, des performances de ce type, projections d’images animées au sein desquelles on est immergé, et j’avais beaucoup aimé celle consacrée à Van Gogh mais ce spectacle-là était encore un cran au-dessus. Les animaux présents dans les tableaux d’une quarantaine d’artistes de toutes les époques prenaient vie et interagissaient, nous étions au milieu d’un terrible orage, les animaux préhistoriques se promenaient devant nous au sein d’une métropole moderne pleine de gratte-ciels… Je ne sais pas comment décrire cet enveloppement des sens par les images et la musique. Il y a avait des années que je n’avais plus ressenti une telle émotion artistique, au point d’avoir les yeux embués devant tant de beauté. Quelle belle journée ! Quelle belle césure entre le Midi et le Massif Central ! Demain sera un autre jour ; je redescendrai sur le plancher des vaches en reprenant le cours de ma promenade.

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J 26 – Mercredi 8 juin 2022
Vallon-Pont d’Arc -> Les Vans (km 537)

En Lozère…

Il a suffi de quelques kilomètres pour que le paysage change du tout au tout, et l’aspect des maisons. Aucun doute là-dessus : la Provence est déjà loin. Les toits sont toujours recouverts de tuiles mais leur pente s’est accentuée témoignant des hivers plus rudes et les facades, lorsqu’elles sont crépies, ne le sont plus d’ocre ou de rose – ou alors très clair – mais le plus souvent de crème. Souvent la pierre est laissée à nu, donnant à l’habitat un aspect rustique. La végétation est plus dense, les résineux sont toujours là mais désormais les feuillus dominent avec de nombreuses variétés de chênes et, parmi les arbustes, mes grandes amies les ronces et les orties sont de retour ! Le relief aussi a changé, il est plus tourmenté. J’ai traversé le Rhône, je suis en Ardèche, j’atteins les contreforts d’un nouveau massif.

Hier soir encore, je ne savais pas dans quelle direction je partirais de Vallon-Pont-d’Arc pour rejoindre mon prochain « objectif intermédiaire », le Puy-en-Velay, à environ une semaine de marche : serait-ce vers le nord par Largentière puis en suivant le GRP Tour du Tanargue jusqu’à Loubaresse ? ou vers l’ouest par le GR4 puis le GR3 ? En me réveillant ce matin j’avais décidé que je commencerais par suivre le GR4 et qu’ensuite on verrait. Ne me demandez pas pourquoi !

Je me suis mis en route vers sept heures et demie, le sac bien chargé des provisions achetées hier pour plusieurs jours. En pleine forme après cette journée de pause, j’ai parcouru plus de trente kilomètres d’une étape de transition sans rien de notable à raconter. Je n’ai fait aucune rencontre mémorable et j’ai passé une bonne partie de la journée sous mon parapluie pour m’abriter d’une bruine peu gênante sauf pour mon smartphone que, du coup, je n’ai pas beaucoup sorti de sa pochette étanche pour faire des photos.

Je suis arrivé en fin d’après-midi à la petite ville de Les Vans où j’ai trouvé un lit étroit dans une chambre minuscule avec une douche dont le tuyau fuit. Si ça n’est pas le paradis, ça y ressemble beaucoup.

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J 27 – Jeudi 9 juin 2022
Les Vans -> Thines (km 556)

Seul au monde.

Dans cette petite chambre humide des Vans, il y avait peu de chances que mon linge arrive à sécher et j’ai en effet eu droit ce matin à un réveil revigorant en renfilant ma chemise. Enfiler des chaussettes mouillées ne me gêne pas mais se mettre une chemise encore trempée sur le dos à sept heures du matin, ça réveille bien !

Mais bah. Dehors il faisait beau et bien vite c’est de transpiration que ma chemise a été trempée car aujourd’hui, c’est reparti « dré dans le pentu » : dès les dernières rues des Vans, le chemin a recommencé à grimper. J’avais eu à plusieurs reprises le même type de démarrage en pente raide lors des premières étapes de cette promenade et j’en avais bavé mais le bonhomme n’est plus le même. Voilà maintenant presque quatre semaines que je marche et j’ai pu voir ce matin avec plaisir que mon corps était rodé.

Toutes les personnes qui font des marches de longue durée vous le diront, ce sont les trois premières semaines les plus difficiles sur le plan physique. Ensuite tout devient plus facile car le corps s’adapte. Je ne crois pas avoir beaucoup maigri car je mange bien (je suis allé assez souvent au restaurant depuis mon départ et il faut voir les portions que j’avale !) mais j’ai sans doute remplacé un peu de graisse par du muscle et le métabolisme du « long-marcheur » s’adapte à l’effort prolongé.

Bref, aujourd’hui ça grimpait bien et j’ai à nouveau gravi plus de mille mètres de dénivelé. Les paysages étaient magnifiques et la solitude presque complète. Je n’ai traversé que deux villages. Dans le premier — qui était plutôt un hameau isolé dans la montagne — une vieille dame qui arrosait les fleurs de son jardin m’a détaillé avec finesse la contradiction qu’elle ressentait entre son plaisir de vivre là tranquillement, dans sa maison, loin de la foule, et sa difficulté à rester longtemps isolée, surtout en hiver « et qu’il faut attendre plusieurs jours avant que les chasse-neige déblaient la route ». Dans l’autre village, je n’ai rencontré personne mais le cimetière jouxtant une belle église m’a permis de faire un grand plein d’eau en prévision du bivouac.

Avant nettoyage
Le sol avant nettoyage…
Après nettoyage
… et après.

Les gîtes et refuges sont assez nombreux sur le GR4 mais ceux auxquels j’ai téléphoné étaient tous complets. Après avoir longuement nettoyé une portion de sol à peu près plate des pierres et des pignes qui la jonchaient, j’ai donc planté ma tente dans une petite pinède en espérant que les arbres couperaient le vent qui souffle assez fort. Ce soir au menu : saucisson, coquillettes, tomme de chèvre et bonbons Haribo en dessert. Bon appétit !

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J 28 – Vendredi 10 juin 2022
Thines -> Loubaresse (km 575)

Tom et Flop.

Honte à moi, voilà quatre semaines que j’ai débuté cette longue promenade et je n’ai pas encore parlé de Flop la Girafe qui m’accompagne évidemment cette année comme les deux années précédentes. Il faut dire que son humeur a changé depuis que nous sommes revenus d’Italie. Elle m’adresse beaucoup moins la parole que par le passé et il peut se passer plusieurs jours sans qu’elle manifeste sa présence pourtant continuelle, accrochée comme elle l’est à l’arrière de mon sac à dos. Je crois qu’elle a été très déçue que son mulet (c’est-à-dire moi) n’ait pas pu tenir sa promesse de lui faire gravir l’Etna et je me suis demandé si elle était fâchée contre moi, ou déprimée, ou les deux…

Mais aujourd’hui, c’est fini, Flop a retrouvé le sourire car nous avons rencontré Tom le galet qui attendait patiemment que nous passions par là, placé au milieu du chemin par un « fou du galet« . Cela dit, j’ai immédiatement prévenu Flop et Tom qu’il n’était pas question que celui-ci nous accompagne jusqu’en Bretagne ! Qu’un marcheur se targuant de légèreté trimbale une petite peluche, passe encore, mais une pierre ? J’ai juste promis de le garder avec nous jusqu’à un autre département avant de le laisser à mon tour bien visible sur un joli chemin pour qu’un autre marcheur l’y découvre.

Outre celle de Tom, j’ai fait plusieurs rencontres aujourd’hui. D’abord avec un groupe de cyclistes tout-terrain avec lesquels j’ai pas mal discuté en faisant de l’eau près du gîte dont ils partaient. L’un d’entre eux avait traversé la France en suivant le 45ème parallèle entre Grenoble et Royaume-Uni, ce que ma diagonale SE-NO lui rappelait. Et plus tard, après être passé devant le Chaos rocheux de Montselgues en un lieu-dit « Le petit Paris », j’ai rencontré Jacques qui marchait en compagnie de son chien. Rien d’étonnant me direz-vous, sauf que Djingle était un chihuahua de trois kilos qui trottait d’ailleurs très gaillardement. Jacques avait l’habitude faire des randonnées de courte durée mais était intéressé par l’itinérance, un jour peut-être. Il m’a dit avoir passé des heures sur le forum Randonner-léger, c’est un bon début !

Il restait une place dans un dortoir de six au gîte de Loubaresse. Je ne suis pas fanatique des dortoirs mais j’avais assez marché pour aujourd’hui et l’idée de dîner ce soir d’autre chose que de semoule + saucisson était tentante. Je m’y suis arrêté.

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J 29 – Samedi 11 juin 2022
Loubaresse -> Lanarce (km 599)

Sur la ligne de partage des eaux.

Quand on traverse comme c’est mon cas depuis quelques jours des régions isolées, la principale question qui se pose c’est de savoir où trouver de l’eau. L’endroit le plus fréquent d’habitude pour cela, ce sont les villages : fontaines, cimetières, habitants… Mais quand il n’y a pas de village sur plusieurs dizaines de kilomètres ? Bon, avec un filtre, ou même parfois sans, on peut utiliser l’eau des sources, des ruisseaux, des rivières… Mais quand il n’y a pas de sources ni de ruisseau ? Ou quand on n’est pas certain d’en trouver ? Il n’y a pas cent-six solutions, il faut anticiper pour en emporter suffisamment.

