Trois voyageuses en Chine

Le vol du paon mène à Lhassa (Élodie Bernard) - Illustration de couverture
Illustration de couverture du livre d’Élodie Bernard Le vol du paon mène à Lhassa

Trois écrivaines, Clara Arnaud, Élodie Bernard et Sylvie Lasserre, dédicaçaient hier après-midi leurs livres respectifs dans un bar aux tons chauds et cuivrés situé dans une rue piétonne du quartier des Halles à Paris.

Une grosse demi-heure suffit en principe pour aller à pied de chez moi jusqu’aux Halles, mais de détour en détour et de photo en photo, j’y suis arrivé un bon quart d’heure après le début de la discussion entre les trois jeunes femmes et la quinzaine de personnes assises sur des chaises ou des sofas, de l’autre côté de la table basse où leurs livres étaient exposés. Je me suis donc faufilé le plus discrètement possible entre les chaises pour atteindre une place libre, à la gauche des oratrices et un peu en retrait, d’où je voyais aussi bien les trois voyageuses racontant leur expérience que l’assistance qui les écoutait.

Sylvie Lasserre — Voyage au pays des Ouïghours (Ed. Cartouche)
Grand reporter, écrivain et photographe, Sylvie Lasserre s’est rendue à plusieurs reprises au Xinjiang, le Turkestan chinois, pour enquêter sur cet « immense camp de concentration à ciel ouvert » dont la culture millénaire est progressivement transformée en folklore par la majorité Han, et les habitants étouffés par une répression policière de tous les instants. Elle rend compte de son expérience dans Voyage au pays des Ouïghours.

Élodie Bernard a pénétré sans autorisation au Tibet lors des Jeux Olympiques de 2008 à Pékin, cachée dans un autocar sous des couvertures nauséabondes, pour observer depuis l’intérieur du pays la répression qui a suivi les émeutes de Lhassa. Le titre de son livre, Le vol du paon mène à Lhassa, fait référence à une expression employée par les organes officiels chinois pour désigner l’immigration chinoise au Tibet, qui transforme peu à peu la population autochtone de ce pays en une minorité.

Le livre de Clara Arnaud, Sur les chemins de Chine, est un carnet de route qui relate ses six mois de voyage à pied avec deux chevaux de bât dans le grand ouest de la Chine, à travers le pays ouïghour d’abord puis sur les hauts plateaux du Tibet, aventure rendue possible par une bourse de la Fondation Zellidja.

Sur les chemins de Chine (Clara Arnaud)
« Le voyageur, le marcheur, l’errant, tente d’épouser le cours du temps, de lui courir après le souffle court, de s’y accrocher de toutes ses forces. Sa démarche est condamnée à l’échec s’il tente d’imposer lui-même la cadence. C’est le temps qui rythme le pas du marcheur, le temps qui passe et dont il faut savoir écouter la vibration pour l’épouser et s’envoler à ses côtés. À ce moment précis, un bref instant, un rare instant, le marcheur ne sent plus ses muscles à l’effort, il ne sait plus qu’il marche. [...]
L’homme en marche n’avance plus, il sent le monde bouger en lui, et c’est le temps qui passe dans chacune de ses enjambées. »

Clara Arnaud — Sur les chemins de Chine (Gaïa, 2010)

Démarche avant tout politique pour Sylvie Lasserre et Élodie Bernard, désir de découverte et d’aventure au premier plan pour Clara Arnaud. Ces trois femmes ont des objectifs initiaux distincts et ne se ressemblent pas physiquement. Pourtant, elles semblent avoir été faites sur le même moule ; elles ont toutes les trois cette vivacité dans le discours, cette flamme dans le regard, cette ferveur à raconter ce qu’elles ont vu, qui est le propre de ceux ou celles qui sont allés « ailleurs » et qui en sont revenus avec la volonté de transmettre une part de ce qu’ils y ont vécu.