C’est un dilemme auquel tout long-marcheur est régulièrement confronté : prendre le risque de manquer d’eau ou celui de trop porter inutilement, et tout le monde se trompe parfois. Il y a deux jours, j’avais choisi de faire un grand plein d’eau au robinet du cimetière jouxtant une église isolée et je m’étais chargé de trois litres et demi bien que j’aie une rude montée devant moi car je m’attendais à devoir bivouaquer. J’avais eu raison. Il y a deux semaines, dans les gorges du Verdon, je m’étais chargé de trois litres pour arriver en définitive au refuge de la Maline peu après midi en n’ayant bu qu’un litre. J’avais eu tort par excès de précaution. Dans les gorges de l’Ardèche la semaine dernière je n’avais pris qu’un litre et demi et j’avais tout fini deux heures avant d’atteindre le bivouac de Gournier. J’avais eu tort par excès d’optimisme, sans gravité heureusement, mais qu’il est pénible d’avoir soif !

En partant de Loubaresse ce matin je n’ai emporté qu’un demi-litre d’eau, sachant que j’allais passer peu après au village du Bez où se trouvent un gîte et une auberge. Mais une fois arrivé là, le programme du jour consistait à suivre sur le plateau ardéchois une piste ne traversant aucun village et placée exactement sur la ligne de partage des eaux : au sud-est de cette ligne, les cours d’eau se dirigent vers la Méditerranée. Au nord-ouest, c’est vers l’Atlantique. Le Mont Gerbier-de-Jonc – où la Loire prend sa source comme chacun sait – est à quelques kilomètres au nord de cette ligne. Le Col de la Chavade, où je suis passé aujourd’hui et où nait l’Ardèche, est à quelques kilomètres plus au sud.

Or la ligne de partage des eaux est une ligne de crête où par définition aucun ruisseau ne coule. Il fallait donc que je prenne mes précautions. Ne devant pas bivouaquer ce soir mais la météo prévoyant encore du grand beau temps, j’ai emporté deux litres et demi d’eau pour la journée. Bonne pioche, il me restait moins d’un quart de litre à l’arrivée.

J’ai donc marché presque toute la journée autour de 1.400 mètres, parmi les gentianes qui commençaient à fleurir, le long de cette ligne virtuelle séparant les bassins fluviaux de l’Atlantique et de la Méditerranée. C’est encore sur cette ligne que je dormirai cette nuit à Lanarce mais dès demain matin je basculerai sur son versant nord-ouest. Demain matin, en somme, je quitterai le sud.

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J 30 – Dimanche 12 juin 2022
Lanarce -> Salettes (km 622)

Mais pourquoi diable passe-t-on toujours par ce genre d’endroit
alors qu’il est beaucoup trop tôt pour bivouaquer ?

C’est à Lanarce, où j’ai passé la dernière nuit, que se trouvait la fameuse « Auberge rouge » dont Claude Autant-Lara s’était inspiré dans les années 1950 pour tourner un film du même nom avec Fernandel, une macabre histoire d’aubergistes assassinant les voyageurs faisant étape chez eux pour les détrousser. Fort heureusement, l’hôtel de Lanarce où j’ai passé la nuit n’était pas du même style. J’y ai très bien dormi et m’y suis réveillé en un seul morceau. Luxe suprême, il y avait une baignoire où j’ai trempé pendant une bonne demi-heure en y arrivant hier. Mais surtout, pour un randonneur au matelas troué, qui dit baignoire dit recherche de la fuite ! Et je l’ai trouvée, c’était une petite fente sur la pliure longitudinale créée par mon habitude de plier ainsi le matelas avant de le rouler. Habitude à changer donc. J’ai réparé la fuite, on verra si ça tient.

Il faisait déjà très chaud ce matin, un temps lourd avec un ciel dégagé qui s’est progressivement assombri dans l’après-midi. Mais le matin, il était encore tout bleu quand j’ai rencontré Camille et Danielle, armées de jumelles et d’un appareil photo avec pied et téléobjectif pour observer les rapaces. Je suis resté un long moment à discuter avec elles, ce qui m’a permis de voir deux majestueux milans se faire attaquer par un faucon crécerelle pourtant bien plus petit qu’eux mais qui défendait sans doute son territoire.

Camille et Danielle m’ont expliqué être membres de la LPO, la Ligue de Protection des Oiseaux, et se consacrer à la protection du busard cendré en Ardèche. Cette espèce de rapace diurne a la particularité de nicher au sol, autrefois dans les marais et tourbières des plateaux, mais depuis que ces zones humides sont plus rares, souvent dans les hautes herbes. Cela fait trop souvent des oisillons les victimes de la fenaison ou du pâturage par les bovins. L’espèce est protégée et les bénévoles de la LPO s’attachent donc à trouver les nids pour les isoler par une clôture électrique ou un enclos grillagé. Cela se fait en accord avec les agriculteurs — qui doivent de toute façon se plier à la loi française et à la directive européenne « oiseaux »… bon gré, mal gré.

Autre moment de grand plaisir ce matin : alors que je marchais en forêt sur un chemin rectiligne, j’y ai soudain vu courir à toute vitesse vers moi deux petits animaux qui poussaient des cris excités. J’ai évidemment été surpris et cela a duré trop peu de temps pour que je puisse sortir mon smartphone et faire une photo de ce qui était deux fouines (je crois, plutôt que deux martres, à cause de leur jabot blanc) en train de se poursuivre en cette saison des amours. Elles sont parties, l’une à droite, l’autre à gauche du chemin lorsqu’elles se sont rendues compte de ma présence mais je ne suis pas inquiet, elles ont probablement eu vite fait de se retrouver.

Les premières gouttes sont tombées en milieu d’après-midi, des grosses gouttes bien lourdes qui ont été suivies en quelques minutes par un vrai déluge et des coups de tonnerre, assurément pour célébrer et arroser dignement mon arrivée dans le département de la Haute-Loire. J’arrivais alors par chance dans le village de Lafarre où j’ai trouvé un abri à la mairie, ouverte en ce dimanche d’élections législatives pour servir de bureau de vote. Les deux assesseurs – que j’ai rassurés sur le fait que je votais par procuration – n’ont je crois pas été mécontents d’avoir l’occasion de discuter un peu car la journée leur semblait bien longue dans ce village ne comportant que quatre-vingts électeurs. Une demi-heure plus tard, la pluie diminuant, je suis reparti pour terminer cette belle journée sous un soleil de nouveau radieux.

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J 31 – Lundi 13 juin 2022
Salettes -> Le-Puy-en-Velay (km 651)

Une rencontre dans la brume du matin.
Ce matin une atmosphère humide enveloppait le chemin et les paysages. Je n’ai pas été mécontent de me réveiller sous un toit plutôt que dans une tente aux parois trempées de condensation. « Le climat n’est pas facile ici » m’a dit le couple chez lequel j’avais passé la nuit. « Ce brouillard, c’est rien, ça va pas durer. C’est la sécheresse cette année encore, à part hier il n’a pas plu depuis deux mois. Et l’hiver ici, c’est vraiment dur. Le froid, la neige, l’éloignement de tout. On va vendre, et ouvrir des chambres d’hôtes en Aveyron ».

En fait il avait aussi plu pendant la nuit, et ce matin l’humidité remontait du sol. Une brume enveloppait le paysage, qui nimbait les lointains mais ne gênait pas la marche, et aujourd’hui était pour moi un de ces jours de pleine forme qu’on n’explique pas plus que les jours de méforme. J’ai abattu sans difficulté une belle étape d’une trentaine de kilomètres malgré des dénivelés positif et négatif non négligeables et suis arrivé au Puy-en-Velay en milieu d’après-midi, ce qui m’a laissé un peu de temps pour parcourir la ville.

Avant cela, j’avais traversé plusieurs communes. Le matin, à Saint-Martin-de-Fugères, je me suis arrêté à un café-boulangerie pour un chocolat chaud et un croissant. Le Chemin de Stevenson passe aussi par ce village et une demi-douzaine de randonneurs qui le débutaient y étaient déjà attablés. Ils ont été surpris de constater que mon sac pesait deux, voir trois fois moins que les leurs, alors qu’ils n’emportaient pas de matériel de bivouac. Bouteilles thermos, gourdes métalliques, chaussures de rechange accrochées au sac… j’ai même entendu parler d’un fer à friser ! Cela m’a donné l’occasion de prêcher la « bonne parole MUL » à deux jeunes randonneuses qu’on retrouvera peut-être un jour prochain sur Randonner Léger

En début d’après-midi, à Coubon, j’ai à nouveau traversé la Loire, à peine plus imposante qu’hier soir près de Lafarre. Elle est partie de son côté et moi du mien et nous ne nous reverrons plus avant plusieurs semaines, quelque part du côté de Saumur. On rêvasse en marchant… Je me suis demandé combien de temps avant moi l’eau qui passait sous le pont où je venais de traverser le fleuve adolescent arriverait là-bas malgré son long détour alors que je vais désormais me diriger à peu près directement vers le nord-ouest. Comme pour le temps de refroidissement du fût d’un canon, la réponse adéquate serait assurément « un certain temps ».

Et puis, après tout juste un mois de promenade, puisqu’aujourd’hui était mon trente-et-unième jour de marche, je suis arrivé au Puy-en-Velay. Je ne ferai qu’y passer alors que pour beaucoup de marcheurs cette ville est au contraire un point de départ, celui de la plus emblématique des voies par lesquelles rejoindre Saint-Jacques de Compostelle. Le Chemin de Compostelle est (re)devenu depuis quelques dizaines d’années une véritable institution et je n’ai pas été étonné de voir beaucoup de sacs à dos autour de la Cathédrale Notre-Dame, bien gros et bien lourds pour la plupart. Pour beaucoup de ces pèlerins sur le départ, l’apprentissage se fera probablement dans la douleur au cours des premiers jours du voyage. Bon courage à eux.

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J 32 – Mardi 14 juin 2022
Le-Puy-en-Velay -> Saint-Jean-de-Nay (km 674)

La forteresse de Polignac

À sept heures et demie, le ciel était déjà tout bleu et le soleil commençait à chauffer. Un coup d’œil à la météo m’avait confirmé avant de partir que la vague de chaleur qui m’a accompagné depuis Menton ne semblait pas près de s’achever avec des températures largement supérieures à 30°C pendant les prochains jours, alors même que mon trajet resterait compris entre 700 et 1000 mètres d’altitude.

Je n’ai pas pris suffisamment le temps hier de parler du Puy-en-Velay, une ville à la topographie très inhabituelle, tout en montées et en descentes, et dont le caractère spectaculaire est accentué par les rochers gigantesques qui la surplombent : le rocher Corneille où se dresse la statue de Notre-Dame-de France qui domine la ville, le rocher d’Espaly avec la statue de Saint-Joseph et le rocher d’Aiguilhe au sommet duquel se trouve la chapelle Saint-Michel. C’est une ville qui aurait mérité que je m’y attarde et que je la visite plus longtemps, il faudra que je revienne.

François, que j’ai rencontré peu après avoir fait le tour de l’imposante forteresse de Polignac alors qu’il promenait son chien Speedy, m’a expliqué que le chemin sur lequel nous nous trouvions était justement le Chemin de Saint-Michel, alias GR 300, un chemin de pèlerinage qui relie le Mont-Saint-Michel à la chapelle Saint-Michel d’Aiguilhe. Nous sommes restés à discuter pendant un long moment, lui-même étant randonneur, participant au balisage du chemin de Saint-Michel en Haute-Loire, ayant fait le pèlerinage de Compostelle à vélo avec son épouse. Speedy a été très patient !

Avec tout ça, il était presque quatorze heures quand je suis arrivé à Loudes où le restaurant « L’atelier des papilles » allait fermer. Mais en voyant ce pauvre randonneur affamé, assoiffé et écrasé de chaleur, la propriétaire des lieux n’a pas eu le cœur de refuser de lui servir le plat du jour. Merci à elle ! Merci aussi de m’avoir conseillé de téléphoner à la mairie de Saint-Jean-de-Nay, ouverte le mardi après-midi, pour leur demander s’ils pourraient me loger ce soir. Le secrétaire de mairie, Gérard, m’a immédiatement proposé de me loger dans les vestiaires du stade de football du village et, lorsque je suis arrivé au village, s’est donné la peine de m’y accompagner « en espérant que cela me conviendrait ». L’humanité et la gentillesse incarnées. Une pièce isolée, des toilettes, une douche après une journée caniculaire, est-ce que cela me convenait ? Mais c’était juste le paradis.

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J 33 – Mercredi 15 juin 2022
Saint-Jean-de-Nay -> Mazeyrat-Aurouze (km 698)

Après Chavaignac-Lafayette

J’ai glissé dans la boîte aux lettres de la mairie les clefs du vestiaire du stade de football avec un petit mot pour remercier Gérard de sa gentillesse et de l’excellente nuit que j’y avais passée grâce à lui. Le ciel était chargé de gros nuages gris annonciateurs d’un orage qui a éclaté moins d’un quart d’heure après mon départ. Ma tenue de pluie était prête, je n’ai eu qu’à l’enfiler avant que la douche commence avec un spectacle son et lumière, tonnerre et éclairs, assez inhabituel en début de journée. Une grosse averse de dix minutes plus tard c’était fini. Le ciel s’est lentement défait de son couvercle de nuages et en fin de matinée l’idée même de pluie était oubliée tandis que la chaleur montait, montait…

Vers 8h30, j’avais gravi la côte un peu raide qui s’élève au-dessus de Saint-Jean-de-Nay et l’orage avait pris fin depuis quelques minutes lorsqu’est arrivé, courant derrière moi pour me rattraper et pour savoir si ma nuit s’était bien passée, Gérard qui m’avait vu passer alors qu’il guidait son troupeau de vaches d’un champ à un autre. Il m’a expliqué être secrétaire de mairie deux jours par semaine et agriculteur le reste du temps. Cette rencontre inattendue m’a permis de le remercier une nouvelle fois de vive voix et de faire la connaissance de son épouse (et de leur chien Rox).

J’avais alors atteint une altitude de 1150 mètres environ et tout le reste de la journée s’est fait sur des chemins ou des petites routes descendant en pente douce, ce qui m’a permis d’avancer bien plus vite que ce à quoi je m’étais attendu. J’avais envisagé de dormir au gîte communal de Chavaniac-Lafayette mais arrivé dans ce village en début d’après-midi je n’ai fait que le traverser, apprenant au passage qu’il s’agissait du lieu de naissance du général de Lafayette, ce qui expliquait les deux drapeaux, français et américain, visibles de loin, surmontant les remparts de son château. J’ai continué en roue libre sur ces chemins toujours en descente jusqu’à une auberge repérée hier sur la carte, à une altitude inférieure de cinq cents mètres à celle de ce matin et à une température largement supérieure : vers 17h30, ma douche prise et ma lessive mise à sécher, la température était encore de 34°C à l’ombre. Pour demain, la météo annonce du soleil et de fortes chaleurs, quelle surprise.

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J 34 – Jeudi 16 juin 2022
Mazeyrat-Aurouze -> Brioude (km 727)

Lavaudieu

Soirée irréelle hier dans cette auberge dont j’étais l’unique pensionnaire. Mon hôtesse, qui gérait seule cette grande bâtisse isolée au bord de la rivière Senouire, m’avait demandé de descendre dîner à 19h15. À l’heure dite je suis arrivé dans le bar-salle à manger où, un verre de rosé à la main – verre qui n’était apparemment pas le premier – elle menait une discussion animée avec deux frères jumeaux de la soixante-dizaine, agriculteurs du coin qui buvaient leurs Ricard et un homme plus jeune, Rémi, qui marchait à la bière.

Invité à me joindre à eux, j’ai accepté la bière offerte par Rémi, lui ai rendu la pareille un peu plus tard et la discussion a continué. Intéressante discussion au demeurant, pendant laquelle Rémi m’a parlé de son métier d’élagueur dont certaines techniques sont également utilisées par les randonneurs : le nœud de Prussik en particulier, cher aux utilisateurs de tarp, et la façon dont les élagueurs arrivent à s’assurer au-dessus de l’endroit où ils se trouvent en envoyant une corde par dessus une branche haute par une méthode qui m’a rappelé la « technique PCT » de mise à l’abri de son sac de nourriture en hauteur pendant la nuit (ceux qui pratiquent le bivouac me comprendront !)

C’était sympathique mais l’horloge tournait et, après deux offres réciproques de bières avec Rémi et avec un estomac toujours vide, ma tête commençait à en faire autant. Vers vingt heures, une infirmière est arrivée. C’était elle, en fait, que tout le monde attendait pour une livraison d’insuline et de matériel pour diabétiques aux deux frères et pour prélever des examens de sang (alcoolémie non incluse je suppose) aux quatre compères réunis là pour l’occasion.

Les deux jumeaux sont ensuite partis et j’ai naïvement cru que j’allais pouvoir passer à table mais macache ! Ma logeuse et Rémi ont continué à remplir leurs verres en discutant de tout et de rien malgré mes allusions de moins en moins discrètes à mon désir de me lever et donc de me coucher tôt. Rémi a fini par regagner ses pénates mais mon hôtesse continuait à siroter son rosé en m’entretenant des ragots du village dans un monologue assez confus. Il m’a fallu beaucoup d’insistance polie pour qu’elle se rappelle qu’elle devait me servir le dîner froid qu’elle avait heureusement déjà préparé. J’ai ainsi pu regagner ma chambre environ quatre heures après en être descendu.