À travers les carreaux de la fenêtre, j’apercevais par-dessus leurs têtes une portion de l’immeuble situé de l’autre côté de la ruelle. Penchée sur son balcon, une jeune femme asiatique, toute de rouge vêtue, essayait de faire revenir chez elle le chat noir qui s’en était enfui pour rejoindre un séduisant rebord en surplomb, et qui se promenait le long de la façade à quatre mètres du sol, la queue insolemment levée et dédaigneux des appels de celle qui se pensait sa maîtresse. Lorsque je suis reparti du café, avec dans mon sac les trois livres dédicacés, lui non plus n’avait toujours pas renoncé à sa liberté.

  • Clara Arnaud — Sur les chemins de Chine (Gaïa, 2010).
  • Élodie Bernard — Le vol du paon mène à Lhassa (Gallimard, 2010).
  • Sylvie Lasserre — Voyage au pays des Ouïghours (Cartouche, 2010).

3 commentaires


  • En effet, cette question des marques du féminin est pleine de contradictions et donc de questions. Consoeurs, et bien c’est une marque particulière de fraternité (ça alors) ou plus exactement de solidarité, donc de “militantisme” puisqu’il reste encore tant d’inégalités. Evidemment, tout cela est à manier avec nuance et subtilité, d’autant plus que la gens masculine trouve rapidement la parade : moi qui suis macho, etc. Enfin, il vaut mieux en plaisanter, tout en se rappelant qu’il existe aussi un certain nombre de femmes qui meurent sous les coups de leur conjoint.

    Il est vrai que de nombreuses jeunes femmes aujourd’hui peuvent inspirer de l’admiration. C’est même finalement la seule chose qui me fait encore plaisir dans mon boulot : travailler avec des jeunes femmes – mais aussi de jeunes hommes – qui ont de la passion pour ce qu’ils font, et qui travaillent beaucoup.

    Jour de Toussaint? je m’aperçois que je suis un peu trop grave aujourd’hui. A bientôt pour une prochaine lecture, Chemineau.

    Lundi 1 novembre 2010
  • Oui, je sais bien. C’est pourquoi je n’ai pas utilisé “auteure”. Mais voyez comme nous sommes bizarres : “voyageuse” ne se remarque pas, vous utilisez “consoeur”, mais “écrivaine” crée un malaise. Pas facile, le français, hein.

    En fait, ce que je me demande maintenant, c’est pourquoi j’ai eu besoin de préciser qu’il s’agissait de femmes. Je crois que c’est parce que j’ai été impressionné hier par l’audace, en particulier, de deux très jeunes femmes (Clara Arnaud et Élodie Bernard) qu’on ne s’attend pas à voir se lancer dans de telles aventures (quand on est un macho comme moi, bien sûr).

    Quant à la dernière phrase, j’ai bien le droit de me faire plaisir de temps en temps, héhé.

    Vos commentaires sont toujours aussi affûtés. Merci, “H.” !

    Dimanche 31 octobre 2010
  • Toujours un sentiment de malaise avec la féminisation des noms de métier, ce que j’évite toujours de faire personnellement : cela sonne parfois très mal (l’horrible professeure) ou cela prend une connotation sans rapport avec l’objet. Finalement, le masculin permet d’aboutir à une généricité qui met plus en avant la fonction que la personne, parfaitement représentée en tant qu’être humain sexué par son nom et son prénom. Je sais que ce n’est pas un avis forcément partagé, notamment par mes consoeurs qui y voient un manque de solidarité, mais l’égalité homme/femme passe par bien d’autres choses choses : le travail, l’égalité des salaires, le partage vrai des tâches domestiques et de l’éducation des enfants…

    PS. Je ne connais pas ce bistrot qui a échappé à mes déambulations dans le quartier : mais c’était un autre temps.

    Votre note va me donner envie de jeter un oeil sur ce blog dont j’avais vu l’annonce à plusieurs reprises, mais l’exploration un peu systématique que je tente de faire est longue.

    Votre dernière phrase sur le chat me rappelle la Pomponnette de Pagnol : lui non plus… Ils ont bon dos les chats !

    Dimanche 31 octobre 2010

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