Ce matin j’ai fait le moins de bruit possible pour quitter l’auberge sans réveiller mon hôtesse qui aurait sans doute volontiers prolongé son monologue pendant une heure ou deux et suis parti en longeant la rivière Senouire alors que le soleil commençait à monter dans un ciel vide de nuages promettant une nouvelle journée caniculaire. J’ai continué à suivre ce joli Chemin de Saint-Michel alias GR300 sur lequel je marche depuis le Puy-en-Velay. Il m’a fait successivement atteindre et traverser aujourd’hui Paulhaguet, Domeyrat, Lavaudieu et Vieille-Brioude, villages et petites villes écrasés de chaleur et aux volets souvent fermés dont j’ai admiré les églises, châteaux et abbayes (Lavaudieu, en particulier, est un très joli village).

Arrivant à Vieille-Brioude, j’ai vu arriver face à moi un couple de randonneurs qui venaient de traverser le pont sur l’Allier. Habituellement, dans ces cas-là, on se salue, on s’arrête et on discute un peu (« vous venez d’où, vous allez où », etc.) mais là j’ai eu droit à un « eh, ça alors, regarde Françoise, un sac Zpacks ! » Françoise et Philippe étaient partis d’Aydat (où je devrais passer moi-même en milieu de semaine prochaine) pour suivre le GR470 jusqu’à Langogne, ils bivouaquaient dans une tente Duplex de Zpacks et envisageaient de remplacer leurs sacs à dos Osprey Atmos par des Zpacks Arc Blast… Pas totalement MUL avec des sacs de 8 kg mais très intéressés par le concept, bien au fait du matériel et sur la voie de l’allègement.

Nous nous sommes installés autour de la table d’une aire de repos et avons vidé nos sacs à dos et déballé nos affaires tout en discutant de nos marches précédentes. Philippe, en particulier, avait traversé les Alpes sur les Voies Alpina entre Ventimiglia et Trieste, les Pyrénées de Banyuls à Hendaye, fait le GR20 aller et retour… Nous sommes restés autour de cette table pendant une heure et demie avant de nous rendre compte qu’il allait falloir reprendre nos chemins respectifs. Mais nous avons échangés liens et informations, et je ne serais pas étonné que nous entendions à nouveau parler les uns de l’autre, et réciproquement.

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J 37 – Dimanche 19 juin 2022
Brioude -> Brassac-les-Mines (km 744)

Chaud !

Les critères de choix du marcheur au long cours pour définir son trajet quotidien ne sont pas toujours les mêmes que ceux du randonneur qui part marcher une journée ou quelques jours. Celui-ci suit habituellement un itinéraire balisé et/ou préparé par lui-même, choisi pour la beauté des paysages traversés, les points d’intérêt, etc. Le long-marcheur a bien sûr des objectifs similaires mais avec une autre échelle de temps et de distance. Même lorsqu’il prétend, comme je le fais, être parti pour une « longue promenade », il ne peut pas, ou ne veut pas, se servir uniquement de ces critères touristiques pour décider de son trajet. Il (je) choisit(s) parfois de prendre un chemin peut-être moins joli que le chemin balisé (mais on a parfois de bonnes surprises) qui fera gagner dix kilomètres de distance ou cinq cents mètres de dénivelé. Ou parfois, comme moi aujourd’hui, on le fait sans l’avoir décidé.

Repartant ce matin de Brioude avec le Lac d’Aydat comme prochain « objectif intermédiaire », j’avais trois possibilités de trajet :
- me diriger vers l’ouest pour faire, comme Françoise et Philippe rencontrés jeudi, mais en sens inverse, une grande boucle passant par Ardes, Sainte-Besse, Murol et Saint-Nectaire. J’y avais songé depuis deux jours tant ils me l’avaient vantée mais cela constituait un détour de plusieurs jours et j’y ai renoncé.
- Continuer à suivre ma trace prévisionnelle en direction du nord par le GR300 qui longe la rive droite de l’Allier en direction d’Issoire. C’est ce que je pensais faire ce matin.
- Et le troisième trajet ! Celui que j’ai choisi sans m’en rendre compte lorsque je n’ai pas voulu revenir deux ou trois kilomètres en arrière pour aller rejoindre à l’est de Brioude le pont sur l’Allier permettant de passer sur sa rive droite en me disant que je passerais par le pont suivant. Sauf qu’à regarder la carte à une échelle trop petite, on croit voir des ponts là où il n’y en a pas.

C’est ainsi que je suis arrivé en fin d’après-midi à Brassac-les-Mines et dans le département du Puy-de-Dôme en n’ayant jamais pu rejoindre le Chemin de Saint-Michel, faute de possibilité de traverser l’Allier. Au lieu de cela, j’ai marché quelques kilomètres le long d’une grande route que j’ai rapidement pu quitter pour des petites routes et des chemins traversant de grandes étendues de blé, ce qui finalement n’aurait pas été si mal (d’autant que j’y ai gagné une demi-douzaine de kilomètres) si cela n’avait pas été sous le cagnard sur un plateau sans aucune ombre. Le vent soufflant fort rafraîchissait sans doute un peu l’atmosphère mais il m’a empêché d’utiliser mon parapluie pour me protéger du soleil et il tapait encore vraiment dur ici aujourd’hui. L’après-midi a été donc rude mais j’ai heureusement pu sans problème me ravitailler en eau.

Brassac-les-Mines où j’avais pu réserver pour ce soir une chambre chez un particulier était jadis, comme son nom l’indique, le siège de mines de charbon dont la dernière a fermé en 1978. En ce dimanche après-midi tout y était fermé, commerces comme restaurants. Ce soir sera donc une soirée élections devant la TV de ma chambre en y dégustant mes habituels saucisson + coquillettes + Haribos.

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J 38 – Lundi 20 juin 2022
Brassac-les-Mines -> Perrier (km 773)

Dans l’abbatiale Sainte-Austremoine d’Issoire

La météo prévoyait encore de fortes chaleurs cet après-midi. Échaudé par ma petite mésaventure d’hier j’avais donc préparé l’étape d’aujourd’hui avec une attention particulière afin de limiter le plus possible les longues portions de trajet à découvert et de m’assurer des ravitaillements réguliers en eau. J’ai rapidement traversé l’Allier à Jumeaux pour passer sur sa rive droite et rejoindre ainsi des chemins situés un peu plus en hauteur et un peu plus protégés du soleil par le couvert des arbres. Un trajet dans les bois et non plus dans les champs, en somme, pour autant que la géographie locale le permettrait.

En suivant essentiellement à nouveau le Chemin de Saint-Michel GR300, mon trajet jusqu’à Issoire s’est retrouvé scindé de manière très agréable en de petites portions de chemin séparant chaque village du suivant, quatre ou cinq kilomètres plus loin, avec pour objectif dans celui-ci une église, dans celui-là un château, ici le cimetière où faire de l’eau, etc. En revanche, toutes les boulangeries et commerces repérés sur mon parcours étaient fermés. Il faut bien que les commerçants se reposent mais tous les randonneurs connaissent ce tunnel temporel qui commence le samedi soir (ou le dimanche midi dans le meilleur des cas) et qui dure jusqu’au mardi matin, tunnel au cours duquel la plupart des commerces, des boulangeries, des restaurants de campagne sont fermés. Organiser et prévoir le contenu de son sac de nourriture en fonction de ces données fait partie du B.A.-BA d’une longue marche (vivent la semoule, les sardines à l’huile et le saucisson !),je n’ai donc pas été pris au dépourvu.

Alors que la chaleur montait progressivement pour devenir réellement éprouvante à partir de 14 heures, j’ai donc successivement atteint plusieurs jolis villages (Jumeaux, Mailhat, Saint-Martin-des-Plains, Les Pradeaux, Parentignat) et leurs monuments remarquables avec une mention spéciale à un très joli site clunisien, l’église de Mailhat-Lamontgie. Je suis ensuite arrivé à Issoire dont le centre-ville historique est joli mais m’a étonné par sa toute petite taille. La chaleur étant alors devenue étouffante, je suis resté une bonne heure à l’intérieur de l’imposante Abbatiale Sainte-Austremoine pour profiter de sa fraîcheur, de son calme et de la musique répandue sur les lieux par son organiste en pleine répétition.

J’en suis reparti vers 16h30 pour rejoindre, après cinq kilomètres de bitume en plein soleil aussi interminables qu’incontournables, la chambre d’hôtes du village de Perrier (rien à voir avec l’eau minérale) où une douche fraîche a récompensé les efforts de la journée et où je vais passer la nuit.

Demain, un peu de pluie – peut-être. Un début de retour dans la montagne – à coup sûr. Des températures qui devraient donc enfin baisser – espérons-le.

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J 39 – Mardi 21 juin 2022
Perrier -> Olloix (km 791)

Le frisson de l’altitude ! (enfin, presque…)

Il n’est pas fréquent qu’un randonneur soit content qu’il pleuve mais après toutes ces journées de canicule c’est avec un grand sourire que j’ai quitté ce matin sous la pluie la chambre d’hôtes où j’avais très confortablement passé la nuit. Comme chacun sait, « pluie du matin n’arrête pas le pèlerin ! » Bon, pour être honnête j’ai quand même attendu la fin d’une grosse averse accompagnée de grondements de tonnerre et ne suis parti qu’après sa transformation en bruine.

Veste de pluie sur le dos, pantalon de pluie enfilé, je me suis joyeusement mis en route sous la pluie fine en sifflotant « Singing in the rain » – mais sans danser, quand même ! Un quart d’heure plus tard, les nuages laissaient à nouveau passer le soleil et il ne s’est pas écoulé beaucoup de temps avant que je retire mes habits de pluie sous lesquels je commençais à transpirer. Un peu plus tard il a même fallu que je ressorte mon parapluie… pour me protéger comme les jours précédents des ardeurs du soleil. Et aujourd’hui encore, il a fait chaud, autour de 32°C l’après-midi.

Autre déconvenue, toute relative, les paysages identiques depuis plusieurs jours alors que je m’attendais à traverser une région de montagnes. Les chemins se sont certes progressivement élevés au fur et à mesure que je me rapprochais de la chaîne des Puys mais à cette altitude (autour de 800 mètres) j’ai encore l’impression de marcher dans la plaine de Beauce, entouré comme je le suis de prairies et de champs moissonnés ou couverts de plants de tournesol non encore fleuris.

Une journée de transition, donc, un peu décevante par sa monotonie. Mais il est bien possible que l’énorme rhume attrapé Dieu sait comment et que j’ai traîné toute la journée ne soit pas pour rien dans mon manque d’entrain ! Demain sera un autre jour.

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J 40 – Mercredi 22 juin 2022
Olloix -> Gîte de Montlosier (km 815)

Déjeuner au sommet du Puy de La Vigeral

Le repas d’hier soir au gîte de la Monne, à Olloix, fut excellent mais perturbé par un nombre incroyable de mouches qui se posaient sans cesse sur la table, les plats et les convives. « Je suis vraiment désolé » nous dit Alexandre, notre hôte et cuisinier, « c’est bizarre qu’elles arrivent ainsi ce soir, il n’y en avait pas du tout ces jours-ci ». « C’est signe d’orage », compléta son épouse, « la nuit risque d’être agitée ». En effet, à partir de 22 heures, tonnerre et éclairs ont occupé le ciel tandis qu’une vraie bonne grosse pluie arrosait le sol. C’était l’une de ces nuits où l’on est bien content de dormir sous un toit.

À six heures il ne pleuvait plus mais la vallée de la Monne était noyée dans le brouillard et les mouches avaient disparu. Le temps de préparer tranquillement mes affaires et de me mettre en route, le ciel s’était dégagé et ce fut une journée idéale pour randonner : il a fait beau mais pas trop chaud et même très agréablement frais sur les hauteurs grâce à un petit vent.

Après être descendu jusqu’au fond des gorges de la Monne par un sentier s’enfonçant dans la forêt de feuillus gorgée d’humidité de l’ubac, je suis remonté de l’autre côté dans la pente raide de l’adret dont la végétation était totalement différente, quasi méditerranéenne, avec des arbustes épineux et des zones pelées, pour arriver de nouveau sur un large plateau dédié à l’élevage des bœufs et des moutons, autour de 900 mètres d’altitude, avec en ligne de mire les Puys que j’ai atteints en milieu d’après-midi en n’ayant croisé absolument personne de toute la journée.

La Maison du Parc des Volcans d’Auvergne, située au pied des Puys de la Vache et de Lassolas près du château de Montlosier, propose un gîte confortable de 27 places sans restauration mais avec mise à disposition d’une cuisine équipée. J’en serai ce soir le seul occupant. Mais quel lit vais-je bien pouvoir choisir ?

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J 41 – Jeudi 23 juin 2022
Aydat -> Mazaye (km 838)

Bonjour l’ami !

Bercé par le bruit de la pluie sur le Velux au-dessus de ma tête j’ai très bien dormi dans ce grand gîte où l’hôte solitaire que j’étais a pu prendre toutes ses aises. Le ciel était bleu quand j’en suis reparti vers sept heures sur les grandes pistes rectilignes parcourant la forêt qui s’étend au pied des Puys de la Vache, de Lassolas et de Pourcharet. La lumière du matin filtrait à travers le feuillage des arbres arrosés par la pluie de la nuit. Leurs feuilles dégouttaient sur mon crâne en une douche froide improvisée lorsque ma casquette effleurait par inadvertance la branche tombante d’un pin traversant le chemin.

Lumière blanchâtre, arbres et herbes vertes, chemin de pouzzolane rouge, c’était une symphonie de couleurs et aussi de musique avec le chant des merles, des mésanges et des rossignols qui valait largement le désagrément minime de quelques douches froides au petit matin et de chaussures mouillées.

Cette partie sylvestre de mon trajet d’aujourd’hui s’est terminé au bout de sept ou huit kilomètres lorsque je suis arrivé dans le village de Bénouzat qui avait l’immense qualité d’être pourvu d’une boulangerie *ouverte*, une rareté qu’il ne m’avait plus été donné de rencontrer depuis samedi dernier.

J’aime quand la situation des villages que je traverse au cours de la journée permet de scinder approximativement mon trajet en trois tiers de huit à dix kilomètres chacun : le premier jusqu’à la boulangerie ou au café où je pourrai faire une courte pause en dégustant un croissant et un chocolat chaud (ou un Coca, selon la température ; ces derniers temps ce fut plutôt du Coca) et m’acheter éventuellement un sandwich pour midi ; le second tronçon jusqu’à l’heure de déjeuner, soit du sandwich acheté le matin, soit de la semoule + saucisson de mon sac, soit dans un restaurant. Aujourd’hui je suis arrivé vers midi et demie devant le restaurant ouvrier de Carole à Obly, un restaurant très animé par la quarantaine de coqs de tous âges qui cherchaient à attirer l’attention de la propriétaire, une jolie blonde sacrément efficace, très enjouée et qui ne s’en laissait pas compter par tous ces mâles.

Mon troisième tronçon de la journée a été parcouru sur un rythme bien plus rapide que les deux précédents car le ciel avait profité de mon déjeuner pour tourner au gris foncé. Très rapidement les grondements du tonnerre ont remplacé le chant des oiseaux et j’ai forcé le pas en espérant arriver à l’auberge réservée hier avant que l’orage n’éclate. Mission accomplie à la minute près ! J’en ai franchi le seuil à l’instant précis où les nuages ouvraient largement leurs vannes.

Plus tard, dans la soirée, alors que la pluie avait cessé et que je cherchais un endroit avec un peu de réseau téléphonique, je suis passé devant le lavoir du village où Guilhem et Alexandre faisaient leur lessive et leur toilette de randonneurs. Deux MULs ! avec un sac de moins de six kilos, du matériel léger et lecteurs du forum www.randonner-leger.org ! Originaires de Sète, ils étaient partis de Volvic avec leurs tentes pour une randonnée en boucle sur le GR441. L’heure tardive nous a hélas imposé de raccourcir notre discussion pour aller à nos rendez-vous respectifs avec Morphée.

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J 42 – Vendredi 24 juin 2022
Mazaye -> Pontaumur (km 863)

Nuages et pluie sur les Puys

Depuis Mazayes où j’ai passé la nuit, le GR441 se dirige plein nord vers le village de Saint-Ours où il croise le GR4 qui vient du Puy-de-Dôme en décrivant une large boucle qui passe ensuite par le Lac des Fades et par Miremont. C’est probablement un joli itinéraire mais le suivre aurait signifié pour moi une bonne journée de marche supplémentaire. J’ai donc illustré par l’exemple ce dont je parlais il y a quelques jours en choisissant de quitter le GR et de me diriger directement vers l’est en dehors des chemins de randonnée balisés.

Il faut avoir randonné dans certains autres pays (mon expérience me fait évidemment évoquer l’Italie du sud) pour se rendre compte à quel point nous sommes chanceux en France de disposer d’un réseau de chemins aussi extraordinaire. Guidé par mon GPS et les deux applications que j’utilise en routine (Iphigénie pour les cartes de l’IGN et Mapy.cz pour les cartes OSM), j’ai pu sans aucune difficulté traverser la campagne et les forêts des Combrailles pour atteindre ce soir Pontaumur au terme d’une promenade très agréable d’environ vingt-cinq kilomètres. Toutes les pistes, tous les chemins, et même tous les sentiers que j’ai empruntés étaient parfaitement entretenus et dégagés. Chapeau.

Le temps qu’il a fait aujourd’hui – il a plu pratiquement sans arrêt de sept heures du matin jusqu’à seize heures – n’était certes guère encourageant pour les adeptes de rando à la journée, ce qui explique peut-être que n’aie rencontré personne. Je crois néanmoins que ce parfait entretien traduit l’utilisation régulière qui est faite de ces chemins par les habitants des lieux et les randonneurs de passage.

J’avais besoin de passer à Pontaumur car il s’y trouve un hypermarché où je voulais faire quelques courses. D’une part pour regarnir mon « sacabouf » avant de m’engager sur une portion de territoire qui s’annonce particulièrement vide de tous commerces, d’autre part pour remplacer les semelles internes de mes chaussures qui s’avèrent à l’usage moins résistantes que mes pieds. Mission accomplie, j’y ai trouvé des semelles premières en mousse que j’ai pu recouper à la bonne taille en leur donnant la forme adéquate. Espérons que cela ira.

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J 43 – Samedi 25 juin 2022
Pontaumur -> La Celle (km 891)

C’est l’heure du bain !

La « diagonale du vide », c’est ainsi que l’on désigne fréquemment la bande du territoire français orientée dans le sens nord-est / sud-ouest (donc perpendiculaire à celle que je suis actuellement) qui va approximativement du département de la Meuse à celui des Landes. On lui donne ce nom en raison de la faible densité de population et de la tendance au dépeuplement des endroits qu’elle traverse. En bonne logique géométrique, je devais forcément la croiser un jour ou l’autre. Voilà qui est fait ! Dans cette partie du Massif Central où je viens d’arriver, ouest du Puy-de-Dôme et Creuse, je me trouve en quelque sorte dans un « carrefour du vide » : il y a peu de villages, pas de commerces, pas d’hébergements, et je n’ai rencontré personne de toute la journée… mais il faut reconnaître que les trombes d’eau qui tombaient cet après-midi n’incitaient pas à la promenade.

Ce matin pourtant, il faisait beau. Quelques kilomètres après mon départ de Pontaumur j’ai retrouvé mon vieux camarade le GR4 que j’ai suivi en de nombreuses occasions depuis Grasse et en compagnie duquel je vais de nouveau cheminer pendant plusieurs jours jusqu’à ce que nos chemins se séparent définitivement à Saint-Goussaud, à la limite entre les départements de la Creuse et de la Haute Vienne. Il poursuivra alors son périple vers l’ouest jusqu’à Royan tandis que je me dirigerai plein nord en direction de la Brenne. Sur d’autres portions de son tracé se trouvent d’assez nombreux gîtes d’étapes dont j’ai profité en plusieurs occasions mais pas ici. Les deux seuls gîtes référencés sur une soixantaine de kilomètres étaient l’un trop loin et de toute façon complet ce week-end, et l’autre définitivement fermé. Les chambres d’hôtes brillaient par leur absence (ne parlons pas d’hôtels) et en ce samedi les mairies étaient fermées. J’avais donc prévu de bivouaquer ce soir et demain.

Le ciel s’est couvert à partir de treize heures ; à quatorze heures le tonnerre était de retour et un quart d’heure plus tard la pluie a commencé à tomber dru. Je ne dirai jamais assez à quel point j’aime mon parapluie. Associé bien sûr à ma tenue de pluie, veste et pantalon, il m’a permis de marcher tête nue pendant près de deux heures sous le déluge sans être mouillé ni par la pluie ni par ma transpiration, jusqu’à finalement trouver dans un bois un joli site de bivouac au sol couvert d’une mousse épaisse.

C’est dans ces conditions difficiles que le fait de monter en premier le double-toit de la tente montre tout son intérêt. Pour les adeptes du bivouac, je détaille : j’ai d’abord monté le double-toit de ma X-mid à la vitesse grand V sous la pluie battante (une sardine pour tenir chacun des quatre coins, mes deux bâtons de marche pour servir de mâts, et hop !) et je me suis mis en-dessous avec mon sac. J’étais alors parfaitement à l’abri. J’ai pu prendre le temps de bien nettoyer le sol des branches et des pommes de pins qui s’y trouvaient avant d’étaler ma couverture de survie sur la mousse trempée pour m’en isoler. Ensuite, j’ai retiré ma tenue de pluie que j’ai mise dans un coin, j’ai réparti le contenu de mon sac à dos là où allaient se trouver les deux absides et j’ai fini mon installation en montant la tente intérieure dans laquelle j’ai placé habits secs, duvet, matelas, etc.

Trois heures plus tard, il pleuvait toujours. Impossible de sortir, j’ai dîné froid dans une des absides. Heureusement que j’aime le bruit des gouttes de pluie sur la toile de la tente car cette nuit je risque d’être servi !

[Note : parmi les récits relatant une randonnée le long de la diagonale du vide, j'ai particulièrement apprécié deux livres très différents : celui d'Axel Kahn "Pensées en chemin" et la bande dessinée d'Étienne Davodeau "Le droit du sol". Il en existe plusieurs autres de qualité inégale. Le livre de Pierre Péju qui porte ce nom est un roman sans lien avec la randonnée.]

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J 44 – Dimanche 26 juin 2022
La Celle -> Saint-Avit-de-Tardes (km 912)

Un temps à ne pas mettre un randonneur dehors…

Je pense qu’il a plu toute la nuit mais comme j’ai dormi comme un loir sur cet épais matelas de mousse je serais bien en peine de l’affirmer. Réveillé à cinq heures et demie pour entendre le bruit d’une bonne pluie sur ma toile, je me suis immédiatement rendormi. À sept heures il pleuvait toujours mais, bien qu’on soit dimanche, je ne pouvais décemment pas continuer à faire la grasse matinée dans mon duvet ! En sortir pour remettre mes habits de jour et ranger tout mon matériel m’a pris une demi-heure. Une fois la tente intérieure rangée elle aussi au sec dans le sac à dos, je n’avais plus qu’à remettre ma tenue de pluie et à renfiler chaussettes et chaussures trempées (sympa !) avant de sortir parapluie à la main pour démonter le double-toit avec l’autre main et le placer dans le filet externe du sac.

À huit heures, j’étais parti et marchais dans la forêt. Vers neuf heures la pluie a cessé, laissant place à une épaisse brume donnant aux environs un aspect de forêt des Carnutes un jour de cérémonie magique (mais je n’ai pas rencontré de druide). Ensuite, toujours sans doute pour me faire penser à Astérix, la pluie en revenant a chassé le brouillard alors que je quittais le pays des Arvernes pour la Creuse et le Limousin.

Je suis arrivé à Crocq à midi pile, juste à temps pour passer à la boulangerie du village avant qu’elle ne ferme et y acheter de quoi déjeuner d’autre chose que de semoule. La boulangère m’a confirmé que le gîte d’étape que j’avais cherché à contacter depuis vendredi sans succès était un gîte communal et que le numéro que j’appelais était celui de la mairie. Pas de regret quoi qu’il en soit, ce gîte communal est lui aussi fermé le week-end.

Je suis entré avec ma quiche lorraine dans le bar situé à côté de la boulangerie en demandant au patron s’il verrait un inconvénient à ce que je la mange à l’une de ses tables en buvant un Coca. « Aucun problème, puisque je ne sers pas de repas ». Jean-Pascal, le propriétaire, et Jean-François assis au bar ont été intéressés par ma longue marche, se désolant que la partie du GR4 qui passe chez eux soit aussi déshéritée dans tous les domaines. Les habitants de Crocq sont appelés les Croquant(e)s et il semble avéré que c’est de ce village qu’est partie à la fin du seizième siècle la « Jacquerie des croquants » qui allait ensuite se développer dans le sud-ouest du pays pendant tout le 17e siècle. Pas sûr que les choses aient beaucoup changé depuis lors. « Pas de commerces, pas de gîtes, il n’y a rien par ici, et ce sera comme ça jusqu’à Aubusson. On est en plein dans le vide ! » m’a dit Jean-Pascal, reprenant sans le savoir presque mot pour mot les termes que j’employais dans mon billet d’hier. Jean-François a renchéri et a eu la gentillesse de m’offrir mon Coca avant de rentrer chez lui pour déjeuner.

Reparti de Crocq vers 13 heures, j’ai marché deux petites heures supplémentaires avant que la reprise de la pluie et quelques premiers coups de tonnerre ne me fassent rechercher un site de bivouac, les prévisions météo étant à des orages violents assortis de pluies abondantes pendant la soirée et la nuit à venir, au moins. J’en ai trouvé un assez vite en m’écartant du chemin et des prés à vaches pour atteindre un petit bois de pins couronnant une colline. À dix-huit heures il faisait presque nuit et le déluge commençait mais j’étais déjà bien à l’abri.

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J 45 – Lundi 27 juin 2022
Saint-Avit-de-Tardes -> Aubusson (km 931)

« Bilbo s’éveilla, le soleil du matin dans les yeux » (détail)
Tapisserie de basse-lisse, laine.
Carton : Delphine Mangeret, Aubusson, 2020.
Tissage : Atelier Françoise Vernaudon, Aubusson, 2020.
D’après une illustration (aquarelle, gouache blanche et encre noire) du livre « Bilbo le Hobbit » par J.R.R. Tolkien lui-même, 1937.

La météo ne s’était pas trompée, l’orage d’hier soir a été violent et j’étais pile en dessous. Comme beaucoup de monde je suppose, j’ai l’habitude en cas d’orage de compter les secondes qui s’écoulent entre un éclair et le coup de tonnerre qui suit et de diviser le résultat par trois pour avoir une estimation de la distance en kilomètres entre la foudre et moi. Hier soir, pendant un long quart d’heure, il n’y a pas eu besoin de savoir compter au-delà de deux. L’illumination quasi-permanente du ciel était visible à travers la toile de la tente, le bruit du tonnerre était assourdissant et il y avait une odeur d’ozone dans l’air. Bref, j’ai été soulagé lorsque j’ai enfin commencé à pouvoir compter jusqu’à trois, puis jusqu’à cinq. La pluie battante ne s’est heureusement pas accompagnée de grêle et vers minuit elle est devenue moins forte. Allez savoir pourquoi je me suis endormi assez tard !

Ce matin il pleuvait toujours lorsque vers huit heures je me suis remis en route mais progressivement les cordes se sont transformées en crachin et finalement, vers dix heures, j’ai pu ranger mon parapluie, puis retirer ma tenue de pluie lorsque vers midi le soleil est réapparu. J’en ai profité pour faire une pause dans un pré sans vaches (c’est rare par ici mais ça existe), à la fois pour déjeuner et pour étaler sur l’herbe la toile de tente, la protection de sol et le duvet afin les faire sécher.

J’avais traversé avant cela le village de Néoux dont la petite église, laissée ouverte pour le passant, m’a touché par son austère simplicité. Ayant fini l’eau recueillie hier avant mon bivouac et ne voyant aucun habitant dans les rues de ce village sans commerce, j’ai frappé à quelques portes sans obtenir de réponse. Finalement, je me suis servi en pénétrant dans un jardin pour remplir ma bouteille au robinet extérieur d’une maison. Je suis arrivé assez tôt à Aubusson au terme d’une courte étape, moins de vingt kilomètres. Il faut dire que le temps ne m’avait pas donné envie de traîner en route les deux jours précédents et que j’avais bien avancé depuis Pontaumur.

Cela m’a donné le temps de refaire quelques courses de nourriture et surtout de visiter la « Cité de la Tapisserie », un musée assez petit mais riche en œuvres de toutes époques le plus souvent monumentales. L’exposition permanente comprend des tapisseries classiques allant du 15ème au 21ème siècle avec des auteurs aussi célèbres que Lurçat et Dom Robert, mais aussi Picasso, Le Corbusier ou Vasarely. Je dois dire à ce sujet que je suis toujours un peu mal à l’aise avec l’attribution à un artiste d’une tapisserie dont il a bien sûr créé le carton mais qui a en fait été réalisée par une équipe de lissiers qui y ont consacré des centaines d’heures de travail dont ils ne sont pas, ou à peine, crédités.

À côté de l’exposition permanente se tenaient deux expositions très originales : l’une consacrée à l’œuvre de J.R.R. Tolkien (Le Silmarillion, Les Lettres du Père Noël, Roberandom et bien sûr Bilbo le Hobbit et Le Seigneur des Anneaux) à partir des illustrations réalisées par Tolkien lui-même ; l’autre à celle de Hayao Miyazaki, le fondateur des studios Ghibli de cinéma d’animation (Princesse Mononoke, Le Voyage de Chihiro, Le Château dans le ciel, Nausicäa de la vallée du vent). Je les ai trouvées superbes.

Après ces trois journées de marche et ces deux bivouacs sous la pluie, j’avais décidé de m’accorder un peu de confort sous la forme d’une nuit en appart’hotel. Cela m’a permis de laver et de mettre à (finir de) sécher matériel et vêtements qui en avaient bien besoin… ainsi que le bonhomme ! Comme il n’y a pas de mal à se faire du bien, je me suis également invité à dîner dans un excellent petit restaurant où j’ai fait la connaissance de Myriam et Didier, assis à la table voisine et également de passage, eux parcourant la France à moto. Ils arrivaient du Puy-en-Velay où j’étais il y a deux semaines et comptaient rejoindre demain Saumur où je devrais arriver… dans deux semaines également. À chacun son rythme ! Ce fut une agréable discussion entre des adeptes de deux modes de locomotion différents ayant toutefois un certain nombre de points communs. Je leur ai montré mes cartes, Didier m’a montré les photos de ses motos ! J’ai ensuite regagné mes pénates du jour où un bon lit m’attendait sous un toit solide. Il semble malheureusement qu’aucun orage ne soit prévu cette nuit, c’est trop injuste.

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J 46 – Mardi 28 juin 2022
Aubusson -> Banize (km 952)

La Creuse, terre d’élevage…

Aubusson a été une excellente surprise, non pas tant en raison du plaisir que j’ai eu à visiter le musée de sa Cité de la Tapisserie – tant la tapisserie était associée pour moi au nom de la ville – que par sa joliesse. Maisons serrées, toitures pentues, ruelles escarpées et la Creuse qui se faufile entre des berges tapissées d’herbe même au cœur de la ville et glisse sous le pont de la Terrade… Je n’avais pas du tout une telle vision de cette ville qui, en outre, m’a paru dynamique avec du monde dans les rues et des commerces ouverts, tout le contraire du département dans lequel elle se trouve lequel, depuis trois jours que je le traverse, m’a paru endormi et ses habitants tristement résignés à « vivre dans le vide » comme disait Jean-Pascal avant-hier.

L’Ardèche où j’étais récemment, la Lozère où j’ai marché à plusieurs reprises, sont aussi des départements ruraux peu peuplés dont les habitants ne sont sans doute pas plus riches que ceux d’ici mais ils n’exhalent pas le même sentiment de déclassement et d’abandon. On peut se demander ce qui explique cette différence. La particularité qui me saute aux yeux c’est l’omniprésence de l’élevage. Les vaches sont partout et, en dehors des forêts, le territoire ne comprend que des prairies. Depuis plusieurs jours, je n’ai pas vu un seul champ cultivé. Pas de blé, pas de colza, pas de tournesol, rien que de l’herbe, des prairies à vaches entourées de barbelés. Car les clôtures, ici, sont partout. Elles servent bien sûr à empêcher les vaches de sortir de leur pré mais elles empêchent tout autant les passants de sortir du chemin pour pénétrer dans une prairie ou dans la forêt (eh oui, les forêts aussi sont clôturées). C’est un territoire grillagé, clôturé, cadenassé que je traverse, qui m’a donné des envies de pinces coupantes (certes pas très MUL) et rappelé le splendide film de David Miller avec Kirk Douglas « Seuls sont les indomptés ». De là à faire un parallèle avec une certaine apreté du caractère des Creusois, que je connais bien par ailleurs pour des raisons personnelles, et avec leur repli sur soi et sur leur terre… on va dire que je vais arrêter là ma philosophie de comptoir !

Après la bonne soirée d’hier et une excellente nuit, je suis reparti requinqué d’Aubusson par un temps superbe. Tout bien réfléchi, ce n’est finalement pas désagréable de marcher sous un ciel bleu ! J’ai longé toute la journée des prairies où j’ai vu des centaines de vaches et traversé quelques forêts sur des chemins constamment bordés de clôtures de barbelés. Je n’ai rencontré personne, il ne m’est arrivé aucune (més)aventure et je suis arrivé en milieu d’après-midi à l’auberge de jeunesse de Banize, gîte confortable de 27 places où, une fois encore, je vais être seul pour passer la soirée et la nuit.

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J 47 – Mercredi 29 juin 2022
Banize -> Bourganeuf (km 981)

Sur les bords du Thaurion.

Après plus de six semaines de marche et bientôt mille kilomètres parcourus depuis mon départ de Menton, mon matériel de rando commence à donner des signes très nets de fatigue. Il faut dire que certains des éléments qui le composent en sont à leur deuxième voire leur troisième année de longues marches. La réparation de mon matelas autogonflant, acheté en 2019, n’a tenu que trois ou quatre bivouacs avant que réapparaisse une mini-fuite qui n’est pas très gênante (je dois le regonfler une fois dans la nuit… pour autant que je me réveille) mais qui traduit probablement une porosité du matériau. Comme ce modèle (Nemo Zor 20S) n’existe apparemment plus, il va falloir que je lui trouve un remplaçant. En attendant, je fais avec sans que cela me gêne vraiment.

Plus ennuyeux, j’ai découvert hier que les attaches des bretelles sur le corps de mon sac à dos Zpacks Nero 38 (un sac étanche en cuben) commençaient à donner des signes de fatigue. Les coutures elles-mêmes semblent toujours solides et pour l’instant le sac est toujours étanche mais les patchs qui les recouvrent à l’intérieur sont extrêmement délaminés. Je n’ai pas trouvé de scotch cuben dans mon kit de réparation car, comme une andouille, je l’en ai retiré au dernier moment lorsque j’ai pris ma nouvelle tente double-toit à la place de ma Plexamid, oubliant juste que mon sac à dos était lui aussi en cuben. Du coup j’ai fait une réparation de fortune avec du duct-tape mais je ne parierais pas cher sur sa longévité.

Mes pieds vont bien, merci, mais ils ont du mérite au vu de leur emballage ! L’usure des nouvelles chaussures que j’ai achetées à Manosque me paraît normale et je pense qu’elles devraient tenir jusqu’au bout de mon périple de cette année mais leurs semelles internes étaient déjà trouées après 500 km d’utilisation. Comme raconté précédemment, j’ai essayé de les remplacer à Pontaumur par des semelles premières en mousse qui n’ont pas survécu aux trois journées pluvieuses qui ont suivi. J’avais bien fait d’être prudent et de ne pas jeter les autres, que j’utilise donc à nouveau malgré leur trou, sans souci pour l’instant. Quant aux chaussettes… comme leur nom l’indique, les chaussettes Darn Tough que j’utilise ont la réputation d’être quasiment inusables. Aux États-Unis il est même possible de les échanger gratuitement contre des neuves si elles se percent. Pas en France hélas car j’ai constaté à nouveau cette année qu’elles n’aiment pas du tout rester longtemps trempées. Les quelques journées récentes de pluie et de marche matinale dans l’herbe mouillée l’ont remarquablement illustré puisque j’ai dû les repriser deux fois depuis quatre jours.

Bref, il va être bientôt nécessaire de procéder à un remplacement de matériel. Je ferai cela dans une dizaine de jours lorsque j’interromprai ma marche pour des vacances familiales, du 14 juillet au 1er août. Il faudra bien que cela tienne jusque là.

L’étape d’aujourd’hui a été agréable et plus sportive que celles des jours précédents car longue d’une trentaine de kilomètres et avec un dénivelé non négligeable. Elle a commencé par une jolie portion de sentiers étroits en forêt en longeant la rivière Thaurion. Le balisage du GR était ancien et peu visible ce qui m’a permis de me tromper plusieurs fois et de devoir revenir sur mes pas pour tomber à plusieurs reprises sur la même jeune femme qui promenait ses deux chiens et qui m’a remis à chaque fois sur le bon chemin. Ensuite, les portions en forêt et celles entre les prairies ont alterné avec quelques jolies grimpettes dont une de deux cents mètres bien raide dans une forêt après Courson. Je garde de celle-ci un souvenir d’autant plus ému qu’un petit malin s’était amusé à accompagner aux embranchements le marquage du GR par des flèches rouges indiquant systématiquement la mauvaise direction. Je ne suis fait avoir une fois pour une cinquantaine de mètres, mais pas deux !

L’arrivée à Bourganeuf par les Gorges du Verger est une jolie petite promenade sans difficulté qui m’a amené dans une ville paraissant vivre au ralenti autour de ses quelques monuments historiques. Rien à voir avec Aubusson, cela m’a plus rappelé Brioude. Bien fatigué par cette longue journée, je me suis contenté d’aller jeter un coup œil sur la Tour Zizim, haute prison cylindrique construite au 15ème siècle pour recevoir en résidence forcée le prince ottoman ainsi nommé, avant de gagner la chambre d’hôtes réservée pour la nuit. Pour demain, il semble que la pluie soit de nouveau au programme. On fera avec !

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J 48 – Jeudi 30 juin 2022
Bourganeuf -> Bénévent l’Abbaye (km 1.008)

Mille kilomètres !

Depuis le milieu de la nuit il n’avait pas cessé de pleuvoir et ce matin il pleuvait toujours. J’ai enfilé mon uniforme de pluie, attaché mon parapluie à la bretelle du sac à dos et me suis mis en route. Ce n’était pas une surprise, la météo avait averti depuis plusieurs jours que ce jeudi serait pluvieux mais je n’avais pas imaginé à quel point : pas une minute une pluie soutenue n’a cessé de tomber, entrecoupée à trois ou quatre reprises d’averses encore plus violentes.

J’avais commencé la journée en suivant comme tant de fois le GR4 qui empruntait ce matin des sentiers forestiers sans doute agréables par beau temps mais qui étaient devenus des bourbiers parsemés de flaques qui, en deux occasions, furent plutôt des mares occupant la totalité du passage sans possibilité de les contourner. La première fois, je me suis dit qu’après une heure de marche dans la gadoue et les herbes mouillées, mes pieds, chaussettes et chaussures ne pourraient pas être plus trempés qu’ils l’étaient déjà (spoiler : si !). La seconde fois… ben il a bien fallu traverser quand même ! Dès que l’occasion s’en est présentée, j’ai donc quitté ce sentier marécageux pour le bitume d’une petite route. Il était de toute façon prévu que je laisse aujourd’hui le GR4 poursuivre sans moi son chemin vers l’Atlantique ; le temps exécrable aura juste précipité notre séparation.

Le reste de la journée ne mérite pas un long développement : de petite route en petite route, la tête rentrée dans les épaules sous la capuche et le parapluie, j’ai avancé au pas de charge sous la douche pendant tout le reste de l’étape, bien content de savoir que la nuit prochaine je dormirais sous un toit. Je ne me suis pas arrêté, j’ai laissé continuellement mon smartphone à l’abri en dehors de quelques points GPS, je n’ai pratiquement pas pris de photos et ce n’est qu’à la sortie du village de Ceyroux que je me suis aperçu avoir franchi peu de temps auparavant la ligne virtuelle des mille kilomètres de marche au cours de ce périple.

À marcher ainsi à toute vitesse, je suis arrivé à Bénévent-l’Abbaye peu avant quatorze heures. Le restaurant ouvrier qui se trouve à l’entrée de la ville servait les derniers cafés mais lorsque j’ai demandé s’il était encore possible de déjeuner, la patronne m’a répondu avec l’air compatissant : « Mais bien sûr ! Laissez juste vos affaires à côté de l’entrée. Vous arrivez d’où dans un état pareil ? »

Requinqué et réchauffé, je suis ressorti une heure plus tard du restaurant : il ne pleuvait plus ! Et non seulement il ne pleuvait plus mais le soleil brillait ! Je me demande s’il n’y a pas là-haut quelqu’un qui veut me faire regretter d’avoir dit que je préférais encore la pluie à la canicule. En tout cas j’en ai profité pour faire avec quelques kilomètres de retard la photo-témoin de mon passage des mille kilomètres.

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J 49 – Vendredi 1er juillet 2022
Bénévent l’Abbaye -> La Souterraine (km 1.029)

Chamborand, village creusois

La cité historique de Bénévent-l’Abbaye attire les pèlerins depuis qu’au douzième siècle une relique de Saint-Barthélémy y a été recueillie par la communauté religieuse installée autour du sanctuaire dédié à ce saint. Cette relique avait été rapportée de la ville italienne de Benevento, en Campanie, d’où le nom donné à la nouvelle abbaye. Aux pèlerins venus glorifier Saint-Barthélémy s’ajoutèrent ensuite les « jacquets », pèlerins en route vers Saint-Jacques de Compostelle par la voie de Vézelay.

Occupé comme je l’étais par les intempéries, je ne m’en étais pas rendu compte hier mais, à une échelle différente, c’est toujours le cas de nos jours. Il est d’ailleurs possible que la très grande gentillesse avec laquelle la restauratrice d’hier midi s’est occupée de moi lorsque je suis arrivé chez elle hors délais et trempé comme une soupe ait été liée à son habitude d’accueillir des pèlerins. Elle m’a sans doute pris pour l’un d’eux – mais après tout, c’est bien ce que je suis, même si le but ultime de ma longue marche est un autre Finistère que celui de Galice.

J’ai donc une nouvelle fois suivi un Chemin de Compostelle mais cette fois-ci « dans le sens inverse de la marche », en rejoignant aujourd’hui La Souterraine. Cela m’a amené à croiser plusieurs pèlerins arrivant d’en face et à recevoir à quelques reprises des avertissements sur le fait que je marchais dans la mauvaise direction ! Tous ceux avec lesquels j’ai discuté étaient partis de Vézelay et allaient s’arrêter à Limoges. C’était en particulier le cas de Francis, marcheur « de toujours » un peu plus âgé que moi qui m’a raconté son projet de faire à pied un Tour de France, de grande ville en grande ville, à la manière des compagnons de jadis. Il était désireux d’emporter de quoi bivouaquer sans porter trop lourd… et ne connaissait pas le forum www.randonner-leger.org pour lequel j’ai de nouveau fait de la promotion (et, je crois, ma B.A. de la journée, quoi de plus normal pour un pèlerin comme moi ?).

Ces rencontres espacées d’autres randonneurs m’ont fait du bien, participant de mon sentiment de commencer à sortir enfin de cette espèce de « no man’s land » (même si ce terme est bien sûr exagéré) dans lequel j’avance depuis une dizaine de jours. Au cours des deux cents et quelques derniers kilomètres, je n’ai par exemple pratiquement plus vu de village avec une boulangerie et même les dépôts de pain ont disparu, remplacés dans les villages les plus chanceux par des distributeurs automatiques. Aujourd’hui toutefois, un début de changement d’atmosphère est apparu. Il y avait toujours beaucoup de prairies et de vaches autour des chemins mais l’agriculture a fait sa réapparition avec des champs de blé et de maïs, quelques cultures maraîchères, des vergers. Il y avait moins de clôtures, électriques ou barbelées, avantageusement remplacées par des haies. Bien sûr, ce regain d’optimisme de ma part a probablement été facilité par le retour du beau temps.

La Souterraine est une ancienne place-forte qui a conservé plusieurs témoins de ses fortifications du Moyen Âge comme la porte Saint-Jean avec tourelles, créneaux, meurtrières et mâchicoulis. En y arrivant, j’ai presque eu l’impression d’arriver dans une grande ville. Tout est relatif : deuxième ville de Creuse par sa population après Guéret, elle a… un peu moins de cinq mille habitants.

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